Je serais tentée de vous demander ce que vous qualifiez précisément de « retard ». Je ne suis pas sûre que cette approche soit forcément pertinente. L'Allemagne a par exemple levé l'anonymat du don de gamètes : est-elle en retard ou en avance sur la France ? Je ne pense pas que la question se pose en ces termes. Il y a selon moi une importance à ne pas considérer que la loi doive courir après l'évolution technologique et que l'impératif technologique doit présider à la réalité du terrain. Il existe à mon sens une conscience de la nécessité de pouvoir être réactif : c'est la raison pour laquelle j'évoquais l'idée de mécanismes plus souples, d'une gouvernance adaptée. La réactivité n'impose pas nécessairement de modifier ce qui avait été convenu au départ, mais d'être capable de réfléchir à nouveau et de se demander, dans un contexte renouvelé, si les principes, interdictions et limites posés doivent être maintenus. Je ne prendrai pas position sur le fait que lever les interdits constitue toujours une source de progrès. D'aucuns affirment au contraire que la bioéthique est l'art de fixer des limites. Pour moi, c'est aussi l'art d'accompagner le progrès, donc de savoir où il faut ouvrir pour le promouvoir et où maintenir les limites lorsque les avancées sont sources d'inquiétudes et de violations. Parfois, garantir des limites permet véritablement d'ouvrir à des développements qui seront sources de progrès. Cela appelle des réflexions concrètes et précises. Je ne suis pas sûre que la France soit une exception pour les points sur lesquels elle s'est prononcée favorablement ou négativement. Il existe une évolution et la France est regardée à bien des égards comme une référence. Il est essentiel de maintenir une vigilance et une réactivité face aux développements. Lorsque l'on parlait par exemple d'édition du génome lors de l'élaboration de la convention d'Oviedo, les techniques étaient extrêmement lourdes. Les circonstances ont changé et il convient de réexaminer les principes posés alors à la lumière de ces développements, afin de voir s'il convient de les maintenir ou de les faire évoluer.
Il m'apparaît en outre essentiel de souligner l'importance de la multidisciplinarité et des études, au-delà des travaux purement scientifiques : il est fondamental de faire entrer l'économie et les sciences sociales dans cette réflexion. Cela contribuera également, me semble-t-il, à nourrir la réflexion de la société. Je souscris donc tout à fait à votre point de vue pour appeler à davantage d'études dans ce domaine et à une plus grande implication de ces disciplines dans la réflexion.
Concernant d'éventuelles sanctions au niveau européen, il faut savoir que la convention d'Oviedo ne dispose pas de processus de monitoring. Je dois avouer qu'au niveau du Conseil de l'Europe, la solution la plus efficace jusqu'à présent est le recours à la Cour européenne des droits de l'homme, qui a pris position, en référence à la convention d'Oviedo, dans des affaires contre des pays, y compris non signataires. La CEDH considère donc la convention d'Oviedo comme un instrument d'interprétation de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Il existe en outre, au niveau de l'Union européenne, un certain nombre d'outils. Dans l'exemple que vous mentionnez, les compétences de l'Union européenne sont relativement limitées en matière de bioéthique, mais tout à fait claires sur la question de l'interdiction du profit. La charte des droits fondamentaux et les directives européennes ont explicitement établi le principe de « don volontaire non rémunéré », assorti de possibilités de sanctions. Il existe donc des mécanismes de sanction, bien que parfois considérés comme insuffisamment efficaces.
Au niveau international, un travail de coopération pour la lutte contre le trafic d'organes est à l'oeuvre, avec, en 2015, une convention du Conseil de l'Europe en matière pénale, qui pousse à une collaboration entre les différents services de transplantation au niveau des Etats du Conseil de l'Europe et au-delà, dans une optique de plus grande efficacité.