Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens évidemment à vous remercier d'avoir accepté d'entendre la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France. Je tiens également à saluer le comité consultatif national d'éthique (CCNE) – et son président – pour les auditions qu'il a organisées. Il a rendu hier des avis qui nous permettront d'éclairer davantage les décisions qui vous incomberont de prendre d'ici à quelques mois – étant entendu que nos réflexions en matière de bioéthique ne sont pas passionnelles.
J'écoutais hier soir la rédactrice en chef du journal La Croix, lors d'un débat télévisé ; elle s'est montrée très ouverte, en phase avec la réalité et non pas avec l'idéologie que brandit une minorité dont elle semblait s'être totalement affranchie. Vous ne devez pas avoir peur des chiffons rouges que cette minorité agite sans raison – seules la pédagogie et la diffusion des études scientifiques atténueront les angoisses de certains face à l'inéluctable évolution de la société.
Entre connaissance et croyance, nous choisissons le champ de la connaissance éclairée et non celui des croyances obscures. Car, depuis vingt-six ans, la commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France réfléchit aux enjeux majeurs de notre société, réfléchit à tout ce qui nous concerne et touchera nos enfants.
Durant toute l'année, nous recevons de nombreux experts issus de tous horizons, afin qu'ils nous parlent de notre vie et anticipent notre futur, que leurs projections soient des plus sombres ou, heureusement, des plus lumineuses et, surtout, des plus progressistes car nos travaux, les auditions que nous organisons, s'effectuent sans tabou et sans ces hypocrisies dont les politiques ont bien conscience.
Le Grand Orient de France entend se prononcer sur trois grands moments de la vie d'un être humain : sa naissance, son désir de procréation, sa mort. Il m'a semblé symbolique, emblématique que les trois sujets clivants de notre société soient ceux qui bouleversent notre existence-même, nos fondements, nos racines, notre structure, ce socle qu'il ne faut surtout pas questionner car, de notre vie à notre mort, de quelle étape sommes-nous les possesseurs, jusqu'à présent ? Aucune, quoique... Quid de notre existence, de notre conception ? Non, nous ne naissons pas dans les choux, nous ne sommes pas livrés par des cigognes – pardonnez mon sarcasme. La réalité, c'est un désir d'enfant, propre, intrinsèque, et nul ne peut s'arroger d'imposer le devoir de deuil d'un enfant, qu'il s'agisse d'infertilité chez un homme ou de difficultés chez une femme, d'un couple homosexuel, d'une femme célibataire. Le désir d'un enfant est personnel – il peut être questionné, certes, mais il est « étant », or « étant », c'est « actant », donc tous les chemins seront possibles pour devenir parents. Aussi comment, dans un premier temps, demanderont certains, encadrer un certain nombre d'actes, comment combler un vide juridique ?
Saluons déjà le progrès que constitue la proposition par le CCNE de donner la possibilité de conserver les ovocytes et surtout de mener des recherches génomiques sur les embryons surnuméraires. Voilà qui permettra, à terme, d'éviter aux familles de souffrir mais aussi de penser l'évolution de l'humanité sans la moindre dérive eugéniste et dysgénique et cela avec le consentement des familles.
De la procréation à la naissance, le CCNE étant favorable à la cryogénisation des ovocytes mais également à une PMA sans père, post mortem – j'y insiste : sans père, donc les petites voix manifestantes ne nous feront pas peur –, vous ne pourrez que vous montrer favorables à la PMA et à la GPA.
D'ailleurs un communiqué du Grand Orient de France reprenait déjà un avis du CCNE du 15 juin 2017 – antérieur, donc, au dernier avis rendu – : « Le Grand Orient de France souhaite que cette évolution vers plus d'égalité et de justice sociale se réalise rapidement. Il suffit pour cela que le législateur prenne toutes ses responsabilités, conformément aux principes de notre République laïque. Il serait contre-productif de relancer à cette occasion d'éternels débats de société qui font la part belle aux lobbies politico-religieux, voire provoquent des déferlements d'homophobie, comme en 2013. Le droit de toutes les femmes à la PMA, leur égalité, quelles que soient leurs préférences sexuelles et leur mode de vie, ne doivent pas plus être otages des campagnes politiciens que des anathèmes religieux. […] Le vrai débat, qui revient au Parlement, doit porter sur la faisabilité technique et financière – notamment les conditions de remboursement – de cette ouverture de la PMA. Le Grand Orient de France met en garde contre tout amalgame avec l'indispensable réflexion sur la GPA (gestation pour autrui), sujet de nature différente, qui pose d'autres types de questions que l'on ne peut considérer tranchées à ce jour. »
Sur ce sujet, nous tenons à éveiller les consciences sur l'existence d'un suivi médical non divulgué, en France, de couples ayant pratiqué la GPA suivant des techniques dites artisanales, sur la nécessité de penser la législation de la non-marchandisation du corps et donc sur une GPA altruiste, éthique, encadrée comme en Belgique où, depuis vingt ans, soixante-dix de ces GPA ont été pratiquées, enfin sur l'indécence de la non-reconnaissance d'enfants issus d'une marchandisation du corps et nés en dehors du territoire, ce qui a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Quand allons-nous en finir avec ces pratiques, avec cette hypocrisie, quand allons-nous ôter nos oeillères ? Quid de ces enfants, de l'impact psychologique sur eux de leur non-reconnaissance identitaire et quid de la nécessité d'établir une filiation ? Combien sont ces enfants en France ? Pensons à eux, ne les stigmatisons pas : tout comme vous et moi, ils n'ont pas demandé à naître. Leur liberté d'être et d'advenir est un droit fondamental. C'est pourquoi mieux vaut encadrer et contrôler ce qui se pratique pour ne pas aigrir des êtres et surtout, j'y insiste, pour empêcher toute marchandisation du corps.
