Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 8h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GPA
  • PMA
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  • éthique

La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 27 septembre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à la table ronde des obédiences maçonniques : M. Pascal Neveu, président de la Commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France, et M. Thierry Lagrange, conseiller ; M. Edouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France, Mme Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association « Bioéthique et Liberté », et Mme Élise Ovart-Baratte, conseiller ; Mme Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maitresse de la Grande Loge Féminine de France, Mme Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des Droits des Femmes ; M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France, M. Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître, et M. Jean-Pierre Pauliac, président de la commission obédientielle d'éthique ; Mme Viviane Villatte, premier vice-président de l'Association Philosophique Française Le Droit Humain et M. Georges Juttner, président de la commission bioéthique de août 2016 à août 2018, pédopsychiatre, ancien exprès auprès de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, ancien expert agréé « cour de cassation »

La séance débute à huit heures quarante-cinq.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous poursuivons le cycle d'auditions de la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique avec une table ronde rassemblant différentes obédiences maçonniques : nous accueillons ainsi les représentants de la Grande Loge de France, du Grand Orient de France, de la Grande Loge Féminine de France, de la Grande Loge Mixte de France ainsi que de l'Association philosophique française le Droit Humain.

La mission d'information abordera plusieurs thèmes tels que le rythme de révision des lois de bioéthique, le don d'organe, la procréation, la recherche ou encore l'intelligence artificielle. Nous sommes désireux de recueillir votre avis sur un ou plusieurs de ces sujets à l'occasion de votre exposé liminaire ou des échanges de questions et de réponses qui suivront.

Nous recevons donc, pour la Grande Loge de France, M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître, M. Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître, et M. Jean-Pierre Pauliac, président de la commission obédientielle d'éthique ; pour la Grande Loge féminine de France, Mme Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse et Mme Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes ; pour le Grand Orient de France, M. Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique et M. Thierry Lagrange, conseiller de l'Ordre ; pour l'Association philosophique française le Droit Humain, Mme Viviane Villatte, premier vice-président, M. Georges Juttner, président de la commission bioéthique (d'août 2016 à août 2018), pédopsychiatre, ancien expert auprès de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et ancien expert agréé auprès de la Cour de cassation ; enfin, pour la Grande Loge Mixte de France, M. Édouard Habrant, Grand Maître, Mme Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association Bioéthique et Liberté, et Mme Élise Ovart-Baratte, conseiller de l'Ordre.

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Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France

Je suis accompagné de deux personnes qui connaissent la question plus que moi-même – je suis simplement ici pour témoigner de l'importance que les 34 000 frères de la Grande Loge de France accordent à ces questions puisque, en effet, des délégués et des commissions de notre obédience s'en sont emparé depuis un certain temps ; délégués et commissions qui essaient de recueillir l'opinion de ceux qui ont une compétence sur ces sujets et peuvent en parler de façon savante, si je puis dire. C'est donc le cas des deux personnes venues avec moi. Car même si nos préoccupations sont peut-être spiritualistes, elles ne nous empêchent pas de nous interroger sur notre temps.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Pierre-Marie Adam l'a rappelé, la Grande Loge de France compte 34 000 membres répartis dans 921 loges. Or l'idée n'est pas de se contenter de réfléchir deux fois par mois pendant trois heures, mais d'élaborer, ici sur les questions éthiques – pour nous une préoccupation majeure –, un point de vue fondé sur des valeurs et des principes. Il existe plusieurs commissions obédientielles, à l'échelon national mais avec des déclinaisons régionales. La commission nationale que préside mon voisin, Jean-Pierre Pauliac, régulièrement amenée à intervenir pour éclairer une commission comme la vôtre, réfléchit de façon permanente sur la procréation, l'intelligence artificielle, le post-humanisme…

Encore une fois, nous abordons ces questions du point de vue de nos valeurs et de nos principes, laissant chacun libre d'en donner la traduction qu'il souhaite ; nous ne définissons pas un point de vue définitif qui serait une sorte de livre blanc, de prêt-à-penser. Nous sommes une école « à penser » et non une école « de pensée » – la différence ne vous échappera pas. Cela étant, dans la mesure où vous avez posé des questions précises, nous nous sommes appuyés pour vous répondre sur les travaux des commissions qui s'y consacrent, sur des questionnaires que nous avons pu diffuser. Aussi disposons-nous du point de vue des 34 000 membres de la Grande Loge de France qui, sans être exhaustif, définitif, représente assez bien leur vision majoritaire.

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

Monsieur le président, je suis accompagnée de la vice-présidente de la commission du droit des femmes de la Grande Loge féminine de France, par ailleurs médecin gynécologue obstétricienne et qui a donc une approche concrète des questions bioéthiques sur lesquelles, d'ailleurs, nous avons déjà été auditionnées. Nous sommes très heureuses d'avoir à nouveau l'occasion de nous exprimer devant vous et cela pour deux raisons : d'une part parce que, vous le savez, la Grande Loge féminine de France ne regroupe que des femmes – nous sommes 14 000 réparties au sein de 460 loges – et nous pensons qu'en tant que femmes, nous sommes particulièrement concernées dans la mesure où le corps des femmes est l'enjeu et l'objet d'un certain nombre de réflexions ; d'autre part, parce que nous qui sommes franc-maçonnes, notre parcours initiatique nous a conduites à une réflexion à la fois symbolique et philosophique sur les différentes étapes de la vie.

L'ensemble de nos loges se sont emparées de ce sujet et leurs réflexions remontent aux commissions nationales qui définissent en leur sein mais aussi à travers des colloques, des échanges… des positions qui sont bien évidemment évolutives – on ne saurait en matière de bioéthique avoir des positions fermes et définitives ; elles changent en effet au fur et à mesure de l'évolution de la législation et de l'évolution de nos réflexions.

J'aborderai les questions relatives aux cellules souches et à la recherche sur les embryons, les examens génétiques et la médecine génomique, la procréation médicalement assistée (PMA), sans oublier quelques mots sur la gestation pour autrui (GPA). Nous n'aborderons pas l'intelligence artificielle (IA) ni le transhumanisme, bien que nous y travaillions beaucoup ; seulement, il nous a semblé difficile, au cours d'une même audition, d'aborder l'ensemble de ces sujets en dix minutes. Nous aurions aimé aborder également la fin de vie mais je crois comprendre que ce n'est pas à l'ordre du jour.

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Ce point ne fait en effet pas partie du périmètre du projet de loi tel que l'envisage le Gouvernement, même si la fin de vie faisait partie des réflexions initiales des États généraux de la bioéthique.

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

Nous espérons néanmoins que nous aurons l'occasion de nous exprimer sur le sujet.

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

Je commencerai par le statut de l'embryon. Nous proposons le statu quo. Le législateur, en 1994, n'a pas défini le statut de l'embryon et ne s'est pas engagé à sa reconnaissance juridique explicite. Nous proposons, les différentes positions sur le sujet étant tout à fait inconciliables, de ne pas rouvrir le débat parce que nous craignons avant tout la remise en cause du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), puisque nous savons tous que ce droit n'étant pas acquis, il reste fragile. C'est pourquoi la situation actuelle nous convient.

Pour ce qui est de la recherche sur l'embryon et les cellules-souches embryonnaires, nous pensons qu'il est nécessaire de confirmer l'autorisation avec encadrement par l'Agence de la biomédecine. Il faut continuer les recherches non pas sur des embryons conçus à cet effet, ce qui reviendrait à des manipulations génétiques sur l'embryon, mais sur des embryons venant d'abandon du projet parental après, bien sûr, le consentement éclairé du couple – comme actuellement.

Ensuite, en ce qui concerne les cellules-souches pluripotentes induites – induced pluripotent stem cells (IPSCs) –, qui peuvent être reprogrammées, nous pensons qu'elles doivent être manipulées avec les mêmes standards de qualité que les autres, mais toujours sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, sachant bien cependant que les souches IPSC ne remplacent pas les cellules-souches embryonnaires. Reste que leur utilisation est quand même fort utile.

Vous trouverez des développements scientifiques sur chacun de ces points dans le document que je vous ai transmis hier soir. Je m'en tiendrai ici à nos propositions.

Pour les cellules de sang de cordon, nous préconisons le développement des banques de sang placentaire, sous l'autorité de l'Agence de la biomédecine qui garantit la gratuité et l'anonymat du don, tout cela dans un esprit de solidarité qui nous semble tout à fait important de conserver.

Nous préconisons également de garder l'interdiction de la conservation du sang à des fins autologues, ainsi que le développement de l'information sur le sang de cordon auprès des femmes dans les maternités – mais aussi auprès des personnels –, car ce procédé nous semble très méconnu par la population.

J'en viens aux examens génétiques et à la médecine génomique. Deux principes nous paraissent essentiels : la protection absolue de la personne comme sujet de droit et comme individu biologique et l'inviolabilité du corps humain, ses éléments et ses produits ne pouvant faire l'objet d'un droit patrimonial.

Quant aux manipulations génétiques, il est indispensable de conserver le principe, édicté en 1997 par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), selon lequel le génome humain est partie intégrante du patrimoine de l'humanité et ne saurait être la propriété de quiconque. Nous pensons par conséquent qu'il ne faut pas autoriser la brevetabilité du génome.

Un enjeu éthique essentiel porte sur la modification des cellules germinales, ce qui toucherait au patrimoine de la descendance. Il est donc primordial de l'interdire, sauf de façon très contrôlée dans le cas d'un individu porteur d'une maladie transmissible. Tout cela doit être encadré par une demande d'autorisation auprès de l'Agence de la biomédecine.

J'aborde maintenant les tests génétiques et je commencerai par les tests diagnostiques. Déjà encadré, dans le milieu médical, lors d'un conseil génétique, nous pensons que le malade a droit à une information complète sur son état de santé actuel et futur dans tous les cas de diagnostic. Les tests prédictifs ensuite : il est pour nous indispensable d'avoir accès à un dépistage fiable en cas d'antécédents familiaux et de suspicion de tout type de maladie grave, curable ou incurable.

En ce qui concerne les enfants, nous pensons qu'avant la naissance, les parents doivent être informés sur la situation de l'enfant à naître et sur son pronostic vital ; ils doivent être associés aux décisions : il faut leur demander leur avis sur la conduite à tenir au moment de la naissance en cas de réanimation.

La préoccupation éthique nécessite le maintien d'un contrôle strict afin d'éviter l'eugénisme. Une extension des tests de génétique à toute la population ne semble pas souhaitable car cela pourrait favoriser le risque d'eugénisme, provoquer un contexte d'angoisse et de doutes sur la capacité de concevoir. Cette diffusion pourrait occasionner des situations intolérables dans le futur, sans compter les questions posées par la prise en charge financière. Un test n'est que prédictif de risque, sans qu'il y ait certitude de développer la maladie, les facteurs personnels et environnementaux étant aussi importants que la mutation d'un gène qui n'est ni nécessaire ni suffisante.

Pour terminer sur ce point, les résultats des tests réalisés via internet sont difficiles à interpréter pour des personnes sans aucune connaissance scientifique ou médicale, ce qui peut entraîner confusion et inquiétude. Ces tests, qui ne sont pas toujours validés, sont par contre facilement accessibles et d'un coût modéré et ils sont redoutables car ils entretiennent l'illusion, à portée de main, qu'on comprendra son moi génétique. Aussi un site internet clair et simple devrait-il être créé afin d'éviter la diffusion de tout et de son contraire. L'implication des associations de malades peut apporter un complément d'aide et d'information.

Je poursuis avec la procréation médicalement assistée. L'assistance médicale à la procréation est un formidable progrès pour les couples infertiles. Toutefois la société évolue et la science progresse : on constate, toutes causes confondues, que l'infertilité masculine et féminine augmente et que le désir d'enfant est de plus en plus tardif compte tenu de la gestion des carrières et de la pression professionnelle.

En ce qui concerne les dons d'ovocytes, nous constatons qu'ils deviennent une nécessité de plus en plus fréquente. Or, en France, nous constatons une pénurie d'ovocytes qui pousse les couples français à s'adresser à l'étranger. Aussi proposons-nous tout d'abord de favoriser l'augmentation de l'offre, tout en évitant les risques de marchandisation et en préservant l'inviolabilité du corps humain. Nous proposons ensuite d'autoriser la possibilité de l'autoconservation des ovocytes pour toute femme qui le désire, sachant que l'aspect invasif du prélèvement n'est pas un acte anodin pour les donneuses. Enfin nous préconisons des consultations de fertilité qui seraient un acte de médecine préventive de la stérilité.

Voyons maintenant ce qu'il en est du diagnostic préimplantatoire. Il n'est pour l'instant autorisé que pour les risques de transmission d'une maladie génétique d'une particulière gravité. La demande des couples est croissante et nous sommes conscientes de la complexité des tests ciblés et du faible nombre de centres agréés. Il faudrait toutefois élargir le dépistage pour les couples qui ont recours à la fécondation in vitro (FIV) et qui le désirent en envisageant la possibilité de rechercher des anomalies comme les aneuploïdies, ce qui permettrait de choisir des embryons viables et d'éviter des transferts inutiles et des déceptions douloureuses.

Enfin, la demande de PMA est forte parmi les femmes célibataires et les couples de femmes en dehors de toute infertilité d'origine pathologique. Or, bien que l'égalité soit un des socles de notre société, la loi est encore discriminatoire, en contradiction avec les valeurs qu'elle a pour objet de mettre en oeuvre. Nous souhaitons donc une extension de l'égalité afin de mettre fin à l'hypocrisie actuelle qui, comme pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la contraception par le passé, conduit à se rendre dans les pays où la PMA est légale pour toutes les personnes concernées, ce qui crée par ailleurs une discrimination financière. Faute de réponse en la matière, certains vont chercher sur internet des solutions pratiques discutables qui peuvent mettre en danger, et qui ne sont pas sans conséquences pour la société.

Quelques mots rapides, pour terminer, sur la GPA, sur laquelle la réflexion est en cours au sein de notre obédience où les avis restent très partagés et majoritairement opposés, semble-t-il. Si, en soi, la GPA ne paraît pas contraire à la morale, les inquiétudes restent vives quant aux conséquences psychologiques tant pour l'enfant que pour la gestatrice. Les conditions dans lesquelles sont réalisées les GPA ne peuvent bien sûr que nous révolter : agences commerciales avides de revenus, commerce et mise en esclavage de jeunes femmes vulnérables. Faut-il par conséquent aller vers une interdiction universelle ? Le débat doit continuer car, ailleurs, la pratique progresse.

