Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE
Mercredi 3 octobre 2018
Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission
La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition du Pr Nathalie Rives, présidente de la fédération française des centres d'étude et de la conservation du sperme CECOS (Centre d'Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain), responsable du CECOS de Rouen Normandie, du Dr Florence Eustache, présidente de la commission scientifique et technique de la Fédération des CECOS, responsable du CECOS de Jean Verdier (Bondy), et de M. Nicolas Mendes, vice-président de la commission des psychologues de la fédération des CECOS, psychologue clinicien au CECOS de Jean Verdier (Bondy) et de Cochin (Paris).
La séance débute à dix heures dix.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous invite à prendre place pour la deuxième audition de cette matinée, qui va nous permettre d'entendre les représentants des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS), structures qui jouent notamment un rôle très important dans l'accompagnement et le soutien des couples devant recourir à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec don.
Mme le professeur Nathalie Rives est présidente de la Fédération française des CECOS et responsable du CECOS de Rouen-Normandie. Mme le docteur Florence Eustache est présidente de la commission scientifique et technique de la Fédération des CECOS et responsable du CECOS de l'hôpital Jean-Verdier de Bondy. Nous accueillons également M. Nicolas Mendes, psychologue clinicien aux CECOS des hôpitaux Jean-Verdier et Cochin. Je tiens à vous remercier tous trois d'avoir accepté de venir dialoguer avec nous.
Notre mission d'information est notamment amenée à s'interroger sur l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ou encore la levée de l'anonymat des dons de gamètes. Nous souhaiterions par conséquent recueillir votre expertise sur ces thématiques. Je vous laisse la parole pour des exposés liminaires, avant de passer à un temps d'échange de questions et réponses. Je rappelle que nos débats sont enregistrés.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les vice-présidents, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions vivement de nous offrir aujourd'hui l'opportunité de nous exprimer sur la révision de la loi de bioéthique.
L'ouverture de mon propos va sans doute vous sembler surprenante, mais vous comprendrez ultérieurement la raison de l'utilisation de ces termes. Mikado, dominos et chamboule-tout ne sont pas la liste des cadeaux prévus pour le prochain Noël, mais désignent précisément ce que pourrait être la loi de bioéthique révisée. Mikado et dominos ont été repris dans le rapport du Conseil d'Etat ; quant au chamboule-tout, il s'agit du chamboule-tout de la bioéthique, dont se font largement écho les médias actuellement.
Les débats préalables à la révision de la loi de bioéthique ont commencé avec une question posée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » J'y ajouterais volontiers l'interrogation suivante : « Quelle AMP voulons-nous pour demain ? ».
La réflexion éthique ne doit pas être écartée de la mise en oeuvre pratique de cette loi révisée, au risque sinon d'aboutir au chamboule-tout, au mikado et aux dominos, et non aux meilleures solutions.
L'année 1973 marque la création du premier CECOS à Paris, sous forme d'une association « loi de 1901 », visant à mettre en oeuvre le don. La Fédération française des CECOS, créée également sous forme associative, a vu le jour en 1983. En 1992, les CECOS sont devenus des unités fonctionnelles au sein des CHU, tandis que la Fédération française des CECOS, qui coordonne ces activités, restait une association type loi 1901. On compte, en 2018, 28 CECOS en France métropolitaine et outre-mer. La Fédération est toujours une association « loi de 1901 », alors même que Simone Veil avait indiqué en 1992, lors de l'intégration des CECOS, que la Fédération devait maintenir son rôle de coordination et que l'on devrait développer, au travers de cette fédération, un réseau de soin. Ces 28 CECOS sont tous situés à l'heure actuelle dans des centres hospitaliers universitaires (CHU). Leurs responsables assurent simultanément des missions d'enseignement, de recherche et de soin. Aujourd'hui, nos activités ne sont plus uniquement celles de l'AMP avec tiers donneur et de la préservation de la fertilité ; nous pratiquons tout type d'activités d'AMP, même en intraconjugal, ce qui signifie que tous les questionnements autour de l'AMP nous concernent directement.
Nous allons toutefois centrer notre propos sur l'AMP avec tiers donneur, incluant le don de spermatozoïdes, auquel on pense le plus couramment, mais aussi le don d'ovocytes et l'accueil d'embryons, moins souvent évoqués, y compris dans les débats relatifs à la révision de la loi de bioéthique.
Nous souhaitons pour notre part le maintien, dans la loi révisée, des grands principes du don, mais demandons aussi que soient apportées certaines améliorations et évolutions. Gratuité et volontariat, altruisme, solidarité et humanité doivent ainsi être maintenus et perdurer pour les futurs candidats au don, écartant toute motivation basée uniquement sur la marchandisation et la perspective d'une contrepartie. Cela fait écho aux demandes des jeunes conçus par don, qui insistent sur le fait qu'ils ne souhaitent pas être le fruit d'un produit marchand. Cela nécessite entre autres de revoir dans la loi le principe de la conservation de gamètes à usage autologue comme contrepartie au don pour les donneurs n'ayant pas procréé. Si c'était maintenu dans la prochaine loi, il faudrait détacher les deux aspects, c'est-à-dire séparer cette démarche de celle du don et envisager de pouvoir la proposer aux donneurs n'ayant pas procréé et qui le demanderaient. En effet, cela crée actuellement une certaine inégalité entre donneurs ayant procréé et donneurs n'ayant pas procréé.
