Présidence
La commission poursuit l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019 (n° 1255).
Elle examine d'abord les crédits de la mission Santé (Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale).
La mission Santé du projet de loi de finances (PLF) regroupe les dépenses de santé qui ne sont pas retracées dans le budget de la sécurité sociale. Ces dépenses, dont le montant s'élève à 1,4 milliard d'euros, sont consacrées, d'une part, à la politique de prévention, dont les crédits relèvent du programme 204, et, d'autre part, à la politique de l'aide médicale de l'État (AME), budgétisée sur le programme 183, Protection maladie. Les dépenses de la mission Santé sont en augmentation de 47,7 millions d'euros en 2019, mais cette trajectoire est uniquement liée au dynamisme des dépenses de l'AME, qui augmentent de plus de 53 millions d'euros pour atteindre, en 2019, 942,9 millions d'euros. Au contraire, la politique de prévention en santé voit ses crédits diminuer de 5,5 millions d'euros, pour s'établir à 480,6 millions d'euros.
J'aimerais développer mon propos en deux temps : un premier propos sur l'aide médicale de l'État et un second sur les carences du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine, prévu sur le programme 204.
En ce qui concerne l'aide médicale de l'État, on constate une tendance à la sous-budgétisation que viennent confirmer les premières prévisions actualisées de l'année 2018. Certes, la prévision de la dépense est complexe, du fait des caractéristiques particulières des bénéficiaires de l'AME, mais le Gouvernement pourrait faire preuve d'une plus grande prudence dans la construction des hypothèses retenues. L'information fournie dans les documents budgétaires pourrait ainsi être utilement complétée par des données statistiques fiables – je l'avais déjà souligné au printemps dernier – pour mieux éclairer le Parlement sur l'opportunité des choix qui sont faits.
Je tiens à souligner notamment le manque de transparence sur le coût total des dépenses de santé en faveur des étrangers en situation irrégulière. En effet, les dépenses d'AME comprises dans le programme ne couvrent qu'une partie du coût de la prise en charge de ces personnes par notre système de santé. Aux 942,9 millions d'euros prévus pour l'AME en 2019, il convient ainsi d'ajouter la dette de l'État envers l'assurance maladie du fait du remboursement partiel des dépenses d'AME engagées par celle-ci. Cette dette s'établissait à environ 50 millions d'euros à la fin 2017, en raison notamment de la sous-budgétisation des crédits, et sera probablement doublée à la fin de l'année 2018. De plus, les soins urgents ne sont couverts par l'État que de façon partielle, grâce à une dotation forfaitaire qui n'a pas évolué depuis un grand nombre d'années. Elle est fixée à 40 millions d'euros, la différence, soit environ 25 millions d'euros en 2017, étant à la charge de l'assurance maladie. À ce calcul, il faut également ajouter le coût de la prise en charge des personnes en situation irrégulière à Mayotte – où l'AME n'est pas applicable – que j'estime, à partir d'un faisceau d'indices, à environ 100 millions d'euros.
Enfin, il convient de prendre en compte le coût de la couverture santé des demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée mais qui continuent, pendant une période de douze mois, à bénéficier du maintien de leurs droits dans le cadre de la protection universelle maladie (PUMA), c'est-à-dire dans le régime général de prise en charge des dépenses de santé géré par l'assurance maladie. Or, d'après les chiffres fournis par l'Office de protection des réfugiés et apatrides, environ 40 000 des 100 000 demandeurs d'asile ont vu leur demande aboutir en 2017. Ainsi, chaque année, environ 60 000 personnes restent dans le régime de l'assurance maladie pendant une période de douze mois alors qu'elles sont en situation irrégulière.
Je tiens à vous alerter sur la reconstitution de la dette de l'État envers l'assurance maladie au titre des dépenses d'AME non compensées. Elle est, certes, inférieure à celle des années 2000 et limitée par rapport à la dette globale de l'État envers l'assurance maladie, mais elle soulève de réels problèmes quant à la sincérité de la dépense. Ce n'est absolument pas à l'assurance maladie de supporter le coût de la sous-budgétisation structurelle de l'AME.