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Thierry Lagrange, conseiller de l'Ordre du Grand Orient de France

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier, au nom du Grand Orient de France et de son Grand Maître Jean-Philippe Hubsch, de nous accueillir. En effet, les sujets que nous aborderons ce matin font écho aux principes de notre obédience et c'est en fonction de ces principes – liberté, égalité, fraternité, solidarité et laïcité – que le Grand Orient prendra position. Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique de notre association y reviendra au cours de son intervention. Le Grand Orient de France, fidèle à sa tradition humaniste et progressiste, a travaillé sur l'ensemble des sujets dont nous allons nous entretenir.

Même si le Gouvernement n'a pas retenu la fin de vie dans le périmètre du projet de loi, il paraît tout de même important d'y revenir puisque cette question a été très souvent abordée au cours des débats des États généraux de la bioéthique. Le Grand Orient de France s'est prononcé fermement, à plusieurs reprises et depuis 2012, en faveur de la dépénalisation de l'euthanasie.

En ce qui concerne la PMA, nous avons clairement affirmé notre souhait que toutes les femmes, sans exclusive, puissent bénéficier de cette technique dans les mêmes conditions.

Enfin sur la GPA, nous ne pouvons pas rester dans la situation de non-reconnaissance des enfants nés ainsi hors de notre territoire.

Sur ces trois points d'une importance capitale, je laisse la parole, si vous le voulez bien, monsieur le président, à Pascal Neveu.

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Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens évidemment à vous remercier d'avoir accepté d'entendre la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France. Je tiens également à saluer le comité consultatif national d'éthique (CCNE) – et son président – pour les auditions qu'il a organisées. Il a rendu hier des avis qui nous permettront d'éclairer davantage les décisions qui vous incomberont de prendre d'ici à quelques mois – étant entendu que nos réflexions en matière de bioéthique ne sont pas passionnelles.

J'écoutais hier soir la rédactrice en chef du journal La Croix, lors d'un débat télévisé ; elle s'est montrée très ouverte, en phase avec la réalité et non pas avec l'idéologie que brandit une minorité dont elle semblait s'être totalement affranchie. Vous ne devez pas avoir peur des chiffons rouges que cette minorité agite sans raison – seules la pédagogie et la diffusion des études scientifiques atténueront les angoisses de certains face à l'inéluctable évolution de la société.

Entre connaissance et croyance, nous choisissons le champ de la connaissance éclairée et non celui des croyances obscures. Car, depuis vingt-six ans, la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France réfléchit aux enjeux majeurs de notre société, réfléchit à tout ce qui nous concerne et touchera nos enfants.

Durant toute l'année, nous recevons de nombreux experts issus de tous horizons, afin qu'ils nous parlent de notre vie et anticipent notre futur, que leurs projections soient des plus sombres ou, heureusement, des plus lumineuses et, surtout, des plus progressistes car nos travaux, les auditions que nous organisons, s'effectuent sans tabou et sans ces hypocrisies dont les politiques ont bien conscience.

Le Grand Orient de France entend se prononcer sur trois grands moments de la vie d'un être humain : sa naissance, son désir de procréation, sa mort. Il m'a semblé symbolique, emblématique que les trois sujets clivants de notre société soient ceux qui bouleversent notre existence-même, nos fondements, nos racines, notre structure, ce socle qu'il ne faut surtout pas questionner car, de notre vie à notre mort, de quelle étape sommes-nous les possesseurs, jusqu'à présent ? Aucune, quoique... Quid de notre existence, de notre conception ? Non, nous ne naissons pas dans les choux, nous ne sommes pas livrés par des cigognes – pardonnez mon sarcasme. La réalité, c'est un désir d'enfant, propre, intrinsèque, et nul ne peut s'arroger d'imposer le devoir de deuil d'un enfant, qu'il s'agisse d'infertilité chez un homme ou de difficultés chez une femme, d'un couple homosexuel, d'une femme célibataire. Le désir d'un enfant est personnel – il peut être questionné, certes, mais il est « étant », or « étant », c'est « actant », donc tous les chemins seront possibles pour devenir parents. Aussi comment, dans un premier temps, demanderont certains, encadrer un certain nombre d'actes, comment combler un vide juridique ?

Saluons déjà le progrès que constitue la proposition par le CCNE de donner la possibilité de conserver les ovocytes et surtout de mener des recherches génomiques sur les embryons surnuméraires. Voilà qui permettra, à terme, d'éviter aux familles de souffrir mais aussi de penser l'évolution de l'humanité sans la moindre dérive eugéniste et dysgénique et cela avec le consentement des familles.

De la procréation à la naissance, le CCNE étant favorable à la cryogénisation des ovocytes mais également à une PMA sans père, post mortem – j'y insiste : sans père, donc les petites voix manifestantes ne nous feront pas peur –, vous ne pourrez que vous montrer favorables à la PMA et à la GPA.

D'ailleurs un communiqué du Grand Orient de France reprenait déjà un avis du CCNE du 15 juin 2017 – antérieur, donc, au dernier avis rendu – : « Le Grand Orient de France souhaite que cette évolution vers plus d'égalité et de justice sociale se réalise rapidement. Il suffit pour cela que le législateur prenne toutes ses responsabilités, conformément aux principes de notre République laïque. Il serait contre-productif de relancer à cette occasion d'éternels débats de société qui font la part belle aux lobbies politico-religieux, voire provoquent des déferlements d'homophobie, comme en 2013. Le droit de toutes les femmes à la PMA, leur égalité, quelles que soient leurs préférences sexuelles et leur mode de vie, ne doivent pas plus être otages des campagnes politiciens que des anathèmes religieux. […] Le vrai débat, qui revient au Parlement, doit porter sur la faisabilité technique et financière – notamment les conditions de remboursement – de cette ouverture de la PMA. Le Grand Orient de France met en garde contre tout amalgame avec l'indispensable réflexion sur la GPA (gestation pour autrui), sujet de nature différente, qui pose d'autres types de questions que l'on ne peut considérer tranchées à ce jour. »

Sur ce sujet, nous tenons à éveiller les consciences sur l'existence d'un suivi médical non divulgué, en France, de couples ayant pratiqué la GPA suivant des techniques dites artisanales, sur la nécessité de penser la législation de la non-marchandisation du corps et donc sur une GPA altruiste, éthique, encadrée comme en Belgique où, depuis vingt ans, soixante-dix de ces GPA ont été pratiquées, enfin sur l'indécence de la non-reconnaissance d'enfants issus d'une marchandisation du corps et nés en dehors du territoire, ce qui a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Quand allons-nous en finir avec ces pratiques, avec cette hypocrisie, quand allons-nous ôter nos oeillères ? Quid de ces enfants, de l'impact psychologique sur eux de leur non-reconnaissance identitaire et quid de la nécessité d'établir une filiation ? Combien sont ces enfants en France ? Pensons à eux, ne les stigmatisons pas : tout comme vous et moi, ils n'ont pas demandé à naître. Leur liberté d'être et d'advenir est un droit fondamental. C'est pourquoi mieux vaut encadrer et contrôler ce qui se pratique pour ne pas aigrir des êtres et surtout, j'y insiste, pour empêcher toute marchandisation du corps.

Après notre vie, la naissance d'un autre qui affronte ce douloureux chemin, ces épreuves interminables, il reste notre mort. Nous sommes nés, nous nous sommes développés, nous nous sommes réalisés, à notre manière, mais nous allons mourir. Réalisons-le à cet instant et, là, se pose la question fondamentale : dans quelles conditions ? Comme nous souhaitons ? Comme nous l'imaginions ? Comme nous le craignions ?

Le débat sur la fin de vie, car nous ne pouvons dire l'euthanasie, reprend. Depuis la loi dite « Leonetti-Claeys », la difficulté principale vient du fait qu'elle mobilise la question de l'autonomie et de la liberté d'un individu et des limites morales et juridiques de la responsabilité du législateur. Il faudrait certes former davantage le corps médical et communiquer auprès de la population, mais quid des exceptions ? Mais quid de l'autonomie du malade en fin de vie et de la situation médicale ? Quid de l'abandon qui accompagne souvent la fin de vie ? Car la reconnaissance de la complexité de la situation, indispensable, peut être un écueil masquant l'objet pratique de notre réflexion, celui sur lequel on peut agir ? Dans cette perspective, il n'y a pas d'opposition entre soins palliatifs et euthanasie : la souffrance du malade peut annoncer la nécessité de l'interruption de la vie. Les situations concrètes sont extrêmement diverses selon la position des malades sur le chemin de la vie et les conditions médicales tant techniques qu'humaines. Chaque situation est singulière, mais la préoccupation première doit être celle de la liberté des hommes et des femmes pour choisir leur destin. Cette liberté doit être informée et responsable. Cela signifie que l'implication des soignants, des « sachants » comme celle des proches, s'impose.

Certains arguent du très faible nombre de mourants qui choisissent effectivement l'euthanasie, même avec un préjugé favorable pour nier l'importance du sujet. Dans notre perspective de progrès, de maîtrise de son destin par chacun dans notre société, nous ne saurions sous-estimer à quel point il est important de laisser le choix. La question n'est absolument pas de traiter du suicide médicalement assisté, elle est de décider de mourir, suivant l'avis médical et le recueil des directives anticipées. L'acte d'euthanasie doit être un acte médical ordonné par un médecin et susceptible d'être soumis a posteriori à une évaluation. Soulignons que tout doit être fait pour que l'acte médical soit situé dans le contexte humain, familial et, pour ceux qui le souhaitent, spirituel le plus ouvert.

La question n'est pas non plus la légalisation de l'euthanasie, mais la dépénalisation de l'acte médical raisonné, justifié et humainement responsable. Dans le cadre de la dépénalisation conditionnelle, on ne pourrait pas faire n'importe quoi, car tout écart aux bonnes pratiques relèverait du pénal. Il nous semble nécessaire d'aller plus loin que la loi Leonetti-Claeys, en particulier dans le sens de la dépénalisation conditionnelle de l'acte d'euthanasie. L'euthanasie concerne la liberté, l'autonomie d'un être humain. Pour autant, s'agissant d'un malade, l'autonomie ne permet pas de rendre l'homme et la femme propriétaires de leur corps : cela permet l'ouverture du colloque singulier entre un patient et son médecin. Le patient doit faire une demande consciente éclairée, libre et réitérée. Le médecin doit dire que la situation médicale est sans issue et avoir la possibilité d'invoquer la clause de conscience.

Mesdames, messieurs les députés, la seule conclusion que je souhaite vous apporter reste cette interrogation : « Comment pensez-vous votre vie face à votre miroir et non pas face à vos prochaines projections législatives ? Et combien de vos et nos concitoyens pensent ainsi ? » Connaissance contre croyance, le Grand Orient de France a dit.

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Viviane Villatte, premier vice-président de l'Association Philosophique française Le Droit Humain

Mesdames, messieurs, merci de nous avoir accueillis pour cette audition. La Fédération française de l'ordre maçonnique mixte international Le Droit humain regroupe 17 000 femmes et hommes attachés aux valeurs fondamentales d'humanisme de la franc-maçonnerie et soucieux de respecter les droits fondamentaux de chaque citoyen, quel que soit son âge ou son statut. Nos fondateurs, il y a cent vingt-cinq ans, ont défini comme priorités la réduction des inégalités sociales et la défense, notamment, des droits des femmes et des enfants, vu le contexte de l'époque. Nous continuons dans cette voie.

Depuis 2009, la commission bioéthique de notre conseil national travaille sur les progrès scientifiques et leurs conséquences, non encore prévisibles à ce jour, elle anime des conférences publiques sur les enjeux éthiques et des experts reconnus nationalement sont consultés. C'est avec la devise républicaine, qui est aussi celle de notre obédience et d'autres que nous pouvons défendre nos propositions : la liberté, de choisir sa vie et sa mort : l'égalité de tous face aux options en corrigeant les inégalités financières, locales et culturelles ; la fraternité, enfin, en aidant l'autre dans ses choix, avec tolérance et bienveillance, en sachant qu'aucune loi ne viendra répondre à toutes les douleurs individuelles, à tous les parcours de vie et de mort.

Concernant la fin de vie, si la loi du 2 février 2016, dite « Claeys-Leonetti », est et doit être une loi citoyenne, comme toute loi future éventuelle, le choix de la fin de vie reste intime. De ce fait, nous ne demandons pas, nous, la dépénalisation de l'euthanasie. Concernant cette loi, il s'avère surtout qu'il faut engager une véritable pédagogie générale pour expliquer et diffuser en termes simples et clairs ce que sont les directives anticipées, le tiers digne de confiance et le consentement éclairé. La définition de l'obstination déraisonnable et de l'acharnement thérapeutique doit elle aussi être précisée ; je pense que nous y reviendrons, et M. Juttner, président de la commission bioéthique, pourra prendre la parole à ce sujet.

Nous voudrions aussi souligner que le rôle des équipes soignantes et de leur formation est capital, mais les restrictions financières imposées aux établissements de soins et actées depuis de nombreuses années empêchent les soignants de jouer leur fonction d'accompagnants et d'écoutants. La nouvelle loi prendra-t-elle ce facteur en compte ?

Nous surveillons de près ce qu'il en est du matériel génétique, des manipulations génétiques et des applications de celles-ci dans les domaines scientifique, expérimental et thérapeutique. Plusieurs perspectives nous préoccupent, par exemple les chimères. Les travaux sur les chimères questionnent notre définition de l'humain dont les limites deviennent floues du fait des évolutions biotechnologiques. Une chimère est un être vivant, composé d'éléments provenant de deux individus ou de deux espèces différentes. Des approches de chimères cellulaires ont été utilisées pour « humaniser » des animaux. La perspective scientifique et médicale de produire, par exemple, dans des cochons ou dans des chèvres, des organes humains complets – coeur, foie, etc. – est au centre de notre réflexion éthique. La limite de ces expériences de chimérisme cellulaire réside dans le risque de voir les cellules humaines coloniser les différents tissus animaux, comme celles du cerveau ou des tissus germinaux à l'origine des gamètes. Nul ne peut en prévoir aujourd'hui les conséquences réelles, et les partisans de ces travaux justifient ces recherches scientifiquement, car elles permettent de mieux comprendre l'embryogénèse. Le but est également de donner naissance à des animaux chimériques ayant des organes humains à la fois pour tester de nouvelles approches thérapeutiques et pour réaliser des greffes d'organes. La pénurie actuelle d'organes est certainement l'une des raisons majeures des recherches sur les chimères et de leur financement.

