L'État de droit suppose tout d'abord le respect des règles constitutionnelles, au sommet de la hiérarchie des normes dans tous les États, et qui fixent les règles du jeu politique, les compétences des organisations et des organes du pouvoir. Le respect de la Constitution permet d'assurer la continuité de l'État au-delà des alternances politiques en empêchant des majorités de redéfinir en fonction de leur propre intérêt les règles qui doivent être respectées par tous. C'est la raison pour laquelle le respect de la Constitution assuré par un organe indépendant nous semble extrêmement important.
L'État de droit suppose également la garantie d'une justice indépendante, d'une part dans son organisation interne, mais aussi dans les organes qui sont chargés de la nomination, de la mobilité et des éventuelles sanctions apportées aux magistrats de l'ordre judiciaire. Il existe à cet égard au sein de l'Union européenne une importante variété d'organisations judiciaires. Il est certain que les garanties peuvent être perfectibles – comme c'est le cas pour le Conseil supérieur de la magistrature en France dont le fonctionnement sera amélioré par la révision constitutionnelle à venir – mais il est important qu'un organe puisse garantir l'indépendance et donc l'impartialité des magistrats. En ce qui concerne le parquet, il faut garantir son indépendance non pas organique mais fonctionnelle, c'est-à-dire faire en sorte que les membres du parquet puissent librement assurer les poursuites lorsque cela est nécessaire. Cette autonomie du parquet nous semble fondamentale dans des pays ravagés par les tentatives et les affaires de corruption et où les procureurs reçoivent des ordres du pouvoir en place pour les dissuader de lancer des poursuites contre les personnes soupçonnées de corruption.
Enfin, un État de droit doit pouvoir permettre un débat nourri au sein de la société civile. Pour cela, il est important de garantir la liberté de la presse. Les citoyens doivent avoir accès à une presse pluraliste, à l'information la plus large possible, pour nourrir ce débat démocratique et non pour l'appauvrir. La liberté de la presse est extrêmement importante car elle conditionne au fond l'existence d'élections libres. L'élection n'est pas seulement le respect d'une procédure électorale. L'État de droit se manifeste également par l'existence d'un débat public nourri par une presse pluraliste. Les citoyens doivent pouvoir avoir accès à une pluralité d'informations, sans laquelle le débat démocratique est singulièrement appauvri.
Nous avons malheureusement constaté, sur ces quatre points et à des degrés divers, des violations de l'État de droit, en Hongrie et en Pologne, qui légitiment les démarches engagées à ce sujet par l'Union européenne.
Nous avons auditionné des juristes à Paris et à Bruxelles, entendu les institutions européennes, mais surtout effectué nos déplacements dans l'idée de juger sur place de la situation en matière d'État de droit. Nous avons rencontré l'ensemble des parties prenantes, autant les autorités publiques que les ONG ou les représentants des organes judiciaires. Nous avons été frappés par la diversité des opinions sur ce qui se passait, c'est pourquoi nous avons également appuyé notre analyse sur des sources textuelles. Qu'il s'agisse des rapports de la Commission de Venise, d'organes du Conseil de l'Europe ou des Nations Unies, les réformes engagées en Hongrie depuis 2010, en Pologne depuis la fin de l'année 2015, et même, à certains égards, actuellement en Roumanie, convergent vers une remise en cause de principes européens fondamentaux.