Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui le sixième rapport annuel sur les finances publiques locales, qui est le fruit d'un travail entre la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes. Je me réjouis d'être accueilli ce matin par deux commissions – la commission des finances et la commission des lois – ainsi que par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale. Ce format large et inédit témoigne de l'intérêt que vous pouvez prêter à ce rapport et de l'importance du sujet qui nous rassemble aujourd'hui.

Pour vous présenter ce travail, je suis accompagné de Roch-Olivier Maistre, président de chambre et rapporteur général de la Cour, de Christian Martin, président de la formation inter-juridictions chargée de l'élaboration de ce rapport, ainsi que de Bertrand Beauviche et de Perrine Tournade, rapporteurs généraux auprès de cette formation. De nombreux magistrats de la Cour et des chambres régionales ont également contribué à ce rapport.

Avec le rapport annuel sur le budget de l'État, remis en mai, et le rapport annuel sur la sécurité sociale, qui sera publié demain, le document présenté aujourd'hui constitue la troisième séquence et le troisième pilier des travaux de la Cour en matière de finances publiques. De même que les deux premiers, il nourrit le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques globales qui est publié tous les ans en juin. Au même titre que l'État et les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales sont en effet concernées par le respect des engagements européens de la France en matière de finances publiques et de redressement des comptes publics. Nous menons actuellement une réflexion sur la façon dont ce rapport pourrait vous être le plus utile. Nous envisageons éventuellement de le présenter en deux parties : une première partie sur la situation financière des collectivités territoriales, qui pourrait vous être présentée en juin, avant votre débat d'orientation budgétaire, puis une seconde partie à l'automne, qui concernerait plus particulièrement la gestion publique des collectivités territoriales. Si nous pouvons le faire l'année prochaine, je pense que ce pourrait être l'occasion, pour l'ensemble des juridictions financières, de vous être encore plus utiles dans le débat qui est le vôtre sur l'ensemble des finances publiques.

Vous le savez, les enjeux que recouvrent les finances locales sont très importants. Je rappelle qu'en comptabilité nationale, les administrations publiques locales représentaient 18 % de l'ensemble de la dépense publique et 9 % de la dette publique totale en 2017. Par ailleurs, elles bénéficient d'importants transferts financiers de l'État, à hauteur de 101 milliards d'euros en 2017.

Avant de vous présenter nos principaux constats, je voudrais vous faire part d'un élément de contexte et d'un élément de méthode spécifiques à l'édition de cette année. D'abord, nos travaux se sont inscrits dans le contexte particulier d'un changement de paradigme dans la gouvernance des finances publiques locales. Au mécanisme de baisse des dotations de l'État, en vigueur entre 2014 et 2017, a succédé en 2018 un dispositif de contractualisation et de fixation d'un plafond de dépenses. Le rapport présenté aujourd'hui est donc, pour les juridictions financières, l'occasion de présenter un bilan inédit des effets de l'ancien mécanisme et de mettre en lumière les perspectives qu'offre le nouveau. Ensuite, dans la continuité des efforts effectués depuis sept ans pour améliorer sans cesse la fiabilité de nos constats, nos analyses ont porté sur des données considérablement enrichies. À titre d'exemple, la Cour est la première à analyser les comptes de gestion des collectivités locales en consolidant à la fois les budgets principaux et les budgets annexes.

En définitive, ce rapport expose trois constats principaux et présente deux études approfondies. Premièrement, la baisse des dotations de l'État entre 2014 et 2017 a bien eu l'effet escompté en portant un coup d'arrêt à la progression de la dépense locale sur cette période. Deuxièmement, les résultats de l'année 2017, marqués par une moindre maîtrise des dépenses, montrent toutefois que le redressement des comptes locaux demeure fragile. Troisièmement, si l'objectif de plafonnement de la dépense locale en 2018 apparaît ambitieux mais atteignable, le respect de la trajectoire prévue pour les années suivantes est très incertain. Enfin, le rapport présente une étude approfondie de deux points ayant trait à la gestion des collectivités : l'un porte sur la fiabilité des comptes publics locaux, l'autre sur la mise en oeuvre par les communes de leurs compétences scolaire et périscolaire.

Je vais revenir brièvement sur chacun de ces points.