Notre première considération éthique est celle du respect des animaux utilisés dans l'expérimentation animale. La deuxième apparaît du fait de l'utilisation de cellules-souches qui seront à l'origine des organes ou des tissus humains utilisés pour des greffes dans ces chimères. La troisième amène à s'intéresser au risque de transmission à la descendance animale de matériel génétique humain. La quatrième concerne la modification potentielle des animaux par l'ajout de capacités cognitives réservées normalement à l'humain : capacités de raison, de rationalité ou de conscience de soi. Cela aboutirait à se poser la question éthique de l'utilisation d'animaux sans leur consentement. Certaines thèses dites « antispécistes » vont même jusqu'à nier l'existence des espèces plaçant tous les êtres sous un même statut. Or la frontière entre espèces est celle qui conditionne notre humanité. Toutes ces expériences, toutes ces expérimentations devraient être soumises à une commission de contrôle pour approbation.

Quant à la génétique et à la prédictivité, les techniques mises en oeuvre dans ce domaine portent leur lot de questionnements propres. Quelles limites fixer à la quête d'un enfant en bonne santé quand on sait que, dans certains pays, la recherche de l'enfant parfait pourrait entraîner une élimination d'un grand nombre d'embryons ou de grossesses à l'issue de diagnostics préimplantatoires ? Cela doit nous pousser à réfléchir sur les risques réels de dérives eugéniques. De plus, l'idée qu'une prédiction génétique possible pourrait mettre à l'abri de la survenue d'un handicap chez l'enfant relève du fantasme et méconnaît le rôle de l'environnement dans ce domaine.

Tout cela interroge sur la place de la vulnérabilité dans une société où l'individualisme est érigé en vertu. Cela n'invite-t-il pas ceux qui sont attachés aux valeurs de solidarité et de fraternité à la plus grande vigilance ? Les enjeux éthiques, lutte contre l'eugénisme, espoir de l'humain parfait, transhumanisme… Tout cela lié au débat sur la PMA et la GPA… Et si le but était d'obtenir un enfant parfait ?

Les cellules-souches embryonnaires sont pluripotentes, c'est-à-dire capable d'être à l'origine de toutes les cellules de l'organisme. Un élément central de cette réflexion éthique porte sur le statut de l'embryon. Alors qu'il n'est fait que de quelques cellules, l'embryon est-il déjà une personne humaine ? Se pose la question de la définition de l'humain. Pour nous, francs-maçons du Droit Humain, ce qui rend humain, c'est la capacité d'exercer nos principes de liberté, c'est-à-dire de choix, de libre arbitre, d'égalité et de fraternité, donc de considération de l'autre dans sa singularité et sa dignité, mais cela ne nous dit pas à quel moment cet embryon doit être considéré comme un être humain porteur de la dignité qui lui est associée.

Sur le plan juridique, il faut citer la Convention internationale d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et la bioéthique, ratifiée par la France en 2011 : les recherches doivent assurer une protection adéquate de l'embryon et il est interdit de créer des embryons à des fins de recherche. Le questionnement rejoint alors celui de la réification de l'embryon et de la dignité humaine. Un autre enjeu est l'utilisation des embryons à des fins de procréation avec la possibilité de les trier, au risque de faciliter des pratiques qui s'apparentent à l'eugénisme – ceci n'est pas le cas de la sélection des embryons avant réimplantation chez la femme, lorsqu'il s'agit de prévenir la naissance d'enfants porteurs d'une pathologie grave. Cette discussion fait écho à celle relative à l'interruption thérapeutique de grossesse.

Rappelons aussi qu'il est possible d'envisager de modifier les caractéristiques génétiques des embryons pour créer de nouveaux types d'humains, à l'instar des animaux transgéniques.

Enfin, les perspectives commerciales font que ces recherches sont d'un intérêt majeur pour les sociétés privées, à peine freinées par la directive européenne 9844 du 6 juillet 1998.

Les enjeux éthiques liés à la recherche sur l'embryon ou sur les cellules-souches embryonnaires opposent utilitarisme et dignité de l'humain. La discussion éthique s'ouvre sur la question : faire progresser la connaissance sur le développement de l'embryon, ou pour soulager la souffrance d'autrui ou bien détruire un embryon précoce qui a la potentialité de donner un être humain ? Il faut également oeuvrer pour une harmonisation du droit au plan international, afin d'éviter un tourisme scientifique et en se gardant des théories transhumanistes qui voudraient créer des humains augmentés.

Quant au débat sur la levée de l'anonymat des dons de gamètes, suite logique de cette discussion, il faut le reprendre pour harmoniser les différents textes, à savoir la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et la loi de 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État. Cette levée, on le sait, est possible dans certains pays, sans que cela résolve le problème. Elle doit concilier des intérêts contradictoires : d'une part, le droit à une identité légale ; d'autre part, le droit d'accoucher anonymement. Son principe doit répondre à une demande exprimée par tous sujets nés d'un don de gamètes et il faut protéger les donneurs, en leur faisant formuler leur éventuel accord. Cela rejoint les questionnements sur la PMA et la GPA, en sachant qu'aucune position unanime ne s'est dégagée au sein du Droit Humain – c'est difficile à 17 000…

Dernier point, nous travaillons en ce moment sur les greffes utérines – notre rapport définitif n'est pas rédigé. Sur le plan éthique, nous interpellent notamment les risques chirurgicaux et psychiques, tant pour les donneuses que pour les receveuses. Nous en parlerons peut-être au cours du débat.

En conclusion, ce que nous pouvons dire, c'est que la nouvelle loi de bioéthique se doit d'encadrer la recherche scientifique et médicale en lui fixant les limites du respect des fondamentaux de l'humanité, notamment à propos du début et de la fin de vie. Elle se doit aussi d'interdire toute forme de marchandisation et de visée eugénique des cellules humaines et de respecter notre patrimoine génétique comme bien commun inaliénable.

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édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, au nom de la Grande Loge Mixte de France je reviendrai brièvement sur les particularités d'une réflexion maçonnique en matière de bioéthique.

La démarche du franc-maçon consiste en substance à explorer le réel, les idées et les représentations à travers trois relations : la relation à soi, la relation à autrui et le rapport au monde. Cette démarche est donc appelée à confronter en permanence les deux ordres distincts, évoqués par le Comité consultatif national d'éthique dans son avis 129 du 25 septembre 2018, l'individuel et le collectif, l'intime et le public, dans un cadre harmonieux et respectueux de la parole et de l'autonomie d'autrui. Quelles que soient leurs obédiences, les franc-maçonnes et les francs-maçons ont en commun une volonté de mettre à distance leurs opinions, condition essentielle à l'exercice d'un esprit critique et à la réappropriation de soi. C'est notamment par le doute que nous apprenons à nous défier de nous-mêmes et de nos convictions, étant rappelé qu'un grand nombre de ces convictions sont forgées dans des communautés morales.

La Grande Loge Mixte de France partage avec un grand nombre d'obédiences un idéal d'émancipation et de progrès, aspirant à l'amélioration de la condition humaine. Nos spécificités sont particulièrement de deux ordres : une approche dans la mixité entre femmes et hommes qui nous semble indispensable à la réalisation d'une égalité réelle et à la suppression des rapports de domination et également une approche laïque, à la fois particulière, car nous sommes rassemblés par le principe de laïcité, et universelle, car nous n'avons pas une identité propre, qui nous distinguerait du reste de l'humanité. Si la laïcité est avant tout un principe d'organisation, l'idéal laïque est un idéal de liberté, celui d'une communauté morale embrassant la totalité de l'humanité, avec une solidarité sans bornes. Dès lors, le débat bioéthique au sein de notre obédience reste très ouvert, étant rappelé que les valeurs sont plurielles et relèvent de la conscience de chacun. C'est pourquoi il n'existe pas de consensus sur la plupart des sujets abordés dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique. De surcroît, la franc-maçonnerie a vocation non pas à structurer la société mais à permettre à chacun de conquérir son autonomie. C'est à la lumière de ces considérations que notre obédience s'est dotée d'une structure dénommée Bioéthique et Liberté, dont les objectifs et travaux vont vous être présentés par sa présidente, Mme Christiane Vienne.

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Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association Bioéthique et Liberté

Monsieur le président, mesdames, messieurs les parlementaires, chers amis, en ce qui nous concerne, nous avons voulu travailler selon une méthode que nous nous sommes imposée, dirai-je, après réflexion, en tenant compte du fait que le champ que nous abordons n'est pas uniquement médical. C'est aussi celui du sociologue, du juriste, du philosophe, du psychanalyste. C'est aussi le vôtre, mesdames et messieurs les députés, qui jouez le rôle du législateur et du politique.

Nous avons fait le choix aussi – je pense que c'est une conséquence de ce que notre grand maître vient de vous exposer – de travailler sur des faits. Nous ne sommes effectivement pas des moralistes : notre rôle est d'éclairer, de poser les questions, et je ne suis certainement pas porteuse d'une parole commune. Nos avis peuvent parfois être extrêmement hétérogènes et, sur certains sujets, extrêmement complexes. C'est la raison pour laquelle lorsque nous avons choisi de travailler à la fois sur la fin de vie, sur la PMA, sur la GPA, sur le genre et sur le fait que l'identité sexuelle ne remplit pas en soi tout le champ de ce qui est une personne. Et maintenant nous travaillons cette année sur les troubles mentaux. Je le répète donc : nous partons de faits objectifs. J'appelle aussi votre attention sur le fait que le champ que nous abordons ici est intimement lié aux biotechnologies – mais vous le savez aussi bien que moi. Il n'y a de réflexion bioéthique que dans la mesure où les biotechnologies évoluent sans cesse et permettent de nouvelles possibilités, qui n'existaient pas. Comment donc savoir raison garder face à ces évolutions extraordinaires, qui permettent de rendre la mobilité aux paralytiques, la vue aux aveugles, l'audition aux sourds ? Comment s'en tenir à l'objectif et à la réalité des pratiques ?

En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, pourquoi refuser la possibilité d'être mère à une femme parce que son orientation sexuelle la place dans une catégorie spécifique ? Cette question est le point de départ de notre réflexion. Majoritairement, pas unanimement, la réponse a été que la sexualité d'une personne ne doit pas entrer en considération lorsqu'il s'agit de la possibilité qui est accordée aux femmes d'être mères.

Nous nous sommes également souvent posé la question des pratiques des autres membres de l'Union européenne. Des démocraties peuvent avoir des pratiques très différentes. Ainsi, vingt et un pays de l'Union européenne autorisent la PMA, notamment post mortem, quinze pays permettent le don d'embryons. Nous nous sommes posé la question de l'anonymat du don dans les termes qui viennent d'être évoqués par le Droit humain et nous nous sommes interrogés de manière tout à fait pragmatique sur la GPA.

Aujourd'hui, ici et maintenant, la demande des hommes et des femmes du XXIe siècle est d'avoir un enfant génétique, un enfant issu de son patrimoine génétique. Inaudible il y a deux siècles, cette demande peut aujourd'hui trouver une réponse grâce aux évolutions des biotechnologies.

La recherche sur les cellules-souches embryonnaires se penche sur la possibilité de produire des ovocytes, des spermatozoïdes, à partir de cellules-souches. Et je répète que c'est une demande de l'homme et de la femme modernes.

Évidemment, quand les partenaires sont deux hommes, il faut nécessairement utiliser les spermatozoïdes de l'un des deux et les ovocytes d'une femme.

La question qui se pose avec la GPA, c'est donc aussi la question suivante : jusqu'où peut-on aller pour avoir un enfant ? Les biotechnologies apportent des réponses extrêmement concrètes.

Les études menées dans les pays qui autorisent la grossesse pour autrui, notamment l'étude du professeur Golombok, montrent qu'un enfant issu de la GPA est un enfant comme les autres, avec les mêmes enjeux, les mêmes difficultés. Les relations entre les mères porteuses et les parents d'intention ne sont pas toujours celles que l'on imagine. Sur certains points, la réalité des faits est rassurante.

J'appelle cependant votre attention sur le risque de dérives, auquel chacun doit être attentif. Je songe notamment à l'exploitation de femmes dans les pays en voie de développement. En matière de don d'organes, nous constatons une exploitation éhontée des habitants des pays pauvres. Ce n'est pas une raison suffisante pour interdire le don d'organes, mais cette question se pose également pour la GPA. Je n'apporte pas une réponse définitive ; ce sont des questionnements.

Quant aux technosciences, aujourd'hui, on peut soigner les grands brûlés avec de la peau tirée de la culture de cellules-souches. Cela pose la question de l'utilisation de l'embryon – c'est là que l'on trouve plus le plus facilement les cellules-souches – et de la recherche sur celui-ci. Par ailleurs, on peut créer des organes tels que le coeur ou les poumons à l'aide d'imprimantes 3D.

Tout récemment aux États-Unis, un paraplégique a pu remarcher à la suite de l'implantation d'une électrode – l'hebdomadaire L'Express l'a évoqué. La question de la régulation mais aussi une approche comparée nourrissent donc nos débats.

Aujourd'hui, cette question de la régulation est, je pense, au coeur de votre réflexion. Jusqu'où l'État doit-il réguler ? Comment et pourquoi ? Et qui doit-il protéger ? En la plupart de ces matières, y compris en ce qui concerne la fin de vie, nous sommes très sensibles à la question de la liberté de choix. Les lois de bioéthique sont des lois qui ouvrent les portes des portes que chacun choisit de franchir, ou pas.

Et ce n'est pas parce que l'on pratiquera et autorisera la PMA que toutes les femmes voudront utiliser cette méthode. Toutes les statistiques démontrent que la bonne vieille méthode pour faire des enfants reste majoritaire, à la grande satisfaction de la plupart, mais il y a des détresses dont il faut tenir compte : des femmes naissent sans utérus, d'autres sont privées de la possibilité d'avoir des enfants, à la suite d'un cancer. Il ne faut pas être aveugle à cette détresse ni sourd à cette demande.

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édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

J'ajouterai quelques mots sur la question des principes et des objectifs qui peuvent sous-tendre la loi sur la bioéthique, étant rappelé, comme l'a dit Christiane Vienne, que la réflexion lucide sur la bioéthique, tout semble devoir partir des faits, de la réalité et non pas des fantasmes. Pourquoi ? Parce qu'il n'existe pas une nature humaine singulière éternelle écrite dans les cieux ou les astres et parce qu'aucun être humain ne doit être assigné à une place déterminée, parce que la recherche d'humanité est à la fois permanente et infinie. Une prise de hauteur, c'est ce que nous attendons des lois de bioéthique, matière qui doit être envisagée de manière laïque et rationnelle. La démarche scientifique qui procède par tâtonnements, par correction d'erreurs et remise en cause permanente des structures et méthodes de la science est indispensable à l'amélioration des conditions de vie biologique des individus, en permettant de lutter contre la faim et la malnutrition, en prévoyant les réactions des organismes par l'étude des protéines, en assurant des greffes sans rejet.

