Mesdames, messieurs, merci de nous avoir accueillis pour cette audition. La Fédération française de l'ordre maçonnique mixte international Le Droit humain regroupe 17 000 femmes et hommes attachés aux valeurs fondamentales d'humanisme de la franc-maçonnerie et soucieux de respecter les droits fondamentaux de chaque citoyen, quel que soit son âge ou son statut. Nos fondateurs, il y a cent vingt-cinq ans, ont défini comme priorités la réduction des inégalités sociales et la défense, notamment, des droits des femmes et des enfants, vu le contexte de l'époque. Nous continuons dans cette voie.
Depuis 2009, la commission bioéthique de notre conseil national travaille sur les progrès scientifiques et leurs conséquences, non encore prévisibles à ce jour, elle anime des conférences publiques sur les enjeux éthiques et des experts reconnus nationalement sont consultés. C'est avec la devise républicaine, qui est aussi celle de notre obédience et d'autres que nous pouvons défendre nos propositions : la liberté, de choisir sa vie et sa mort : l'égalité de tous face aux options en corrigeant les inégalités financières, locales et culturelles ; la fraternité, enfin, en aidant l'autre dans ses choix, avec tolérance et bienveillance, en sachant qu'aucune loi ne viendra répondre à toutes les douleurs individuelles, à tous les parcours de vie et de mort.
Concernant la fin de vie, si la loi du 2 février 2016, dite « Claeys-Leonetti », est et doit être une loi citoyenne, comme toute loi future éventuelle, le choix de la fin de vie reste intime. De ce fait, nous ne demandons pas, nous, la dépénalisation de l'euthanasie. Concernant cette loi, il s'avère surtout qu'il faut engager une véritable pédagogie générale pour expliquer et diffuser en termes simples et clairs ce que sont les directives anticipées, le tiers digne de confiance et le consentement éclairé. La définition de l'obstination déraisonnable et de l'acharnement thérapeutique doit elle aussi être précisée ; je pense que nous y reviendrons, et M. Juttner, président de la commission bioéthique, pourra prendre la parole à ce sujet.
Nous voudrions aussi souligner que le rôle des équipes soignantes et de leur formation est capital, mais les restrictions financières imposées aux établissements de soins et actées depuis de nombreuses années empêchent les soignants de jouer leur fonction d'accompagnants et d'écoutants. La nouvelle loi prendra-t-elle ce facteur en compte ?
Nous surveillons de près ce qu'il en est du matériel génétique, des manipulations génétiques et des applications de celles-ci dans les domaines scientifique, expérimental et thérapeutique. Plusieurs perspectives nous préoccupent, par exemple les chimères. Les travaux sur les chimères questionnent notre définition de l'humain dont les limites deviennent floues du fait des évolutions biotechnologiques. Une chimère est un être vivant, composé d'éléments provenant de deux individus ou de deux espèces différentes. Des approches de chimères cellulaires ont été utilisées pour « humaniser » des animaux. La perspective scientifique et médicale de produire, par exemple, dans des cochons ou dans des chèvres, des organes humains complets – coeur, foie, etc. – est au centre de notre réflexion éthique. La limite de ces expériences de chimérisme cellulaire réside dans le risque de voir les cellules humaines coloniser les différents tissus animaux, comme celles du cerveau ou des tissus germinaux à l'origine des gamètes. Nul ne peut en prévoir aujourd'hui les conséquences réelles, et les partisans de ces travaux justifient ces recherches scientifiquement, car elles permettent de mieux comprendre l'embryogénèse. Le but est également de donner naissance à des animaux chimériques ayant des organes humains à la fois pour tester de nouvelles approches thérapeutiques et pour réaliser des greffes d'organes. La pénurie actuelle d'organes est certainement l'une des raisons majeures des recherches sur les chimères et de leur financement.
Notre première considération éthique est celle du respect des animaux utilisés dans l'expérimentation animale. La deuxième apparaît du fait de l'utilisation de cellules-souches qui seront à l'origine des organes ou des tissus humains utilisés pour des greffes dans ces chimères. La troisième amène à s'intéresser au risque de transmission à la descendance animale de matériel génétique humain. La quatrième concerne la modification potentielle des animaux par l'ajout de capacités cognitives réservées normalement à l'humain : capacités de raison, de rationalité ou de conscience de soi. Cela aboutirait à se poser la question éthique de l'utilisation d'animaux sans leur consentement. Certaines thèses dites « antispécistes » vont même jusqu'à nier l'existence des espèces plaçant tous les êtres sous un même statut. Or la frontière entre espèces est celle qui conditionne notre humanité. Toutes ces expériences, toutes ces expérimentations devraient être soumises à une commission de contrôle pour approbation.