Après notre vie, la naissance d'un autre qui affronte ce douloureux chemin, ces épreuves interminables, il reste notre mort. Nous sommes nés, nous nous sommes développés, nous nous sommes réalisés, à notre manière, mais nous allons mourir. Réalisons-le à cet instant et, là, se pose la question fondamentale : dans quelles conditions ? Comme nous souhaitons ? Comme nous l'imaginions ? Comme nous le craignions ?
Le débat sur la fin de vie, car nous ne pouvons dire l'euthanasie, reprend. Depuis la loi dite « Leonetti-Claeys », la difficulté principale vient du fait qu'elle mobilise la question de l'autonomie et de la liberté d'un individu et des limites morales et juridiques de la responsabilité du législateur. Il faudrait certes former davantage le corps médical et communiquer auprès de la population, mais quid des exceptions ? Mais quid de l'autonomie du malade en fin de vie et de la situation médicale ? Quid de l'abandon qui accompagne souvent la fin de vie ? Car la reconnaissance de la complexité de la situation, indispensable, peut être un écueil masquant l'objet pratique de notre réflexion, celui sur lequel on peut agir ? Dans cette perspective, il n'y a pas d'opposition entre soins palliatifs et euthanasie : la souffrance du malade peut annoncer la nécessité de l'interruption de la vie. Les situations concrètes sont extrêmement diverses selon la position des malades sur le chemin de la vie et les conditions médicales tant techniques qu'humaines. Chaque situation est singulière, mais la préoccupation première doit être celle de la liberté des hommes et des femmes pour choisir leur destin. Cette liberté doit être informée et responsable. Cela signifie que l'implication des soignants, des « sachants » comme celle des proches, s'impose.
Certains arguent du très faible nombre de mourants qui choisissent effectivement l'euthanasie, même avec un préjugé favorable pour nier l'importance du sujet. Dans notre perspective de progrès, de maîtrise de son destin par chacun dans notre société, nous ne saurions sous-estimer à quel point il est important de laisser le choix. La question n'est absolument pas de traiter du suicide médicalement assisté, elle est de décider de mourir, suivant l'avis médical et le recueil des directives anticipées. L'acte d'euthanasie doit être un acte médical ordonné par un médecin et susceptible d'être soumis a posteriori à une évaluation. Soulignons que tout doit être fait pour que l'acte médical soit situé dans le contexte humain, familial et, pour ceux qui le souhaitent, spirituel le plus ouvert.
La question n'est pas non plus la légalisation de l'euthanasie, mais la dépénalisation de l'acte médical raisonné, justifié et humainement responsable. Dans le cadre de la dépénalisation conditionnelle, on ne pourrait pas faire n'importe quoi, car tout écart aux bonnes pratiques relèverait du pénal. Il nous semble nécessaire d'aller plus loin que la loi Leonetti-Claeys, en particulier dans le sens de la dépénalisation conditionnelle de l'acte d'euthanasie. L'euthanasie concerne la liberté, l'autonomie d'un être humain. Pour autant, s'agissant d'un malade, l'autonomie ne permet pas de rendre l'homme et la femme propriétaires de leur corps : cela permet l'ouverture du colloque singulier entre un patient et son médecin. Le patient doit faire une demande consciente éclairée, libre et réitérée. Le médecin doit dire que la situation médicale est sans issue et avoir la possibilité d'invoquer la clause de conscience.
Mesdames, messieurs les députés, la seule conclusion que je souhaite vous apporter reste cette interrogation : « Comment pensez-vous votre vie face à votre miroir et non pas face à vos prochaines projections législatives ? Et combien de vos et nos concitoyens pensent ainsi ? » Connaissance contre croyance, le Grand Orient de France a dit.