Cette approche demeure trop largement mise à l'épreuve, par la persistance d'un certain paternalisme à l'égard des patients, par une forme de dogmatisme persistant à l'égard du modèle familial, par une forme de dérive pouvant consister à transformer des principes juridiques en principes idéologiques, comme c'est parfois le cas du principe de dignité.

Sur le plan de la méthode, nous estimons que le procéduralisme éthique sous-tendant l'élaboration de la loi de bioéthique est susceptible de contribuer à la réappropriation du politique par le citoyen, par un dialogue pluraliste, interdisciplinaire et interculturel et dans le cadre d'un débat ouvert à un regard sur l'international. Nous relevons cependant que la participation aux États généraux de la bioéthique reste faible eu égard à l'importance des sujets, certains courants de pensée semblant même surreprésentés.

Par ailleurs, ce procéduralisme éthique ne nous semble pas devoir déboucher sur une forme d'immobilisme, au motif qu'il n'atteindrait pas un consensus. Il existe en effet des désaccords fondamentaux qui doivent être surmontés et dépassés, en arrimant le débat bioéthique dans un cadre opérationnel et non métaphysique.

S'agissant de la vision pour le futur, pour reprendre les termes de l'avis du CCNE, il nous semble primordial de renforcer l'esprit critique du citoyen, notamment par le biais d'une formation solide dès le collège, de considérer sérieusement la problématique des conflits d'intérêts grâce à des déclarations publiques des liens d'intérêts des professionnels intervenant dans des enseignements ou des colloques, de restaurer l'idéal de connaissances en réalisant des investissements massifs en matière de recherche, de conserver une dynamique d'émancipation et de progrès qui remonte déjà à plusieurs siècles et, en guise de conclusion provisoire, de se projeter avec confiance en l'avenir, en évitant l'heuristique de la peur, selon les mots de Hans Jonas, avec vigilance et sens des responsabilités.

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Après une première heure d'écoute et avant de donner la parole au rapporteur puis à mes collègues, j'aurai deux questions, l'une de l'ordre du principe et l'autre plus concrète.

Tout d'abord, on a coutume de dire que la bioéthique, c'est souvent un équilibre à trouver entre une éthique de l'autonomie et une éthique de la vulnérabilité. Nous souhaitons, bien sûr, que chacun puisse prendre en son âme et conscience les décisions qui sont bonnes pour lui, éclairé par des choix scientifiques et rationnels, mais s'impose, dans le même temps, l'éthique de la vulnérabilité, qui consiste à porter une attention particulière aux plus faibles : l'enfant à naître, la personne en fin de vie, personne handicapée, qui ne sont pas capables d'exprimer complètement leur autonomie.

Ces dernières années, nous assistons à une affirmation de l'autonomie, dans la revendication de droits, tandis que l'éthique de la vulnérabilité, que l'on peut aussi appeler l'éthique de la fraternité, est moins prise en compte. Selon vous, faudrait-il procéder à un rééquilibrage pour plus prendre en compte les vulnérabilités et les fragilités de notre société ou faut-il continuer dans cette affirmation de l'autonomie ?

S'agissant de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, se pose la question de la levée du critère de l'infertilité qui est aujourd'hui inscrit dans la loi. Avant-hier, nous avons demandé au président Delfraissy si la levée du critère de l'infertilité concernerait également les couples de sexes différents. Il nous a confirmé qu'il continuerait de s'appliquer. Il y aurait donc une inégalité entre les couples homme-femme qui subiraient un critère beaucoup plus restrictif que les couples de femmes et les femmes seules. Selon vous, cette inégalité est-elle tenable ou faut-il lever le critère de l'infertilité, au risque de basculer vers ce dont nous parlait le professeur Mattéi, l'homme ou la femme augmentée ? Le cas échéant, quelle limite verriez-vous à l'utilisation de l'assistance médicale à la procréation ?

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Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France

Avant de laisser la parole à Jean-Jacques Zambrowski, je tenais à préciser que nous avons produit un document résumant notre position. Nous regrettons que le temps de l'échange arrive si tardivement, étant donné qu'il sera sans doute plus efficace que le catalogue que nous avons entendu, d'autant que j'avais dit en préambule que nous ne nous autoriserions pas, en tant que Grande Loge de France, à parler au nom de 34 000 frères, mais que nous essaierions simplement d'échanger avec vous sur les principes qui nous conduisent et nous permettent d'apporter des réponses différentes des réponses législatives ou juridiques.

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Les documents que vous nous avez transmis le seront aux membres de la mission, ceux qui nous ont été communiqués il y a quelques jours l'ayant déjà été.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Je n'ai pas jugé bon de préciser que je suis médecin hospitalier et enseignant universitaire, comme certains dans cette salle. Monsieur le président, pour reprendre d'une autre façon votre dichotomie, on pourrait dire qu'il y a, dans la bioéthique, une dimension individuelle à laquelle sont confrontés les différents professionnels et une dimension collective. La difficulté du rôle du législateur, que nous mesurons bien, est de tenir compte des situations individuelles et de la collectivité, qui doit se prévenir contre les dérives et les excès d'une permissivité extrême, tout en avançant. Les mentalités ont évolué en même temps que la technologie, si bien que des choses qui paraissaient difficilement concevables ou susceptibles d'être prises en compte par l'Assurance maladie et les services publics médicaux ou sociaux sont aujourd'hui devenues monnaie courante. À l'inverse, des choses qui paraissaient parfaitement légitimes ne le sont plus.

Votre tâche est difficile. Nous n'avons pas l'intention d'outrepasser nos droits : cela relève de vos responsabilités, celles que nous vous déléguons. Mais, à notre sens, il faut bien prendre en compte et la légitimité du désir individuel et la préservation des équilibres collectifs. Le cas de l'aide médicale à la procréation, par exemple, où il existe une envie d'exprimer une maternité ou une paternité, doit être encadré, parce qu'un certain nombre de fondements psychologiques, sociaux autant que scientifiques et techniques doivent être considérés. La légitimité de la demande doit faire l'objet d'une approche extrêmement sérieuse et fine.

Une expression courante parmi l'ensemble des obédiences maçonniques, qui appartient aussi à la déontologie des professions de santé est : « tact et mesure ». Nous pensons que toute la difficulté de votre tâche est de trouver l'équilibre entre le désir très profond d'une personne et les conséquences que sa décision aura sur son entourage, par exemple. Les avis du comité national semblent emplis de cette sagesse qui tend à bien prendre en compte les deux dimensions. Si nous devions exprimer un point de vue majoritaire, sans doute serait-il celui-là. Il faut infiniment de prudence. Des lois totalement permissives aussi bien que totalement restrictives seraient également de mauvaises lois. La dimension individuelle doit être prise en compte autant que l'intérêt collectif, à court, moyen et long terme.

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

Pour moi, il n'y a pas d'antinomie entre l'autonomie – vous avez bien parlé d'autonomie et non pas d'individualisme –, qui ne va pas sans la responsabilité, et, partant, le souci de la collectivité et de l'autre, et la vulnérabilité. Votre charge, comme l'a très bien dit l'orateur précédent, est de parvenir à ce que la collectivité vive en harmonie. L'autonomie est aussi une détermination de la place que l'on prend dans la société et des capacités que l'on a de disposer de soi et de sa liberté, sans que cela ne soit au détriment de ceux qui sont vulnérables. C'est cet équilibre qui est à trouver dans les lois de bioéthique.

Monsieur le président, je ne me souviens plus très bien de votre deuxième question...

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Elle concernait le critère d'infertilité qui serait levé pour les couples de femmes et les femmes seules, mais maintenu pour les couples homme-femme.

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

Les couples homme-femme ?

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Oui, cela existe encore ! (Sourires.) Aujourd'hui, l'assistance médicale à la procréation est assujettie à un critère d'infertilité inscrit dans la loi. En étendant cette assistance aux couples de femmes et aux femmes seules, il est proposé de supprimer ce critère, qui serait maintenu pour les couples homme-femme. N'y a-t-il pas un risque de discrimination ? Si l'on supprimait ce critère également pour les couples homme-femme, où seraient les limites dans le recours à l'assistance médicale à la procréation ? Mais votre réaction ne m'étonne pas, car, de façon surprenante, c'est un sujet qui n'a pas été étudié par les auteurs de l'avis.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Dans un couple composé d'un homme et d'une femme, le motif classique de recours à l'assistance médicale à la procréation est l'infertilité. Dans un couple formé de deux femmes ou de deux hommes, par nature, il y a une impossibilité d'ordre médical, ce qui peut justifier la demande. C'est ce que nous avons écrit dans notre document. Dans ce cas-là, c'est une demande psychologique ou affective, étant entendu que la cause strictement médicale, par nature, n'a pas de raison d'être. La notion d'infertilité ne parle pas, s'il y a une impossibilité pour un couple de deux personnes de même sexe de fabriquer un enfant ensemble, sauf à changer les lois de la génétique. Dans un couple formé d'un homme et d'une femme, il y a normalement possibilité de fabriquer un enfant, sauf pour ceux chez qui, pour telle ou telle raison, cela ne fonctionne pas.

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

L'infertilité est en effet toute relative. Chez certains couples ayant recours à la PMA, on ne trouve pas de cause raisonnable d'infertilité, alors qu'ils ne parviennent pas à procréer. C'est pour cela que j'ai été un peu déstabilisée par votre question, monsieur le président.

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Ce sont en tous cas des infertilités constatées, même si l'on n'a pas d'explications et qu'elles ne sont peut-être pas pathologiques. Il ne peut pas y avoir aujourd'hui d'assistance médicale à la procréation de convenance. Il faut que l'infertilité soit constatée. Allons-nous vers une AMP de convenance ?

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

Le curseur n'est pas aussi simple à placer que cela dans la réalité.

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Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France

Pour répondre à la deuxième question, il s'agit d'un côté de répondre à une problématique médicale et de l'autre à une problématique sociale. Il n'est donc pas question d'inégalité, au sens même des fondamentaux du Grand Orient de France. Je pense qu'il est important de répondre au triptyque « liberté égalité fraternité ».

Concernant la première question, le plus important est le respect de l'autre, en sachant réellement ce que l'on fait. Goethe écrivait que nous sommes libres de nos actes et que c'est à nous d'en mesurer les conséquences. La bioéthique s'inscrit dans cette dynamique. Pour certains, il y a des deuils à faire, ce qui n'est absolument pas évident. Nous ne sommes pas en mesure d'imposer des décisions. Mais le législateur est là pour répondre à ces sujets. Il faut faire cesser cette hypocrisie et rendre le plus équitable possible ce qui est possible pour différents couples, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Le modèle familial a totalement changé. Au XIXe siècle, dans certains couples, l'homme avait femme et enfants d'un côté et l'amour de l'autre. Il existe une grande hypocrisie sur ce sujet, sans dire non plus que la vie est un lupanar géant. Mais que voulons-nous réellement ? Quel est le pourcentage d'enfants qui ne sont pas issus de leur père ?

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Georges Juttner, président de la commission de bioéthique de l'Association Philosophique Française Le Droit Humain

Il me semble que votre première question concernait essentiellement la définition de la vulnérabilité. Il existe des critères, voire des définitions médicales, de la vulnérabilité, quand on considère l'embryon, l'enfant ou le vieillard. Je tiens à préciser, par parenthèse, que dans nos comités d'éthique nous avons tous le souci de poser des questions, sans y répondre forcément. C'est comme cela que la pensée avance. Toute personne en détresse est vulnérable. Par exemple, ces couples en demande d'enfant, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, vivent une détresse psychique qui les rend vulnérables. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas sûr que l'on ait intérêt à changer le curseur dans la définition de la vulnérabilité, parce qu'on en viendrait obligatoirement à intégrer des signes subjectifs et, partant, à ouvrir la boîte de Pandore.

S'agissant de votre deuxième question, je ne sais pas s'il convient de prendre des critères médicaux pour faire une loi. Par ailleurs, tous les défenseurs de la GPA vont mettre en avant l'égalité des droits du citoyen qui est fondamentale dans notre Constitution. J'ai beaucoup de mal à vous répondre autrement car tout cela me semble d'une grande difficulté.

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édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

Comme ma collègue, je ne vois pas d'antagonisme entre l'autonomie et la vulnérabilité, l'autonomie étant un concept philosophique éthique voire moral, qui inclut l'attention prêtée à autrui et la compassion. Ce n'est pas l'autarcie. C'est tout le sens de l'émancipation.

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Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association Bioéthique et Liberté

Aux deux modèles éthiques que vous proposez, celui de l'autonomie et celui de la vulnérabilité, je voudrais en ajouter un troisième, issu de la philosophie morale, qui tend de plus en plus à s'intégrer dans la réflexion politique : l'éthique conséquentialiste, soit l'éthique des conséquences, qui pose la question du : « Que se passe-t-il si... ? »

S'agissant du mariage pour tous, par exemple, que se passe-t-il si tout le monde se marie ? Qu'est-ce que cela enlève et à qui ? Le mariage pour tous n'empêche clairement pas les hétérosexuels de se marier. Si l'on autorise les femmes homosexuelles à bénéficier d'une aide à la procréation, l'éthique des conséquences oblige à se poser la question des conséquences. À qui cela enlève-t-il quelque chose ? À qui cela permet-il une amélioration ? Si l'on change le regard et que l'on résout l'antagonisme entre vulnérabilité et autonomie que vous mettiez en avant avec une troisième voie, qui est l'éthique des conséquences, on peut aborder les choses différemment. Un autre exemple me vient à l'esprit : celui de l'avortement. Le fait d'autoriser l'avortement à toutes les femmes n'a pas empêché les femmes de faire des enfants. On peut se faire avorter à un moment donné et avoir un enfant par la suite voire un deuxième ou un troisième. Le droit ouvre une possibilité qui n'enlève rien à personne et apporte un plus à ceux qui le souhaitent.