Le don est gratuit, mais il a un coût, notamment pour les donneurs de spermatozoïdes et les donneuses d'ovocytes qui s'engagent dans cette démarche. En effet, la prise en charge financière est mauvaise actuellement, surtout pour les donneurs de spermatozoïdes, avec une inégalité de prise en charge au niveau national en fonction des établissements où sont mises en oeuvre les activités de don, mais également avec la prise en charge possible à 100 % pour les donneuses d'ovocytes, alors que ce n'est pas le cas pour les donneurs de spermatozoïdes, pour une raison que nous ignorons.
Le don a également un coût pour la société, ainsi que pour les établissements qui le mettent en oeuvre. Nous considérons que les modalités de financement actuelles des activités de don ne sont pas adaptées et ne permettent pas un don dynamique et efficace au niveau national. Nous souhaitons ainsi redéfinir les centres de don, en proposant de désigner une équipe de coordination du don et des moyens nécessaires pour que cette activité soit efficace, plutôt que de l'indemniser sur service rendu. Nous souhaitons que ces activités puissent être maintenues dans les établissements publics à but non lucratif, pour la gestion des donneurs. Un grand plébiscite national des centres publics et privés a eu lieu en faveur du maintien des activités de don de spermatozoïdes au sein des CECOS, en facilitant la coopération avec les établissements privés. Cela s'accompagne de la nécessité d'amplifier le rôle de coordination nationale de la Fédération des CECOS, et peut-être de revoir son statut, en lui reconnaissant un véritable statut de réseau de soin et de coordination.
La question de l'anonymat n'est pas dénuée d'affect. Elle soulève bien des controverses et est largement discutée en ce moment, à tous points de vue. Nous souhaitons pour notre part le maintien du principe d'anonymat des donneurs, que l'AMP soit proposée pour les couples infertiles, les couples de femmes ou les femmes seules. Se fonder uniquement sur le témoignage de jeunes adultes conçus par don, qui expriment leur souhait de connaître l'identité du donneur, serait ignorer l'ensemble des avis actuellement exprimés et souvent sous-estimés. Il existe en effet une pluralité des avis parmi les jeunes conçus par don. Certains, regroupés essentiellement au sein de l'association « PMAnonyme », souhaitent connaître l'identité du donneur. D'autres ne se positionnent pas réellement et ne souhaitent finalement pas la levée de l'anonymat du donneur, prenant en compte l'existence d'une pluralité d'avis sur ce sujet : ils sont majoritairement partisans de l'« Association des enfants du don » (ADEDD). D'autres enfin ne parlent pas, ne militent pas, ne se reconnaissent dans aucune association, mais témoignent auprès de nos centres et se disent choqués par la perspective d'une levée d'anonymat, par le jugement que l'on peut porter sur leur propre avis et surtout par les difficultés rencontrées à l'heure actuelle par leurs parents face à ces débats remettant en question leur responsabilité lorsqu'ils ont décidé de concevoir leurs enfants par don. Il ne faut pas selon nous considérer uniquement comme prioritaire le bien-être de l'enfant né du don, passé, présent ou à venir, mais également avoir conscience des questionnements émanant des couples receveurs et des donneurs, que l'on a probablement souvent sous-estimés.
Nous souhaitons toutefois une représentation plus humanisée des donneurs de gamètes et d'embryons. La société a évolué et nous devons aller dans ce sens. Ainsi, nos propositions ne consistent pas en une levée de l'anonymat du don, mais visent à la transmission de données non identifiantes aux enfants, aux parents et aux donneurs qui le demanderaient. Il faut tenir compte des trois parties en présence. Nous souhaitons que soit constitué dans ce cadre un registre national des donneurs et plus largement un registre national du don, géré en dehors des CECOS, par une entité indépendante qui se chargerait de la collecte des données identifiantes et non identifiantes. Les données médicales du don resteraient gérées par les équipes médicales. J'insiste ici sur le fait que les professionnels des CECOS ne souhaitent plus être les seuls garants de ces données identifiantes et non identifiantes et demandent que leurs activités soient recentrées sur le soin, pour une meilleure prise en charge des donneurs, des couples receveurs et des enfants issus du don. D'aucuns envisageaient la possibilité de confier la gestion de ce registre au Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP). Je ne souscris pas à cette idée conduisant à une confusion entre les enfants issus du don et les enfants nés sous X, qui présentent des différences notables dans l'appréhension de leurs situations. Je pense que cela doit relever d'une entité différente, peut-être plus dynamique, plus adaptée aux jeunes adultes susceptibles de contacter cette plateforme.
Il m'apparaît en outre fondamental de respecter la vie privée de chacune des familles conçues grâce au don, mais aussi des donneurs, quels qu'ils soient, et de leur famille.
Nous refusons également la possibilité d'un don à double guichet, comme il avait été envisagé dans le cadre d'un projet de loi soumis en 2006 par Valérie Pécresse et d'autres députés. Le double guichet ne ferait qu'accentuer les inégalités entre les enfants conçus par don : ce n'est donc pas la solution le plus adaptée.
L'accès à l'AMP avec tiers donneur, pour l'instant réservé aux couples hétérosexuels dont l'homme et la femme sont vivants et en âge de procréer, soulève des questions. Ce texte doit évoluer. La Fédération française des CECOS est favorable à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et n'est pas opposée à son ouverture aux femmes seules, même si son avis est plus réservé concernant ce dernier cas. Cette réticence n'est pas liée à l'idée que ces femmes seraient incapables d'élever un enfant seules. Nous pensons simplement qu'il faudrait prévoir un accompagnement spécifique, comme cela est proposé par exemple en Belgique, et qu'il se pourrait ainsi, comme c'est le cas pour les couples infertiles, que toutes les demandes ne soient pas acceptées si le don n'apparaissait pas comme la meilleure solution pour faire famille.
