Ces trois États sont bien évidemment encore à l'heure actuelle des démocraties, et nul ne peut remettre en cause la validité des élections. De la même manière, il ne s'agit pas de remettre en cause des politiques nationales au prétexte qu'elles iraient à l'encontre des politiques européennes. Il n'est pas question de parler ici des politiques migratoires.
Il n'en demeure pas moins que nous avons repéré, notamment en Pologne et en Hongrie, de nombreux indices d'une politique fondée avant tout sur le sentiment national et sur le sentiment des majorités parlementaires en place, de représenter l'ensemble du peuple. La formation de ce qu'on pourrait appeler un « État majoritaire » entraîne l'affaiblissement d'un grand nombre de contre-pouvoirs, parfois présentés par les autorités publiques comme des freins à l'expression de la souveraineté nationale. M. Jaroslaw Kaczynski, président du PiS, le parti Droit et Justice actuellement au pouvoir, a fait de ce qu'il appelle « l'impossibilisme légal » son ennemi. Dans cette hypothèse, il est loisible à une majorité parlementaire, y compris lorsqu'elle n'a pas le nombre requis de députés, d'agir comme une constituante, de modifier la composition du Tribunal constitutionnel ou de refuser de publier ses décisions. Autant de griefs que la Commission européenne a adressés aux autorités polonaises lorsqu'elle a proposé au Conseil l'enclenchement de l'article 7, le 20 décembre 2017.
Cela nous amène à la question de savoir quoi faire désormais, alors que nous sommes confrontés à ce que des spécialistes de la question appellent un « retour en arrière » de l'État de droit au sein de l'Union européenne. La Commission européenne, parfois – il faut le dire – bien seule dans cette matière, a initié en 2014 une procédure de dialogue relatif à l'État de droit, appliquée à la Pologne dès 2016. Ce dialogue n'a toutefois abouti à aucune solution constructive, au contraire. Le paquet législatif voté en 2017, qui engageait une réorganisation complète de l'architecture judiciaire polonaise et a abouti, entre autres, à suspendre le Conseil supérieur de la magistrature polonais du réseau européen des Conseils de justice, a obligé la Commission européenne à activer l'article 7.
Les défauts de cette procédure sont toutefois bien connus. En réclamant l'unanimité des États membres pour mettre en place des sanctions, comme la privation de droits de vote au Conseil, ce qui est souvent présenté comme une bombe nucléaire se transforme souvent en « pétard mouillé ». La Hongrie s'est ainsi déclarée immédiatement opposée à la condamnation de la Pologne, et les auditions des autorités polonaises devant le Conseil Affaires Générales n'ont pas pour l'instant permis de sortir de l'impasse. Les modifications législatives polonaises n'ont été que cosmétiques, tandis que la situation en Hongrie, par exemple, s'est fortement détériorée cet été, notamment pour les défenseurs des droits humains. Cela explique notamment le vote par le Parlement européen d'une résolution en faveur de l'activation par le Conseil de l'article 7 à l'encontre de la Hongrie, le 12 septembre dernier. Il n'empêche toutefois que le problème de l'unanimité demeure, condamnant l'Union européenne à une forme de passivité impuissante face à la dégradation de l'État de droit chez une partie de ses membres. Nous avons retenu plusieurs propositions intéressantes pour permettre aux institutions européennes de passer à l'action dans ce domaine. Ce ne sont en effet pas les informations sur les risques pour l'État de droit qui font défaut puisque, outre la Commission de Venise, l'Agence des Droits Fondamentaux, adossée à la Commission européenne depuis 2007, exerce une activité de surveillance de la situation des droits fondamentaux au sein de l'Union européenne. Malheureusement, il ne ressort de cette masse d'information que l'incapacité des institutions européennes à enrayer cette régression de l'État de droit.