S'agissant du rapport à l'enfant et à la famille, Irène Théry parle de l'engendrement, qui est autre chose que la filiation. N'oublions pas trop vite la question des évolutions biotechnologiques. Dans la mesure où ces pratiques sont possibles, si nous ne légiférons pas, les femmes et les hommes iront quand même à l'étranger, tant qu'il n'y aura pas, au minimum, d'harmonisation au sein de l'Union européenne. Par conséquent, ce que l'on ne veut pas voir chez nous se passe de toute façon ailleurs, grâce aux biotechnologies qui y sont offertes.

Sur la levée du critère de l'infertilité, si on le lève pour les femmes hétérosexuelles, je ne vois pas très bien comment on pourrait ne pas le lever pour les femmes homosexuelles. Ce serait un peu compliqué de distinguer les unes des autres dans un texte de loi. Je ne devine pas au visage de quelqu'un s'il est hétérosexuel ou homosexuel. Une femme homosexuelle peut devenir hétérosexuelle ou l'inverse. Des amies ont d'ailleurs fait des coming-out un peu surprenants… Le critère de l'infertilité concerne toutes les femmes. Le lever pour les hétérosexuelles et le maintenir pour celles qui ne le sont pas me semble illogique.

Je ne comprends pas le lien entre la question de la levée du critère d'infertilité et l'homme augmenté. Cela sous-entendrait-il que les femmes homosexuelles auront des enfants par nature plus intelligents et mieux que les autres ou que l'utilisation du matériel génétique fera que ces femmes choisiront d'avoir des enfants de meilleure qualité ? Ce que je sais, c'est que, globalement, les femmes et les hommes veulent avoir aujourd'hui un enfant qui leur est lié par leur patrimoine génétique.

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Sans vouloir prolonger le débat, je tiens à préciser qu'à aucun moment je n'ai fait référence à la sexualité des personnes. Je parle de couples de femmes et de femmes seules. La loi ne prend jamais en compte la sexualité des personnes. Aujourd'hui, elle s'appuie sur le sexe des personnes. Il y a des couples homme-femme, des couples homme-homme, des couples femme-femme. Cela relève d'une approche sexuée et non pas sexuelle.

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Je tiens à remercier tous les intervenants pour leur présentation de grande qualité et leur réflexion très aboutie. Vous avez parlé, les uns et les autres, du respect des valeurs humanistes, qui guide seul votre réflexion, sans autre a priori. Par ailleurs, vous avez dénoncé un certain paternalisme qui perdure dans nos institutions et notre société, et qui est très mal vécu par nos concitoyens. Les maçons ont toujours été présents dans les avancées sociétales : abolition de la peine de mort, légalisation de la contraception et de l'interruption volontaire de grossesse, dons d'organes pour la transplantation ou encore recherche sur les cellules souches embryonnaires. Il était donc naturel que nous vous écoutions sur les questions de procréation, d'accès aux origines et de génétique notamment. Nous vous entendrons plus tard également, lorsque nous légiférerons sur la question de la fin de vie, puisque, selon la tradition française, ce sujet n'est pas inclus dans la loi de bioéthique, mais dans une loi distincte.

Vous vous êtes montrés très largement favorables à l'extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, assortie d'une clause de conscience pour les médecins ou ceux qui ne voudraient pas s'associer à une telle mission et la délégueraient à un confrère. Comment percevez-vous l'attitude de certaines associations et de la Conférence des évêques de France, opposés à l'ouverture de la PMA voire à la PMA elle-même, pour certains, qui refusent de respecter la clause de conscience des nombreuses femmes et des nombreux médecins qui veulent cette extension ? Ne devrait-il pas y avoir un respect de la clause de conscience dans un cas comme dans l'autre : dans celui où la PMA est étendue, pour ceux qui ne veulent pas l'étendre et, si elle n'est pas étendue, pour ceux qui veulent malgré tout y recourir ou la pratiquer ?

Ma deuxième question concerne les tests génétiques. Je pense que la France est le ou l'un des pays au monde où l'accès aux tests génétiques est le plus restreint. Cet accès est limité pour les adultes, puisque le test doit être prescrit par un médecin dans des conditions très définies. Il est également limité pour les nouveaux nés, le nombre de maladies diagnostiquées à la naissance étant moindre que dans la plupart des pays développés. Cela entraîne des retards de diagnostic et de traitement de maladies qui auraient été mieux prises en charge si elles l'avaient été dès la naissance – ou pendant le diagnostic préimplantatoire (DPI). Le professeur Nisand nous a rapporté récemment le cas, qui fait frémir, d'une femme qui avait bénéficié d'un diagnostic prénatal pour détecter une maladie génétique et très grave, mais qui n'avait pas eu le droit de bénéficier d'une recherche de trisomie 21. La femme a mis au monde un enfant exempt de la maladie génétique présente dans la famille – la probabilité étant de 25 % - mais atteint d'une trisomie 21 qui aurait très bien pu être dépistée.

Dans ce cas-là, ne devrait-on pas avoir une vision un peu moins restrictive de ces diagnostics ? Ceux qui s'y opposent parlent d'eugénisme. Je trouve étonnant que l'on utilise ce terme quand il s'agit de faire de la prophylaxie de maladies très rares et très graves. Cela n'a rien à voir avec l'eugénisme de masse, l'eugénisme d'État tel que le préconisait Alexis Carrel ou d'autres eugénistes du XXe siècle, qui vise à transformer l'espèce humaine et la génétique, et à faire naître des personnes ayant telles ou telles caractéristiques. J'ajoute que la définition de l'eugénisme ne permet pas d'inclure la prophylaxie de ces maladies.

Nous sommes donc là en dehors de l'eugénisme, et on ne devrait pas exclure à ce titre l'extension des diagnostics de DPI pour faire la prophylaxie des maladies les plus graves.

J'aimerais avoir votre vision sur ces deux points.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Vous avez évoqué la position des évêques, et je voudrais dire un mot de la clause de conscience. Tous les professionnels de santé, médecins, pharmaciens ou autres, savent qu'on a le droit de mettre en avant une réticence que l'on a à titre personnel, mais qu'on a le devoir d'indiquer le nom d'un collègue, d'un confrère qui accepterait de satisfaire à la demande du patient. On ne doit pas laisser celui-ci désemparé et sans recours. Le devoir de solidarité s'impose, sans exclure pour autant la préférence idéologique de quelqu'un.

S'agissant des tests génétiques, nous sommes dramatiquement en retard. En matière de cancérologie, on a autorisé une vingtaine de plateformes génétiques. Elles sont toutes sous la coupe de la puissance publique qui, pour des raisons budgétaires dont on pourrait discuter par ailleurs, tarde à les mettre en place. Seule la moitié fonctionne, ce qui est très insatisfaisant.

Tout le monde a été ému par l'histoire d'Angelina Jolie qui s'est fait faire une mastectomie préventive au motif qu'elle avait un haut risque de développer un cancer du sein. Sans aller jusqu'à des conduites qui nécessiteraient un accompagnement pour permettre à certaines personnes de faire tous les choix – c'est le cas qu'évoquait M. Touraine à l'instant – il conviendrait de prendre en compte dans notre pays – plutôt dans le cadre de la loi de finances de la sécurité sociale que de la révision des lois de bioéthique – ce que permet aujourd'hui la génétique et l'épigénétique, laquelle est au moins aussi essentielle. Nous sommes aujourd'hui pratiquement la lanterne rouge de l'Europe, alors que nous avons les moyens scientifiques et humains d'être sinon en tête, du moins dans le peloton de tête.

Ce retard budgétaire, législatif, est du ressort du pilotage général de la politique de santé. On n'a pas les moyens de faire ce que la science sait faire, naturellement sous certaines réserves d'ordre éthique. Il est légitime que vous vous préoccupiez de ne pas laisser n'importe qui faire n'importe quoi. Mais pour autant que ce soit encadré, c'est une nécessité absolue. Les limites mises à l'accès aux tests génétiques de toute nature, malgré les moyens à haut débit, à haute fréquence, etc. qui ne coûtent pratiquement plus rien, doivent être supprimées, sous le contrôle de ceux dont c'est le métier.

Quelqu'un a parlé tout à l'heure des tests internet : on envoie une goutte de salive à un laboratoire situé on ne sait où, lequel va utiliser on ne sait quelle technique et vous rendre on ne sait quel résultat. Il faut contrôler et sans doute prohiber cette pratique. Pour autant, permettre de réaliser des tests dans de bonnes conditions par des gens sérieux, c'est une exigence de notre temps.

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Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France

Votre première question concernait le lien entre la conférence des évêques et la loi. Mais on n'est pas sur le même champ : il y a d'un côté le champ de la morale, et de l'autre côté le champ de la loi. Il me semble que l'on ne peut pas opposer ce que la loi permet et ce que la conscience interdit.

La loi permet, elle n'interdit pas. Ensuite, à chacun, suivant sa conscience, de l'appliquer à soi-même ou à sa communauté – si tant est qu'on n'appartienne à une communauté. Mais laisser la loi autoriser ne rendra pas ce qu'elle autorise obligatoire. Les évêques, ou les chrétiens, peuvent très bien ne pas vouloir l'appliquer, tout en la laissant possible.

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Jean-Pierre Pauliac, président de la commission obédientielle d'éthique de la Grande Loge de France

Tous ces questionnements doivent être étudiés dans la sagesse. Nous avons quelques nuances avec certaines obédiences, mais il y a un sujet sur lequel nous sommes tous d'accord : le travail dans la laïcité, au-delà des dogmes religieux. Les évêques ont émis un avis, soit. Mais nous devons aller au-delà des dogmes religieux pour bien vivre dans notre société. Ne créons pas de dilemme là où il ne le faut pas. Travaillons dans la sérénité.

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

Dans la suite de ce que vient d'être dit, j'aborderai moi aussi cette question de la société laïque que nous recherchons, et au sein de laquelle chacun peut exercer les croyances religieuses qu'il souhaite, ou n'en pas exercer, au nom de la liberté de conscience. Nous sommes effectivement choqués qu'une partie de la société refuse d'appliquer une partie de la loi. Mais enfin, c'est une question de conscience.

Nous souhaitons effectivement avancer dans cette « lutte contre les dogmes », et faire en sorte qu'au-delà des dogmes, une société laïque permette à chacun de vivre selon ses choix.

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

Mon propos, basé sur mon expérience personnelle et professionnelle, sera beaucoup plus pragmatique : il y a la loi, les grandes théories, et ce que l'on vit au quotidien. Je reçois dans mon cabinet des femmes qui viennent avec des prescriptions d'examens complémentaires établies en Belgique ou en Espagne pour préparer leur PMA. Je prescris ces examens, qui sont remboursés par la sécurité sociale, et ensuite, elles vont à l'étranger. C'est cela la réalité.

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Thierry Lagrange, conseiller de l'Ordre du Grand Orient de France

Monsieur le rapporteur, votre question s'adressait à l'ensemble des obédiences ici présentes, et au Grand Orient de France en particulier. Comment percevons-nous la position d'un certain nombre d'associations et de la conférence des évêques de France ?

Je respecte leur position. Mais je remarque que la clause de conscience ne peut exister que dans le cadre de la loi. Or aujourd'hui, la loi sur la PMA généralisée n'existe pas, et la question ne se pose pas encore. Néanmoins, la clause de conscience pose aussi la question de l'égalité d'accès.

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Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France

En Italie, la clause de conscience s'applique en cas d'IVG. Mais combien de médecins ne donnent pas aux femmes accès à l'IVG ? Je rejoins ce que disait ma collègue : il faut cesser cette hypocrisie ! En France, on va chercher dans les pays limitrophes, c'est-à-dire à une heure de train, ce que l'on ne trouve pas chez nous, et ensuite, il suffit de ramener une ordonnance pour être remboursé. Je pense qu'à un moment donné, il nous faudra légiférer et empêcher que certaines personnes se trouvent dans une impasse et éprouvent des souffrances, y compris psychologiques, face à ces problèmes de PMA, d'accès à l'enfant, etc.

Monsieur le rapporteur, vous avez également évoqué la question des tests génétiques. De la même façon, combien de personnes se procurent en Suisse, en Belgique ou ailleurs, des tests pour 100 ou 150 euros ? En s'adressant à l'étranger, on peut rapidement dresser un profil, faire de la prophylaxie pour lutter contre certaines pathologies, faire une sorte de diagnostic, mais aussi s'engager vers une sorte d'eugénisme caché. À un moment donné, il faut garder raison, et ramener l'être humain à ce qu'il est, avec ses défauts, etc.

Enfin, concernant la Conférence des évêques, quand on croit à l'immaculée conception, on n'a plus rien à dire !

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Thierry Lagrange, conseiller de l'Ordre du Grand Orient de France

Je rajouterai un mot à mon propos précédent, à savoir que les dogmes ne doivent et ne peuvent être supérieurs aux lois de la République.

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Georges Juttner, président de la commission de bioéthique de l'Association Philosophique Française Le Droit Humain

On comprend bien que nous avons, là aussi, le même type d'avis.

Premièrement, concernant la Conférence des évêques, je dirai que je ne suis pas surpris : si l'on rejette un principe au nom du discours moral et dogmatique de son institution, il est normal qu'on veuille en rejeter toutes les conséquences. Je l'entends ainsi.

Deuxièmement, concernant la clause de conscience, je ferai une observation. On pourrait croire que ce concept vient d'être inventé. Mais en fait, dans le code de déontologie, quand j'ai prêté serment de médecin en 1977, l'article 39 du code de déontologie disposait déjà que tout médecin, hormis le cas d'urgence, était en droit de refuser de donner ses soins à un patient pour raisons personnelles, à condition de s'occuper de la transmission de son cas. Ce n'est donc pas nouveau, c'est même extrêmement ancien dans la déontologie médicale.

Troisièmement, il me semble que nous sommes tous favorables aux diagnostics qui ont des visées médicales et prophylactiques. Ce sur quoi nous avons tous mis l'accent, c'est le rejet des expérimentations, surtout à des fins commerciales. Chacun l'a dit à sa manière, mais je crois qu'effectivement, de ce côté-là, nous sommes frileux.

Enfin, je ferai une remarque qui n'a rien à voir avec vos deux questions. On a évoqué plusieurs points, notamment la PMA, la GPA, mais on n'a pas encore parlé suffisamment de l'enfant lui-même. J'ai été psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste d'enfants. Cela me manque, mais nous y reviendrons peut-être.

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édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

J'esquisserai quelques mots sur la première question. J'ai déjà évoqué la nécessité de mettre à distance toute conviction ou croyance, et de dégager le débat social de l'emprise du religieux.

