Intervention de Nathalie Rives

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Nathalie Rives :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les vice-présidents, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions vivement de nous offrir aujourd'hui l'opportunité de nous exprimer sur la révision de la loi de bioéthique.

L'ouverture de mon propos va sans doute vous sembler surprenante, mais vous comprendrez ultérieurement la raison de l'utilisation de ces termes. Mikado, dominos et chamboule-tout ne sont pas la liste des cadeaux prévus pour le prochain Noël, mais désignent précisément ce que pourrait être la loi de bioéthique révisée. Mikado et dominos ont été repris dans le rapport du Conseil d'Etat ; quant au chamboule-tout, il s'agit du chamboule-tout de la bioéthique, dont se font largement écho les médias actuellement.

Les débats préalables à la révision de la loi de bioéthique ont commencé avec une question posée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » J'y ajouterais volontiers l'interrogation suivante : « Quelle AMP voulons-nous pour demain ? ».

La réflexion éthique ne doit pas être écartée de la mise en oeuvre pratique de cette loi révisée, au risque sinon d'aboutir au chamboule-tout, au mikado et aux dominos, et non aux meilleures solutions.

L'année 1973 marque la création du premier CECOS à Paris, sous forme d'une association « loi de 1901 », visant à mettre en oeuvre le don. La Fédération française des CECOS, créée également sous forme associative, a vu le jour en 1983. En 1992, les CECOS sont devenus des unités fonctionnelles au sein des CHU, tandis que la Fédération française des CECOS, qui coordonne ces activités, restait une association type loi 1901. On compte, en 2018, 28 CECOS en France métropolitaine et outre-mer. La Fédération est toujours une association « loi de 1901 », alors même que Simone Veil avait indiqué en 1992, lors de l'intégration des CECOS, que la Fédération devait maintenir son rôle de coordination et que l'on devrait développer, au travers de cette fédération, un réseau de soin. Ces 28 CECOS sont tous situés à l'heure actuelle dans des centres hospitaliers universitaires (CHU). Leurs responsables assurent simultanément des missions d'enseignement, de recherche et de soin. Aujourd'hui, nos activités ne sont plus uniquement celles de l'AMP avec tiers donneur et de la préservation de la fertilité ; nous pratiquons tout type d'activités d'AMP, même en intraconjugal, ce qui signifie que tous les questionnements autour de l'AMP nous concernent directement.

Nous allons toutefois centrer notre propos sur l'AMP avec tiers donneur, incluant le don de spermatozoïdes, auquel on pense le plus couramment, mais aussi le don d'ovocytes et l'accueil d'embryons, moins souvent évoqués, y compris dans les débats relatifs à la révision de la loi de bioéthique.

Nous souhaitons pour notre part le maintien, dans la loi révisée, des grands principes du don, mais demandons aussi que soient apportées certaines améliorations et évolutions. Gratuité et volontariat, altruisme, solidarité et humanité doivent ainsi être maintenus et perdurer pour les futurs candidats au don, écartant toute motivation basée uniquement sur la marchandisation et la perspective d'une contrepartie. Cela fait écho aux demandes des jeunes conçus par don, qui insistent sur le fait qu'ils ne souhaitent pas être le fruit d'un produit marchand. Cela nécessite entre autres de revoir dans la loi le principe de la conservation de gamètes à usage autologue comme contrepartie au don pour les donneurs n'ayant pas procréé. Si c'était maintenu dans la prochaine loi, il faudrait détacher les deux aspects, c'est-à-dire séparer cette démarche de celle du don et envisager de pouvoir la proposer aux donneurs n'ayant pas procréé et qui le demanderaient. En effet, cela crée actuellement une certaine inégalité entre donneurs ayant procréé et donneurs n'ayant pas procréé.

