Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » représentent 1,694 milliard d'euros, soit une hausse de 13 % à périmètre constant, après une progression de 26 % en 2018. Cette hausse significative correspond au fait que la pression migratoire reste forte dans notre pays, avec notamment une demande d'asile très soutenue, mais elle est également la traduction budgétaire de priorités politiques claires, en application, d'une part, des décisions prises au comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018 et dans la droite ligne, d'autre part, du plan d'action du Gouvernement pour garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires.
Ce budget pour 2019 est robuste et complet à un triple titre : il garantit les moyens qui permettront à l'État de renforcer les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés ; il assure des ressources nouvelles pour renforcer les instruments de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ; enfin, il permet le changement d'échelle des politiques d'intégration, qui sont déployées en faveur des étrangers qui ont vocation à rester durablement en France.
Vous le savez, notre pays reste soumis à une pression migratoire intense, évolutive, qui appelle de notre part une action toujours plus déterminée.
Cette pression migratoire n'est pas sans paradoxes. Entre 2016 et 2017, le nombre de demandeurs d'asile a diminué de moitié dans l'Union européenne mais a augmenté de 17 % en France, faisant franchir à notre pays le cap historique des 100 000 demandes d'asile enregistrées à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA).
Pour ceux parmi vous qui, comme moi, sont attachés par-dessus tout à la protection du droit d'asile pour les personnes persécutées et celles qui fuient la guerre, ce chiffre historiquement élevé ne doit pas, contrairement aux apparences, réjouir car il résulte d'une demande d'asile émanant en large part de personnes sans besoin de protection.
En 2017, le premier pays d'origine des demandeurs d'asile était ainsi l'Albanie, pays sûr, candidat à l'entrée dans l'Union européenne et dont les ressortissants n'ont guère plus de 6 % de chances d'obtenir le statut de réfugié. La même année, on constatait en Guyane une hausse constante et préoccupante des demandes d'asile des personnes originaires d'Haïti, qui ne font généralement pas état de motifs de protection au sens du droit international. Ces flux sont particulièrement déstabilisants pour un territoire qui connaît déjà des tensions importantes.
Nous sommes devant un paradoxe : les demandes d'asile sont en hausse alors que les arrivées sur notre continent de personnes fuyant véritablement la guerre sont en baisse.
Cette réalité, le Gouvernement s'en est saisi à bras-le-corps, et j'en veux pour preuve deux exemples.
Après l'élaboration avec le gouvernement albanais d'un plan d'action vigoureux visant à dissuader les flux migratoires irréguliers vers la France, la demande d'asile en provenance de ce pays enregistre, sur les neuf premiers mois de 2018, une baisse de 41 % par rapport à la même période 2017.
En Guyane, le constat avait été fait que la durée excessive de nos procédures d'asile constituait un facteur important d'attractivité. Conformément à l'engagement pris par le Président de la République de réduire la durée de la procédure et la durée de perception de l'allocation pour demandeurs d'asile à deux mois, un décret expérimental réduisant à deux mois le délai de traitement de l'asile dans ce territoire a permis une baisse de 49 % des demandes.
J'étais il y a deux jours à Grande-Synthe où j'ai assisté à l'évacuation d'un campement où étaient installés en majorité des Kurdes irakiens. Cette opération a fait suite à une décision de la cour d'appel de Douai qui, la semaine dernière, a considéré que, dans certaines régions d'Irak, il n'y avait pas de risques politiques justifiant l'obtention du droit d'asile. Là où il y a une volonté, on peut faire baisser la pression. Ce sont des messages qu'il faut faire passer à celles et ceux qui organisent avec le grand banditisme des filières de traite humaine qui utilisent la France comme pays cible et exposent des familles à subir des conditions de vie épouvantables dans de tels campements.
L'année écoulée nous le prouve, mesdames et messieurs les députés, pour dissuader les flux migratoires irréguliers, l'action déterminée de l'État porte ses fruits. Il n'en reste pas moins, et je le reconnais solennellement devant vous, que la France reste confrontée à une situation migratoire délicate, qui justifie de poursuivre et d'amplifier notre action et, par conséquent, d'y allouer les moyens nécessaires. Je prendrai à nouveau des exemples particulièrement illustratifs.
La France est aujourd'hui la destination d'un nombre important, et toujours croissant, de demandeurs d'asile originaires de Géorgie, un pays qui a obtenu récemment une exemption de visas pour ses ressortissants se rendant dans l'Union européenne. Sur les neuf premiers mois de l'année, la demande en provenance de ce pays a enregistré une hausse de 289 % ! Je tiens à l'affirmer devant vous : ma détermination sera totale pour endiguer ce phénomène, qui relève d'une migration économique et concerne très largement des personnes qui n'ont pas de besoin de protection au sens du droit international. Je mobiliserai tous les outils, bilatéraux mais aussi européens, pour y parvenir.