Pour ce qui est de l'AMP pour les couples de femmes ou les femmes seules, nous souhaitons que la prise en charge soit comparable à celle des couples infertiles, c'est-à-dire que soit mis en place un parcours médicalisé et des conditions de mise en oeuvre similaires, afin d'éviter toute discrimination. Cela signifie que nous acceptons les différentes façons de faire famille.
Il ne faut toutefois pas ignorer que ces changements de conditions d'accès à l'AMP vont entraîner une multiplication des demandes par deux ou trois. A l'heure actuelle, nous sommes en mesure de répondre favorablement aux demandes de don de spermatozoïdes dans des délais acceptables pour les couples infertiles. La réponse à la demande de don d'ovocytes est en revanche beaucoup plus longue. Si l'élargissement de l'accès à la PMA se fait, il est clair que nous ne pourrons plus répondre dans les mêmes délais aux couples infertiles et que nous ne pourrons pas satisfaire favorablement les demandes des couples de femmes et des femmes seules dans des délais tels que ceux qui leur sont proposés à l'heure actuelle lorsqu'elles s'adressent éventuellement à des centres en Belgique ou à la banque de sperme danoise Cryos, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des femmes en couples ou seules qui souhaitent concevoir en dehors du contexte national. Des échanges récents avec des représentants de la banque Cryos m'ont permis de comprendre qu'ils se préparaient à la possibilité d'exporter des spermatozoïdes en France, dans un circuit légal, dans le cadre de la loi révisée. Il faut toutefois savoir qu'il s'agit d'une organisation à visée purement commerciale, qui n'a pas pour but premier d'aider ces femmes en demande. Nous ne sommes par conséquent pas favorables à cette possibilité.
Comment faire face à ces nouvelles demandes ? Il s'agit là d'une question récurrente, à laquelle je suis soumise au quotidien de la part des journalistes. Or ce n'est assurément pas aux membres de la Fédération des CECOS d'y répondre. Si le législateur décide de changer la loi, il devra également anticiper ces changements et les mesures pratiques à mettre en place pour répondre de manière acceptable et dans des délais satisfaisants à toutes ces demandes. Ce n'est pas le rôle des professionnels de santé de se charger du recrutement des donneurs, même si nous y contribuons largement : cela relève des missions de l'Agence de la biomédecine et de l'Etat si des changements interviennent dans le cadre de la loi.
Si l'on considère la conjonction entre l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules et la modification éventuelle des conditions d'anonymat du don, alors il est certain que pendant un délai non précis de plusieurs années, le don de spermatozoïdes en France serait complètement déstabilisé et que nous ne pourrions plus répondre à la demande. Nous connaissons en effet déjà de grandes difficultés à recruter des donneurs dans les conditions actuelles. Ce point mérite donc d'être souligné.
Evoquer l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules impose par ailleurs nécessairement, par un jeu de dominos, de réfléchir à la possibilité de la conservation ovocytaire pour les femmes, en dehors du contexte médical. En effet, les études menées à l'étranger montrent que les profils des femmes en demande d'enfant alors qu'elles sont seules sont les mêmes que ceux des femmes qui seront en demande de conservation de leurs ovocytes à usage personnel.
Cela impose aussi de réfléchir à la question de l'AMP post-mortem. Comment, en effet, accepter qu'une femme seule, veuve, puisse bénéficier d'un don de spermatozoïdes, alors même qu'on lui refuserait l'utilisation des embryons ou des spermatozoïdes conservés dans le cadre d'un projet d'enfant avec son conjoint ensuite décédé, ce dernier ayant donné son accord de son vivant ? Cela mérite réflexion.
Enfin, se présenteront certainement à nous, outre des demandes de spermatozoïdes, des demandes émanant de femmes en situation d'infertilité, auxquelles pourra être proposé un accueil d'embryon. La question du double don de gamètes se posera alors également.
Vous comprenez à présent la raison pour laquelle j'ai utilisé, en introduction, les termes « mikado », « dominos » et « chamboule-tout » : tous renvoient à l'édifice du don, qui va s'écrouler si l'on ne prend pas la précaution d'anticiper ces éventuelles modifications et leur mise en oeuvre pratique. L'important réside donc dans la capacité à anticiper, en tenant compte de l'avis des professionnels de terrain. En effet, lorsque la loi aura été modifiée, le débat éthique va s'atténuer, les journalistes seront moins présents, mais les professionnels que nous sommes se retrouveront face aux difficultés suscitées par cette situation nouvelle. Sachez que dans le cadre des précédentes révisions de la loi de bioéthique, bon nombre de mesures ont été publiées, dont la mise en application a parfois nécessité quatre ou cinq ans, voire davantage. Concernant par exemple l'ouverture aux donneurs et donneuses n'ayant pas procréé, il a fallu quatre ans pour que les décrets d'application soient publiés et nous en avons été informés la veille pour le lendemain. Comment, dans ces conditions, accueillir les nouveaux candidats au don dans de bonnes conditions, alors que nous ne disposions d'aucune modalité relative au consentement ou à l'accueil, d'aucun moyen supplémentaire. Je connais très bien la loi de bioéthique, puisque mon activité a débuté le 1er septembre 1994, soit après la promulgation de la première loi. J'ai donc eu la chance de connaître toutes les révisions successives et toutes les difficultés auxquelles nous avons été confrontés dans ce cadre.
