Nous arrivons à gérer nos frustrations : cela fait partie du travail maçonnique… (Sourires.)
Je me suis senti visé par certaines questions, d'autant que c'est moi qui ai dit que la recherche d'humanité était à la fois permanente et infinie, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de modèle préétabli, et que cette interrogation était sans cesse renouvelée. L'idée d'une nature à laquelle on ne pourrait pas toucher me choque d'un point de vue quasi ontologique. Cela ne signifie pas que l'on doive aller vers une espèce d'antihumanisme, ou même vers la disparition de l'humanité, mais simplement qu'on doit débattre sur le contenu qu'on prête à la nature humaine, et qu'à mon avis ce débat a vocation à durer longtemps.
J'en viens à la question du dogmatisme persistant à l'égard du modèle familial. Il me semble qu'on admet aujourd'hui plus facilement qu'un couple n'est pas nécessairement constitué d'un homme et d'une femme – et cela n'a pas toujours été de la plus grande des évidences. En revanche, je pense qu'il y a encore quelques réticences et résistances en ce qui concerne la famille.
Même s'il existe des modèles de famille recomposée qui sont devenues monnaie courante, nous n'avons pas tout à fait le même regard sur la famille. Certains ont tendance à penser qu'une famille doit être constituée, par exemple, d'un couple ayant des enfants, ce qui pose encore une fois la question de la fertilité. Est-ce qu'un couple n'ayant pas d'enfants n'est pas déjà une famille ? Il faudrait peut-être mobiliser d'autres cultures et d'autre représentations. Encore une fois, le modèle familial ne doit pas être quelque chose d'arrêté définitivement et de figé dans le marbre.
Lorsque j'ai indiqué qu'il fallait avoir une approche opérationnelle et non métaphysique, j'ai voulu dire qu'on ne devait pas être dans une logique hypothético-déductive, c'est-à-dire qu'on ne devait pas partir d'un certain nombre de prémisses qui tiennent à des valeurs, pour en déduire tout le raisonnement. Il faut avoir une approche pragmatique et concrète. D'où la différence que je fais entre la science et la religion. La science procède, comme je l'ai dit, par essais et erreurs, et elle remet en cause ses connaissances. Elle met sans cesse à l'épreuve une connaissance en considérant qu'elle n'est effectivement pas acquise, et qu'il n'y a pas de vérité ultime et définitive – un point sur lequel je vous rejoins tout à fait, madame la députée.
Certains grands auteurs et mathématiciens, par exemple Henri Poincaré, ont parlé de la valeur de la science. C'est aussi pour cela que je dis que la question de la bioéthique ne doit pas être totalement détachée de notre rapport à la recherche et à la science. Et c'est pour cela que j'insiste sur la nécessité des investissements en matière de recherche.
Poincaré a eu cette phrase célèbre : « La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une grande nuit, mais c'est cet éclair qui est tout. »
On est sur quelque chose d'ouvert, de méthodique, et le doute est notre moteur. On doit se débarrasser de toute conviction, de toute croyance dès qu'elle n'est plus valable, dès qu'elle n'est plus opérationnelle, dès qu'elle n'est plus féconde. Une pensée n'est pas figée. Et surtout, on doit s'interroger par rapport à la colère. Je trouve que la colère est intéressante. Pourquoi certaines affirmations, certaines idées nous mettent-elles en colère ? Cela nous renvoie souvent plus à nous-même qu'aux autres. Il est intéressant de connaître ces ressorts dans notre mode de pensée.