La mission Santé du projet de loi de finances (PLF) regroupe les dépenses de santé qui ne sont pas retracées dans le budget de la sécurité sociale. Ces dépenses, dont le montant s'élève à 1,4 milliard d'euros, sont consacrées, d'une part, à la politique de prévention, dont les crédits relèvent du programme 204, et, d'autre part, à la politique de l'aide médicale de l'État (AME), budgétisée sur le programme 183, Protection maladie. Les dépenses de la mission Santé sont en augmentation de 47,7 millions d'euros en 2019, mais cette trajectoire est uniquement liée au dynamisme des dépenses de l'AME, qui augmentent de plus de 53 millions d'euros pour atteindre, en 2019, 942,9 millions d'euros. Au contraire, la politique de prévention en santé voit ses crédits diminuer de 5,5 millions d'euros, pour s'établir à 480,6 millions d'euros.
J'aimerais développer mon propos en deux temps : un premier propos sur l'aide médicale de l'État et un second sur les carences du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine, prévu sur le programme 204.
En ce qui concerne l'aide médicale de l'État, on constate une tendance à la sous-budgétisation que viennent confirmer les premières prévisions actualisées de l'année 2018. Certes, la prévision de la dépense est complexe, du fait des caractéristiques particulières des bénéficiaires de l'AME, mais le Gouvernement pourrait faire preuve d'une plus grande prudence dans la construction des hypothèses retenues. L'information fournie dans les documents budgétaires pourrait ainsi être utilement complétée par des données statistiques fiables – je l'avais déjà souligné au printemps dernier – pour mieux éclairer le Parlement sur l'opportunité des choix qui sont faits.
Je tiens à souligner notamment le manque de transparence sur le coût total des dépenses de santé en faveur des étrangers en situation irrégulière. En effet, les dépenses d'AME comprises dans le programme ne couvrent qu'une partie du coût de la prise en charge de ces personnes par notre système de santé. Aux 942,9 millions d'euros prévus pour l'AME en 2019, il convient ainsi d'ajouter la dette de l'État envers l'assurance maladie du fait du remboursement partiel des dépenses d'AME engagées par celle-ci. Cette dette s'établissait à environ 50 millions d'euros à la fin 2017, en raison notamment de la sous-budgétisation des crédits, et sera probablement doublée à la fin de l'année 2018. De plus, les soins urgents ne sont couverts par l'État que de façon partielle, grâce à une dotation forfaitaire qui n'a pas évolué depuis un grand nombre d'années. Elle est fixée à 40 millions d'euros, la différence, soit environ 25 millions d'euros en 2017, étant à la charge de l'assurance maladie. À ce calcul, il faut également ajouter le coût de la prise en charge des personnes en situation irrégulière à Mayotte – où l'AME n'est pas applicable – que j'estime, à partir d'un faisceau d'indices, à environ 100 millions d'euros.
Enfin, il convient de prendre en compte le coût de la couverture santé des demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée mais qui continuent, pendant une période de douze mois, à bénéficier du maintien de leurs droits dans le cadre de la protection universelle maladie (PUMA), c'est-à-dire dans le régime général de prise en charge des dépenses de santé géré par l'assurance maladie. Or, d'après les chiffres fournis par l'Office de protection des réfugiés et apatrides, environ 40 000 des 100 000 demandeurs d'asile ont vu leur demande aboutir en 2017. Ainsi, chaque année, environ 60 000 personnes restent dans le régime de l'assurance maladie pendant une période de douze mois alors qu'elles sont en situation irrégulière.
Je tiens à vous alerter sur la reconstitution de la dette de l'État envers l'assurance maladie au titre des dépenses d'AME non compensées. Elle est, certes, inférieure à celle des années 2000 et limitée par rapport à la dette globale de l'État envers l'assurance maladie, mais elle soulève de réels problèmes quant à la sincérité de la dépense. Ce n'est absolument pas à l'assurance maladie de supporter le coût de la sous-budgétisation structurelle de l'AME.
J'en viens maintenant aux crédits de la prévention pour la santé, qui sont de nouveau en baisse. Ils ont diminué de 40 % depuis 2013. En 2019, cette diminution est principalement due à la baisse de 10,5 millions d'euros de l'enveloppe totale allouée aux dossiers contentieux, baisse qui soulève la question de la sincérité de l'engagement du Gouvernement concernant le maintien de la prise en charge du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine à hauteur de 77,7 millions d'euros. J'ai en effet de grandes difficultés à croire à une diminution soudaine de l'ensemble des indemnisations contentieuses pour l'année 2019. Il me semble plutôt que le Gouvernement utilisera cette enveloppe globale pour procéder à des ajustements en fonction des besoins réels du dispositif « Dépakine », qui sont pour le moment inférieurs aux prévisions.
La réticence du Gouvernement à assumer les choix arbitrés dans son budget est très certainement liée non seulement à la peur de la symbolique politique d'une telle diminution de la budgétisation du dispositif mais aussi au refus de reconnaître les carences de celui-ci. J'ai en effet relevé, au cours de mes travaux, les véritables difficultés que rencontrent les familles de victimes pour avoir accès à une indemnisation effective. De fait, la procédure est très complexe. Chaque dossier compte environ 800 pages, de sorte que le concours d'un avocat est quasiment nécessaire, ce qui implique des frais financiers non négligeables. Le nombre des demandes d'indemnisation est ainsi bien inférieur à celui qui a été estimé et leur instruction a pris un retard conséquent, du fait du sous-dimensionnement des moyens humains prévus.
Je m'inquiète également de la soutenabilité de ce dispositif. En effet, 420 millions d'euros ont été prévus, sur une période de six ans, pour l'ensemble des indemnisations. Un tel montant peut paraître élevé si les familles n'ont pas véritablement accès au dispositif, ce qui n'est évidemment pas souhaitable. Mais il peut aussi paraître très faible si l'on tient compte des dernières estimations du nombre de victimes potentielles. Il est en effet aujourd'hui établi qu'entre 16 000 et 30 000 enfants sont potentiellement concernés d'après diverses estimations, soit, si nous retenons le montant de 420 millions d'euros, une indemnisation de 26 250 euros par enfant. Or, cette somme est bien éloignée de celle qui a été retenue par la cour d'appel d'Orléans, qui a condamné, le 20 novembre 2017, le laboratoire Sanofi à verser 2 millions d'euros à la famille d'une victime et un 1 million d'euros à l'assurance maladie, soit un total de 3 millions d'euros. J'ai donc déposé un amendement afin de demander au Gouvernement un rapport sur la soutenabilité pour les finances publiques de ce dispositif d'indemnisation et sur sa gestion depuis son entrée en vigueur. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, s'est exprimée sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).