En cette période, c'est un honneur, et beaucoup de bonheur que d'être parmi vous – un bonheur partagé, je l'espère !
Je voudrais d'abord revenir sur certains points de l'action que M. Jacques Mézard et moi-même avons menée depuis seize mois et sur ce que nous comptons faire à compter d'aujourd'hui.
Ce ministère est celui de la « cohésion des territoires ». Le terme de cohésion a fait l'objet de nombreuses discussions, dès la candidature de l'actuel Président de la République. Il s'agissait de souligner l'une des principales difficultés des politiques d'aménagement du territoire menées depuis des années qui avaient, en réalité, contribué à accroître les fractures territoriales. Dans une France à plusieurs vitesses, certains avaient un sentiment d'être déclassés, délaissés, voire abandonnés par la République. C'est vrai dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais aussi dans certaines zones rurales, alors que d'autres vont très bien.
Le ministère de la cohésion des territoires traduit en premier lieu la volonté politique de réduire les fractures territoriales, volonté qui s'incarne en politiques publiques. Lorsque je faisais mes études d'ingénieur du génie rural des eaux et forêts, le volet « aménagement du territoire » consistait à aller passer plusieurs jours au Commissariat général du Plan. Je me souviens du Commissaire au Plan nous expliquant, depuis Paris, ce qu'allait être l'aménagement de l'ensemble du territoire. Pour moi, la politique publique visant à réduire les fractures territoriales doit profondément changer. Le Plan se justifiait à une certaine époque. Aujourd'hui, il faut partir des projets territoriaux en reconnaissant, malgré ce qu'en disent certains géographes dont je ne partage pas du tout les thèses sur la spatialisation du territoire, les véritables spécificités territoriales. Il n'est pas anodin que le Président de la République ait demandé, très tôt, que la révision constitutionnelle consacre la différenciation : l'ancrage des projets dans les territoires est à ses yeux, et à ceux du Gouvernement, la bonne méthode d'aménagement. Cet aménagement ne saurait se faire de façon dogmatique ni se résumer à des politiques publiques que l'on appliquerait indifféremment dans de nombreux territoires. En revanche, nous sommes profondément convaincus que l'État doit être là pour faciliter le rôle d'aménageur qu'ont, avant tout, les élus locaux, mais aussi les « entrepreneurs du territoire ».
Dans ce cadre général, notre action se développe selon trois orientations principales.
La première consiste à mieux accompagner les projets des collectivités. Il s'agit là avant tout d'une méthode de travail. Je laisse de côté les débats sur la confiance entre un gouvernement et des collectivités, et les positions, qui sont parfois des postures, de certaines associations d'élus. Je constate, pour travailler au quotidien avec un grand nombre d'élus locaux, que cela se passe bien, très bien même et que, dès lors que nous voulons tous aller dans le même sens, nous avançons. Mais l'État, qui a été planificateur, doit savoir tenir un rôle de facilitateur.
Une politique publique caractérise très bien ce meilleur accompagnement des collectivités, c'est le programme « Action coeur de ville ». Contrairement à ce que disent certains géographes, encore une fois, la France n'est pas divisée en trois espaces qui seraient les métropoles, la périphérie et la ruralité. Déjà, il faudrait au moins parler des ruralités, et ce type de spatialisation laisse de côté une bonne part du maillage territorial. Par exemple, que deviennent alors les villes moyennes ? Il faudrait trouver une meilleure appellation, mais pour l'instant je préfère les désigner comme pôles de centralité. Avec quelques dizaines, voire quelques centaines de milliers d'habitants, elles constituent des zones d'activité économique et donnent une identité sociale à un territoire qu'elles structurent, en dehors des métropoles et de la ruralité. Or jamais les politiques d'aménagement du territoire depuis le Président Pompidou n'ont été en faveur de ces villes dites secondaires. C'est ce que M. Jacques Mézard et moi-même avons essayé de réparer avec « Action coeur de ville ».
Cette volonté politique s'accompagne d'une méthode. Nous avons identifié 222 villes en partant uniquement du projet territorial. L'État a eu pour rôle de mettre autour de la table tous les opérateurs et les financeurs. Il n'y a pas deux conventions « coeur de ville » identiques, c'est toujours la spécificité territoriale qui guide. Cette méthode porte déjà ses fruits, puisque nous avons signé un grand nombre de conventions, quelle que soit la couleur politique des élus locaux.
Toujours pour mieux accompagner les collectivités, nous nous sommes saisis d'un enjeu qui, je le dis avec conviction en tant que responsable politique comme en tant que père de famille, est essentiel, celui des quartiers prioritaires. L'enjeu n'est pas limité à ces quartiers, ce qui se joue là c'est la République. En réponse à une question au Gouvernement posée par Mme Nadia Hai, je parlais de l'inégalité de destin : dans ces quartiers, elle est criante. Certes, beaucoup a été fait ces dernières années. Mais on a pris énormément de retard pour la sécurité, l'éducation, la formation, l'accès aux services. La mesure la plus importante en leur faveur depuis longtemps, c'est celle que le Gouvernement a prise, avec M. Jean-Michel Blanquer, pour l'école. Nous avions pris l'engagement très ferme de ne pas diminuer les crédits de la politique de la ville sur la durée du quinquennat ; dans ce budget, ils sont même en augmentation.
