Aux deux modèles éthiques que vous proposez, celui de l'autonomie et celui de la vulnérabilité, je voudrais en ajouter un troisième, issu de la philosophie morale, qui tend de plus en plus à s'intégrer dans la réflexion politique : l'éthique conséquentialiste, soit l'éthique des conséquences, qui pose la question du : « Que se passe-t-il si... ? »
S'agissant du mariage pour tous, par exemple, que se passe-t-il si tout le monde se marie ? Qu'est-ce que cela enlève et à qui ? Le mariage pour tous n'empêche clairement pas les hétérosexuels de se marier. Si l'on autorise les femmes homosexuelles à bénéficier d'une aide à la procréation, l'éthique des conséquences oblige à se poser la question des conséquences. À qui cela enlève-t-il quelque chose ? À qui cela permet-il une amélioration ? Si l'on change le regard et que l'on résout l'antagonisme entre vulnérabilité et autonomie que vous mettiez en avant avec une troisième voie, qui est l'éthique des conséquences, on peut aborder les choses différemment. Un autre exemple me vient à l'esprit : celui de l'avortement. Le fait d'autoriser l'avortement à toutes les femmes n'a pas empêché les femmes de faire des enfants. On peut se faire avorter à un moment donné et avoir un enfant par la suite voire un deuxième ou un troisième. Le droit ouvre une possibilité qui n'enlève rien à personne et apporte un plus à ceux qui le souhaitent.
S'agissant du rapport à l'enfant et à la famille, Irène Théry parle de l'engendrement, qui est autre chose que la filiation. N'oublions pas trop vite la question des évolutions biotechnologiques. Dans la mesure où ces pratiques sont possibles, si nous ne légiférons pas, les femmes et les hommes iront quand même à l'étranger, tant qu'il n'y aura pas, au minimum, d'harmonisation au sein de l'Union européenne. Par conséquent, ce que l'on ne veut pas voir chez nous se passe de toute façon ailleurs, grâce aux biotechnologies qui y sont offertes.
Sur la levée du critère de l'infertilité, si on le lève pour les femmes hétérosexuelles, je ne vois pas très bien comment on pourrait ne pas le lever pour les femmes homosexuelles. Ce serait un peu compliqué de distinguer les unes des autres dans un texte de loi. Je ne devine pas au visage de quelqu'un s'il est hétérosexuel ou homosexuel. Une femme homosexuelle peut devenir hétérosexuelle ou l'inverse. Des amies ont d'ailleurs fait des coming-out un peu surprenants… Le critère de l'infertilité concerne toutes les femmes. Le lever pour les hétérosexuelles et le maintenir pour celles qui ne le sont pas me semble illogique.
Je ne comprends pas le lien entre la question de la levée du critère d'infertilité et l'homme augmenté. Cela sous-entendrait-il que les femmes homosexuelles auront des enfants par nature plus intelligents et mieux que les autres ou que l'utilisation du matériel génétique fera que ces femmes choisiront d'avoir des enfants de meilleure qualité ? Ce que je sais, c'est que, globalement, les femmes et les hommes veulent avoir aujourd'hui un enfant qui leur est lié par leur patrimoine génétique.