– Je vous remercie de cette invitation. L'ECHA étant localisée en Finlande, nous n'avons pas l'occasion de venir fréquemment à Paris, mais nous sommes très partisans de ce genre de rencontres.
Créée en 2007, l'Agence européenne des produits chimiques travaille sur la sécurité dans l'utilisation des produits chimiques. Elle est en charge de quatre législations européennes. La plus connue, la législation REACH, concerne toutes les substances industrielles fabriquées ou importées sur le marché européen au-delà d'une tonne par an. Le règlement Classification, étiquetage et emballage, dit CLP, régit les dispositifs d'étiquetage qui informent le consommateur de la classe de danger des produits, et ce pour toutes les substances présentes sur le marché. Le règlement sur les produits biocides entre également dans notre champ de compétences. Enfin, le règlement sur le consentement préalable informé, dit PIC, moins connu, traite de l'import-export des substances dangereuses.
L'ECHA gère tous les aspects techniques et administratifs, mais elle peut également prendre des décisions réglementaires. Elle peut refuser l'enregistrement d'une substance dans le cadre de l'application du règlement REACH, par exemple.
Son champ d'intervention couvre tous les produits industriels et les biocides, avec un chevauchement sur celui de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, pour la classification des pesticides.
Les législations précédemment mentionnées engendrent une masse considérable de données, car elles obligent les industriels à réaliser de très nombreuses études pour s'assurer que leurs substances peuvent être utilisées en toute sécurité. En outre, une législation comme la CLP a des répercussions sur de nombreuses législations en aval : une classification peut imposer la mise en oeuvre de protections supplémentaires sur les sites industriels ou interdire toute utilisation de la substance dans les produits consommateurs.
En ce qui concerne la législation REACH, les industriels ont la charge de la preuve et sont tenus de faire circuler les informations qu'ils ont collectées tout au long de la chaîne d'approvisionnement : ils doivent recommander à leurs clients des mesures de sécurité, qui devront être transmises jusqu'au client final. Pour l'enregistrement du produit, toutes les informations doivent nous être envoyées, charge à nous de nous assurer que le dossier est complet et conforme à la réglementation. Il revient aux États membres de clarifier d'éventuels doutes sur une substance : ils peuvent alors demander des informations complémentaires et prendre toute mesure en matière de restriction.
L'Europe doit être fière de cette législation, qui existe depuis dix ans. C'est la législation sur les produits chimiques la plus ambitieuse au monde et, si elle est bien appliquée, la plus protectrice pour le citoyen et l'environnement.
Nous disposons d'un enregistrement pour 20 000 substances, et entre 2 et 3 millions d'études pour ces substances. Ce chiffre est porté à 130 000 substances pour la classification et l'étiquetage. Nous avons donc développé la plus grande base de données au monde sur les propriétés et les effets des substances chimiques.
Dans le cadre de la législation REACH, nous recevons, non pas des études complètes, mais ce qu'on appelle des « résumés étendus ». Si nous le souhaitons, nous pouvons bien évidemment avoir accès à l'étude complète. En revanche, les éléments nous parviennent sous un format informatique structuré, ce qui nous permet, une fois le dossier considéré comme complet, de les diffuser immédiatement sur notre site internet et d'assurer ainsi une meilleure information de tous. Le règlement REACH offre aussi une forme de garantie de la compétitivité des entreprises, puisqu'il est valable partout en Europe et facilite l'accès aux autres États membres. C'est pourquoi, notamment, les Anglais demandent à pouvoir rester dans ce cadre réglementaire malgré le Brexit. Toutefois, certains points doivent encore être améliorés, comme la qualité des dossiers, laquelle est inégale.
S'agissant de la gestion des risques, la France, via l'ANSES, a proposé certaines classifications et mesures de gestion des risques, en particulier pour les perturbateurs endocriniens. Citons également le cas du chrome VI, contenu dans les objets en cuir, dont l'utilisation faisait courir un risque d'allergie à un million de citoyens européens et dont la restriction, d'après nos estimations, a permis d'éviter 10 000 nouveaux cas d'allergie par an.
Les restrictions mises en place depuis 2008 auraient permis de dégager l'équivalent d'un milliard d'euros en bénéfices pour la santé humaine.
Comment s'effectue l'évaluation ? Un travail informatisé nous permet tout d'abord de repérer, dans notre énorme base de données, les substances risquant de poser problème. Nous nous intéressons de plus en plus au traitement de groupes complets de substances – par exemple, de nombreuses mesures réglementaires ont été prises sur le bisphénol A, que les industriels pourraient être tentés de remplacer par le bisphénol S, une substance présentant des risques identiques. Le processus se poursuit en collaboration avec les experts des États membres. Ces derniers peuvent alors intervenir, en décidant d'approfondir l'étude sur une substance donnée. Une fois le dossier préparé, se tiennent des comités d'experts, réunissant des experts des États membres, dont 90 % sont des fonctionnaires. Ils formulent un avis, ensuite discuté, en comitologie, avec les États membres.
Une opinion scientifique est ainsi élaborée, avalisée par les pairs, mais il faut, à un moment donné, une décision politique pour réglementer ou non la substance.
Depuis 2007, l'ECHA applique une politique de prévention des conflits d'intérêts à l'ensemble de son personnel, ainsi qu'aux membres de son conseil d'administration et aux experts de ses comités. Très attachée à la transparence, elle explicite sur son site, dans toutes les langues européennes, ses processus décisionnels. Ces derniers sont très ouverts : toutes les intentions réglementaires sont présentées en amont, ce qui permet aux parties prenantes d'être informées et de pouvoir intervenir ; des consultations publiques sont systématiquement prévues – ce fut le cas pour le glyphosate ou le dioxyde de titane ; les comités d'experts sont ouverts à des représentants accrédités, soit des industries, soit des ONG.