Monsieur le ministre, en prenant vos fonctions, vous avez hérité d'un budget préparé par votre prédécesseur, mais surtout d'une situation qu'il a dépeinte dans des termes très éloquents en quittant la place Beauvau.
Dans ce qui a constitué sans doute son meilleur discours, Gérard Collomb a décrit un pays dont certains quartiers étaient livrés aux narcotrafiquants – cela rappelle la Colombie – et aux islamistes. Ces fléaux gangrènent chaque jour notre pacte républicain. Nos forces de l'ordre, police, gendarmerie, et tous les maillons de la chaîne de sécurité, services de renseignements ou douaniers, y sont confrontés. Policiers et gendarmes vivent cette situation au quotidien de façon très douloureuse et avec de plus en plus de difficultés.
La situation est grave. De nouveaux drames sont survenus ces dernières heures : des enfants ont été tués dans des conditions épouvantables lors de rixes à Paris, d'affrontements entre bandes dans nos quartiers. On dénombre chaque jour en France un millier d'agressions non crapuleuses. Cela, ajouté à la menace terroriste qui se maintient à un niveau extrêmement élevé, constitue notre quotidien. Nous sommes préoccupés par ces quartiers qui échappent aux lois de la République, par un département, la Seine-Saint-Denis, qui s'éloigne progressivement des règles normales de fonctionnement d'un État républicain.
Telle est la mission dont vous avez la charge aujourd'hui. Pourtant, monsieur le ministre, vous nous présentez un budget très classique, d'une grande banalité. Des efforts, des progrès, des mesures techniques sont à relever. Mais d'années en années, et quels que soient les gouvernements – en toute lucidité, j'inclus la période où nous étions aux responsabilités –, l'effort que nous consentons n'est pas à la hauteur des enjeux, qu'il s'agisse du terrorisme islamiste ou de la délinquance.
En cinquante ans, la part des dépenses régaliennes a été divisée par deux. Elles représentent à peine 3,16 % de la richesse nationale, contre 6,5 % en 1960, sous la présidence du général de Gaulle. Votre ministère perçoit 0,85 % de la richesse nationale, celui de la justice, 0,38 %, quand, dans le même temps, la part consacrée à la dépense sociale est de 32 % !
Il faut savoir ce que l'on veut. Nous devrons, à un moment, changer de cap ! Vous annoncez une augmentation de 2 % du budget, ce qui compense grosso modo l'effet de l'inflation. Je me réjouis de l'augmentation des effectifs, mais je voudrais nuancer ces annonces, qui procèdent souvent d'un excès de communication. Dans son excellent rapport, Jean-Michel Fauvergue indique qu'en juin 2018, il y avait exactement 374 policiers de moins qu'à la fin de l'année 2017. Bien sûr, il s'agit du mois de juin, et je n'ignore pas que des effectifs sortiront de l'école à l'automne, mais cela signifie que nous usons toujours des mêmes subterfuges et que les effets d'annonce ne se concrétisent que très rarement dans les faits.
Je conclurai sur la directive européenne sur le temps de travail, dont le général Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué qu'elle reviendrait à supprimer 4 000 postes. Les quelques centaines d'effectifs supplémentaires prévus par le budget seront donc rognés par la nouvelle organisation du temps de travail. Qu'en est-il de la police nationale ? On dit que l'application du vendredi fort pourrait représenter 5 000 effectifs en moins.
Monsieur le ministre, même s'il existe des dispositions positives, les mesures que vous prenez ne répondent en rien à la gravité de la situation, au malaise que ressentent policiers et gendarmes. Il faut les entendre, dans le cadre d'une vraie mobilisation générale.