Intervention de Max Mathiasin

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMax Mathiasin, rapporteur pour avis :

Je vous remercie, Madame la présidente.

Vous avez évoqué, Madame de Lavergne, le contexte économique dans lequel ce budget a été préparé et présenté ; vous avez aussi rappelé le contexte des Assises des outre-mer et la manière dont elles ont été menées ainsi que le nombre d'ateliers et de projets qui ont été présentés. Permettez-moi de vous faire remarquer à mon tour que ce n'est pas la première fois que nous tenons des assises. En 2009, à la suite d'une crise sociale profonde qui avait singulièrement affecté la Guadeloupe et la Martinique mais aussi la Guyane, nous avions organisé des États généraux. Beaucoup de mesures avaient été arrêtées à cette occasion, qui n'ont pas connu d'application sur le terrain. C'est d'ailleurs pour cette raison que votre rapporteur avait été sceptique quant à l'utilité des assises.

Vous parlez de l'augmentation globale du budget de la mission. Il faut savoir que l'augmentation des crédits de l'ordre de 20 % n'est qu'une conséquence comptable de la réaffectation de crédits qui étaient déjà affectés aux outre-mer. Elle correspond notamment, comme vous l'avez vous-même souligné, aux conséquences de la réfaction de l'abattement applicable à l'impôt sur le revenu, qui représente 70 millions d'euros, auquel il faut ajouter 100 millions d'euros liés à la re-fiscalisation par l'État de la TVA non perçue récupérable. Ces 170 millions étaient donc déjà injectés dans l'économie ultramarine. Qui plus est, le redéploiement de crédits va profiter à l'ensemble des outre-mer alors que le prélèvement fiscal n'affectera que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et, dans une moindre mesure, Mayotte. Cela aussi méritait d'être noté.

Le collègue Letchimy vous a apporté des précisions. Vous estimez que 5 % seulement des contribuables seront concernés par la réduction de l'abattement, mais celle-ci touchera en fait 20 à 24 % des contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu. Dans les outre-mers, les contribuables s'inquiètent à juste titre car les 20 à 24 % d'ultramarins assujettis à l'impôt sur le revenu qui sont concernés par la mesure seront les seuls à voir leur impôt augmenter, en moyenne de 10 %. Ajoutez à cela l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) et la non-indexation des retraites sur l'inflation et vous comprendrez que beaucoup se sentent touchés par cette augmentation d'impôt.

Rappelons également que l'abattement instauré en 1960 n'était pas initialement destiné à acclimater les ultramarins – dont les territoires furent des colonies jusqu'en 1946 – au paiement de l'impôt, mais bien à permettre la mise en place d'une administration au moment de la départementalisation. Les colonisés étaient très peu instruits et n'avaient pas l'habitude de l'administration : il fallait donc inciter les fonctionnaires métropolitains à venir travailler dans les outre-mer. Il en va de même de la prime de 40 à 50 %, selon les outre-mer, qui était constituée à l'origine d'une prime « de chaleur » de 15 % et d'une prime d'éloignement de 25 %. Cet abattement avait donc bien été conçu comme une aide à l'économie et non pas comme une faveur ou une mesure visant à nous acclimater au paiement de l'impôt.

Mais allons plus loin et entrons dans l'analyse économique. L'économie des territoires ultramarins est peu qualifiée : elle reste une économie postcoloniale de comptoir essentiellement fondée sur la monoculture – nous aurons d'ailleurs à rediscuter avec vous de l'augmentation de la taxe sur le rhum consommé sur place. Cette économie se limite à la seule exportation : la colonie ne doit rien transformer sur son territoire, pas même un fer à cheval, disait Colbert… Aucun véritable artisanat ni une véritable industrialisation n'ont pu se développer, précisément à cause de ce facteur historique, mais également et surtout du fait d'un environnement caribéen très difficile : il nous est impossible de résister à la concurrence de voisins qui n'ont pas les mêmes lois sociales que nous. Il eût été nécessaire de faire une évaluation économique des conséquences de la réfaction de ces 70 millions d'euros avant d'appliquer cette mesure, afin de prévoir dès le départ les mesures d'accompagnement qui s'imposent.

Pour ce qui est de la TVA non perçue récupérable, cette appellation complexe désigne une disposition décidée par l'État pour subventionner l'économie, comme on subventionne l'agriculture ou certains autres secteurs. Elle aurait pu s'appliquer différemment et s'appeler autrement. Nous savons qu'elle est très difficilement compréhensible pour nos collègues de l'hexagone ; mais ce qui nous inquiète, c'est que les recettes de cette taxe entrent dans le budget de l'État sans que nous sachions comment leur produit sera réparti, année après année, entre les territoires ultramarins. Nous n'avons pas d'étude d'impact à ce jour ni aucun document de politique transversale. Enfin, nous notons des contradictions dans les chiffres.

Monsieur Adam, vous avez indiqué que le budget était en augmentation de 20 %. Je vous ai déjà répondu qu'il s'agissait d'une conséquence comptable de la réforme des aides économiques. Vous avez aussi poussé un « coup de gueule » : vous avez raison, cher collègue, mais c'est justement contre cela que nous nous battons ! Ce que nous déplorons, c'est précisément cette absence de réflexe ultramarin dans l'hémicycle, chez nos collègues. Les outre-mer sont une dimension de la France. La France, c'est bien sûr l'hexagone, mais ce sont aussi ses archipels et ses îles. Le réflexe républicain ne saurait se limiter à une vision du développement économique dans l'hexagone ; car l'hexagone ne peut être performant si les outre-mer ne sont pas développés au même titre. Ce sont eux qui font de la France la deuxième puissance maritime du monde ; ils constituent une forme de prolongement de l'hexagone, pour ne pas dire une vitrine.

Ma collègue Benin nous appelle à gagner la bataille de l'emploi. Cette remarque très importante nous renvoie à la question de l'évaluation des créations d'emplois que nous pourrions générer grâce à ces mesures : or celle-ci n'a pas été faite. Votre rapporteur reste donc sur sa position, chère collègue, et maintien qu'il aurait fallu procéder au préalable à cette évaluation. On ponctionne ces 170 millions d'euros dans un contexte économique particulier ; c'est précisément là que la théorie du « premier de cordée » chère au Président de la République doit entrer en application, faute de quoi l'économie ultramarine va être handicapée. Si, dans un territoire où il y a 25 % de chômeurs – voire 30 à 35 % à Mayotte – et 50 % de chômeurs parmi les jeunes, il n'y a pas d'éclatement social, c'est précisément grâce à la solidarité non seulement familiale mais aussi transfamiliale et communautaire, qui nous permet de tenir. Il ne fallait donc pas, à mon sens, réduire tout de go la portée de ces abattements. Peut-être aurait-il fallu aller progressivement vers d'autres mesures pour accompagner l'industrialisation, l'ingénierie et le développement de start-up pour nos jeunes car ceux-ci sont pour le moment obligés de partir en métropole, au Canada ou ailleurs. La Martinique est le plus vieux département de France par l'âge de ses habitants et la Guadeloupe n'en est pas loin !

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