Le don est gratuit, mais il a un coût, notamment pour les donneurs de spermatozoïdes et les donneuses d'ovocytes qui s'engagent dans cette démarche. En effet, la prise en charge financière est mauvaise actuellement, surtout pour les donneurs de spermatozoïdes, avec une inégalité de prise en charge au niveau national en fonction des établissements où sont mises en oeuvre les activités de don, mais également avec la prise en charge possible à 100 % pour les donneuses d'ovocytes, alors que ce n'est pas le cas pour les donneurs de spermatozoïdes, pour une raison que nous ignorons.

Le don a également un coût pour la société, ainsi que pour les établissements qui le mettent en oeuvre. Nous considérons que les modalités de financement actuelles des activités de don ne sont pas adaptées et ne permettent pas un don dynamique et efficace au niveau national. Nous souhaitons ainsi redéfinir les centres de don, en proposant de désigner une équipe de coordination du don et des moyens nécessaires pour que cette activité soit efficace, plutôt que de l'indemniser sur service rendu. Nous souhaitons que ces activités puissent être maintenues dans les établissements publics à but non lucratif, pour la gestion des donneurs. Un grand plébiscite national des centres publics et privés a eu lieu en faveur du maintien des activités de don de spermatozoïdes au sein des CECOS, en facilitant la coopération avec les établissements privés. Cela s'accompagne de la nécessité d'amplifier le rôle de coordination nationale de la Fédération des CECOS, et peut-être de revoir son statut, en lui reconnaissant un véritable statut de réseau de soin et de coordination.

La question de l'anonymat n'est pas dénuée d'affect. Elle soulève bien des controverses et est largement discutée en ce moment, à tous points de vue. Nous souhaitons pour notre part le maintien du principe d'anonymat des donneurs, que l'AMP soit proposée pour les couples infertiles, les couples de femmes ou les femmes seules. Se fonder uniquement sur le témoignage de jeunes adultes conçus par don, qui expriment leur souhait de connaître l'identité du donneur, serait ignorer l'ensemble des avis actuellement exprimés et souvent sous-estimés. Il existe en effet une pluralité des avis parmi les jeunes conçus par don. Certains, regroupés essentiellement au sein de l'association « PMAnonyme », souhaitent connaître l'identité du donneur. D'autres ne se positionnent pas réellement et ne souhaitent finalement pas la levée de l'anonymat du donneur, prenant en compte l'existence d'une pluralité d'avis sur ce sujet : ils sont majoritairement partisans de l'« Association des enfants du don » (ADEDD). D'autres enfin ne parlent pas, ne militent pas, ne se reconnaissent dans aucune association, mais témoignent auprès de nos centres et se disent choqués par la perspective d'une levée d'anonymat, par le jugement que l'on peut porter sur leur propre avis et surtout par les difficultés rencontrées à l'heure actuelle par leurs parents face à ces débats remettant en question leur responsabilité lorsqu'ils ont décidé de concevoir leurs enfants par don. Il ne faut pas selon nous considérer uniquement comme prioritaire le bien-être de l'enfant né du don, passé, présent ou à venir, mais également avoir conscience des questionnements émanant des couples receveurs et des donneurs, que l'on a probablement souvent sous-estimés.

Nous souhaitons toutefois une représentation plus humanisée des donneurs de gamètes et d'embryons. La société a évolué et nous devons aller dans ce sens. Ainsi, nos propositions ne consistent pas en une levée de l'anonymat du don, mais visent à la transmission de données non identifiantes aux enfants, aux parents et aux donneurs qui le demanderaient. Il faut tenir compte des trois parties en présence. Nous souhaitons que soit constitué dans ce cadre un registre national des donneurs et plus largement un registre national du don, géré en dehors des CECOS, par une entité indépendante qui se chargerait de la collecte des données identifiantes et non identifiantes. Les données médicales du don resteraient gérées par les équipes médicales. J'insiste ici sur le fait que les professionnels des CECOS ne souhaitent plus être les seuls garants de ces données identifiantes et non identifiantes et demandent que leurs activités soient recentrées sur le soin, pour une meilleure prise en charge des donneurs, des couples receveurs et des enfants issus du don. D'aucuns envisageaient la possibilité de confier la gestion de ce registre au Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP). Je ne souscris pas à cette idée conduisant à une confusion entre les enfants issus du don et les enfants nés sous X, qui présentent des différences notables dans l'appréhension de leurs situations. Je pense que cela doit relever d'une entité différente, peut-être plus dynamique, plus adaptée aux jeunes adultes susceptibles de contacter cette plateforme.