J'ajouterai la différence classique entre les libertés et les droits : la liberté, comme la liberté de circulation, s'exerce sans entrave ; mais le droit, à partir du moment où il est inscrit dans la loi, est une créance contre l'État. Et l'État a l'obligation de garantir l'égalité des droits et de les rendre effectifs.

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Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association Bioéthique et Liberté

Je ne sais pas à qui les évêques de France se sont adressés ; en tout cas, pas aux citoyens. Je me souviens – car j'ai déjà quelques « heures de vol » (Sourires) – d'une époque où les interventions des autorités religieuses portaient sur le préservatif, la contraception, mais cela n'a jamais empêché les Françaises et les Français d'utiliser des préservatifs ou de pratiquer la contraception. Je pense donc qu'il s'agit là d'un message plus politique qu'efficace par rapport à une communauté.

Sur les tests génétiques, nous partageons beaucoup de ce qui vient d'être dit. Mais il ne faudrait pas non plus que la crainte de l'eugénisme serve d'épouvantail, parce que je pense que c'est un peu le cas aujourd'hui. Dès l'instant où l'on parle de prophylaxie ou de tests, on entend : attention, eugénisme ! Il est bien clair qu'il peut y avoir un risque d'eugénisme. Mais ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de dépister des maladies rares ou une trisomie 21.

Je crois donc qu'il faut être attentif à ne pas voir de l'eugénisme partout, mais plutôt réfléchir en termes de santé publique, et se préoccuper de ce qui est important pour la femme qui porte l'enfant, et pour l'enfant.

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Je vous propose d'aborder maintenant la première série de questions.

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Merci, mesdames et messieurs, pour votre présence et vos discours, auxquels je suis particulièrement sensible. Je sais que vous êtes des individus infiniment respectueux de la pensée et de la réflexion de l'autre, et que vous savez mieux que personne qu'il n'y a aucune vérité. Mais précisément, à partir du moment où il n'y a aucune vérité, j'ai envie de brandir la pancarte « principe de précaution » !

Je vous ai entendu opposer connaissances et croyances. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Vous préférez une connaissance éclairée aux croyances obscures, mais je crois savoir que vous avez des croyances obscures dans vos rangs ? Et c'est tant mieux parce qu'on respecte tout le monde dans ce pays laïque.

Maintenant, l'extension de la PMA à des couples de femmes ne viendrait pas pallier une infertilité, mais une impossibilité biologique. Cela m'amène à m'interroger sur l'homme augmenté, non pas dans son intelligence, mais dans ses possibles : va-t-on passer de l'homme réparé à l'homme augmenté dans ses possibles ? On sait bien que c'est la porte ouverte à tout. Et là, je ne sais pas où est la connaissance éclairée et où est la croyance obscurantiste. N'est-ce pas une croyance étrange que de se croire surpuissant ?

Au-delà de toutes les croyances, si l'extension de la PMA à toutes les femmes réduit et supprime effectivement une inégalité entre hétérosexuelles et homosexuelles, elle en instaure une nouvelle : l'inégalité entre les hommes et les femmes. Je me bats évidemment pour l'égalité de tous, et je ne vois pas au nom de quoi – je ne suis pas en train d'agiter un chiffon rouge ni d'exciter les gens dans la rue – les hommes ne diront pas : « Et nous ? ». Ce serait tout à fait normal, d'autant que la seule raison invoquée par le CCNE pour justifier l'extension de la PMA, c'est la souffrance. Or les hommes souffrent autant. Honnêtement, au nom de l'égalité, comment empêcherons-nous la GPA ? C'est absolument impossible.

Au nom de cette même égalité, moi qui ai aussi quelques « heures de vol », chère madame (Sourires), j'ai un peu le sentiment qu'on évince une moitié de la population. Comme je l'ai souvent dit en tant que femme, on a fait fi de la moitié de la population : nous ne votons que depuis 1948, nous ne pouvons signer des chèques, travailler et avoir un compte en banque sans l'autorisation de ces messieurs que depuis 1965. Et jusqu'à 1982 – c'était hier – le foyer fiscal était au nom du mari, qui seul pouvait signer la déclaration de revenus, étant considéré comme le chef de famille. J'ai grandi dans cet environnement, où les femmes étaient niées, en tout cas ignorées. Et aujourd'hui, nous allons faire la même chose à ces messieurs au nom de l'égalité ! Cela me semble incohérent, et j'ai du mal à l'accepter.

Quid de la vulnérabilité ? J'observe que nous sommes en train de parler de l'avenir d'enfants qui ne sont pas nés, ce qui est tout de même extraordinaire – alors que nous n'arrivons pas à parler de l'avenir d'enfants déjà nés. Bien sûr que les enfants se développeront normalement – pour qu'un enfant se développe, il suffit de le nourrir. Le problème n'est pas là. Mais j'aimerais tout de même que l'on parle de ces enfants. Jusqu'où doit aller dans une conquête de droits et de libertés. Jusqu'où doit aller le désir (d'enfant) ? Est-ce que tout désir à vocation à être assouvi ? Est-ce au médecin de l'assouvir ? Est-ce parce que c'est possible qu'on doit le faire ?

J'ai entendu, lorsqu'on a évoqué la Conférence des évêques de France, tout le monde parler de « morale ». Je ne suis pas là pour défendre qui que ce soit, mais je ne pense pas qu'il faille voir de la « morale » partout. Évidemment, l'Église est dans un pays laïc et se soumet au législateur. Mais elle est là pour ouvrir les consciences, et c'est tout.

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Mesdames et messieurs, vous avez très souvent été à l'avant-garde des avancées sociétales, tout en réussissant le difficile équilibre de préserver les valeurs fondamentales de notre société dans une « recherche d'humanité permanente » - pour reprendre votre propos. Je vous poserai deux questions.

Premièrement, y-a-t-il un modèle de société unique ? Effectivement, la société évolue dans le temps. Et si l'on regarde autour de nous, on voit des sociétés différentes de la nôtre.

Monsieur Habrant, vous avez parlé de « dogmatisme à l'égard du modèle familial », ce qui m'a frappée. Tout le monde est bien conscient que la société évolue, et je trouve qu'utiliser un terme aussi fort exclut de fait ceux qui, et on peut tout à fait le respecter, font du modèle familial leur représentation. Par ailleurs, je m'interroge : est-ce que la loi doit se concentrer sur un modèle qui correspond à une société donnée, ou à un modèle de société à venir, telle qu'on l'envisage ? Est-ce que la loi doit prendre en compte les fragilités et les attentes de chacun ?

On a tendance à mettre en avant l'émancipation de l'individu, sa liberté, et c'est ce que vous avez fait. Mais l'homme ne vit pas seul. M. Zambrowski a d'ailleurs parlé de préserver les équilibres collectifs. L'exercice est difficile. D'où ma question : est-ce que la loi doit donner une vision de la société dans sa globalité ? Ou doit-elle prendre en compte les individualités et les désirs personnels ?

Ma deuxième question est une sorte de réponse aux réflexions de ma collègue. Monsieur Habrant, vous avez dit que le débat devait être opérationnel et non métaphysique. Je pense qu'il faut se mettre d'accord sur le fond, mais cette façon de poser le problème me dérange. Si l'on reste sur un plan purement opérationnel, tout est possible, et même ce que l'on n'imagine pas encore. Les scientifiques sont merveilleusement imaginatifs, et tant mieux, mais on a toujours l'impression d'être à la traîne par rapport à leurs avancées, et l'humanité que vous mettez en avant à juste titre ne peut pas se contenter de suivre ce qu'il est possible de faire.

On a vraiment l'impression que l'homme est en train de devenir maître et possesseur de la nature, pour reprendre une de vos expressions, monsieur Neveu. Or après avoir évoqué les grandes étapes de l'existence humaine, la naissance, la vie et la mort, vous avez dit, si je ne m'abuse, que nous n'étions possesseurs d'aucune étape ?

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Merci pour vos exposés qui alimentent notre réflexion sur un sujet éminemment important.

Aujourd'hui, nous faisons le constat suivant : d'une part, l'avancée des progrès scientifiques et technologiques ; qui nous ouvre un champ de possibles immense, voire infini ; d'autre part, l'évolution de la société, de la composition des familles, et des demandes. Ces demandes, qui sont tout à fait légitimes, concernent notre parcours de vie : la conception, la naissance, la vie avec le risque de pathologies à venir et à prévenir, et la mort. Mais quelle place veut-on ou peut-on laisser à la médecine et à la technique dans ce parcours de vie qui constitue notre humanité ? Par nos votes, nous allons construire la société future, pour nos enfants et nos petits-enfants. Et notre responsabilité sera grande.

Pour moi, la question fondamentale que nous devons nous poser et qui peut faire avancer notre réflexion, est bien de savoir, hors de tout clivage, si les progrès ou les évolutions auxquels nous assistons feront du bien à notre humanité.

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Pour éviter toute frustration, je propose de donner la parole à nos invités dans l'ordre inverse de tout à l'heure.)

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édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

Nous arrivons à gérer nos frustrations : cela fait partie du travail maçonnique… (Sourires.)

Je me suis senti visé par certaines questions, d'autant que c'est moi qui ai dit que la recherche d'humanité était à la fois permanente et infinie, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de modèle préétabli, et que cette interrogation était sans cesse renouvelée. L'idée d'une nature à laquelle on ne pourrait pas toucher me choque d'un point de vue quasi ontologique. Cela ne signifie pas que l'on doive aller vers une espèce d'antihumanisme, ou même vers la disparition de l'humanité, mais simplement qu'on doit débattre sur le contenu qu'on prête à la nature humaine, et qu'à mon avis ce débat a vocation à durer longtemps.

J'en viens à la question du dogmatisme persistant à l'égard du modèle familial. Il me semble qu'on admet aujourd'hui plus facilement qu'un couple n'est pas nécessairement constitué d'un homme et d'une femme – et cela n'a pas toujours été de la plus grande des évidences. En revanche, je pense qu'il y a encore quelques réticences et résistances en ce qui concerne la famille.

Même s'il existe des modèles de famille recomposée qui sont devenues monnaie courante, nous n'avons pas tout à fait le même regard sur la famille. Certains ont tendance à penser qu'une famille doit être constituée, par exemple, d'un couple ayant des enfants, ce qui pose encore une fois la question de la fertilité. Est-ce qu'un couple n'ayant pas d'enfants n'est pas déjà une famille ? Il faudrait peut-être mobiliser d'autres cultures et d'autre représentations. Encore une fois, le modèle familial ne doit pas être quelque chose d'arrêté définitivement et de figé dans le marbre.

Lorsque j'ai indiqué qu'il fallait avoir une approche opérationnelle et non métaphysique, j'ai voulu dire qu'on ne devait pas être dans une logique hypothético-déductive, c'est-à-dire qu'on ne devait pas partir d'un certain nombre de prémisses qui tiennent à des valeurs, pour en déduire tout le raisonnement. Il faut avoir une approche pragmatique et concrète. D'où la différence que je fais entre la science et la religion. La science procède, comme je l'ai dit, par essais et erreurs, et elle remet en cause ses connaissances. Elle met sans cesse à l'épreuve une connaissance en considérant qu'elle n'est effectivement pas acquise, et qu'il n'y a pas de vérité ultime et définitive – un point sur lequel je vous rejoins tout à fait, madame la députée.

Certains grands auteurs et mathématiciens, par exemple Henri Poincaré, ont parlé de la valeur de la science. C'est aussi pour cela que je dis que la question de la bioéthique ne doit pas être totalement détachée de notre rapport à la recherche et à la science. Et c'est pour cela que j'insiste sur la nécessité des investissements en matière de recherche.

Poincaré a eu cette phrase célèbre : « La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une grande nuit, mais c'est cet éclair qui est tout. »

On est sur quelque chose d'ouvert, de méthodique, et le doute est notre moteur. On doit se débarrasser de toute conviction, de toute croyance dès qu'elle n'est plus valable, dès qu'elle n'est plus opérationnelle, dès qu'elle n'est plus féconde. Une pensée n'est pas figée. Et surtout, on doit s'interroger par rapport à la colère. Je trouve que la colère est intéressante. Pourquoi certaines affirmations, certaines idées nous mettent-elles en colère ? Cela nous renvoie souvent plus à nous-même qu'aux autres. Il est intéressant de connaître ces ressorts dans notre mode de pensée.

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Georges Juttner, président de la commission de bioéthique de l'Association Philosophique Française Le Droit Humain

Madame Thill, vous avez parlé de l'inégalité entre hommes et femmes. Je pense qu'il est clair pour nous tous ici que les femmes ne vont pas se venger pendant trois mille ans de leur statut d'opprimées. Pour les humanistes, il n'y a aucun doute : les hommes et les femmes doivent avancer ensemble.

Il n'en existe pas moins, à mon sens, une confusion dans le lexique social, entre l'égalité hommes-femmes, qui vient se substituer très subtilement à l'égalité des droits. Et je crois que ce dont nous parlons, c'est de l'égalité des droits et non pas d'un gommage de la différence des sexes. On a suffisamment dit qu'il fallait deux gamètes différents, mâle et femelle. Ne confondons donc pas l'égalité homme-femme avec l'égalité des droits.

Maintenant, la loi devrait-elle être collective ou individuelle ? Je suis de ceux qui pensent qu'elle devrait être la plus collective possible. En effet, dès qu'on se met à couper les questions en tranches, on finit par faire de la marmelade !

Je m'explique : nous avons évoqué tout à l'heure la question du statut de l'enfant, et nous avons été quelques-uns à évoquer l'existence de lois contradictoires concernant l'enfant. Certains ont fait remarquer que nous ne respections pas la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). C'est exact. Mais nous savons aussi que des hommes vont faire des GPA dans des pays le plus souvent sous-développés – c'est une utilisation abusive de femmes pauvres – puis reviennent en France. Un des deux hommes adopte l'enfant. Ensuite, il faut qu'ils se marient, et qu'ils adoptent ensemble. Ce sont des tricheries identitaires qui me dérangent beaucoup.

J'en reviens à la contradiction entre les lois. Outre que nous ne respectons pas la CIDE, la loi donne toujours le droit aux femmes d'accoucher sous X, ce qui est complètement en contradiction avec les dispositions permettant d'accéder à ses origines. C'est ce que je voulais dire quand j'ai déclaré que la loi devrait être la plus générale possible. À titre de boutade, j'ai entendu dire qu'il y avait un projet européen relatif à la taille de la palourde que l'on serait autorisé à pêcher : ce n'est pas ça la loi… Bruxelles a renoncé à ce projet, et un tel exemple revient un peu à regarder la situation par le petit bout de la lorgnette, c'est vrai, mais je défends l'idée que la loi doit être la plus générale possible.

