Intervention de Max Mathiasin

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMax Mathiasin, rapporteur pour avis :

Le budget de la mission « Outre-mer » que nous examinons aujourd'hui intervient à un moment charnière pour nos collectivités ultramarines.

En effet, la loi sur l'égalité réelle outre-mer, source d'espoir pour les outre-mer, a été adoptée l'année dernière. La clôture des Assises des outre-mer est intervenue il y a à peine quelques mois. En outre, le Gouvernement a lancé une revue des aides économiques outre-mer en fin d'année dernière pour déboucher sur une réforme de grande ampleur, que le Gouvernement présente aujourd'hui dans le PLF et le PLFSS.

Dans ce contexte, c'est peu dire que le présent budget était très attendu, tant en ce qui concerne les dépenses que les mesures fiscales.

Or, dans les outre-mer, ce budget déçoit. Il inquiète même. S'agissant du budget de la mission « Outre-mer », tout d'abord, les chiffres affichés ne doivent pas nous leurrer : derrière la hausse de plus de 20 % des crédits de la mission, se cachent en réalité des conséquences comptables de la réforme des aides économiques. À périmètre inchangé, le budget est en réalité constant.

Mais, cette année, le présent PLF doit être jugé davantage par la réforme des aides économiques qu'il met en oeuvre, pour une part conjointement avec le PLFSS. Cette réforme d'une grande ampleur porte non seulement sur les dépenses de la mission « Outre-mer » mais aussi sur la fiscalité et les prélèvements sociaux pesant sur les entreprises : elle est déployée par plusieurs articles du PLF, en première et seconde parties.

C'est donc naturellement que j'ai choisi, dans le cadre du rapport, d'accorder l'essentiel de mon attention à cette réforme économique qui intéresse tout particulièrement notre commission.

Or cette réforme, dont les principes semblaient faire consensus, ne cesse de susciter toujours plus d'inquiétude depuis quelques semaines.

Sur le principe, l'objectif du Gouvernement est de faire « mieux avec autant ». La ministre, Mme Annick Girardin, l'a elle-même annoncé : le montant total des aides économiques spécifiques aux outre-mer resterait fixé à environ 2,45 milliards d'euros. Ce sont leur affectation et leurs modalités qui doivent évoluer pour améliorer l'efficacité de ces dispositifs afin de favoriser le développement économique et l'emploi dans les outre-mer.

Sur le principe, je partage l'ambition du Gouvernement. À l'heure où celui-ci met en oeuvre, notamment par le biais du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), sa démarche globale en faveur de la compétitivité des entreprises et crée un environnement légal et fiscal favorable à leur développement, il est indispensable, dans la même logique, de repenser les aides économiques aux entreprises d'outre-mer.

Mais au-delà du principe, ce sont les modalités concrètes de la réforme qui inquiètent. Comme je l'indique dans le rapport, j'émets de fortes réserves sur plusieurs points.

En premier lieu, la méthode elle-même appelle plusieurs remarques. Si la volonté d'agir vite est un mérite de notre Gouvernement, une réforme d'une telle ampleur aurait sans doute nécessité, dans sa conception, de faire l'objet d'une plus grande réflexion et d'une plus grande concertation. C'est notamment le cas de la réforme du plafond de l'abattement applicable sur l'impôt sur le revenu dans les départements d'outre-mer.

De manière encore plus inquiétante, la réforme est appelée à s'appliquer très rapidement – pour la plupart des dispositifs dès le 1er janvier 2019 – sans que des mesures transitoires aient été prévues. Or les entreprises dépendent fortement de la prévisibilité de leur environnement légal et fiscal ; cette réforme ne prend pas suffisamment en compte cette réalité économique.

En outre, la réforme pèche par le manque de travaux d'évaluation sur ses impacts budgétaires et économiques. Or une réforme d'une telle ampleur méritait de s'attarder sur ses répercussions possibles, en particulier dans des territoires où les entreprises sont souvent fragiles. Plusieurs dispositifs d'aide, comme les zones franches d'activité et les exonérations de charges sociales, font l'objet de lourdes modifications sans que l'on puisse y voir clair sur leurs implications budgétaires et leurs conséquences économiques.

En deuxième lieu, une forte interrogation subsiste s'agissant des montants d'aides en jeu. Si le Gouvernement assure que la réforme se fait à moyens constants en faveur des entreprises ultramarines, il est difficile d'en avoir la certitude. C'est en particulier le cas de la transformation, en allégements de charges, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) spécifique aux outre-mer. Un doute persiste également quant à l'effectivité et à la pérennité du redéploiement de 170 millions d'euros de crédits issus de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable et de l'abaissement du plafond de l'abattement applicable à l'impôt sur le revenu dans les départements d'outre-mer.

En troisième lieu, en affinant l'analyse, je constate que dans ses modalités, la réforme de certains dispositifs est imparfaite, voire présente de sérieux écueils. C'est en particulier le cas de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable, de la réforme des exonérations de charges sociales pour les entreprises et de celle des zones franches d'activité. Je fais des propositions pour améliorer ces modalités.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur la logique qui préside à cette réforme. Comme je le disais tout à l'heure, elle intervient à un moment charnière pour les outre-mer. Leur volonté de développement, leur demande de différenciation et leur revendication à bénéficier d'une égalité réelle par rapport à l'hexagone ont fait l'objet d'une attention particulière ces dernières années, que ce soit dans la loi, lors des Assises des outre-mer ou dans les discours du Président de la République.

Or cette réforme ne semble pas aller dans ce sens. Tant la méthode employée que ses modalités témoignent d'une vision parfois erronée voire négative des outre-mer. C'est notamment le cas de la réforme du plafond de l'abattement applicable à l'impôt sur le revenu – plafond drastiquement abaissé, de 40 à 50 % en fonction des départements d'outre-mer. Cette mesure présente des risques forts en matière d'attractivité de ces territoires et donc de développement économique. Surtout, la justification de cette mesure, que l'on a pu entendre, consistant à dire que l'objectif initial de cet abattement était d'acclimater les ultramarins au paiement de l'impôt, frôle l'irrespect. Elle témoigne de l'insuffisante prise en compte des handicaps structurels des outre-mer qui souffrent notamment d'un coût de la vie très élevé et d'un développement économique insuffisant, éléments qui justifient justement l'existence et le maintien de cet abattement et du niveau actuel de son plafonnement.

Cette réforme nous conduit à faire ce rappel ferme : les dispositifs économiques et fiscaux spécifiques aux outre-mer, souvent présentés désormais comme des avantages, reposent sur des justifications économiques et historiques incontestables. Une réforme des aides économiques ne saurait faire l'économie d'une vision plus générale prenant en compte l'histoire des outre-mer, leurs handicaps structurels et leur légitimité à revendiquer l'égalité réelle avec la métropole.

Pour conclure, la réforme présentée et le budget qui la porte méritent d'être repensés en partie, d'être modifiés et d'être assortis de davantage de garanties pour les entreprises ultramarines et pour le développement économique des collectivités concernées.

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