J'en viens maintenant aux crédits de la prévention pour la santé, qui sont de nouveau en baisse. Ils ont diminué de 40 % depuis 2013. En 2019, cette diminution est principalement due à la baisse de 10,5 millions d'euros de l'enveloppe totale allouée aux dossiers contentieux, baisse qui soulève la question de la sincérité de l'engagement du Gouvernement concernant le maintien de la prise en charge du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine à hauteur de 77,7 millions d'euros. J'ai en effet de grandes difficultés à croire à une diminution soudaine de l'ensemble des indemnisations contentieuses pour l'année 2019. Il me semble plutôt que le Gouvernement utilisera cette enveloppe globale pour procéder à des ajustements en fonction des besoins réels du dispositif « Dépakine », qui sont pour le moment inférieurs aux prévisions.
La réticence du Gouvernement à assumer les choix arbitrés dans son budget est très certainement liée non seulement à la peur de la symbolique politique d'une telle diminution de la budgétisation du dispositif mais aussi au refus de reconnaître les carences de celui-ci. J'ai en effet relevé, au cours de mes travaux, les véritables difficultés que rencontrent les familles de victimes pour avoir accès à une indemnisation effective. De fait, la procédure est très complexe. Chaque dossier compte environ 800 pages, de sorte que le concours d'un avocat est quasiment nécessaire, ce qui implique des frais financiers non négligeables. Le nombre des demandes d'indemnisation est ainsi bien inférieur à celui qui a été estimé et leur instruction a pris un retard conséquent, du fait du sous-dimensionnement des moyens humains prévus.
Je m'inquiète également de la soutenabilité de ce dispositif. En effet, 420 millions d'euros ont été prévus, sur une période de six ans, pour l'ensemble des indemnisations. Un tel montant peut paraître élevé si les familles n'ont pas véritablement accès au dispositif, ce qui n'est évidemment pas souhaitable. Mais il peut aussi paraître très faible si l'on tient compte des dernières estimations du nombre de victimes potentielles. Il est en effet aujourd'hui établi qu'entre 16 000 et 30 000 enfants sont potentiellement concernés d'après diverses estimations, soit, si nous retenons le montant de 420 millions d'euros, une indemnisation de 26 250 euros par enfant. Or, cette somme est bien éloignée de celle qui a été retenue par la cour d'appel d'Orléans, qui a condamné, le 20 novembre 2017, le laboratoire Sanofi à verser 2 millions d'euros à la famille d'une victime et un 1 million d'euros à l'assurance maladie, soit un total de 3 millions d'euros. J'ai donc déposé un amendement afin de demander au Gouvernement un rapport sur la soutenabilité pour les finances publiques de ce dispositif d'indemnisation et sur sa gestion depuis son entrée en vigueur. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, s'est exprimée sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Je tiens à remercier Mme Louwagie pour son rapport. Les résultats obtenus par la France dans le domaine sanitaire placent notre pays dans le peloton de tête des pays développés. Pourtant, les inégalités sociales et territoriales demeurent à un niveau élevé. Les priorités de la stratégie nationale sont largement prises en compte par les principaux axes du programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins, à savoir : la mutualisation des fonctions d'appui et de soutien du réseau des opérateurs ; la mobilisation des connaissances existantes et le soutien au développement des appels à projets de recherche portant sur la prévention et l'amélioration de l'efficacité et de l'efficience des services de santé ; enfin, le développement de systèmes d'information sécurisés et accessibles.
Les crédits de la mission Santé permettent également d'accompagner la mise oeuvre des mesures engagées. Je pense aux groupements hospitaliers de territoire et au développement des plateformes d'appui territorial, qui a permis la généralisation de la télémédecine et le développement des technologies numériques. Près des deux tiers des dépenses de la mission visent à financer, en complément des politiques de sécurité sociale, un effort de la solidarité nationale en faveur de l'accès aux soins des publics les plus défavorisés et de l'indemnisation des victimes de l'amiante. Les crédits consacrés à cet effort s'élèvent à 896 millions d'euros dans le programme 183 Protection maladie, soit une hausse de 53 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Ce choix traduit la volonté du Gouvernement, d'une part, de garantir l'accès aux droits et aux soins dans les meilleurs délais et, d'autre part, de mettre en oeuvre une gestion rigoureuse des dispositifs, grâce à une politique active de lutte contre la fraude.