La question du sort de l'humanité est intéressante, et c'est un concept sur lequel nous travaillons beaucoup. Beaucoup d'entre nous ne savent peut-être pas ce qu'est le bien de l'humanité, mais on sait en quoi consiste le mal pour elle. Je reste arc-bouté sur le précepte d'Hippocrate, qui guide toute ma démarche : primum non nocere, c'est-à-dire d'abord ne pas nuire, deinde dolorem sedare, c'est-à-dire ensuite apaiser la douleur. J'ai l'impression que c'est le fond de nos interventions ce matin.

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Pascal Neveu, président de la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France

Quand j'ai évoqué la croyance tout à l'heure, je ne faisais pas référence à la foi, mais à l'idée de croire à quelque chose : la connaissance n'est pas ce que l'on trouve sur certains réseaux sociaux, où l'on a un accès totalement passif à une certaine connaissance. On doit chercher l'information et les vérités ne sont jamais acquises : elles doivent être travaillées au jour le jour. Ce que j'ai dit n'était évidemment pas une attaque contre la foi, la religiosité et toutes les croyances : nous sommes dans un État totalement laïque.

En ce qui concerne la question du désir, la vie est évidemment faite de frustrations.

Puisque la vulnérabilité éventuelle des enfants a été évoquée à propos de la GPA, je voudrais dire qu'il y a vingt ans d'études sur ce sujet, dans des pays tels que les États-Unis ou le Canada. Il est important d'aller chercher ces connaissances, sinon pour en faire un modèle, du moins pour en tirer quelques éléments en vue de légiférer, en regardant ce qui peut se passer.

Sur ce point, le problème de la loi actuelle est peut-être qu'elle fonctionne par jurisprudence : elle n'anticipe pas les problèmes de demain. La bioéthique revient à anticiper, à être dans la prospective, à regarder les problématiques de demain et ce qui va se passer.

La question de l'homme augmenté ou amélioré a ainsi été soulevée. On n'arrête pas de parler, à tort et à travers, du transhumanisme, qui a fait l'objet d'un grand nombre d'ouvrages très célèbres. Je pense qu'il faut dépasser ces débats en pensant notre devenir, en étant acteur par rapport à ce que nous sommes nous-mêmes en train de créer. Michel Foucault disait que nous créons notre propre société, nos fous et nos malades.

J'en viens à la question portant sur notre rapport à la naissance, à la vie et à la mort. On n'a pas choisi de naître, c'est vrai, mais on est acteur de sa vie. Je ne citerai pas Heidegger, qui est parfois contesté, mais je voudrais revenir sur ce que le CCNE a dit en substance dans son rapport : nous ne pouvons pas être totalement libres de notre propre mort. Sur ce point, la commission de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France n'est pas d'accord : nous devons rester totalement libres et maîtres de notre mort, même si nous ne sommes pas favorables au suicide assisté – il y a, selon nous, une très grande différence.

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Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande Loge Féminine de France

Il est difficile d'intervenir alors que beaucoup de choses importantes ont déjà été dites. Je vais rester dans le pragmatisme. Il est question d'égalité, celle des droits, mais la différence des sexes existe : jusqu'à présent, ce sont les femmes qui ont un utérus et qui portent les enfants. Sur ce plan, les hommes ne pourront jamais nous égaler, sauf exception. C'est un des points qui nous posent question à propos de la GPA, à travers l'exploitation du corps des femmes. Les avis divergent et nous nous interrogeons. Il y a effectivement des expériences éthiques en matière de GPA, comme cela vient d'être dit. Pour l'instant, je ne me prononcerai pas à titre personnel.

Le sort des enfants me tient à coeur, car je suis praticienne d'haptonomie : je sais très bien ce que représente la vie intra-utérine pour un enfant. La covivance et la relation materno-foetale laissent des traces très importantes pour la vie future. On doit en tenir compte, même si les capacités de résilience d'un enfant font que, de toute façon, ce qu'il attend est d'être accueilli avec amour et tendresse, d'être élevé avec attention. Il faut nécessairement tenir compte de tous ces éléments et être conscient de ce que cela produit dans la société.

Dans les années 1950, les enfants malheureux étaient ceux des divorcés, car ils étaient stigmatisés. Va-t-on faire de même pour les enfants issus d'une PMA, d'une GPA ou d'une procréation différente, alors que la normalité est maintenant constituée des familles recomposées et que ce sont les enfants des familles dites traditionnelles qui se sentent un peu anormaux ? Tout cela évolue dans notre société, et je pense qu'il y a des adaptations possibles dans notre quotidien. Je suis tous les jours en contact avec ces histoires individuelles dans le cadre de ma pratique.

La loi organise la vie en société et les évolutions qui se présentent. Je rejoins, bien sûr, ce qui a été dit sur le besoin que la loi soit davantage anticipatrice, et je trouve très bien que nous soyons interrogés sur ces sujets, que le CCNE existe et que la voix des citoyens puisse être entendue : la loi se crée collectivement, avec tous, même si vous aurez bien sûr à trancher.

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

La loi est-elle collective ou répond-elle aux attentes individuelles ? Beaucoup l'ont dit avant moi : elle ne peut évidemment pas ignorer les pratiques. Une partie de la population, qui est en attente d'un certain nombre de choses, détourne ou plus exactement contourne la loi pour satisfaire ses demandes, et la loi que l'on est en train d'élaborer ne peut pas l'ignorer : elle ne peut pas fermer les yeux, comme si cela n'existait pas. Je crois que l'on est obligé de prendre en compte les pratiques. Il y a les enfants de divorcés, et au-delà la famille évolue, comme la société. On ne peut pas continuer à être obligé d'aller à l'étranger pour que les choses se fassent, tandis que l'on ne bouge pas en France. Les évolutions sont fortes et notre loi ne peut s'exonérer de prendre en compte la réalité de ce qui se passe sur notre territoire.

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Jean-Pierre Pauliac, président de la commission obédientielle d'éthique de la Grande Loge de France

Je voudrais revenir à la question du bien de l'humanité et à celle du sort des enfants. Nous travaillons surtout dans le cadre d'un questionnement à la commission obédientielle d'éthique de la Grande Loge de France. Admettons que la PMA et la GPA se développent : je pense qu'il ne faut pas rester dans un espace de réflexion trop restreint. Même si l'être humain est toujours à la recherche d'un perfectionnement, il a aussi ses défauts : envisageons ainsi le cas d'enfants qui réagissent à l'école en disant qu'eux ont une maman et un papa, alors que d'autres ont deux papas ou deux mamans. Si les techniques dont nous parlons se développent, on doit y réfléchir. Nous pensons qu'il faut accompagner, au niveau de l'éducation nationale, la préparation des enfants.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Nous sommes assez heureux de l'extrême pluralisme de nos membres en matière spirituelle et religieuse, car ce pluralisme est évidemment fécond, pourvu qu'il soit respectueux.

Il a été question tout à l'heure d'égalité des sexes, mais l'égalité ne signifie pas l'identité : un homme n'est pas une femme, et une femme n'est pas un homme. Si un couple fait de deux femmes peut imaginer que l'une d'entre elles, et peut-être alternativement, porte un enfant, il est évident qu'un couple d'hommes ne peut pas voir l'un des deux participants au couple porter l'enfant. Dans ce cas, ou bien on imagine de faire porter l'enfant par autrui, ce qui pose la problématique de la GPA, ou bien on imagine l'adoption par un couple fait de deux hommes autrement qu'on ne le fait aujourd'hui, de manière à satisfaire un légitime besoin de paternité qui ne peut pas s'exprimer biologiquement.

Vous nous avez interrogés sur la question d'un modèle de société unique. Unique ne veut pas dire uniforme. La loi tend à créer et à faire évoluer un modèle de société, mais elle doit tenir compte, ce que vous avez exprimé par vos questionnements, comme nous l'avons fait aussi par nos réponses, des fragilités, des besoins et des désirs de chacun, en même temps que de l'évolution des techniques et des idées, de ce que l'on voit se pratiquer ailleurs et de l'opinion que l'on recueille ici ou là. Ce n'est donc pas un modèle uniforme, mais évolutif. Je reviens à la question posée par le président de votre mission au tout début de cette réunion : il nous semble qu'une révision tous les deux ou trois ans n'aurait pas de sens, car il faut le temps que ces choses-là soient réfléchies et mûries, et qu'une révision tous les dix ou quinze ans n'aurait pas de sens non plus, parce que les technologies évoluent très rapidement, peut-être trop, selon certains, pour qu'on ait le temps de les intégrer. Le rythme actuel d'une révision tous les cinq ou sept ans correspond à des chiffres auxquels les maçons sont sensibles par tradition : le rythme choisi par la République nous paraît excellent.

J'en viens à la place de la médecine dans le parcours de vie. Ceux d'entre nous qui sont des professionnels de santé savent que la médecine est fondamentalement un outil au service de chaque individu en souffrance et de la société, et pas davantage qu'un outil. Il est important que la société, au travers du législateur, en ce qui nous et vous concerne, mette de l'éthique dans l'utilisation de l'outil. Ce n'est pas aux médecins de décider dans quel cadre éthique ils vont intervenir, même s'ils peuvent apporter leur concours, à travers ce qu'ils observent : on a ainsi entendu quelques-uns de mes collègues et confrères faire part de ce qui ressort de leurs pratiques et de leur confrontation avec le désir, le besoin et la souffrance des parents ou des enfants. Il est essentiel que la société, qui délègue aux professionnels de santé la tâche de s'occuper de la souffrance et de la demande en matière de santé, de vie et de mort, aille au bout du cadre dans lequel elle souhaite que l'outil médical, au sens large du terme, soit utilisé. Nous sommes extrêmement sensibles au fait d'avoir été sollicités, avec d'autres, pour éclairer votre réflexion, mais c'est finalement à vous de fixer les limites du jeu.

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Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France

Il vous appartient de respecter un subtil équilibre entre la liberté individuelle et la nécessité du « vivre-ensemble », comme on dit. C'est votre responsabilité dans le cadre de la réflexion que vous menez.

J'ai entendu parler de métaphysique… Permettez au Grand Maître de la Grande Loge de France de faire entendre une voix singulière par rapport à tout ce qui a été dit, en parlant un peu de philosophie. Nous devons tous nous poser des questions, quelle que soit la place que nous occupons et quel que soit l'objet que nous poursuivons. Vous connaissez sans doute les quatre questions suivantes. Que puis-je savoir – et construire ? Que m'est-il permis d'espérer ? Que dois-je faire ? Qu'est-ce que l'homme ? Si nous répondons à chacune de ces questions, alors notre débat sera productif.

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Afin d'éviter qu'il y ait des frustrations, pour reprendre un terme employé tout à l'heure, je vais donner la parole à nos quatre autres collègues qui ont demandé à s'exprimer, en leur demandant de le faire de manière très concise, car nous avons déjà beaucoup de retard. J'inviterai aussi nos intervenants à faire des réponses très concises.

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Avant de poser ma question, je voudrais revenir sur un sujet qui me semble important dans le cadre de cette mission et, plus largement, de la révision des lois de bioéthique : vous avez évoqué la prise de position publique des évêques de France en l'associant à du « dogme ». Sur le plan technique, il ne me semble pas pertinent d'utiliser ce terme, qui correspond à une doctrine et renvoie à un statut bien particulier – cela désigne des concepts considérés comme des vérités. Même si je ne partage pas la vision qui est celle des évêques de France, puisque je suis favorable à l'extension de la PMA, je crois qu'il est très sain que l'opinion publique puisse se former dans un cadre structuré, organisé et apaisé. Il est plus constructif que la religion catholique, comme les autres religions, puisse intervenir dans le cadre du débat public, afin que l'on n'aboutisse pas à une expression hystérisée, qui aurait lieu dans des conditions où chacun ne pourrait pas intervenir.

Ma question porte sur les données de santé : cette mission n'a pas pour objet de se saisir des seules questions liées à la PMA, même si nous en parlons beaucoup, malgré nous. Les données de santé constituent aussi un défi majeur, à différents égards. L'accès est aujourd'hui ouvert à tous, avec des entreprises comme « 23andMe », par exemple, et un certain nombre de données ont été rachetées cet été par le groupe GSK, si je ne me trompe pas. Cela pose vraiment la question de savoir ce que l'on fait de ces données, qui ne concernent d'ailleurs pas que les individus ayant fait un test. Je voudrais avoir votre éclairage sur la façon dont on peut accompagner les pratiques, qui existent et que l'on ne peut pas arrêter, sans contraindre pour autant l'innovation, car elle nécessite un certain nombre de données.

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Je souhaite revenir sur un point qui a été seulement effleuré jusqu'à présent : continuer à défendre l'anonymat à tout prix est un leurre à l'ère, actuelle et future, de la génomique et du big data. Le droit actuel interdit toute reconnaissance de la filiation entre le donneur de gamètes et l'enfant qui en est issu. Que pensez-vous d'une levée de l'anonymat pour les futurs donneurs de gamètes ? Cette mesure pourrait-elle être rétroactive ? Quel encadrement doit-on prévoir afin de protéger à la fois le donneur, l'enfant et la famille, ainsi que la transmission d'informations et le moment éventuel d'une rencontre ?

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Merci à tous pour vos témoignages. Vous avez eu l'amabilité et la sincérité de resituer la logique dans laquelle vous prenez la parole ce matin et je crois qu'il est bon pour nous de faire de même, ne serait-ce que pour la clarté de l'interaction que nous pouvons avoir.

Nous devons apporter des réponses à des questions qui se posent à un instant « T », sans mépriser l'histoire. Il faut s'appuyer sur elle, sur les connaissances et les travaux scientifiques, mais sans engager l'avenir autrement que dans les limites de nos propres responsabilités, à savoir le mandat qui nous a été confié. Nous ne sommes pas là pour inscrire dans la loi des principes ou des règles absolument immuables : nos enfants et nos petits-enfants, qui nous succéderont, auront toute liberté pour revenir sur ce que nous avons fait ou pour approfondir.

En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, je crois profondément que l'accès à cette pratique, éprouvée depuis plus de trente ans, fait aujourd'hui l'objet d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et le statut matrimonial. Au nom de l'égalité des droits et du principe de non-discrimination dans l'accès aux pratiques médicales, il est absolument indispensable d'ouvrir une possibilité pour toutes les femmes.