Notre souhait est de participer à l'AMP et d'être en mesure d'offrir aux femmes et aux hommes concernés les conditions les meilleures. N'essayons pas de tout chambouler, au risque d'aboutir au développement d'un circuit de don « sauvage » et de demandes inadaptées. Lorsque l'on se pose la question des origines, comment imaginer retrouver l'identité du donneur, voire les origines, pour tous les enfants qui seraient conçus au travers d'un don « sauvage » ou en faisant appel à des banques à l'étranger. Je vous avoue avoir été surprise, lorsque j'ai passé trois jours au sein de la banque Cryos, de découvrir son mode de fonctionnement et de constater qu'elle se situait non dans un établissement de santé, mais dans le même immeuble que des institutions financières. Cela montre bien que le fonctionnement de ce type d'établissement ne correspond pas à celui proposé en France jusqu'alors.
Je vous remercie.
Merci, madame la présidente. Je vous propose de passer à une série de questions et réponses.
Dans son rapport, l'Agence de la biomédecine a évoqué l'extension de l'autorisation des centres d'AMP au secteur privé. Vous avez fait référence à la banque Cryos, mais il serait également possible d'imaginer des implantations de telles structures sur le territoire français. Les règles actuelles vous semblent-elles suffisantes pour réguler une possible pénétration de votre activité par les lois du marché ?
Lors d'une précédente audition, le professeur Jacques Testart mettait en garde contre une transparence peut-être insuffisante concernant l'appariement entre les gamètes et leur sélection. Pensez-vous que des évolutions pourraient être apportées afin de lever les doutes et les procès d'intention dans ce domaine ?
Je vais répondre à votre première question et Florence Eustache à la deuxième. Nous avons régulièrement, lors de congrès scientifiques, des contacts avec ces banques étrangères, qui sont toutes dans l'attente de connaître les éventuelles modifications de la loi française. Cryos, dans un courrier récent, déplore de ne pas pouvoir, de manière légale, exporter vers la France les paillettes conservées dans sa structure.
Pourrait-il y avoir infiltration du circuit français par les lois du marché ? Si l'on supprime la gratuité du don et que l'on passe à un système de don rémunéré, il est tout à fait possible que ces banques s'installent en France. Cela serait toutefois soumis à la nécessité d'autorisation. Le contrôle de ces autorisations s'effectue via les agences régionales de santé (ARS), avec une validation de l'Agence de la biomédecine. Nous savons que les dispositifs d'autorisation de nombreuses activités médicales sont en cours de révision, y compris celles intervenant dans le domaine de l'AMP. Un contrôle pourrait donc être effectué par l'administration, visant à ne pas autoriser ce type d'installation. Il ne nous appartient toutefois pas de le dire, mais à l'administration de le prévoir.
Je puis en tout cas vous affirmer que ces banques étrangères sont en attente et en demande de pouvoir exporter légalement leurs paillettes vers la France. Je vous avoue que je n'y suis guère favorable, pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à l'aspect financier. Quel nombre de naissances peut-on par exemple accepter pour un donneur ? En France, il est limité à dix, afin notamment de limiter les possibilités de rencontres entre des apparentés conçus par don. Cela a été évalué de manière réelle, par des généticiens des populations. Or la banque Cryos ne se préoccupe absolument pas de cet aspect et adapte ce nombre à la législation de chaque pays dans lequel elle exporte ses paillettes. Or certains pays ne disposent d'aucune législation en la matière et il n'existe bien souvent aucun retour sur l'ensemble des utilisations. Un donneur de la banque Cryos peut donc avoir 200, 300 ou 400 enfants conçus à partir de ses spermatozoïdes. Cela dépasse selon moi l'acceptable et m'apparaît comme de la démesure. Certains choix en termes de qualité et d'attribution des paillettes sont également discutables. Ces banques ne se préoccupent par exemple absolument pas de l'âge des femmes auxquelles elles adressent des paillettes. Imaginons une femme de 53 ans commandant des paillettes pour s'auto-inséminer : il est inutile de les lui vendre. Ces banques ne s'inquiètent pas de savoir si, sur le plan médical, il existe un risque éventuel à ce que les femmes qui s'adressent à elles soient enceintes. Elles ne se préoccupent pas de savoir si les conditions requises pour une grossesse sont réunies.
Si des modifications interviennent dans la loi française quant aux conditions d'accès au don, nous, professionnels, souhaiterions que soit interdite l'importation de paillettes de l'étranger pour le don en France, bien que cela apparaisse comme une solution facile pour éviter la pénurie qui ne manquera pas de survenir alors. Il faut anticiper et déployer une démarche efficace, stratégique, afin de ne pas avoir à envisager cette possibilité.
L'appariement suscite de nombreux fantasmes. Comment cela se déroule-t-il concrètement au sein des CECOS ? Lorsque nous recevons un donneur ou une donneuse, un bilan est effectué, de même qu'une enquête génétique visant à s'assurer que la personne n'est pas porteuse d'une maladie génétique. Lorsque nous accueillons les couples receveurs, nous tenons compte des phénotypes physiques – couleur des yeux, des cheveux, taille, poids, etc. –, de façon à disposer d'un gabarit et d'une représentation du couple. Nous pratiquons de la même façon avec les donneurs. L'idée présidant à l'appariement est que l'enfant soit cohérent avec le couple. Nous respectons donc également les ethnies. J'ai entendu M. Testart parler d'eugénisme lors de son audition. Je ne vois pas en quoi nos pratiques pourraient s'apparenter à de l'eugénisme : nous essayons simplement de faire en sorte que l'enfant soit cohérent avec les parents. S'assurer par ailleurs que le donneur ou la donneuse ne présentent pas de risques sanitaires pour l'enfant me semble logique. Nous n'acceptons pas, par exemple, une donneuse présentant des antécédents de cancer du sein, car cela nécessiterait ensuite de mettre en place un suivi chez l'enfant et serait difficile à faire accepter par un couple.