Pour ces différentes raisons, le groupe La République en Marche est favorable au vote des crédits de la mission Santé.
Madame Louwagie, je vous remercie pour ce rapport qui éclaire les crédits de la santé sous un autre angle que le PLFSS.
On finira, un jour, par parler de scandale à propos de la Dépakine : absence d'indemnisation pendant des années, 30 000 enfants, et autant de familles, victimes de cette molécule... On ne peut que s'interroger lorsqu'on sait, par ailleurs, que les crédits alloués à la prévention santé baissent de 10 millions d'euros. Vous indiquez, dans votre rapport, que seulement quinze victimes seront indemnisées à la fin de 2019, soit une infime proportion des familles concernées. C'est une question morale. Comment ces familles, souvent démunies, dont un enfant souffre d'un handicap, peuvent-elles remplir un dossier de 800 pages ?
Par ailleurs, vous soulignez, à juste titre, l'absence de lien entre la politique migratoire, d'une part, et l'AME et ses conséquences sur les autres budgets, notamment celui de l'assurance maladie, d'autre part puisque l'État a, vis-à-vis de celle-ci, une dette qui est actuellement de 50 millions d'euros et qui devrait, selon vous, doubler d'ici à la fin de l'année. Attention à cet effet « boule de neige » : on va très vite arriver à des niveaux qui ne seront plus soutenables par l'assurance maladie. Cette sous-budgétisation est donc dangereuse. Certes, la majorité actuelle n'a pas plus envie que la précédente d'afficher la réalité des chiffres de l'AME. Mais il faudra bien assumer le coût de notre politique migratoire dans le domaine de la santé.
Mon propos sera similaire à celui de Mme Louwagie, que je remercie pour la qualité de son analyse de la mission Santé.
Tout d'abord, on observe que, dans les pays où l'accès aux soins est sensiblement identique, voire supérieur au nôtre, le « paquet » a été mis sur la prévention. Et pour cause : chaque fois que les protocoles de prévention baissent significativement, on constate, quelques années plus tard, une explosion des dépenses curatives. En diminuant de manière très importante les crédits de la prévention, on prend donc une très mauvaise direction. J'espère que le Gouvernement se ressaisira rapidement, car on observe déjà les premiers stigmates de cette politique. J'ajoute qu'en matière curative, le PLFSS envisage de substituer à la tarification à l'activité des financements par des protocoles multi-spécialités qui, pour une pathologie donnée, définissent le rôle de chaque professionnel et un coût. On évite ainsi les débordements. Il est d'autant plus dommage que les crédits de la prévention baissent que l'on est peut-être sur le point d'améliorer l'efficience de la thérapeutique.
Ensuite, l'AME, c'est un peu comme les opérations extérieures : là aussi, on sous-dimensionne l'enveloppe parce qu'on n'ose pas dire les choses. Peut-être faut-il redéfinir les critères de l'AME, car on ne peut pas laisser cette dérive se poursuivre. Ce n'est pas prononcer des mots impossibles à entendre que de dire que le périmètre d'intervention de l'AME doit être recentré.
Enfin, Marie-Christine Dalloz a raison d'insister sur le fonds d'indemnisation des victimes de la Dépakine. Ayons une pensée pour les familles qui sont touchées. Mais il y aura, hélas ! d'autres victimes d'autres médicaments, car on ne s'aperçoit que dix ou vingt ans après sa mise sur le marché qu'un protocole comportait un risque tératogène.
Madame Louwagie, j'ai beaucoup apprécié votre intervention, notamment le volet consacré à la Dépakine. Je sais, pour suivre cette question depuis longtemps, qu'un certain nombre de victimes ont déposé leur dossier et attendent maintenant depuis deux ans leur indemnisation, mais j'ignorais que ce dossier comptait 800 pages. C'est stupéfiant ! Les 79 millions qu'il est prévu d'allouer aux victimes dans le cadre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) doivent être rapportés au nombre de ces victimes : 30 000. Or, la cour d'appel d'Orléans a condamné Sanofi à verser 3 millions d'euros à une famille. Si l'on multiplie cette somme par le nombre des victimes, on arrive à 90 milliards d'euros – 90 milliards ! Voilà le budget vraisemblable de l'indemnisation des victimes de la Dépakine ! Entre 70 millions et 90 milliards, le fossé est absolument gigantesque.