Il m'apparaît en outre fondamental de respecter la vie privée de chacune des familles conçues grâce au don, mais aussi des donneurs, quels qu'ils soient, et de leur famille.

Nous refusons également la possibilité d'un don à double guichet, comme il avait été envisagé dans le cadre d'un projet de loi soumis en 2006 par Valérie Pécresse et d'autres députés. Le double guichet ne ferait qu'accentuer les inégalités entre les enfants conçus par don : ce n'est donc pas la solution le plus adaptée.

L'accès à l'AMP avec tiers donneur, pour l'instant réservé aux couples hétérosexuels dont l'homme et la femme sont vivants et en âge de procréer, soulève des questions. Ce texte doit évoluer. La Fédération française des CECOS est favorable à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et n'est pas opposée à son ouverture aux femmes seules, même si son avis est plus réservé concernant ce dernier cas. Cette réticence n'est pas liée à l'idée que ces femmes seraient incapables d'élever un enfant seules. Nous pensons simplement qu'il faudrait prévoir un accompagnement spécifique, comme cela est proposé par exemple en Belgique, et qu'il se pourrait ainsi, comme c'est le cas pour les couples infertiles, que toutes les demandes ne soient pas acceptées si le don n'apparaissait pas comme la meilleure solution pour faire famille.

Pour ce qui est de l'AMP pour les couples de femmes ou les femmes seules, nous souhaitons que la prise en charge soit comparable à celle des couples infertiles, c'est-à-dire que soit mis en place un parcours médicalisé et des conditions de mise en oeuvre similaires, afin d'éviter toute discrimination. Cela signifie que nous acceptons les différentes façons de faire famille.

Il ne faut toutefois pas ignorer que ces changements de conditions d'accès à l'AMP vont entraîner une multiplication des demandes par deux ou trois. A l'heure actuelle, nous sommes en mesure de répondre favorablement aux demandes de don de spermatozoïdes dans des délais acceptables pour les couples infertiles. La réponse à la demande de don d'ovocytes est en revanche beaucoup plus longue. Si l'élargissement de l'accès à la PMA se fait, il est clair que nous ne pourrons plus répondre dans les mêmes délais aux couples infertiles et que nous ne pourrons pas satisfaire favorablement les demandes des couples de femmes et des femmes seules dans des délais tels que ceux qui leur sont proposés à l'heure actuelle lorsqu'elles s'adressent éventuellement à des centres en Belgique ou à la banque de sperme danoise Cryos, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des femmes en couples ou seules qui souhaitent concevoir en dehors du contexte national. Des échanges récents avec des représentants de la banque Cryos m'ont permis de comprendre qu'ils se préparaient à la possibilité d'exporter des spermatozoïdes en France, dans un circuit légal, dans le cadre de la loi révisée. Il faut toutefois savoir qu'il s'agit d'une organisation à visée purement commerciale, qui n'a pas pour but premier d'aider ces femmes en demande. Nous ne sommes par conséquent pas favorables à cette possibilité.

Comment faire face à ces nouvelles demandes ? Il s'agit là d'une question récurrente, à laquelle je suis soumise au quotidien de la part des journalistes. Or ce n'est assurément pas aux membres de la Fédération des CECOS d'y répondre. Si le législateur décide de changer la loi, il devra également anticiper ces changements et les mesures pratiques à mettre en place pour répondre de manière acceptable et dans des délais satisfaisants à toutes ces demandes. Ce n'est pas le rôle des professionnels de santé de se charger du recrutement des donneurs, même si nous y contribuons largement : cela relève des missions de l'Agence de la biomédecine et de l'Etat si des changements interviennent dans le cadre de la loi.