En dépit d'une certaine reprise à la hausse des dépenses en fin de période, sur laquelle je reviendrai dans un instant, l'analyse rétrospective présentée dans ce rapport observe que la baisse des dotations de l'État entre 2014 et 2017 a bien eu les conséquences attendues. Elle a conduit les collectivités territoriales à engager des efforts de maîtrise de leurs dépenses – efforts qui se sont traduits par un redressement d'ensemble de la situation financière locale sur la période. Ce sera mon premier message.

Je commencerai par quelques chiffres-clés du bilan effectué.

Entre 2013 et 2017, le montant total des concours financiers de l'État aux collectivités locales (intégrés dans les transferts financiers hors fiscalité transférée) est passé de 58,2 à 47,1 milliards d'euros, soit une baisse de 19 %, sous l'effet d'une réduction de 11,2 milliards d'euros de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cette baisse a été atténuée par le dynamisme de la fiscalité, dont les produits ont crû de 3,7 % par an en moyenne entre 2013 et 2017, contre 2,5 % par an entre 2010 et 2013. En définitive, les produits de fonctionnement des collectivités locales ont augmenté de 12,2 milliards d'euros entre 2013 et 2017, à un rythme annuel moyen de 1,4 %, contre 2,4 % entre 2010 et 2013. Sans constituer un recul, ce ralentissement global a réduit les marges de manoeuvre dont disposaient les collectivités pour faire face à la hausse de leurs dépenses et a favorisé de notables efforts de gestion. En témoigne le véritable coup d'arrêt porté à la progression des dépenses locales - investissement comme fonctionnement – en 2014, première année de baisse de la DGF. Ce net ralentissement explique que le taux moyen annuel de croissance de ces dépenses soit passé de 3,1 % entre 2010 et 2013 à 0,3 % entre 2013 et 2017. L'impact de cette pression sur les ressources s'est manifesté de manière particulièrement tranchée et rapide pour les dépenses d'investissement, qui ont reculé de 11 % sur la même période.

Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, ont progressé à un rythme moyen annuel divisé par deux par rapport à la période 2010-2013 – 1,4 % entre 2013 et 2017 contre 3 % auparavant –, notamment grâce à d'importants efforts de maîtrise des effectifs, qui ont permis un ralentissement de la croissance des dépenses de personnel et même leur stabilisation en 2016.

Au total, ces évolutions ont permis aux collectivités de renouer en 2015 avec des niveaux d'excédents qu'elles n'avaient plus connus depuis 2003. Elles leur ont permis de ralentir le rythme de croissance de leur endettement à 2,2 % par an en moyenne contre 3,5 % entre 2010 et 2013. Le poids de la dette locale rapporté au produit intérieur brut (PIB) s'est ainsi trouvé réduit sur la période. Toutefois, il ne faut pas confondre cette amélioration d'une situation globale auparavant très dégradée avec un redressement complet et définitif. Une fois de plus, nous parlons globalement – c'est toute la difficulté lorsqu'il s'agit des collectivités territoriales, tant les situations sont diverses. Telle ou telle collectivité peut ne pas se retrouver dans le bilan que nous présentons. Nous raisonnons, bien sûr, en moyenne. Le redressement n'est pas complet et définitif, il est au contraire partiel et fragile, ce que tendent d'ailleurs à montrer les résultats obtenus en 2017. C'est le deuxième message de la Cour.

Le redressement est partiel. Plusieurs indicateurs demeurent préoccupants. La capacité d'autofinancement est encore loin de son niveau de 2011. Le besoin de financement a bien reculé de 19 % dans les régions, mais il est reparti à la hausse – de 5 % – dans les départements et surtout au sein du bloc communal, où il a augmenté de 23 % en 2017.

Le redressement est également fragile. C'est ce que souligne l'évolution observée en 2017. Certes, pour la troisième année consécutive, quoique dans une moindre mesure qu'en 2015 et en 2016, les collectivités locales ont dégagé en 2017 un excédent – et donc une capacité de financement – qui s'est élevé à 1,7 milliard d'euros. Ce résultat va dans le sens d'une amélioration globale de leur situation financière. Mais, au-delà de ce résultat global, l'analyse de l'évolution des recettes et des dépenses met en lumière à la fois un desserrement de la contrainte pesant sur les ressources et une reprise à la hausse des dépenses. L'atténuation de la pression qu'exerçait l'État sur les ressources des collectivités n'est donc pas sans lien avec une moindre maîtrise des charges de ces dernières en 2017.