Suite à l'intervention en séance publique d'Agnès Buzyn, l'Association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant (APESAC), c'est-à-dire les victimes de la Dépakine, a adressé à Mme Buzyn une lettre ouverte dont je vous lis un extrait : « L'APESAC n'a jamais demandé de provisions. Par contre, nous demandons que Sanofi soit, dès aujourd'hui, impliqué dans le mécanisme de l'ONIAM. C'est bien là notre priorité. » De fait, je ne vois pas comment on peut indemniser les victimes sans impliquer dans le dispositif l'industrie pharmaceutique, qui est responsable de la situation. L'APESAC a regroupé 5 700 dossiers qui peuvent être déposés à l'ONIAM. Il est évident que cet office ne pourra pas y faire face. En tout état de cause, ce n'est pas à l'État, au contribuable, de réparer les dommages causés par les délits commis durant des décennies par l'industrie pharmaceutique.
J'ajoute que, s'il y a deux ans d'attente pour les victimes, tel n'est pas le cas pour les actionnaires, qui, l'an dernier, ont touché directement 6,6 milliards d'euros ! Encore une fois, je vous remercie, madame Louwagie, pour la qualité de cette partie de votre rapport.
Madame Verdier-Jouclas, je précise, en ce qui concerne l'indemnisation des victimes de l'amiante, que la mission Santé abonde, à hauteur de 8 millions d'euros, le régime général. Le nombre de ces victimes a plutôt tendance à baisser, mais il demeure important – autour de 16 000 nouvelles demandes sont déposées par an. Or, aucune provision n'est prévue dans les comptes de l'État pour faire face à ces risques, pourtant avérés aujourd'hui.
En ce qui concerne l'AME, certes, le budget augmente de 53 millions d'euros par rapport à 2018. Mais je vous rappelle qu'en 2017, on a constaté une sous-budgétisation de l'ordre de 50 millions d'euros et qu'en septembre dernier cette sous-budgétisation s'élevait déjà à 22 millions, de sorte qu'à la fin de l'année elle atteindra probablement encore 50 millions, accroissant d'autant la dette de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie. Ces 53 millions supplémentaires ne sont donc probablement pas suffisants. Comme l'ont indiqué Marie-Christine Dalloz et Philippe Vigier, l'AME ne peut pas être sous-budgétisée chaque année : la dette de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie sera probablement de 100 millions d'euros à la fin de l'année, de 150 millions l'année prochaine et de 200 millions dans deux ans. Cela n'est pas acceptable !
Tous les coûts liés aux soins des personnes en situation irrégulière doivent être affichés, y compris les éléments qui ne figurent pas dans cette mission. Je pense notamment à la prise en charge, pendant douze mois, par le dispositif PUMA, des personnes dont la demande d'asile a été refusée ; ces personnes, qui sont en situation irrégulière, sont au nombre de 60 000. Encore une fois, l'ensemble des coûts de cette politique doivent être affichés de manière transparente.
Par ailleurs, les crédits de la mission Santé restant à peu près stables, l'augmentation – d'environ 40 % depuis 2013 – du programme dédié à l'AME se fait au détriment du programme consacré à la prévention. Cela n'est pas acceptable.
Monsieur Ruffin, madame Dalloz, le mot « scandale » a été prononcé à propos de la Dépakine. Il est vrai que l'Assemblée nationale doit être informée de ce qui se passe. En novembre 2016, elle a décidé la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes de ce médicament. L'intention était très bonne mais, actuellement, les délais de traitement des dossiers sont extrêmement longs. Le comité d'experts indépendants a quatre mois pour étudier un dossier, puis intervient le comité d'indemnisation, qui détermine la responsabilité éventuelle des acteurs de santé ou de l'État et transcrit sa position sur la nature et la gravité des préjudices dans un délai de trois mois. En outre, le dossier que les victimes doivent remplir au préalable est très consistant. Pourtant, le fonds d'indemnisation a été créé pour éviter les procédures contentieuses et faciliter l'accès des victimes à une indemnisation. C'est donc un échec, car ces dernières ne peuvent pas remplir seules un dossier de 800 pages. Est-il besoin de rappeler, par ailleurs, qu'elles sont le plus souvent atteintes d'une maladie – celle pour laquelle elles ont dû prendre ce traitement – et qu'elles ont un enfant qui souffre de malformations majeures, de troubles mentaux ou du comportement ?