Enfin, nous accordons des aides à l'investissement public local. Elles correspondent à de très nombreuses lignes budgétaires, et il faut être expert en comptabilité publique ou avoir une grande expérience d'élu local pour bien les cerner. Mais l'effort est très conséquent. En additionnant la dotation de soutien à l'investissement local, la dotation d'équipement des territoires ruraux, les crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), ce sont près de 1,7 milliard d'euros pour soutenir l'investissement local – et je ne parle que du volet budgétaire, non des sommes que nous avons demandé à nos partenaires de mettre en avant. Pour prendre l'exemple d'« Action coeur de ville » : Action Logement va ajouter 1,5 milliard d'euros aux crédits de l'État. La même chose vaut pour les contrats de ruralité. J'y crois profondément pour exprimer la solidarité territoriale. Certains fonctionnent très bien, d'autres ont connu des difficultés, mais notre volonté politique de les poursuivre est intacte. En 2017, 478 contrats ont été signés. Je n'ai pas le chiffre pour 2018, mais nous souhaitons maintenir le niveau de financement dans le cadre du droit commun.
Le deuxième axe de notre politique consiste à améliorer l'accessibilité à un certain nombre de services publics ou de services qui ne sont plus un luxe, mais un droit. Il s'agit d'abord du numérique et de la téléphonie mobile. Il y a quelque mois, vous avez voté une loi, pilotée par Mme Muriel Pénicaud, qui rend opposable le droit au télétravail ; or, actuellement un Français sur deux seulement a accès au très haut débit. Le numérique, contrairement à ce qu'on pensait, n'a pas réduit mais accentué la fracture territoriale. On n'a donc pas d'autre choix que d'accélérer massivement – j'y insiste – l'accès à la fibre et au très haut débit dans tous les territoires, ainsi que d'apporter à tous la téléphonie mobile. Nous y reviendrons sans doute : nous avons signé en janvier dernier un accord historique avec les opérateurs portant sur 3 milliards d'euros pour consolider le financement du numérique.
Au-delà des infrastructures, nous mettons aussi la priorité sur deux politiques publiques en faveur de l'usager. Il s'agit d'abord des maisons de services au public (MSAP). Elles sont 1 300 sur l'ensemble du territoire, avec des succès très différents, il faut le reconnaître. En tout cas, la volonté politique existe de les renforcer. Nous avons lancé, jusqu'à la fin de l'année, une revue des services de ces MSAP qui doivent être mieux mis en valeur. Au budget, leurs crédits augmentent de 5 millions d'euros en 2019. Il s'agit ensuite des lieux d'usage, sur lesquels des travaux ont été réalisés, par exemple le rapport de MM. Jean-François Cesarini et Guillaume Vuilletet. Ces tiers lieux – ce nom a parfois, hélas, conduit à les considérer comme un gadget – sont, je pense, un des éléments de réflexion sur la société que nous souhaitons organiser collégialement en termes d'aménagement du territoire. Leur objectif est clair : lutter contre le stress au travail. Le télétravail est aujourd'hui plébiscité. Outre cette aspiration sociale, il concourt à réduire les trajets vers le lieu de travail, donc les émissions de gaz à effet de serre. Dans les quatre années à venir, 50 % des actifs seront des gens de moins de 35 ans ; 70 % d'entre eux souhaitent être indépendants mais travailler dans une atmosphère collective. Concilier le désir d'individualisation et la dimension collective, c'est exactement ce qu'offrent les tiers lieux.
Enfin, le troisième axe de notre action consiste à encourager le développement économique de nos territoires. J'ai exposé notre méthode, j'ai donné l'exemple des services publics, mais j'aurais pu évoquer le plan santé, le plan éducation ou le plan sécurité avec les quartiers. Tout aussi nécessaire est le développement économique. Soyons fiers de nos territoires, soutenons leur développement économique. Cela passe par des outils que vous connaissez bien comme la prime d'aménagement du territoire, et par la politique d'attractivité menée avec Business France, dont notre ministère assure la tutelle, ainsi que par une démarche que le Premier ministre a lancée récemment, « Territoires d'industrie » : il s'agit d'élaborer des contrats territoriaux d'activité économique, exactement comme on l'a fait pour les coeurs de ville. Dans une vie précédente, j'ai passé beaucoup de temps à soutenir les entreprises en difficulté, partout sur notre territoire. Il n'y a aucune fatalité, mais faute de volonté politique, on peut entrer dans une spirale infernale. Chacun connaît le cas classique où un délai de paiement provoque une faillite, des licenciements de salariés, lesquels perdent aussi la moitié de la valeur de leur pavillon voisin de l'entreprise, et sont dès lors assignés à résidence. C'est ce type de cercle vicieux que nous voulons briser, avec acharnement.
Pour conclure, je répète que l'action de notre ministère est avant tout une volonté politique de lutter sans relâche contre les fractures territoriales non pas seulement par des crédits, mais par des politiques publiques territorialisées menées avec les élus locaux et l'ensemble des partenaires.