Trois facteurs expliquent le desserrement de la contrainte financière en 2017. D'abord une atténuation de la baisse de la DGF – cette baisse ayant été divisée par deux pour le bloc communal en application d'un souhait du Président de la République de juin 2016. Ensuite, une augmentation de la fiscalité transférée par l'État aux collectivités locales et particulièrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), dont les départements sont les principaux bénéficiaires. Enfin, une hausse accrue du produit des impôts directs locaux, à hauteur de 2,3 milliards d'euros, soit + 2,8 % après + 2,5 % en 2016.

En définitive, les collectivités locales ont bénéficié en 2017 d'un surcroît de recettes fiscales nettement supérieur à la baisse des dotations de l'État.

S'agissant des dépenses, la Cour a observé une accélération de la croissance des charges de fonctionnement et un redémarrage de l'investissement en 2017. La progression globale des dépenses de fonctionnement des collectivités est ainsi passée de + 0,1 % en 2016 à + 2,1 % en 2017, s'établissant respectivement à 1,9 % et 2,8 % pour les collectivités du bloc communal et les départements. Cette accélération doit être mise en perspective avec deux éléments spécifiques à 2017 : d'une part, la hausse de l'inflation, d'autre part, l'impact particulièrement important de décisions nationales sur les charges de fonctionnement des collectivités locales, à hauteur de 1,8 milliard d'euros, soit un niveau largement plus important que les deux années précédentes. À titre d'exemple, les deux revalorisations successives du point d'indice de la fonction publique et de l'application des mesures du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » ont pesé pour 1,3 milliard d'euros sur les charges de personnel des collectivités.

L'année 2017 s'est aussi caractérisée par une nette reprise des dépenses d'investissement.

À l'exception des départements, dans lesquels ces dépenses ont continué de reculer mais à un rythme moindre qu'auparavant, l'investissement des communes a enregistré un bond de 10 % et celui des régions de 9,5 %. Par ailleurs, au sein de chaque catégorie de collectivités, l'amélioration partielle de la situation d'ensemble n'a pas sensiblement réduit la grande disparité des situations locales. À titre d'exemple, au sein du bloc communal, la maîtrise des charges paraît avoir été plus marquée dans les ensembles intercommunaux de grande taille, notamment les métropoles et leurs communes membres, dont le degré d'intégration et les capacités de mutualisation sont les plus élevés.

Une grande hétérogénéité subsiste également au sein des départements. Leur situation financière dépend en effet étroitement de facteurs conjoncturels très variables localement.

Les dépenses liées au revenu de solidarité active (RSA) se sont quasiment stabilisées en 2017 – elles n'ont augmenté que de 0,6 % – mais pas dans tous les départements. Par ailleurs, l'ensemble des autres dépenses sociales, ayant trait aux personnes âgées et handicapées et à l'aide sociale à l'enfance, y compris la prise en charge des mineurs non accompagnés, a encore connu une progression soutenue : + 2,1 %. Pour y faire face, les départements disposent de ressources de niveaux très variables. Notre rapport de l'année dernière l'avait déjà souligné certains départements se voient affligés d'une « double peine » : d'une part, un faible niveau de recettes fiscales et, d'autre part, un montant élevé de dépenses sociales non couvertes.

J'en viens au troisième message du rapport, qui porte sur les perspectives des finances locales.

La loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, que vous avez adoptée, a substitué au système de contrainte indirecte par les ressources un dispositif de contractualisation avec les collectivités prévoyant une action directe sur les dépenses. Si l'objectif de plafonnement de ces dépenses retenu pour 2018 apparaît ambitieux mais atteignable, le respect de la trajectoire prévue pour les années suivantes est, selon nous, très incertain.