La procédure est si complexe que ces familles sont dissuadées de déposer un dossier. Ainsi, en septembre 2018, elles étaient seulement 296 à l'avoir fait alors que, dans un rapport d'août 2017, la Caisse nationale d'assurance maladie et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et des produits de santé évaluent entre 2 150 et 4 100 le nombre des enfants ayant développé une malformation majeure et entre 16 600 et 30 400 le nombre de ceux qui sont atteints de troubles mentaux et du comportement. On estime ainsi le nombre des victimes potentielles entre 14 000 et 30 000 ! J'ajoute que, sur les 296 victimes ayant déposé une demande d'indemnisation, quinze d'entre elles seulement seraient entièrement examinées avant la fin de l'année. C'est dire combien ce processus n'est pas satisfaisant.
La ministre de la santé s'est exprimée sur le sujet durant la discussion du PLFSS, en indiquant que les différentes personnes susceptibles d'établir un dossier devaient être recensées. Mais, au-delà de ce recensement, il faut que la procédure soit à la portée de tous.
Enfin, je vous précise, monsieur Ruffin, que la dotation de l'ONIAM est de 79 millions d'euros, dont 77,7 millions pour les victimes de la Dépakine. Le calcul est rapide : si l'on multiplie le nombre des dossiers, compris entre 14 000 et 30 000, par le montant de l'indemnité accordée par la cour d'appel d'Orléans – soit 2 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 1 million d'euros pour l'assurance maladie –, on s'aperçoit vite que cette dotation n'est pas admissible. Ou alors il faut reconnaître que l'on ne veut pas aller vers une indemnisation importante des victimes de la Dépakine, ce qui ne serait pas acceptable.
On a parlé des crédits de la mission Santé – 1,4 milliard d'euros, grosso modo –, mais on n'a pas évoqué les dépenses fiscales, de l'ordre de 2,8 milliards, qui y sont rattachées. Ces dépenses sont essentiellement de deux types : le taux de TVA de 2,1 % appliqué aux médicaments, pour 2,3 milliards, et l'exonération des indemnités journalières. Que pense notre rapporteure spéciale de ces dépenses fiscales ?
Dans le document qui nous a été remis, il apparaît que l'objectif numéro 1 est d'améliorer l'état de santé de la population et de réduire les inégalités territoriales et sociales de santé. Il est ainsi indiqué que « l'état de santé de la population française est globalement bon. Néanmoins, des disparités sensibles perdurent, tant entre les genres qu'entre les territoires et les catégories sociales. Afin d'assurer un égal accès aux soins à l'ensemble de nos concitoyens, plus particulièrement aux publics les plus exposés à certains risques, il est important d'informer et d'éduquer sur les pratiques à risque qui conduisent à des pathologies graves. La politique de prévention est donc essentielle dans la lutte contre les inégalités en matière de santé. »
Nous sommes donc confrontés à une importante contradiction, puisque les dépenses de prévention pour la santé sont en forte baisse. Pourtant, dans les territoires, les collectivités sont impliquées dans les politiques de santé – qu'il s'agisse de la création de maisons de santé ou de la mise en réseau des professionnels – et la prévention est systématiquement mise en avant. On ne devrait pas lésiner dans ce domaine, car la prévention représente les « économies » de demain. Quant aux victimes de la Dépakine, je n'y reviens pas, mais l'instruction des dossiers n'est pas satisfaisante – c'est le moins que l'on puisse dire.
Monsieur de Courson, je n'ai pas d'avis particulier sur ces dépenses fiscales, auxquelles je n'ai pas porté une attention particulière dans le cadre de mon rapport. Ces dispositifs mériteraient néanmoins de faire l'objet d'une réflexion, car ils sont reconduits d'année en année sans faire l'objet d'un état des lieux et d'un diagnostic.