Du fait des dysfonctionnements actuels du règlement « Dublin », notre pays est fortement exposé aux flux secondaires internes à l'Union européenne, flux dans lesquels les déboutés du droit d'asile sont, hélas, de plus en plus nombreux. Un tiers des demandes d'asile enregistrées en France proviennent de personnes ayant déjà déposé une demande dans un autre pays de l'Union européenne et qui n'ont pas obtenu l'asile. Les Afghans qui demandent l'asile dans notre pays ont déjà déposé, en moyenne, 1,8 demande d'asile dans d'autres pays de l'Union. Ce n'est pas acceptable, et je souhaite m'engager avec vigueur dans les négociations européennes pour réformer enfin le système qui permet cela. Cependant, en attendant, nous n'avons d'autre issue que de mettre en oeuvre avec détermination les outils à notre disposition, en transférant les personnes concernées vers le pays européen chargé de l'examen de leur demande d'asile. Si nous voulons sauver ce droit essentiel et faire en sorte qu'il profite à celles et ceux peuvent y avoir droit, il nous faut être extrêmement strict.
Vous le voyez, l'année 2019 devra, en matière migratoire, voir poursuivis et amplifiés nos efforts pour maîtriser l'immigration, garantir le droit d'asile et tirer les conséquences de l'octroi, ou du refus, du statut de réfugié. Je souhaite que nous conduisions un dialogue ferme avec les pays d'origine des migrants pour qu'ils travaillent à dissuader les départs et qu'ils reprennent leurs ressortissants. Nous devons oeuvrer à l'échelle européenne pour apporter une réponse coordonnée aux défis migratoires que nous partageons, qu'il s'agisse des arrivées en Méditerranée ou des flux de rebond dans l'Union européenne. Il nous faut aussi garantir la dignité de l'accueil dans notre pays : en 2019, conformément aux engagements pris par le Président de la République à Orléans en juillet 2017, nous créerons 3 500 nouvelles places d'hébergement pour les demandeurs d'asile. Il importe également d'assumer d'éloigner ceux qui sont déboutés de leur demande d'asile, y compris, je le dis sans détour, en les plaçant en rétention lorsqu'existe un risque de fuite. Enfin, aux quelque 30% de demandeurs qui obtiennent le statut de réfugié, nous donnerons réellement les moyens de s'intégrer dans notre pays.
Ces orientations, mesdames et messieurs les députés, sont celles qui guident la construction du budget que je vous présente aujourd'hui.
En premier lieu, pour faire face à une demande d'asile toujours soutenue, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » incluent des moyens supplémentaires pour traiter ces demandes d'asile et accueillir les demandeurs dans des conditions dignes. Ce renforcement du dispositif d'accueil et d'hébergement est indispensable : c'est le meilleur moyen de lutter contre les campements.
Aussi, pendant tout le temps du traitement de la demande d'asile, tous les moyens seront déployés pour accueillir dignement les demandeurs d'asile : conformément aux engagements déjà pris par le Gouvernement, 1 000 nouvelles places de centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et 2 500 nouvelles places d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) seront créées en 2019 ainsi que 2 000 places en centres provisoires d'hébergement (CPH), qui visent à faciliter l'accès au logement des réfugiés les plus vulnérables. Ce projet de loi de finances met également fin à une anomalie, qui voulait que les places d'hébergement pour demandeurs d'asile en Île-de-France, dans les centres d'hébergement d'urgence pour migrants (CHUM), soient financées sur le programme 177, sous la responsabilité du ministre chargé du logement. Le PLF organise donc le transfert des 7 800 places de ces centres vers les programmes 104 et 303, pour un montant de 113 millions d'euros.
Pour atteindre, fin 2019, l'objectif d'un traitement des demandes d'asile dans un délai de six mois en moyenne, des renforts seront alloués à l'ensemble de ceux qui contribuent au traitement de ces demandes : 170 renforts de personnels titulaires ont été alloués aux préfectures, comme j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer plus tôt en présentant les moyens du programme « Administration territoriale » auxquels s'ajoutent 25 effectifs pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) afin d'investir des missions nouvelles, notamment armer les équipes mobiles prévues par la circulaire du 12 novembre 2017, ainsi que 10 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour l'OFPRA, qui aura ainsi vu ses effectifs renforcés de 280 postes depuis 2015, ce qui est une dynamique particulièrement remarquable pour un opérateur de l'État.
