Intervention de Coralie Dubost

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCoralie Dubost, rapporteure :

« Bienvenue dans le dernier bastion de la justice indépendante qui sera contraint de rendre les armes dans trois semaines ». C'est par ces mots que Mme Malgorzata Gersdorf, ex-présidente de la Cour suprême polonaise, nous a accueillis lors de notre visite à Varsovie le 6 juin dernier. Nous souhaitons partager avec vous ce que nous avons vécu lors de nos déplacements en Hongrie, Pologne et Roumanie. Bien que ces États aient des contextes économiques, politiques et culturels propres, certains constats convergent. Dans chacun de ces États, nous avons rencontré des sociétés civiles vibrantes, des forces vives très concernées par le projet européen, des magistrats fiers d'exercer leurs missions. Nos interlocuteurs hongrois, polonais, roumains, nous ont témoigné leur amitié et leur sympathie et nous ont rappelé la force des liens qui unit la France à ces États membres de l'Europe centrale. Je souhaiterais à ce stade adresser mes pensées aux proches de Ján Kuciak, Daphne Caruana Galizia et Viktoria Marinova, les trois journalistes qui ont été tués, victimes d'une politique d'atteinte à la liberté de la presse, évidemment inacceptable en Europe.

Notre rapport a pour objet d'examiner la situation de l'État de droit dans chacun de ces pays ; leurs situations ne se confondent pas et il importe de refuser la facilité d'un amalgame. Pourquoi ces trois États membres spécifiquement ? De nombreuses alertes ont été émises, tant par la Commission européenne que par le Parlement européen, la Commission de Venise ou d'autres organes. À chaque fois, l'alerte a concerné le coeur de notre patrimoine européen : la mise en cause de principes d'organisation démocratiques, droits fondamentaux et valeurs dont l'application n'est pas négociable. Les traités européens ont affirmé l'universalité de ces valeurs fondatrices de notre patrimoine européen ; chaque État membre s'engage à les respecter dès le moment où il adhère à l'Union, et même en amont, lors de la candidature d'adhésion – la satisfaction des critères dits de Copenhague est une exigence incontournable.

Comment pourrions-nous accepter ensuite que ces États, qui font à présent partie de l'Union européenne, portent atteinte à ce patrimoine commun en choisissant de ne plus garantir l'indépendance de la justice, la pluralité des médias, le respect du principe de constitutionnalité et la lutte contre la corruption ? Certains ont tenté d'arguer qu'il s'agit là de questions purement nationales et que l'Union européenne – et donc la France – n'aurait aucune légitimité pour s'en saisir. Bien évidemment la violation de l'État de droit ne saurait se dissimuler derrière le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures. C'est un argument fallacieux : non seulement cela résulte explicitement de l'article 2 du Traité sur l'Union européenne, mais, en sus, la remise en cause de principes fondateurs de l'Union pourrait entacher la confiance mutuelle et la coopération loyale entre les États membres. Ce qui se passe dans ces États concerne la communauté des États dans son ensemble.

Les principes de confiance mutuelle et de coopération loyale entre États membres mais aussi entre les juridictions nationales fondent en effet la réalisation même de l'Union. Qu'adviendra-t-il de chacun d'entre nous si nous ne pouvons plus coopérer en confiance ? C'est notamment ce qui a amené la Cour de Justice de l'Union européenne à reconnaître en juillet dernier la possibilité pour un État de vérifier les conditions d'extradition vers la Pologne. En effet, sans garantie juridictionnelle, sans indépendance des organes judiciaires, comment s'assurer à terme de l'application uniforme du droit européen ou encore du bon usage des fonds européens ou de l'égalité d'accès des candidats aux marchés publics ? Étroitement lié aux questions de démocratie et de droits fondamentaux, un État de droit garantit avant tout la bonne application du principe de légalité via l'indépendance de la justice. La puissance politique d'un État doit avant tout respecter des principes qui lui sont supérieurs, qui ont été édictés par des peuples constituants dans des normes fondamentales durables et indépendantes des majorités politiques contingentes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.