Monsieur Dufrègne, vous abondez dans mon sens, en définitive, puisque vous déplorez que le budget de la prévention continue à diminuer. Cependant, tous les crédits alloués à la prévention ne sont pas regroupés au sein de ce programme : un certain nombre d'entre eux – je pense notamment à ceux liés aux maisons de santé, par exemple – relèvent du PLFSS. Il faut néanmoins que nous soyons particulièrement attentifs à ce programme, dont la diminution continue ne me paraît pas acceptable.
La commission en vient à l'examen des amendements.
Article 39 et état B
La commission examine l'amendement II-CF788 de Mme Sabine Rubin.
« Est-ce que guérir des patients est un modèle économique soutenable ? » La question est posée par un analyste de Goldman Sachs. De fait, si les gens sont guéris, les revenus de l'industrie pharmaceutique diminuent. Ainsi, l'Organisation mondiale de la santé réclame, depuis dix ans, qu'elle investisse dans les anti-infectieux et les antibiotiques susceptibles de traiter un certain nombre de maladies, notamment dans les pays du Sud. Que répondent les laboratoires pharmaceutiques ? « Nous ne pouvons pas, pour des raisons budgétaires. » Or, on sait que leurs actionnaires se goinfrent, puisque 23 % à 45 % des profits de ces groupes – Novartis, Glaxo, Sanofi, Merck... – leur sont redistribués.
Par cet amendement, nous vous proposons donc, modestement, de socialiser l'industrie pharmaceutique. Une telle socialisation nous paraît en effet nécessaire. Il ne s'agit pas ici de pneumatiques ou de lave-linge ; il s'agit de la santé et de médicaments qui ne seront pas produits parce que l'essentiel de la valeur ajoutée est versé aux actionnaires. En un an, Sanofi donne l'équivalent de 90 Téléthons à ses actionnaires et supprime, dans le même temps, 4 000 postes de chercheurs, dont 2 000 en France, soit un tiers de sa recherche. Cette entreprise construit un bâtiment pour produire des médicaments et le détruit avant même qu'il n'ait été utilisé. Ce fonctionnement est devenu complètement inepte ! C'est pourquoi nous vous proposons de marquer une évolution symbolique vers la socialisation de l'industrie pharmaceutique.
Je comprends votre préoccupation, que nous partageons tous ici. Vous proposez, par cet amendement, un programme de reprise par la puissance publique de la recherche biomédicale et de la production de médicaments. Or, la puissance publique a pour rôle de contribuer à la pérennité d'un environnement économique qui soit stable pour les personnes expertes dans la création de ces médicaments – les laboratoires, en l'occurrence – et qui soit réglementé pour assurer la sécurité et la viabilité de la consommation de ces produits de santé. La mission de recherche médicale et de production des médicaments ne peut pas être assurée par l'État, qui ne dispose pas de l'expertise nécessaire en cette matière. Avis défavorable.
Avec le capitalisme tel qu'il est dans l'industrie pharmaceutique et avec la financiarisation de l'économie, les chercheurs ne sont justement plus dans un environnement stable leur permettant de faire de la recherche et du développement. Le nombre de projets de recherche et le nombre de médicaments sont en baisse car on casse la recherche. L'environnement est instable parce qu'on est passé d'un projet industriel à des objectifs purement financiers. Je ne vois pas, dans vos propos, de solution à ce problème. À la suite de la visite du « Dolder », Emmanuel Macron a décidé que Bpifrance donnerait 200 millions d'euros pour relancer la recherche de manière conjointe, notamment avec Sanofi, mais cette entreprise, alors qu'elle dispose déjà de milliards pour se lancer dans la recherche et qu'elle bénéficie du crédit d'impôt recherche (CIR), ne le fait pas. Les contribuables font déjà énormément pour que l'industrie pharmaceutique fasse son travail. Pour cette raison, nous maintenons notre amendement et le désir de voir la recherche transférée davantage vers le secteur public.
À ce moment-là, il faut agir sur la mission Recherche. Si les entreprises utilisent le CIR, c'est parce que, par définition, elles ont des dépenses de recherche. Je maintiens mon avis défavorable
Je voudrais aller dans le sens de la rapporteure spéciale. M. Ruffin parle de non-mobilisation du CIR alors que l'industrie pharmaceutique est le premier secteur bénéficiaire de ce crédit d'impôt !