Je tiens à souligner tout d'abord que tout le monde connaît et reconnaît la qualité et la rigueur du travail effectué par les CECOS. Ce n'est évidemment jamais remis en question, car le bienfait en est manifeste.
J'ai cependant une question sur la démarche, qui reflète un état d'esprit spécifique à notre pays : depuis l'origine, votre travail s'est fondé sur des principes a priori, qui se sont heurtés à la réalité. Or cela n'a pas nécessairement été suffisamment observé avec tout le pragmatisme voulu. Prenons les deux principes essentiels que sont le secret et la gratuité. Dès l'origine, s'est affirmée la volonté que le secret soit quasi absolu, cherchant en définitive à protéger plutôt le père d'intention et son souhait de ne pas faire connaître son infertilité, qu'à répondre au besoin psychologique de l'enfant. On se rend compte aujourd'hui que ce n'est pas tenable, d'abord parce que certains enfants peuvent retrouver, par des moyens scientifiques, leur père biologique, mais aussi parce que chacun perçoit la nécessité, pour tout enfant, de connaître la vérité sur ses origines. Tout le monde s'accorde désormais sur le fait que, avant même l'adolescence, ces enfants doivent avoir des notions sur les conditions de procréation dont ils sont issus et, plus tard, bénéficier d'une forme d'accès à leurs origines, qui ne suppose pas forcément un contact avec leur père biologique, mais peut consister en des données non identifiantes. Tout cela correspond à un besoin, à une nécessité pour le développement. Pourquoi, selon vous, ce besoin de protéger le secret a-t-il prévalu pendant si longtemps, alors même que la demande d'accès aux origines émergeait ? Je me souviens que la même question s'était déjà posée lors de précédentes révisions de la loi de bioéthique et avait été balayée d'un revers de main, comme si l'on sous-estimait la capacité des enfants à s'adapter à la vérité. Or nous savons que chaque enfant est susceptible de s'adapter à diverses situations, pour peu que des explications lui soient données, avec des mots correspondant à son âge. Pourquoi ne pas avoir privilégié l'intérêt de l'enfant par rapport à celui du père d'intention ?
Si l'on va, en pratique, dans des conditions à définir, vers un meilleur accès aux origines, comment gérer la situation de tous ceux qui ont été donneurs auparavant, dans un contexte dans lequel ce secret prévalait ? Seriez-vous d'accord pour redemander à tous les hommes qui ont donné des gamètes s'ils accepteraient que des indications les concernant soient éventuellement transmises aux enfants issus de leur don ?
Vous avez évoqué la pénurie de gamètes. Pourquoi si peu de campagnes sont-elles organisées pour recruter de nouveaux donneurs ? Pourquoi sont-elles si peu largement répandues ? Comment imaginez-vous de les mener à l'avenir ? Pensez-vous que cette mission doive vous incomber, éventuellement conjointement avec d'autres organismes ? Comment obtenir une meilleure adéquation entre l'offre et des besoins qui vont aller croissant ?
Je pense qu'il existe souvent une confusion entre secret et anonymat. Lors des précédentes révisions, la décision prise ne concernait pas le secret, mais bien le maintien de l'anonymat des donneurs. Contrairement à ce que vous avez indiqué, nous insistons, dans nos pratiques – au moins depuis 1994, date avant laquelle je n'étais pas présente dans ce dispositif et ne puis donc témoigner –, lors de la rencontre du médecin puis du psychologue avec les couples, sur l'importance d'informer l'enfant de son mode de conception. Certains couples refusent d'emblée cette idée ; nous travaillons alors avec eux pour les aider à évoluer dans leur démarche, même si nous ne pouvons bien évidemment pas les contraindre à dire la vérité à l'enfant. Nous respectons leur vie privée, tout comme est respectée la vie privée de tous les couples qui procréent, quel que soit le mode de conception, spontané ou non. Les CECOS ne sont absolument pas favorables au secret et incitent toujours les parents à informer les enfants de la réalité de leur mode de conception. Par ailleurs, il convient de souligner que les données publiées dans les études internationales ne portent que sur l'intention d'informer des parents ; aucune n'a jamais été menée sur de grandes cohortes, en France comme à l'étranger, pour vérifier directement auprès des enfants la réalité de cette information. Nous insistons pour que l'enfant reçoive cette information ; mais personne ne peut à l'heure actuelle vérifier que cela se traduit effectivement dans les faits.
La formule « père biologique » me dérange : le donneur donne des spermatozoïdes, la donneuse des ovocytes, mais ils ne donnent pas d'enfant. La question est un peu différente lorsqu'il s'agit d'accueil d'embryon. Les donneurs et donneuses de gamètes ne souhaitent absolument pas devenir pères et mères des enfants qui seront issus de leurs dons.
