Intervention de Pierre Médevielle

Réunion du jeudi 11 octobre 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur :

– Avant de passer aux présentations et aux échanges entre l'ensemble des participants de cette table ronde, je voudrais, au nom des quatre rapporteurs, procéder à un bref état des lieux de nos travaux sur cette vaste question des conditions de l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences en France et en Europe.

Nous avons mené plus d'une trentaine d'auditions à l'Assemblée nationale et au Sénat depuis le 28 février dernier. Nous avons effectué un déplacement à Bruxelles pour rencontrer les institutions européennes et les parties prenantes concernées par notre sujet, ainsi qu'à l'EFSA à Parme pour mieux connaître le fonctionnement de cette agence. Quelques auditions sont encore envisagées dans les semaines qui viennent.

Disposer d'un arsenal complet d'analyse des risques sanitaires et environnementaux que l'on encourt en utilisant des produits chimiques ou encore des techniques nouvelles nous paraît évidemment essentiel dans le but de préserver notre santé et notre environnement, à l'heure où le principe de précaution est devenu une sorte de ligne directrice de l'action publique. Ces analyses de risques s'effectuent dans un cadre de plus en plus normé sur le plan international, à travers les institutions spécialisées que sont les agences, et avec un cadre réglementaire de plus en plus exigeant.

Or nous entendons des critiques fortes vis-à-vis non seulement de certaines expertises, mais aussi, plus largement, du processus en lui-même. Les critiques portent tant sur la sélection des experts, la gestion des conflits d'intérêts et la déontologie de l'expertise, que sur les limites des méthodes aujourd'hui employées : fourniture des données par les firmes parties prenantes dans les processus d'autorisation, faiblesse de la contre-expertise, insuffisance des investigations sur les risques environnementaux, sur les effets indirects, mauvaise appréhension des phénomènes d'expositions à long terme – c'est la notion d'exposome –, insuffisante prise en compte des effets de la perturbation endocrinienne, faiblesse des connaissances dans des champs d'analyse nouveaux comme celui des nanomatériaux, obsolescence des modèles, etc.

Ces questions se posent bien entendu à l'égard des pesticides comme le glyphosate utilisés en agriculture, mais plus largement pour tous les produits, toutes les substances qui jalonnent notre vie quotidienne, même si aujourd'hui le projecteur est braqué davantage sur les pesticides agricoles. Dans un tel contexte de doutes, d'incertitudes, mais aussi de suspicion, la prise de décision publique devient extrêmement difficile, d'autant plus qu'interviennent aussi dans le débat public des éléments irrationnels : peurs, fake news, etc.

Avoir conscience des limites actuelles des dispositifs d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux doit conduire à les perfectionner, à faire évoluer les méthodes d'analyse, afin de bâtir une confiance renouvelée entre l'ensemble des acteurs : acteurs de l'économie, scientifiques, décideurs et citoyens. Pourquoi se doter d'agences comme l'ANSES si l'on ignore ensuite leurs recommandations ?

À ce stade, même si nos conclusions ne sont pas encore définitives, notre mission a mis à jour quelques axes forts de réflexion.

Premier axe : toute évaluation des risques constitue un exercice nécessairement incomplet, qui doit en permanence évoluer en fonction des avancées de la science, mais aussi des observations de terrain. L'objectif de l'évaluateur doit être de réduire les marges d'incertitude, mais il ne peut jamais totalement les abolir. C'est l'objet de la pharmacovigilance concernant les médicaments et de la phytopharmacovigilance pour les produits phytopharmaceutiques. La mise en place d'outils de surveillance biologique de la population ou du territoire doit aussi permettre cette analyse plus fine des risques encourus en situation réelle.

Deuxième axe qui découle de notre première constatation sur la difficulté à appréhender les risques de manière complète : la gestion des risques est extrêmement compliquée, puisqu'elle s'appuie non pas sur des données binaires, mais sur des appréciations complexes et mouvantes. À partir de quand faut-il encadrer, voire interdire, certains produits ou certaines pratiques ? Doit-on brider l'innovation si celle-ci comporte des zones d'ombre, d'incertitude ?

Troisième axe : les progrès de la connaissance sont indispensables pour mieux appréhender les risques à long terme ou encore les risques cachés, non immédiats, et notamment les effets délétères sur l'environnement et la santé qui peuvent se manifester avec d'importants effets-retard, et cet effort de recherche doit être poursuivi par toutes les parties prenantes : industrie, monde académique, agences. Le débat sur les perturbateurs endocriniens est emblématique de ce besoin de faire progresser les connaissances.

Quatrième axe : le débat sur les risques ne peut pas devenir un vaste bazar où les émotions et la rhétorique prennent le pas sur la méthode scientifique et la rationalité. Il convient donc d'envisager une institutionnalisation des débats sur les risques et de renforcer la communication dans ce domaine. Intégrer les citoyens au processus d'expertise et garantir à tout moment le maximum de transparence paraissent nécessaires pour permettre au débat de se dérouler plus sereinement.

Le débat d'aujourd'hui doit contribuer à faire progresser nos réflexions sur ce sujet vaste et délicat en traitant de deux aspects. Où en sont les méthodes permettant d'identifier des dangers, de caractériser des risques et de dire quand ils sont acceptables et quand ils ne le sont plus ? Comment le citoyen perçoit-il aujourd'hui les risques sanitaires et environnementaux autour de lui ? Cette dernière question s'adresse au citoyen, mais elle doit aussi intéresser au plus haut point le scientifique, sinon aucun dialogue ne sera possible entre les deux.

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