En outre, même si cette juridiction ne fait pas partie du périmètre de cette mission, je mentionne, compte tenu de son importance, 122 ETP pour la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), chargée de statuer sur les recours contre les refus d'asile décidés par l'OFPRA, dont les délais de traitement se sont allongés en 2018 du fait notamment d'une grève des personnels.
Enfin, s'agissant toujours de l'accueil des demandeurs d'asile, ce projet de loi de finances prévoit la poursuite du rebasage de l'allocation versée aux demandeurs d'asile (ADA) pendant toute la durée de la procédure : les crédits sont en hausse de 5,7% par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.
Le PLF pour 2019 traduit l'attachement très fort de ce Gouvernement à la mise en oeuvre d'une politique toujours plus crédible de lutte contre l'immigration irrégulière et d'éloignement.
En la matière, l'entrée en fonctions de ce Gouvernement a marqué un tournant, avec une reprise des éloignements qui ont augmenté de 14 % en 2017, après des années de fléchissement. Depuis le début de l'année 2018, la tendance se maintient puisque le nombre de personnes ayant quitté le territoire est à nouveau en hausse de 20 % par rapport à la même période en 2017. Mais cette tendance à la hausse, pour être amplifiée, appelle des moyens supplémentaires. Si la dynamique de l'aide au retour volontaire est très positive, celle des éloignements contraints, avec une augmentation de 9 %, est en-deçà de la mobilisation que je sais très forte des services de l'État. Les préfets l'ont indiqué dans leurs rapports : il n'y pas suffisamment de places dans les centres de rétention pour permettre l'éloignement effectif de ceux qui, hélas, tentent de se soustraire à l'application du droit.
L'engagement avait été pris, vous vous en souvenez, d'ouvrir 400 places supplémentaires en centres de rétention. Depuis octobre 2017, plus de 200 places ont déjà été ouvertes. Mais pour poursuivre cette dynamique, il nous faut investir dans ces équipements. C'est la raison pour laquelle les crédits qui vous sont proposés prévoient un plan d'investissement en matière de rétention d'un montant de 48 millions d'euros.
Il y a aussi l'enjeu de l'intégration. Vous le savez, mesdames et messieurs les députés, elle ne se décrète pas : il faut y travailler avec constance et avec ambition. C'est pourquoi, à la suite des conclusions du rapport de votre collègue Aurélien Taché, le Gouvernement a décidé d'organiser le changement d'échelle de nos politiques d'intégration, lors du comité interministériel à l'intégration, présidé par le Premier ministre, le 5 juin dernier.
Pour ce faire, nous travaillerons selon quatre axes.
Premièrement, s'intégrer dans un pays, c'est d'abord en maîtriser la langue. Le nombre d'heures de cours de français dans le cadre du contrat d'intégration républicaine (CIR) sera donc doublé, passant de 200 heures à 400 heures, et même 600 heures pour celles et ceux qui ne maîtrisent pas la lecture et l'écriture.
Deuxièmement, demeurer sur le sol français, c'est partager les valeurs de la République, les cours d'éducation civique seront donc eux aussi doublés, passant de 12 heures à 24 heures. Ils incluront désormais la visite d'institutions comme les préfectures, les commissariats ou les palais de justice.
Troisièmement, parce que, pour tous, l'emploi est un facteur d'insertion dans la société, le contrat d'intégration républicaine comprendra une dimension d'orientation professionnelle. Il prévoira notamment un entretien dédié en fin de contrat, organisé par l'OFII.
Enfin, les réfugiés qui présentent des besoins et des vulnérabilités particulières bénéficieront d'un accompagnement dédié et renforcé en matière de santé, de logement et de formation, sous le pilotage du délégué interministériel chargé de l'accueil et de l'intégration des réfugiés, le préfet Alain Régnier.
Ces axes décidés en juin dernier devaient trouver une concrétisation dans le projet de loi de finances. C'est chose faite dans le budget qui vous est présenté, avec 89 millions de crédits supplémentaires consacrés à la mise en oeuvre des décisions du comité interministériel.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, la traduction budgétaire de la politique juste, crédible et responsable que j'entends mener en 2019 sur ces matières si complexes et délicates de l'asile, de l'immigration et de l'intégration. Elles ne peuvent se résumer à quelques bonnes formules car derrière, il y a la vie d'hommes, de femmes et d'enfants. J'ai vu à Grande-Synthe des familles entières vivre dans des conditions épouvantables parce qu'elles avaient été conduites ici par des personnes qui font commerce d'assassiner leurs rêves.