Un autre argument est celui du prix des molécules. Vous voulez nationaliser la recherche pharmaceutique mais le prix des molécules exige des laboratoires d'une ampleur financière certaine. Le secteur pharmaceutique mérite l'attention du public, c'est pourquoi nous y consacrons les fonds et les dépenses fiscales nécessaires.
La commission rejette l'amendement.
Elle aborde l'amendement II-CF791 de Mme Sabine Rubin.
Si nous décidons de socialiser l'industrie pharmaceutique, qui allons-nous mettre dans son conseil d'administration ? Il y a quinze jours, je me rendais à Mourenx, à côté du site de Sanofi où du bromopropane a été envoyé dans l'air à hauteur de 190 000 fois plus que la quantité autorisée. Là, nous avons passé un après-midi, lors d'une commission d'enquête officieuse et décentralisée, à faire se succéder des salariés, des chercheurs – qui ont vu de nombreux postes supprimés dans l'industrie –, le maire de Mourenx, des riverains qui ont eu à subir ces dommages, un médecin – qui regrette qu'il n'y ait pas d'études épidémiologiques sur ces rejets – et des usagers – tels que Mme Marine Martin de l'APESAC pour la Dépakine et d'autres personnes pour le Levothyrox. Voilà qui nous voulons mettre dans le conseil d'administration de l'industrie pharmaceutique pour lui redonner une visée d'utilité publique. Cette industrie ne peut être guidée par la seule soif du profit. Il s'agit de santé publique. Cette industrie doit donc être guidée par le public. J'ajouterais à cette liste représentants des pays du Sud. Ce sont les grands oubliés de l'industrie pharmaceutique parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter de nouveaux médicaments. Il va donc y avoir concentration de la recherche sur ce qui paraît le plus rentable à court terme.
Je voudrais m'assurer que vous avez bien défendu l'amendement II-CF791, car votre propos n'est pas tout à fait en adéquation avec l'exposé sommaire ni avec le contenu de l'amendement. Vous demandez finalement plus de transparence en matière de politique de santé en proposant de modifier la composition des conseils d'administration des organes de direction.
De nombreux efforts ont déjà été faits en ce domaine. Tout est perfectible mais il faut prendre en compte la base de données publique Transparence-Santé qui rend accessibles de nombreuses informations déclarées par les entreprises sur les liens d'intérêt qu'elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé. Je ne pense pas qu'il soit judicieux d'aller plus loin dans l'immédiat, comme vous le recommandez.
Vous proposez par ailleurs de réduire de 10 millions d'euros les crédits de l'action 11 du programme 204. Cela serait dommageable à la politique de prévention en santé dont vous faisiez la promotion et dont vous regrettiez il y a quelques instants le faible montant de crédits. Avis défavorable.
On a voté au printemps dernier une loi sur le secret des affaires. Ce texte a trouvé une application immédiate puisque lorsque les victimes du Levothyrox nouvelle formule ont demandé à connaître la composition de leur médicament et à savoir où il était produit, l'ANSM leur a opposé le secret des affaires. Il y a là un gros problème : pour aller vers davantage de transparence, il convient de faire en sorte que ce secret ne puisse être opposé par l'industrie pharmaceutique quand il en va de la santé et de la vie de dizaines de milliers de personnes dans le pays.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement II-CF792 de M. Éric Coquerel.
Il s'agit d'obtenir de la transparence sur les essais thérapeutiques. Tout à l'heure, j'entendais à propos de la Dépakine que ce genre d'accidents pouvait arriver et que cela allait se reproduire pour d'autres médicaments. Il ne s'agit pas là seulement d'une erreur mais d'une volonté de cacher la vérité pendant des décennies ! Sanofi savait – depuis les années 1970 peut-être et en tout cas, depuis le milieu des années 1980 – que la Dépakine produisait des effets tératogènes et des troubles d'autisme chez les foetus. Nous demandons donc que tous les essais qui sont réalisés par l'industrie pharmaceutique soient rendus transparents. Aujourd'hui, cette industrie est à la fois juge et partie : c'est elle qui produit les essais et qui en délivre les analyses. La puissance publique est donc très dépendante de l'industrie sur ces questions. Il s'agit d'avoir davantage de transparence et de faire en sorte que toutes les données produites par l'industrie pharmaceutique soient rendues accessibles au public et aux autorités de santé.