Quelques remarques préalables, tout d'abord s'agissant des contrats de partenariat financier qui avaient vocation à être conclus avec les 322 collectivités les plus importantes. 230 collectivités et groupements ont effectivement signé un contrat, tandis que les 92 autres se sont vu notifier par arrêté préfectoral leur objectif de dépense. Je rappelle que ce dispositif plafonne à 1,2 % par an en valeur la progression annuelle des dépenses de fonctionnement de chaque collectivité pour la période 2018-2020 et prévoit des pénalités financières en cas de dépassement. Bien entendu, l'appréciation de l'efficacité de ce nouveau mode de régulation nécessitera du recul. Toutefois, quelques faiblesses de départ apparaissent d'ores et déjà, selon nous. J'en citerai deux. D'abord, une part significative de la dépense locale reste en dehors du champ encadré : les dépenses de fonctionnement des collectivités soumises à plafonnement ne représentent en effet que 45 % des dépenses totales des administrations publiques locales, 62 % si l'on parle de l'ensemble des dépenses de fonctionnement des budgets des collectivités locales et des budgets annexes. Ensuite, il existe un écart significatif entre l'ambition initiale de contrats d'engagement individualisés et les conditions effectives de leur mise en oeuvre.

Dans la mesure où il repose sur un principe d'adaptation des efforts de gestion demandés en fonction des collectivités, ce mécanisme semble répondre à une recommandation réitérée de la Cour de mieux prendre en compte la diversité des situations locales. Pourtant, il apparaît que les plafonds de dépenses assignés à chaque collectivité n'ont été que faiblement ajustés en fonction des critères définis par la loi de programmation : croissance démographique, revenu moyen par habitant, efforts d'économies antérieurs. La modulation du taux d'évolution des dépenses autour de l'objectif national de 1,2 % s'est avérée, dans les faits, de faible ampleur.

Dans la réponse qu'il a transmise à la Cour, vous le verrez, le Premier ministre laisse toutefois entendre que cette situation pourrait évoluer dans le sens d'une plus grande modularité, dans le cadre des échanges qui devraient avoir lieu entre les préfets et les collectivités au terme de la première année d'application du nouveau dispositif.

En ce qui concerne les perspectives financières elles-mêmes, l'objectif global d'évolution des dépenses que je viens de citer apparaît ambitieux, je l'ai dit. Si la reprise de l'inflation constatée en 2017 se confirme, il ne pourra être respecté qu'au prix d'une réduction des dépenses en volume, inédite jusqu'ici.

En début de période, il apparaît pourtant atteignable, dans la mesure où l'impact des décisions nationales sur les budgets locaux s'annonce plus faible en 2018 qu'au cours des années précédentes. Cet objectif semble par ailleurs avoir été pris en compte dans les budgets primitifs pour 2018 analysés par la Cour. L'observation de la comptabilité des huit premiers mois de l'année fait effectivement apparaître une progression plutôt maîtrisée des dépenses de fonctionnement, à hauteur de 0,9 %. Bien sûr, il faudra attendre les résultats définitifs pour avoir le chiffre qui correspond à la réalité.

En revanche, au-delà de 2018, une grande incertitude entoure la réalisation de la trajectoire prévue par la loi de programmation. Si l'objectif de dépenses est atteint en début de période, les collectivités devraient en effet connaître une forte amélioration de leur épargne, supérieure au besoin de financement de leurs investissements tels que prévus dans la loi de programmation en fonction du cycle électoral. Dans le scénario de la loi de programmation, il est précisé que le surplus serait affecté à la diminution de l'endettement des collectivités territoriales. On peut avoir des doutes ou des interrogations sur l'affectation de ce surplus et la diminution de leur endettement, car la grande majorité des collectivités est peu endettée. De même, une baisse des impôts locaux est peu plausible, compte tenu de l'exonération progressive de la taxe d'habitation engagée par ailleurs. L'importante amélioration de leur équilibre financier pourrait donc conduire les collectivités soit à renforcer leur effort d'équipement soit à relancer les dépenses de fonctionnement ce qui pourrait les faire sortir de la trajectoire prévue par la loi de programmation. D'où nos interrogations sur la trajectoire au-delà de 2019.

Après ces analyses de nature financière, le rapport présente une étude approfondie de deux points ayant trait à la gestion des collectivités : l'un porte sur la fiabilité des comptes publics locaux, l'autre sur la mise en oeuvre par les communes de leurs compétences scolaires et périscolaires.