Une question presque connexe a été évoquée : celle du remboursement ou de la prise en charge par la sécurité sociale. Je crois qu'il y a trois éléments à prendre en compte. Tout d'abord, il faut veiller en supprimant une discrimination à ne pas maintenir une inégalité. À l'heure actuelle, il y a des femmes qui recourent à la PMA à l'étranger : ce sont, par construction, des femmes qui ont les moyens nécessaires pour aller à l'étranger afin d'accéder à cette pratique médicale. Dans quel monde vivrait-on si l'on disait demain aux femmes concernées qu'elles peuvent accéder à une pratique médicale en fonction de leurs capacités financières, car la sécurité sociale n'est pas là pour les accompagner dans leur démarche ?

Le deuxième élément est qu'il faut passer de la loi actuelle, et peut-être même de l'idéologie, à la pratique. Un quart des 25 000 PMA pratiquées en France ne sont pas prescrites sur le fondement d'une infertilité biologique constatée. La question de savoir si la sécurité sociale doit prendre en charge des actes ne faisant pas suite au constat médical d'une infertilité biologique est, en réalité, déjà résolue : c'est actuellement le cas pour un quart des PMA prescrites. Pourquoi irions-nous encore créer un régime d'exception sur le fondement de l'orientation sexuelle ou du statut matrimonial ? Je crois que ce ne serait pas raisonnable. Enfin, nous sommes là pour représenter la volonté populaire : les Français nous ont confié un mandat en se défaisant de leur propre pouvoir de décision pour l'adoption des lois qui vont organiser leur vie. C'est à ce titre que nous sommes là et que nous légiférons. Je crois qu'il y a une véritable attente en ce qui concerne la PMA. Nous devons y répondre en élargissant l'accès à cette pratique et en la faisant prendre en charge par la sécurité sociale.

J'entends les interrogations de notre président, que je partage, sur l'éthique de la vulnérabilité et, au-delà, la question qui se pose dans l'opinion, avec la mobilisation de certains partis politiques, à la faveur des États généraux de la bioéthique, qui sont conduits pas le CCNE, et des manifestations populaires de ces derniers temps, sur l'émancipation et la construction psychologique de l'enfant dans un environnement familial ne comportant pas de père – ce que l'on appelle vulgairement la « PMA sans père ». Je m'efforce d'être pragmatique : je n'ai pas la prétention de maîtriser toutes les données scientifiques, mais j'essaie d'en prendre connaissance, notamment les travaux menés à l'université de Cambridge qui ont été cités tout à l'heure. Ces travaux montrent, à l'issue de plus de trente ans d'études, qu'il n'y a pas d'écueil dans la construction de l'enfant au sein d'une famille monoparentale ou homoparentale : l'écueil éventuel est celui de la représentation sociétale, c'est-à-dire les attaques dont les enfants peuvent être victimes dans leur environnement, scolaire ou autre. Il faut en préserver les enfants le plus possible, plutôt que de faire obstacle à leur arrivée sur terre.

Quand on me dit qu'il faudrait, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, ne pas institutionnaliser son arrivée dans des environnements familiaux sans père, je réponds qu'il faut aller jusqu'au bout de la logique. Quelle est la solution, en effet ? Que va-t-on proposer ? Je crois malheureusement que cela revient à dire à ces enfants à venir que l'on préfère faire obstacle à leur arrivée sur terre, malgré la volonté déterminée de leurs mères de les enfanter. On parle très souvent d'enfants qui pourraient souffrir de l'absence d'un père, mais si l'on s'oppose à leur venue même, dans quelle logique intellectuelle s'inscrit-on, étant entendu que la femme désire l'enfant ?

Voilà ce que je voulais partager avec vous, même si ce ne sont pas tant des questions que des réflexions – elles appelleront peut-être des réactions.

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Je souhaitais intervenir sur les questions d'autonomie et de vulnérabilité, mais le temps est compté. Je suis un peu gênée par la binarité de ces deux termes et par l'opposition qui existe entre eux. Nous sommes tous un peu autonomes et un peu vulnérables : cela mériterait un débat…

Mme Vienne a très justement évoqué l'hypocrisie qui est la nôtre – j'emploie ce terme même s'il est un peu fort. Les choses se font hors de France, que ce soit pour la PMA ou les tests génétiques. Le travail qui est le nôtre pour la construction de cette loi consiste-t-il à se mettre au niveau des pays voisins ou bien s'agit-il aussi d'anticiper l'évolution de la société et les évolutions scientifiques et technologiques ? Il y a notamment la question de l'intelligence artificielle, dont il n'a pas beaucoup été question ce matin. J'aimerais avoir votre éclairage sur le juste équilibre qu'il faudrait trouver.

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Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l'association Bioéthique et Liberté

Merci pour ces questions qui nous interpellent. Je ne répondrai pas à chacune d'entre elles, car ma zone de compétence ne les couvre pas toutes. Par ailleurs, je partage une grande partie de ce qui a été dit, et je n'y reviendrai donc pas.

En ce qui concerne l'anonymat, tout ce que je peux vous dire est comment ça se passe dans les pays qui ont levé l'anonymat. On respecte toujours la volonté du donneur : je ne connais pas de pays où le donneur de sperme est systématiquement identifié. Il faut qu'il ait donné son accord. D'une certaine manière, cela peut être une souffrance pour certains enfants de ne pas savoir qui est leur père biologique, et il faut aussi respecter leur demande. Même si une partie d'entre eux ne demandera jamais à savoir, il est aujourd'hui fortement recommandé ne pas taire leurs origines, mais plutôt de dire comment ils ont été conçus, car c'est important pour leur évolution positive. Lorsqu'on ne le dit pas, on sait très bien que les enfants le sentent.

Je voudrais également souligner qu'une différence n'est pas nécessairement une inégalité, et encore moins une discrimination : ce sont des aspects très différents. L'école n'a pas à intervenir en ce qui concerne le modèle familial. Il faut qu'il y ait une neutralité en la matière. Si on y arrive, c'est déjà une manière d'anticiper les évolutions de la société : si l'on ne fait plus de différence, il n'y a plus de discrimination possible. Comme vous l'avez rappelé, à juste titre, le législateur est généralement un suiveur dans une démocratie de type représentatif : il suit les évolutions de la société, et le droit s'adapte à elles. Il y a peu de cas où le législateur anticipe de telles évolutions, mais il peut créer un cadre suffisamment large pour ouvrir le champ.

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Georges Juttner, président de la commission de bioéthique de l'Association Philosophique Française Le Droit Humain

Christiane Vienne m'a un peu coupé l'herbe sous le pied, mais je vais l'exprimer à ma manière ! Concernant la levée de l'anonymat pour le don de gamètes, nous avons rédigé un article qui vous a normalement été transmis hier. Vous pourrez le lire, notre position est très proche de celle de Mme Vienne.

Vous l'aurez compris, je suis partisan de la levée de tous les non-dits. Le dit fait une histoire et le non-dit crée les blessures, même s'il ne faut pas être trop angélique. Ceux de ma génération se rappellent peut-être de cette phrase ; dans un film, Françoise Dolto disait à un enfant : « Ta souffrance, c'est ta richesse. » Autrement dit, la société ne doit pas être complètement ripolinée : le génie de l'humain, c'est aussi la complexité de sa vie psychique et de son identité.

Je vous l'ai dit, primum non nocere. Or, on ne fait jamais de mal à quelqu'un en lui disant ce qu'on appelle « la vérité » ou, au moins, ce que l'on sait de son histoire. Cela rejoint votre préoccupation : on doit parler à tout être humain de son histoire, de qui ne le voulait pas et de qui le voulait. Ces allées et venues entre la pulsion, le désir et le langage rendent la vie formidable.

Je suis également d'accord avec Christiane Vienne sur un autre point : la loi prend acte, bien sûr, de l'état de la société, parfois avec un peu d'avance – comme la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil –, parfois avec un peu de retard – comme peut-être lors de l'abolition de la peine de mort en 1981.

Pour terminer sur la question de l'identification, vous évoquez le fait d'avoir deux papas ou deux mamans. Mais, désormais, dans les familles recomposées, on peut avoir quatre mamans, cinq papas, des quarts de frères, etc. Madame, mon discours était une boutade ! Je voulais simplement dire que nous ne devons pas craindre que ces enfants aient une mauvaise perception de la différence des sexes. Dans la rue, ils voient en effet des représentants des deux sexes ; il n'y a donc pas débat…

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Thierry Lagrange, conseiller de l'Ordre du Grand Orient de France

Je ne répondrai que sur certains points, notamment sur les données de santé, les autres ayant déjà été largement abordés par mes collègues. Les données de santé doivent bien évidemment rester la propriété des patients et ne doivent en aucun cas être commercialisées. Leur divulgation ne peut intervenir qu'après l'accord explicite des individus concernés.

Je ne reviendrai pas sur la PMA, nous en avons déjà beaucoup débattu.

Doit-on se mettre à niveau ou anticiper ? C'est une excellente question. Construisons-nous notre société par rapport à une autre ? Je rappelerai que notre pays – pays des Lumières – a connu une forme de splendeur et a beaucoup éclairé l'Europe à une certaine époque… Je vous renvoie donc la question : doit-on se contenter de se mettre à niveau ou anticiper la société de demain ?

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Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France

Je partage beaucoup des propos que j'ai entendus. Sur les données de santé, je suis tout à fait d'accord avec les points de vue exprimés.

La levée de l'anonymat doit être la plus large possible car l'enfant doit pouvoir accéder à ses origines. C'est une attente forte car cela permet la construction de l'individu. Elle est donc indispensable lorsque les enfants le souhaitent.

Concernant les modèles familiaux, ils sont déjà tellement divers que l'adaptabilité de l'enfant et de l'école sont grandes : gardes alternées, pères ou mères élevant seuls leurs enfants pour cause de veuvage, etc. Ces cas sont fréquents et leurs conséquences sur l'enfant ne sont pas celles que l'on pourrait imaginer. S'il est entouré, les choses se passent bien !

À partir du moment où une personne ou un couple – quel qu'il soit – a recours à ce type de technique pour construire sa famille, l'enfant est attendu et souvent très entouré. Ces enfants sont peut-être encore plus pris en charge que d'autres. Nous avons tous autour de nous des familles de deux femmes ou deux hommes qui ont eu des enfants. On les voit grandir et être extrêmement épanouis. L'amour qui les entoure va bien au-delà de toutes nos craintes morales !

Quant au législateur, il fait les deux : il se met à niveau et il anticipe. C'est votre rôle et c'est le plus difficile ! Nous ne pouvons sans doute pas aller au-delà pour vous aider dans votre démarche.

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Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître de la Grande Loge de France

Au nom du pluralisme des conceptions que j'évoquais tout à l'heure, il va de soi que l'opinion des évêques est forcément la bienvenue. Elle est importante pour le débat et le pluralisme des idées auxquels nous sommes tous attachés. Parmi nous, il y a des croyants fervents et des non-croyants tout aussi fervents, et c'est tant mieux !

Concernant les données de santé, nous l'avons écrit et je le redis : nous sommes opposés à leur exploitation marchande, au bénéfice de telle ou telle idéologie, ou pour tel ou tel profit commercial. Pour autant, des données colossales sont recueillies – en particulier par l'assurance maladie en France. On peut en tirer énormément pour faire avancer la connaissance. Malheureusement, la communication est insuffisante. L'assurance maladie les garde sous le coude et ne diffuse qu'une toute petite partie d'entre elles. Elle ne recueille d'ailleurs que celles qui peuvent servir son objet – financer les soins – alors que, si le recueil était mieux géré et l'ensemble des informations mieux diffusé, la science pourrait avancer ! Nous sommes très en retard en ce qui concerne l'épidémiologie et la prévention. Bien entendu, le respect absolu du caractère privé des données individuelles est un préalable, seule l'analyse des données de masse ayant un sens.

Sur l'anonymat du donneur, certaines publications récentes le soulignent : chaque enfant doit pouvoir exprimer cette demande de connaissance de ses origines, à condition que le donneur ait indiqué au moment de son don qu'il n'était pas opposé à ce que son identité soit divulguée. On pourrait imaginer ne pas accepter de dons qui ne respecteraient pas ce critère, mais ce serait peut-être aller trop loin ?

Doit-on garantir à tous l'accès à ce progrès médical ? Certainement, sous réserve d'une légitimité médicale, psychologique ou sociale. La légitimité psychologique ou sociale est souvent formalisée, mais chaque demande devrait être évaluée collégialement. Dans ce cas, naturellement, si la collectivité reconnait la demande comme légitime, et même si le bénéfice est individuel, il ne peut pas y avoir de discrimination dans l'accès et la prise en charge. Je précise que cette réponse n'engage que moi, car nous n'avons pas élaboré de réflexion collective sur ce sujet.

Il est clair que le fait que les deux parents soient de genre différent n'est pas une garantie d'amour. À l'inverse, deux parents de même genre peuvent tout à fait avoir une vie conjugale ou maritale sans vie sexuelle. Cela peut parfaitement se concevoir et c'est totalement légitime. Si ces parents expriment un désir de parentalité, l'éducation de leur enfant sera de qualité au moins équivalente à celle de parents de genre différent qui seraient en conflit permanent.

Votre dernière question est sans doute la plus intéressante au plan de l'éthique : la loi doit-elle anticiper ? Vous êtes élu pour un mandat dont le terme est fixé par la Constitution. C'est sans doute malheureux pour nous, comme pour vous. Les lois de bioéthique sont révisables, mais les réviser trop vite n'a pas de sens ; de même, ne pas les réviser serait ridicule. La loi doit édicter les règles de la société que l'on peut très raisonnablement anticiper.

Nous avons été nombreux à employer le mot « sagesse » au cours de ces débats. Nous sommes effectivement attachés à la sagesse : nous devons anticiper raisonnablement et avec sagesse les évolutions prévisibles et vraisemblables. Par exemple, nous avons évoqué le dépistage génétique, son coût et les technologies utilisées, de même que le recueil et les moyens d'analyse en masse des données de santé. Nous avons de bonnes raisons d'anticiper ce qui est vraisemblable pour les quatre à sept ans à venir. Cela me semble un terme raisonnable.

La loi s'applique dès sa promulgation et sa durée de vie moyenne est liée aux progrès de la science ou aux évolutions sociétales. Il faut donc anticiper, mais raisonnablement et avec sagesse.

La séance s'achève à dix heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 8 h 45

Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Élise Fajgeles, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Patricia Gallerneau, Mme Caroline Janvier, Mme Brigitte Liso, M. Jean François Mbaye, Mme Mireille Robert, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti