Dans le préambule à l'étude d'impact est présenté un calendrier prévisionnel de six grands chantiers que la ministre a rappelés et qui doivent se répartir sur dix-huit mois. Comment justifier, dans ces conditions, l'extrême urgence qu'il y aurait à procéder par ordonnances sur le premier de ces chantiers ? Le Conseil d'État lui-même a exprimé cette question et cette inquiétude.
L'urgence est d'autant moins avérée que nous légiférons sur des textes récents, non encore évalués, et qu'il m'apparaît difficile, en tant que rapporteur, d'établir un lien cohérent entre la nécessité de définir un cadre juridique stable et l'urgence dans laquelle nous devons nous prononcer. Cette analyse est confortée par l'avis du Conseil d'État, qui craint l'inflation législative et l'instabilité du droit, ce qui est à l'inverse des objectifs affichés par le Gouvernement.
Votre rapporteur sur l'application de la loi souscrit à l'objectif de stabilité légale et réglementaire pour les entreprises comme pour les salariés, mais force est de constater que l'ordre juridique est encore incertain, car des lois sont modifiées alors qu'elles viennent à peine d'être votées. Je pense à la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, à la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi et à la loi du 8 août 2016 relative au travail. Cela emporte évidemment des modifications de dispositifs récents, comme la réforme des obligations d'information et de consultation dans l'entreprise, le recours à la consultation des salariés dans l'entreprise ou le recours à une instance fusionnée des instances représentatives du personnel. L'objectif de stabilité invoqué par l'étude d'impact ne me paraît donc pas pouvoir être atteint dans ces conditions.
L'articulation du projet de loi avec le droit européen fait l'objet, quant à elle, d'une analyse pour le moins sommaire.
Pour ce qui est de l'évaluation de l'état de l'application du droit, le Gouvernement confond les termes en procédant essentiellement à une analyse de l'état du droit, ce qui n'est pas la même chose. La notion d'état de l'application du droit peut s'entendre, selon les sujets, comme une démarche d'évaluation. Force est de constater que celle-ci est souvent défaillante. Votre rapporteur doute, par exemple, de pouvoir considérer comme relevant d'une démarche sérieuse d'évaluation de la procédure de lettre de licenciement la mention d'une étude non sourcée portant sur une centaine de cas. On peut en effet douter de la représentativité d'une telle étude.
De même, l'affirmation selon laquelle la refonte du dialogue social à travers la réorganisation des instances représentatives du personnel serait une réforme structurelle susceptible de produire des effets à long terme sur la qualité et l'efficacité du dialogue social dans l'entreprise nous paraît proche d'une pétition de principe.
Enfin, la nécessité de légiférer n'est pas toujours établie. Cela est vrai pour le seuil de déclenchement des plans sociaux, qui est inscrit dans notre droit de façon constante depuis trente ans. Cela est également vrai pour la nécessité de réformer le travail de nuit, alors qu'un certain nombre de rapports de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ANSES – démontrent le contraire.
J'ajoute qu'il manque dans le texte de nombreuses précisions. Je pense en particulier à la barémisation des dommages et intérêts en cas de licenciement et, même si quelques précisions, bien qu'incomplètes, ont été apportées aujourd'hui à ce propos, à la réforme du compte pénibilité.
Je terminerai en soulignant que cet examen est évidemment trop rapide : nous avons eu droit à cinq minutes à cette tribune et à 13 000 signes dans le rapport, de telle sorte qu'il ne s'agit pas ici de mener un débat au fond, mais simplement de montrer les limites de ce rapport, qui ne permet pas d'éclairer correctement la représentation nationale.