Vous ne serez pas étonnés d'entendre dans ma bouche que les citoyens doivent disposer d'une information complète, lisible et fiable sur les actions et les décisions engageant les finances locales. Vous partagez bien sûr avec moi cette préoccupation. Or, la qualité de cette information dépend de celle des comptes publics produits par les collectivités locales. Il s'agit évidemment d'un sujet de préoccupation de longue date pour les juridictions financières. Les chambres régionales des comptes y prêtent systématiquement attention à travers leurs contrôles. La Cour a déjà formulé dans ses rapports publics annuels des recommandations en vue de renforcer la fiabilité et la lisibilité des états financiers locaux, le rôle du comptable public et sa coopération avec l'ordonnateur ou encore la place du contrôle interne comptable et financier.

Le rapport présenté aujourd'hui relève qu'un processus de modernisation des cadres juridique et comptable nécessaires à l'amélioration globale de la fiabilité des comptes est désormais à l'oeuvre, en partie grâce aux travaux du Conseil de normalisation des comptes publics, qui a entrepris de constituer un recueil des normes comptables applicables au secteur public local, notamment aux collectivités territoriales et leurs établissements publics.

Nos travaux mettent également en lumière les leviers mobilisables pour que ces progrès se confirment. Le premier levier est l'adoption d'un compte financier unique, en remplacement du compte administratif et du compte de gestion. Il constituerait non seulement une source de clarification de l'information financière mais aussi, pensons-nous, d'amélioration de la fiabilité des comptes, et pourrait à ce titre être expérimenté sans tarder. Le second levier est l'utilisation des enseignements tirés de l'expérimentation en cours dans les juridictions financières d'une certification des comptes publics locaux. Ses premiers résultats fournissent en effet des enseignements utiles au secteur public local, en illustrant les efforts encore nécessaires pour atteindre une fiabilité suffisante du contrôle interne, des procédures comptables et des systèmes d'information financière.

Enfin, le rapport présenté aujourd'hui fait le point sur l'exercice par les communes de leurs compétences scolaires et périscolaires. Je voudrais souligner l'ampleur des données recueillies à cet égard par les juridictions financières, à travers la conduite par les chambres régionales des comptes de 92 analyses de situations locales et une collaboration avec deux enseignants-chercheurs de l'Université Lille 1. Si nous avons choisi de nous pencher cette année sur ce thème, c'est parce que le rôle des communes est devenu majeur dans le domaine scolaire, et surtout périscolaire, et que cela emporte d'importants enjeux de gestion. En principe facultatif, l'exercice de la compétence périscolaire par les communes s'est en effet largement développé, sous le double effet de la demande sociale et de la réforme des rythmes scolaires de 2013. Il prend diverses formes, allant du transport scolaire à la gestion de la restauration collective en passant par l'accueil des enfants avant et après la classe et donc par le déploiement d'une offre d'activités périscolaires à visée éducative. Cela s'est traduit, dans le budget des communes, par une croissance soutenue des dépenses relatives aux domaines scolaire et périscolaire, à hauteur de 4,3 % par an entre 2009 et 2017. Le montant global atteint désormais 16 milliards d'euros, dont la moitié permet de financer le personnel. Les communes prennent donc aujourd'hui 37 % de la dépense d'éducation dans le primaire.

Ces constats globaux appellent deux grands types d'observation de la part de la Cour : l'un porte sur les choix de gestion des communes et l'autre sur l'articulation de leurs compétences avec celles de l'État. Tout d'abord, les grandes masses que je citais à l'instant recouvrent des niveaux de dépenses et des coûts très variés selon les choix effectués par les communes.

La mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires est parlante à cet égard. La liberté laissée aux communes dans la fixation des horaires scolaires et, en conséquence, dans l'offre d'activités périscolaires, les ont conduites à procéder à des choix de gestion et d'organisation fortement différenciés en fonction de leur taille, de leur implantation territoriale, de leurs marges budgétaires et de leurs exigences quant à la qualité des services proposés – garderie, aide aux devoirs, ateliers éducatifs, etc.

La Cour observe que les coûts induits ont très fortement varié en fonction de ces choix, mais aussi en fonction du mode d'organisation du service. Si l'impact financier total de la réforme sur les communes a été estimé entre 210 et 310 millions d'euros, une fois pris en compte l'accompagnement financier des caisses d'allocations familiales et de l'État, l'impact réel a été très différent selon les situations locales, certaines collectivités ne subissant pas de surcoût sensible. S'agissant toutefois de la mise en oeuvre de ces décisions, le constat d'une si grande hétérogénéité des coûts plaide pour qu'une attention vigilante soit accordée aux conséquences budgétaires des choix de gestion.