Les données non identifiantes ont leur intérêt dans une perspective d'évolution du système, visant à humaniser le don. Cela concerne évidemment les enfants qui s'interrogent sur leur donneur, mais aussi les donneurs qui nous demandent parfois si des enfants ont été conçus à partir de leurs dons. Les demandes des enfants conçus à partir d'un don et qui, devenus adultes, réclament la levée de l'anonymat, ne portent pas nécessairement sur l'identité du donneur. J'ai participé la semaine dernière à un colloque organisé par l'association « PMAnonyme » et ai pu échanger avec nombre de ces jeunes adultes. Nous les rencontrons par ailleurs régulièrement dans nos structures et je puis vous dire que révéler l'identité du donneur ne répondra pas à la majorité des interrogations qu'ils expriment, qui tournent souvent autour de la conception et, de plus en plus, de la volonté de connaître d'autres enfants issus du même don et grandissant dans d'autres familles. Il me semble essentiel de respecter la vie privée de chacune des familles ayant eu des enfants grâce à un don. Certains peuvent en effet avoir envie de se rencontrer, d'autres pas. Le dispositif mérite donc selon moi d'être maintenu en ce sens.
Vous avez évoqué la question de la rétroactivité d'une éventuelle levée de l'anonymat des donneurs et la possibilité de réinterroger les anciens donneurs à la lumière de ces nouvelles conditions. Je puis vous dire que cela ne fait pas appel uniquement à la loi de bioéthique, mais aussi au code de déontologie médicale et à notre rôle de médecin. Lorsque nous avons rencontré ces donneurs, nous leur avons fait signer un consentement et nous sommes engagés à respecter l'anonymat qui leur était alors garanti. Je ne vois pas comment nous pourrions revenir sur cette parole donnée. Si des changements réglementaires interviennent, ce ne sont assurément pas les professionnels de santé qui recontacteront les donneurs : cette approche fait l'unanimité au sein de la Fédération des CECOS. Si l'Etat demande d'entrer à nouveau en contact avec les anciens donneurs, alors il lui appartiendra de gérer cette démarche. Cela se heurterait en outre à des difficultés pratiques : il est tout d'abord probable que l'adresse laissée par un homme ayant procédé à un don de sperme trente ans plus tôt ne soit plus la bonne. Imaginez par ailleurs que ce donneur soit décédé et que le courrier parvienne à sa femme ou à ses enfants, alors que ceux-ci n'auraient pas été informés de sa démarche, ainsi que la loi le permet. Cela risquerait de faire plus de mal que de bien, uniquement pour défendre l'intérêt de l'enfant conçu par don. Je puis en tout cas vous dire que si des modifications en ce sens sont introduites dans la loi, nous ne serons pas ceux qui les mettront en oeuvre.
Peu de campagnes d'information ont en effet été menées sur le don de gamètes. Je pense qu'il est écrit dans les textes que cela relève des missions de l'Agence de la biomédecine. Dès lors que les CECOS ont été intégrés en 1992 dans les structures publiques, il ne leur a plus été permis d'effectuer ces informations. En 1994, il a été clairement indiqué qu'il appartenait au ministère de la santé de mener ces campagnes d'information. La première d'entre elles a été effectuée en 1998, à notre demande, car nous avions constaté une chute drastique du nombre de donneurs. Désormais, l'Agence de la biomédecine organise, annuellement ou de manière bisannuelle, des campagnes d'information, que nous relayons sur le terrain ; mais jusqu'à preuve du contraire, nous sommes majoritairement des médecins et ne disposons que de peu de temps pour gérer cet aspect de communication. Les services de communication des hôpitaux n'ont pas non plus les moyens adaptés pour réaliser une communication efficace, d'où notre proposition de créer des équipes de coordination du don, incluant un professionnel de la communication qui s'assurerait localement de l'existence d'une communication permanente autour de ce sujet.
Merci. Je vous propose à présent d'entendre les questions de nos collègues présents dans la salle.
Ma première question porte sur l'évaluation de la loi actuelle. Il nous a été dit lors de l'audition précédente qu'un quart des PMA pratiquées en France ne seraient pas justifiées par rapport aux critères médicaux. Qu'en est-il ? Est-ce vrai ? Est-ce exagéré ?
Suivez-vous par ailleurs les parents après la conception ?
Concernant d'éventuelles évolutions de la loi, vous avez évoqué la transmission de « données non identifiantes » : pourriez-vous en préciser la définition ? A qui ces données appartiennent-elles ? Font-elles partie du patrimoine de l'enfant conçu grâce au don ?
A vous écouter, j'ai le sentiment qu'ouvrir la PMA sans père créerait de nombreuses difficultés. Vous avez même parlé de « chamboule-tout ». Ne serait-il pas plus prudent, sur les évolutions annoncées, de regarder plus attentivement les externalités positives et négatives et tout ce que cela impliquerait ? Les évolutions annoncées peuvent-elles générer selon vous plus de souffrances que celles justifiées pour demander l'ouverture de la PMA sans père ?
J'ai apprécié, chères collègues, la précision de vos propos. Les questions que je souhaiterais vous soumettre concernent tout d'abord la centralisation, la coordination des CECOS, voire – vous l'avez évoquée – une éventuelle modification du statut de la Fédération des CECOS. J'ai été très étonné, lorsque j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet, de constater que, contrairement au don d'organes, il n'existait pas de centralisation, ni en termes de coordination, ni en matière d'information. Autrement dit, un couple consultant par exemple à Montpellier n'a affaire qu'à des donneurs de la périphérie ou de la zone géographique proche de cette ville. Cela diminue forcément, au regard des critères phénotypiques d'appariement, la probabilité de trouver le « bon » donneur. Si la recherche était nationale, les chances seraient plus grandes. Je souhaiterais avoir votre avis sur ce point.