Si l'on considère la conjonction entre l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules et la modification éventuelle des conditions d'anonymat du don, alors il est certain que pendant un délai non précis de plusieurs années, le don de spermatozoïdes en France serait complètement déstabilisé et que nous ne pourrions plus répondre à la demande. Nous connaissons en effet déjà de grandes difficultés à recruter des donneurs dans les conditions actuelles. Ce point mérite donc d'être souligné.

Evoquer l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules impose par ailleurs nécessairement, par un jeu de dominos, de réfléchir à la possibilité de la conservation ovocytaire pour les femmes, en dehors du contexte médical. En effet, les études menées à l'étranger montrent que les profils des femmes en demande d'enfant alors qu'elles sont seules sont les mêmes que ceux des femmes qui seront en demande de conservation de leurs ovocytes à usage personnel.

Cela impose aussi de réfléchir à la question de l'AMP post-mortem. Comment, en effet, accepter qu'une femme seule, veuve, puisse bénéficier d'un don de spermatozoïdes, alors même qu'on lui refuserait l'utilisation des embryons ou des spermatozoïdes conservés dans le cadre d'un projet d'enfant avec son conjoint ensuite décédé, ce dernier ayant donné son accord de son vivant ? Cela mérite réflexion.

Enfin, se présenteront certainement à nous, outre des demandes de spermatozoïdes, des demandes émanant de femmes en situation d'infertilité, auxquelles pourra être proposé un accueil d'embryon. La question du double don de gamètes se posera alors également.

Vous comprenez à présent la raison pour laquelle j'ai utilisé, en introduction, les termes « mikado », « dominos » et « chamboule-tout » : tous renvoient à l'édifice du don, qui va s'écrouler si l'on ne prend pas la précaution d'anticiper ces éventuelles modifications et leur mise en oeuvre pratique. L'important réside donc dans la capacité à anticiper, en tenant compte de l'avis des professionnels de terrain. En effet, lorsque la loi aura été modifiée, le débat éthique va s'atténuer, les journalistes seront moins présents, mais les professionnels que nous sommes se retrouveront face aux difficultés suscitées par cette situation nouvelle. Sachez que dans le cadre des précédentes révisions de la loi de bioéthique, bon nombre de mesures ont été publiées, dont la mise en application a parfois nécessité quatre ou cinq ans, voire davantage. Concernant par exemple l'ouverture aux donneurs et donneuses n'ayant pas procréé, il a fallu quatre ans pour que les décrets d'application soient publiés et nous en avons été informés la veille pour le lendemain. Comment, dans ces conditions, accueillir les nouveaux candidats au don dans de bonnes conditions, alors que nous ne disposions d'aucune modalité relative au consentement ou à l'accueil, d'aucun moyen supplémentaire. Je connais très bien la loi de bioéthique, puisque mon activité a débuté le 1er septembre 1994, soit après la promulgation de la première loi. J'ai donc eu la chance de connaître toutes les révisions successives et toutes les difficultés auxquelles nous avons été confrontés dans ce cadre.

Notre souhait est de participer à l'AMP et d'être en mesure d'offrir aux femmes et aux hommes concernés les conditions les meilleures. N'essayons pas de tout chambouler, au risque d'aboutir au développement d'un circuit de don « sauvage » et de demandes inadaptées. Lorsque l'on se pose la question des origines, comment imaginer retrouver l'identité du donneur, voire les origines, pour tous les enfants qui seraient conçus au travers d'un don « sauvage » ou en faisant appel à des banques à l'étranger. Je vous avoue avoir été surprise, lorsque j'ai passé trois jours au sein de la banque Cryos, de découvrir son mode de fonctionnement et de constater qu'elle se situait non dans un établissement de santé, mais dans le même immeuble que des institutions financières. Cela montre bien que le fonctionnement de ce type d'établissement ne correspond pas à celui proposé en France jusqu'alors.

Je vous remercie.

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