La Cour recommande notamment qu'un référentiel des coûts scolaires et périscolaires soit élaboré, de façon partagée avec les communes et leurs groupements, afin de leur fournir un outil utile pour optimiser leur gestion. Ce référentiel devrait bien entendu prendre en compte à la fois la taille des communes et le niveau de qualité des services offerts.

Par ailleurs, même si les marges de manoeuvre des communes pour maîtriser plus efficacement leurs dépenses en matière scolaire et périscolaire sont réduites, le rapport met en lumière plusieurs pistes, s'agissant notamment de la gestion des bâtiments scolaires ou de celle du personnel.

Le rapport souligne aussi la nécessité d'améliorer la coordination entre les communes et l'État, dans la mesure où les collectivités interviennent de façon croissante dans la prise en charge des enfants pendant le temps scolaire et assurent au nom de l'État un certain nombre de responsabilités, comme l'inscription des élèves et le contrôle du respect de l'obligation scolaire.

Plusieurs sujets spécifiques mériteraient une coordination bien plus étroite. J'en citerai trois.

D'abord, des progrès paraissent nécessaires dans l'élaboration de la carte scolaire. Si une concertation est assurée par les services déconcentrés de l'éducation nationale avec les élus préalablement aux ouvertures et fermetures de classe, les prévisions d'effectifs, qui en constituent le socle, restent insuffisamment partagées entre l'État et les collectivités.

Ensuite, la répartition territoriale des écoles primaires publiques évolue trop lentement. Certes, le nombre d'écoles publiques et privées a baissé de près d'un quart depuis 1980. Mais de grandes inégalités demeurent en termes de nombre de classes par école et de nombre d'élèves par classe – ces inégalités étant aggravées par l'évolution en cours de la démographie scolaire fortement différenciée selon les territoires. Cette grande disparité territoriale rend nécessaire d'accélérer le rééquilibrage du maillage scolaire en développant davantage les outils de concertation et d'accompagnement. Cela passe par une meilleure prise en compte, selon nous, de la dimension intercommunale dans l'élaboration des cartes scolaires, par la constitution de regroupements pédagogiques intercommunaux autour de pôles intégrant un collège et les écoles rattachées et par la conclusion de conventions de ruralité. Toutefois, cette évolution ne passe pas nécessairement, selon nous, par des transferts de compétences des communes à leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il paraît par ailleurs souhaitable de favoriser la définition par les communes d'une stratégie coordonnée en matière scolaire et périscolaire et de veiller à sa cohérence avec les priorités nationales définies par l'État, comme, par exemple, la scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Enfin, dans le domaine de l'enseignement primaire comme dans bien d'autres, le partage des politiques publiques entre l'État et les collectivités territoriales devrait conduire celui-ci à être plus attentif à l'analyse préalable des conditions locales de mise en oeuvre de ses réformes. Cette analyse a manqué lors de la généralisation des nouveaux rythmes scolaire en 2014, du retour à la semaine de quatre jours en 2017 ou de l'extension du dédoublement des classes la même année.

La Cour met en évidence pour la troisième année consécutive une amélioration de la situation financière locale. La réussite du nouveau mécanisme de contractualisation et de plafonnement des dépenses impliquera un retour à des efforts de gestion forts et continus de la part des collectivités. La bonne gouvernance des finances locales ne peut toutefois reposer uniquement – cela peut paraître surprenant que nous le disions – sur un mécanisme de régulation des dépenses.

Des travaux importants doivent être ouverts ou poursuivis parallèlement, en concertation avec les collectivités locales. Ils portent sur la fiabilité des comptes, le poids des décisions nationales sur la gestion locale – il faut pouvoir mieux les apprécier –, le rééquilibrage du poids respectif des dotations « forfaitaires » et des dotations de péréquation – on voit des marges de progrès –, ou encore sur la fiscalité locale. À cet égard, la révision des valeurs locatives cadastrales devrait notamment, selon nous, être menée à son terme.

À travers les très nombreux travaux qu'elles publient chaque année, les juridictions financières s'attachent à accompagner l'État et les collectivités territoriales dans leurs efforts de plus grande maîtrise et de plus grande efficacité de la dépense publique. Nous souhaiterons, bien sûr, continuer à le faire et à répondre à vos questions sur ce point.

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