Concernant l'ouverture au secteur privé, je souhaiterais lever une confusion : il n'est pas question ici de marchandisation possible. Il existe ainsi des structures privées, dans des cliniques en France, qui ont exactement le même régime que les CECOS. Quel serait votre sentiment vis-à-vis de ces centres ? Comment envisageriez-vous leur participation éventuelle à la gestion du don ? Pour l'instant, seuls les donneurs ou donneuses se rendant dans les CECOS sont pris en compte. Pourquoi ne pas ouvrir cette possibilité à des centres privés non lucratifs ?
Y a-t-il par ailleurs pénurie de gamètes ? Comme vous l'avez signalé, la liste d'attente est relativement faible pour les spermatozoïdes. Qu'en est-il pour les ovocytes ? Pensez-vous réellement que si la future loi prévoyait une ouverture de la PMA, cela conduirait à une pénurie de donneurs ?
Comment envisagez-vous enfin l'interclassement ou le non interclassement entre les demandes de dons pour des couples infertiles pathologiques et des cas d'infertilité non pathologique – femmes homosexuelles ou femmes seules ?
Vous nous avez exposé la manière dont les 28 CECOS de France étaient structurés et rappelé que cette structuration était fondée sur les principes de gratuité, de volontariat et d'altruisme. Vous nous avez expliqué la rigueur et la qualité de cette organisation, tant du point de vue de la traçabilité des dons que de la prise en charge des couples en demande. Vous avez également indiqué qu'en l'état actuel, les CECOS seraient en difficulté pour répondre à une augmentation de la demande, consécutive à l'éventuel vote dans la loi d'une extension de la PMA. Avez-vous une estimation du niveau d'augmentation de cette demande si la loi était votée ? Quelles seraient alors les mesures à mettre en place en priorité pour que vous soyez en capacité d'y faire face ? Concernant les centres étrangers ne travaillant pas dans les mêmes conditions de rigueur que vos CECOS, une harmonisation de la prise en charge serait-elle envisageable afin que les règles soient les mêmes pour tous ?
Comme vous l'avez rappelé, certains enfants issus de dons de gamètes manifestent, une fois adultes, le désir de connaître leurs origines biologiques. Ce désir a d'ailleurs été consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Le Conseil d'Etat s'est saisi de ce sujet et recommande le maintien des principes d'anonymat et de gratuité du don, afin d'éviter la création de ce qu'il qualifie de « marché ». Concernant la question de l'accès aux origines des enfants nés par don, il explore par ailleurs la piste d'un double guichet, avec accès à l'identité complète si le donneur est d'accord et à des données non identifiantes dans le cas contraire. Il préconise en outre que les CECOS ne soient pas chargés de ce double guichet, mais que cela soit confié à un organisme central, ayant vocation à gérer ces accès aux origines en matière de droit. Quel est votre avis quant à l'existence de ce double guichet et à sa gestion ?
Cette commission a auditionné le professeur Nisand, qui nous a fait part d'une réflexion très pertinente sur notre capacité à garantir l'anonymat dans l'avenir : nous pouvons certes inscrire le principe d'anonymat dans la loi, mais sera-t-il possible de le garantir dans les faits à l'avenir, à l'heure du développement des tests et banques d'ADN ?
Je voudrais à mon tour vous remercier pour vos interventions.
Comme vous le rappeliez, le principe intangible inscrit dans la loi est celui de la gratuité. La France a toujours mis fortement l'accent sur le fait qu'il s'agissait là d'une ligne rouge. Or force est de constater, au travers d'exemples comme celui de la banque Cryos, que cette vision n'est pas partagée et que ce principe y est généralement mis à mal, conduisant au développement d'une logique de marchandisation. Ne pensez-vous pas que s'il devait y avoir une modification des lois de bioéthique, et notamment une ouverture de la PMA, nous courrions alors le risque que se développe sur le sol français une marchandisation telle qu'elle existe dans un certain nombre de pays étrangers ?
Vous indiquiez également que l'Etat devrait, si la loi évoluait, en tirer les conséquences. Pourriez-vous être plus explicite sur ce point ? En tant que législateur, nous nous posons en effet la question de l'impact.
Je souhaite revenir sur la question du « double guichet », dispositif réclamé avec insistance par les personnes issues d'un don de gamètes. Vous avez mentionné également le fait que des parents puissent avoir envie de disposer d'informations sur le donneur et évoqué la question des données non identifiantes. Quelle est votre positionnement sur ce sujet ?
Je vous laisse la parole et le soin de vous répartir les réponses aux questions qui viennent d'être soulevées.
Dans le cadre du don de gamètes, nous ne revoyons pas systématiquement tous les enfants. Il faut savoir en outre que les couples ont généralement eu un long parcours pour essayer d'avoir leur enfant et qu'une fois l'enfant là, ils souhaitent avant tout être tranquilles et qu'on ne les sollicite plus à ce propos. Il n'existe donc pas nécessairement de suivi. Nous revoyons néanmoins ceux qui font une demande de don de spermatozoïdes pour avoir un deuxième enfant. Le psychologue les reçoit, aborde à nouveau avec eux la problématique du secret et s'assure que tout se passe bien avec le premier enfant. Il arrive également que des couples nous envoient spontanément des petits mots pour nous parler de leurs enfants, nous donner des nouvelles.
Je vais répondre aux questions sur les indications de l'AMP et le fait qu'un quart des AMP réalisées ne seraient a priori pas justifiées. Il me semble très difficile de donner un chiffre. Je pense qu'en France, les critères définis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sont respectés dans la majeure partie des cas : un couple ayant des rapports non protégés pendant un an sans conception peut bénéficier d'une exploration d'infertilité et d'un recours à une AMP si des éléments le justifiant sont mis en lumière.