Quant à la génétique et à la prédictivité, les techniques mises en oeuvre dans ce domaine portent leur lot de questionnements propres. Quelles limites fixer à la quête d'un enfant en bonne santé quand on sait que, dans certains pays, la recherche de l'enfant parfait pourrait entraîner une élimination d'un grand nombre d'embryons ou de grossesses à l'issue de diagnostics préimplantatoires ? Cela doit nous pousser à réfléchir sur les risques réels de dérives eugéniques. De plus, l'idée qu'une prédiction génétique possible pourrait mettre à l'abri de la survenue d'un handicap chez l'enfant relève du fantasme et méconnaît le rôle de l'environnement dans ce domaine.
Tout cela interroge sur la place de la vulnérabilité dans une société où l'individualisme est érigé en vertu. Cela n'invite-t-il pas ceux qui sont attachés aux valeurs de solidarité et de fraternité à la plus grande vigilance ? Les enjeux éthiques, lutte contre l'eugénisme, espoir de l'humain parfait, transhumanisme… Tout cela lié au débat sur la PMA et la GPA… Et si le but était d'obtenir un enfant parfait ?
Les cellules-souches embryonnaires sont pluripotentes, c'est-à-dire capable d'être à l'origine de toutes les cellules de l'organisme. Un élément central de cette réflexion éthique porte sur le statut de l'embryon. Alors qu'il n'est fait que de quelques cellules, l'embryon est-il déjà une personne humaine ? Se pose la question de la définition de l'humain. Pour nous, francs-maçons du Droit Humain, ce qui rend humain, c'est la capacité d'exercer nos principes de liberté, c'est-à-dire de choix, de libre arbitre, d'égalité et de fraternité, donc de considération de l'autre dans sa singularité et sa dignité, mais cela ne nous dit pas à quel moment cet embryon doit être considéré comme un être humain porteur de la dignité qui lui est associée.
Sur le plan juridique, il faut citer la Convention internationale d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et la bioéthique, ratifiée par la France en 2011 : les recherches doivent assurer une protection adéquate de l'embryon et il est interdit de créer des embryons à des fins de recherche. Le questionnement rejoint alors celui de la réification de l'embryon et de la dignité humaine. Un autre enjeu est l'utilisation des embryons à des fins de procréation avec la possibilité de les trier, au risque de faciliter des pratiques qui s'apparentent à l'eugénisme – ceci n'est pas le cas de la sélection des embryons avant réimplantation chez la femme, lorsqu'il s'agit de prévenir la naissance d'enfants porteurs d'une pathologie grave. Cette discussion fait écho à celle relative à l'interruption thérapeutique de grossesse.
Rappelons aussi qu'il est possible d'envisager de modifier les caractéristiques génétiques des embryons pour créer de nouveaux types d'humains, à l'instar des animaux transgéniques.
Enfin, les perspectives commerciales font que ces recherches sont d'un intérêt majeur pour les sociétés privées, à peine freinées par la directive européenne 9844 du 6 juillet 1998.
Les enjeux éthiques liés à la recherche sur l'embryon ou sur les cellules-souches embryonnaires opposent utilitarisme et dignité de l'humain. La discussion éthique s'ouvre sur la question : faire progresser la connaissance sur le développement de l'embryon, ou pour soulager la souffrance d'autrui ou bien détruire un embryon précoce qui a la potentialité de donner un être humain ? Il faut également oeuvrer pour une harmonisation du droit au plan international, afin d'éviter un tourisme scientifique et en se gardant des théories transhumanistes qui voudraient créer des humains augmentés.
Quant au débat sur la levée de l'anonymat des dons de gamètes, suite logique de cette discussion, il faut le reprendre pour harmoniser les différents textes, à savoir la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et la loi de 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État. Cette levée, on le sait, est possible dans certains pays, sans que cela résolve le problème. Elle doit concilier des intérêts contradictoires : d'une part, le droit à une identité légale ; d'autre part, le droit d'accoucher anonymement. Son principe doit répondre à une demande exprimée par tous sujets nés d'un don de gamètes et il faut protéger les donneurs, en leur faisant formuler leur éventuel accord. Cela rejoint les questionnements sur la PMA et la GPA, en sachant qu'aucune position unanime ne s'est dégagée au sein du Droit Humain – c'est difficile à 17 000…
Dernier point, nous travaillons en ce moment sur les greffes utérines – notre rapport définitif n'est pas rédigé. Sur le plan éthique, nous interpellent notamment les risques chirurgicaux et psychiques, tant pour les donneuses que pour les receveuses. Nous en parlerons peut-être au cours du débat.
En conclusion, ce que nous pouvons dire, c'est que la nouvelle loi de bioéthique se doit d'encadrer la recherche scientifique et médicale en lui fixant les limites du respect des fondamentaux de l'humanité, notamment à propos du début et de la fin de vie. Elle se doit aussi d'interdire toute forme de marchandisation et de visée eugénique des cellules humaines et de respecter notre patrimoine génétique comme bien commun inaliénable.