Vous avez parfaitement raison, madame la députée, de nous interroger dans des domaines que vous ne maîtrisez pas, et je me félicite de votre présence : il est remarquable, en effet, que vous preniez le temps de nous écouter sur des sujets très pointus et que vous vous attachiez à les comprendre avant de vous prononcer sur la loi de bioéthique. Je vous invite d'ailleurs, ainsi que tous vos collègues, à venir visiter l'I-Stem afin de mieux saisir la nature de nos travaux et de nos objectifs : vous n'y verrez pas que des microscopes et autres boîtes de Petri mais aussi de très gros robots avec lesquels nous pouvons déjà travailler sur ces cellules de manière industrielle.
Laurent David a décrit le processus par lequel les cellules souches embryonnaires se séparent des cellules qui forment le placenta. Au moment du prélèvement, il s'en trouve une cinquantaine tout au plus : nous sommes très loin d'un individu déjà différencié. Il ne s'agit pas même d'un amas de cellules mais de quelques-unes seulement dont on parvient à extraire une cellule qui devient « immortelle ». Autrement dit, elle cesse de suivre le cours normal de son évolution, qui la conduirait par exemple à devenir une cellule de peau ou une cellule nerveuse, pour entrer dans un cycle permanent de reproduction par scissiparité. En ce qui nous concerne, la dernière lignée cellulaire obtenue à partir d'un embryon porteur d'une maladie génétique date de 2009 ou 2010. En clair, nous sommes loin de passer notre temps à créer des lignées de cellules souches embryonnaires. Il est vrai que les premières provenaient de l'étranger puisqu'il était interdit de les dériver en France, mais dès que ce droit a été ouvert, nous avons produit plusieurs dizaines de lignées, pour l'essentiel à partir d'embryons issus d'un diagnostic pré-implantatoire, c'est-à-dire non conservés pour la gestation en raison de défauts génétiques. Pourquoi n'en avons-nous pas besoin ? Parce qu'il suffit d'une lignée cellulaire pour produire des milliers de milliards de cellules identiques. Cela nous arrange d'ailleurs de ne pas multiplier les lignées. De ce fait, nous conservons dans les cuves d'azote de l'I-Stem des cellules provenant de la lignée H-1 – pour « Human 1 », une idée de nos collègues américains – issue du premier embryon à partir duquel ils ont dérivé des cellules en 1998 ; à l'époque, ils en ont produit des milliers de milliards qu'ils ont distribuées à tous les chercheurs du monde entier qui souhaitaient travailler sur les cellules souches embryonnaires.
J'insiste : nous ne dérivons pas constamment de nouvelles lignées à partir de nouveaux embryons. Cela fait même plusieurs années que nous ne l'avons pas fait, car nous n'en avons pas eu le besoin. Dans le domaine de la thérapie cellulaire, en particulier, nous travaillons sur une lignée qui a été dérivée en 2009 en Écosse dans des conditions très particulières qui régissent les cellules utilisées pour l'homme.
Les cellules souches pluripotentes induites, quant à elles, nous intéressent depuis l'origine, et nous en avons fait profiter toute la communauté scientifique française. Étant spécialistes des cellules souches embryonnaires, nous savions cultiver ces cellules pluripotentes qui exigent une certain habileté et des manipulations sophistiquées, selon des règles strictes de contrôle de qualité. Lorsque le Pr Yamanaka a mis au point les quatre facteurs ouvrant la voie à la production de lignées cellulaires, nous avons créé une école et formé entre 2008 et 2012 vingt-cinq chercheurs dans toute la France – à Montpellier, à Nantes, à Marseille et ailleurs – à raison de trois mois de stage pour qu'ils apprennent à cultiver des cellules induites à la pluripotence, grâce à des financements de l'AFM-Téléthon – qui finance également l'essentiel de nos travaux sur les cellules souches embryonnaires.