Nous recevons par ailleurs des couples pour lesquels l'infertilité n'est pas pathologique, mais liée au vieillissement, c'est-à-dire à l'âge de la femme au moment du choix de la conception : on pourrait alors considérer que l'AMP n'est pas justifiée, car non susceptible de donner des résultats beaucoup plus intéressants que des essais de conception spontanée. Cela souligne l'importance, dans l'accompagnement de ces changements, de faire des campagnes d'information sur l'âge physiologique de la conception chez les garçons comme chez les filles. Il est important d'informer les jeunes, y compris dans les universités et les formations médicales, sur le moment le plus adapté pour la conception et la baisse de la fertilité avec l'âge.
Le fait que des AMP ne soient pas justifiées pourrait également signifier qu'on les pratique tout en sachant que les chances de succès sont très faibles. Peut-être cela se produit-il parfois ; mais la proportion d'un quart me semble élevée.
Une autre problématique concernait le projet d'enfant chez les femmes seules. Nous ne sommes pas opposés à la prise en charge des femmes seules dans le cadre de la conception d'un enfant, mais avec certaines réserves dans la mesure où ces femmes vont devoir mener une grossesse seules et en affronter seules les éventuelles difficultés. Nous nous plaçons donc sur le plan médical : si l'on étend l'accès de l'AMP aux femmes seules, il faut s'assurer d'une part que le projet d'enfant émane bien de la femme et non, par exemple, de ses parents qui feraient pression sur elle pour devenir grands-parents, d'autre part qu'elle n'est pas isolée et peut s'appuyer sur un entourage solide. Nous ne remettons absolument la capacité d'une femme seule à élever un enfant. J'ignore pour ma part si les difficultés sont plus ou moins grandes dans ce contexte que dans un couple. Nous connaissons de plus en plus de ces femmes, qui ne font pas la démarche dans un but égoïste, mais se trouvent confrontées à la situation actuelle, dans laquelle faire couple n'est pas aussi simple qu'il y a une ou deux décennies. Cette difficulté à faire couple n'empêche pas, au bout d'un certain nombre d'années, que se développe le désir de faire enfant et famille, malgré tout. L'accompagnement doit aller dans ce sens et viser à éviter de répondre à une demande inadaptée : une femme se présentant à vingt ans pour essayer de concevoir un enfant seule ne nous paraît pas une demande raisonnable, dans la mesure où il lui reste du temps pour mener à bien ce projet d'enfant. A l'inverse, nous ne voyons pas de raison de refuser de prendre en charge une femme venant nous consulter à l'âge de trente ou trente-cinq ans et exprimant vraiment ses motivations pour concevoir un enfant, dans un contexte adapté.
Nous avons réalisé une enquête au sein de la Fédération des CECOS afin de savoir ce que les personnels pensaient de la prise en charge des couples de femmes et des femmes seules : les réponses étaient très majoritairement favorables concernant les couples de femmes, un peu moins pour les femmes seules. Il me semble nécessaire de distinguer les deux situations et de ne pas les mettre au même niveau dans le texte.
La littérature relative aux enfants issus de couples de femmes ou de femmes seules est peu abondante et les données en sont souvent biaisées, dans la mesure où se manifestent surtout les personnes n'ayant pas de problème ou se trouvant confrontées au contraire à de grandes difficultés. Les données relatives aux enfants élevés par des couples de femmes sont néanmoins rassurantes. Celles concernant les enfants de femmes seules sont très peu nombreuses.
A également été évoquée la question de la centralisation et de la coordination des CECOS, ainsi que celle de la modification du statut de notre Fédération et de l'ouverture aux centres privés. Il existe à l'heure actuelle un centre privé à Rennes, sous un statut un peu particulier, pour le don d'ovocytes, et une structure à Toulouse pour le don de spermatozoïdes. Nous avons également connaissance d'une potentielle coopération public-privé à Metz, pour le don d'ovocytes, la stimulation étant gérée dans l'établissement public et la partie laboratoire dans une structure privée.
Le privé exclusif doit selon moi s'inscrire dans l'idée d'un fonctionnement non lucratif, sous les mêmes conditions que celles régissant les CECOS. Or il faut savoir que le premier entretien avec un donneur dure une heure trente, pour une cotation de 23 euros. Je ne suis pas sûre que ce même tarif pourrait être garanti dans les deux contextes. Etant dans le secteur public, nous sommes attachés à ce modèle et peut-être ne sommes-nous par conséquent pas les mieux placés pour vous répondre sur ce sujet.
Il nous semble par ailleurs fondamental, dans le cadre du don, de mettre en oeuvre une coordination nationale. Nous en avons fait la demande à l'ancien gouvernement à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse du ministère de la santé. Nous avons également sollicité en vain l'Agence de la biomédecine. Il nous semble pourtant essentiel d'organiser une telle coordination, ainsi qu'un registre national. Pourquoi ne pas adopter une organisation comparable à celle en oeuvre pour les autres types de dons ? Cela permettrait notamment de respecter le nombre de ponctions par donneuses et d'éviter les donneuses itinérantes, qui pourraient être indirectement payées par les couples. Nous n'avons à l'heure actuelle aucun moyen pour le vérifier.
La séance s'achève à onze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique
Réunion du Mercredi 3 octobre 2018 à 9 h 45
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Samantha Cazebonne, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. M'jid El Guerrab, M. Jean-François Eliaou, Mme Élise Fajgeles, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Patrick Hetzel, Mme Brigitte Liso, M. Jean François Mbaye, Mme Bérengère Poletti, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal
Assistaient également à la réunion. – M. Thibault Bazin, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Elsa Faucillon