Je vous remercie pour votre invitation : ce n'est pas la première fois que je viens parler des cellules souches à l'Assemblée nationale, nous nous connaissons déjà, monsieur Breton, monsieur Touraine.
Remontons à la fin des années 1990. Alors que les cellules souches embryonnaires commençaient à devenir un thème de recherche et à représenter un grand espoir à l'étranger, les chercheurs français se heurtaient à l'interdiction faite par la loi bioéthique de 1994 de mener des recherches sur ce produit biologique, ce qui suscitait beaucoup de débats. Avec certains collègues, nous avions déclaré que les cellules souches embryonnaires, capables d'une prolifération illimitée en laboratoire et susceptibles d'être orientées vers n'importe quel phénotype cellulaire, constituaient pour la recherche translationnelle, tournée vers la mise au point d'outils thérapeutiques, et, pour la médecine, un matériau biologique exceptionnel sans aucun équivalent. Nous nous étions d'une certaine façon avancés en affirmant qu'il serait possible de mettre au point des thérapies cellulaires à partir de cellules dérivées de cellules souches embryonnaires et d'identifier des mécanismes pathologiques liés à des mutations génétiques à partir de cellules prélevées sur des embryons issus du diagnostic préimplantatoire porteurs de maladies génétiques.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines a été autorisée par principe en 2012, après avoir été autorisée par dérogation en 2004, et nous pouvons voir comment nos anticipations ont trouvé une traduction dans la réalité. Il y a aujourd'hui dans le monde vingt-quatre essais cliniques, dont un en France, sur les cellules dérivées de cellules souches embryonnaires. En mars 2017, une équipe de chercheurs anglais dirigée par M. Peter Coffey a présenté des résultats spectaculaires : elle a permis à deux patients atteints de cécité, à la suite d'une accélération brutale d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), de retrouver la vue.
En outre, des centaines d'articles ont cerné des mécanismes pathologiques liés à des mutations identifiées à partir soit de cellules souches embryonnaires issues d'embryons du diagnostic préimplantatoire soit de cellules souches pluripotentes induites qui, depuis la fin de l'année 2007, viennent compléter notre arsenal en nous donnant la possibilité d'appliquer des règles que nous avons apprises grâce aux cellules souches embryonnaires.
Les équipes de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques (I-Stem) ont publié dans le numéro d'octobre de Brain les résultats d'une étude portant sur l'utilisation de la metformine, antidiabétique connu, pour le traitement symptomatique d'une dystrophie myotonique de type I dans le cadre d'un essai validé sur quarante patients – vingt atteints de cette maladie contre vingt placebos. Nous avons apporté la démonstration que les patients traités gagnaient plusieurs dizaines de mètres de périmètre de marche en un an.
Ces résultats n'auraient pas pu être obtenus autrement : il n'y a pas de modèles cellulaires équivalents à ces cellules physiologiques prélevées sur des embryons issus du diagnostic pré-implantatoire.
L'hypothèse que nous avancions il y a trente ans se vérifie aujourd'hui : ce matériau biologique donne bel et bien lieu à des applications médicales dans le cadre de la recherche translationnelle.
Cela implique un changement de registre. La question n'est plus de savoir s'il faut ou non autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. Nous souhaitons que les représentants de la nation prennent conscience que ce qui est maintenant en jeu, c'est la possibilité de développer une nouvelle médecine fondée sur ces recherches.