Les essais cliniques et thérapeutiques sont déjà largement encadrés par notre dispositif juridique. Tout essai thérapeutique doit obtenir l'aval de l'ANSM, d'abord, et d'un comité de protection des personnes, ensuite, pour être autorisé. La procédure en place a montré son efficacité et sa pertinence. Certes, il y a des failles – que vous soulignez. Je ne pense pas qu'il soit judicieux de créer un nouveau programme pour renforcer cette procédure et mener des missions similaires à celles qui sont déjà exercées par l'ANSM.
Concernant la Dépakine, si vous souhaitez en savoir plus, je vous invite à voter l'amendement que je proposerai dans quelques instants.
Avis défavorable à l'amendement.
La commission rejette l'amendement.
Elle étudie ensuite l'amendement II-CF793 de Mme Sabine Rubin.
Il s'agit de transformer la profession de visiteur médical. Aujourd'hui, ce qui est délivré par les visiteurs médicaux n'est pas une information. Nous ne leur reprochons pas à titre individuel un manque d'éthique : ils font ce qui leur est demandé par ceux qui les paient, c'est-à-dire l'industrie pharmaceutique. On ne délivre pas aux médecins une information fiable puisque, d'après la revue Prescrire, trois fois sur quatre les effets indésirables du produit sont passés sous silence et les contre-indications ne sont évoquées que partiellement. Il est nécessaire de faire en sorte que celui qui rend visite aux médecins et vient les informer sur le marché du médicament ne soit plus payé par l'industrie en fonction de ce qu'il arrive à vendre mais par la puissance publique pour aller informer les médecins sur le bon usage et les contre-indications du médicament. Je pense en particulier aux antidépresseurs.
La publicité médicale auprès des professionnels et du grand public fait déjà l'objet d'un encadrement juridique. Elle est soumise à une autorisation préalable délivrée par l'ANSM et ne peut porter que sur certains médicaments. Par ailleurs, je ne suis pas sûre que cet amendement – d'appel, sans doute – ait sa place dans ce projet de loi. Peut-être pourrait-il être examiné dans le cadre du PLFSS. Avis défavorable.
C'est en effet un amendement d'appel. Je suis convaincu que les parlementaires de la majorité vont se saisir du problème et en faire une proposition de loi pour transformer le métier commercial de visiteur médical en un métier d'informateur. C'est un amendement plein d'espérance.
J'ai vu des sourires et presque de l'ironie sur certains visages alors que la santé est un sujet très important. M. Ruffin aborde ce sujet sous l'angle des enjeux financiers. Il y a des gens qui investissent pour faire beaucoup de profit rapidement. Je mets ces investissements en parallèle avec le coût de la santé. On n'augmente pas suffisamment les crédits pour la santé et l'hôpital auxquels on demande encore de faire des efforts alors que d'autres empochent dans un secteur qui pourrait être mieux moralisé. Quand François Ruffin parle de socialiser davantage certains secteurs lucratifs, il ne parle pas d'exercer sur eux une mainmise mais d'être beaucoup plus vigilant à leur égard car on est toujours en train de courir après des moyens pour que les gens soient mieux soignés et aient plus facilement accès à un progrès médical de plus en plus cher. Plutôt que de sourire, il faut prendre ces questions très au sérieux.
La commission rejette l'amendement.
J'émets un avis défavorable, compte tenu de la sous-budgétisation de l'AME et du programme de prévention, notamment due à la difficulté à indemniser les victimes de la Dépakine.
Nonobstant l'avis défavorable de la rapporteure spéciale, la commission adopte les crédits de la mission Santé, sans modification.
Après l'article 81
La commission étudie l'amendement II-CF859 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.
Je n'ai pas réagi tout à l'heure aux propos qui ont été tenus sur la prévention, mais c'est évidemment une préoccupation majeure, que je fais mienne en tant que médecin de santé publique. Si l'on peut se réjouir que la prévention soit un des piliers de la stratégie nationale de santé, il reste un certain nombre de questions à régler. Pour assurer un pilotage efficace, il est nécessaire d'assurer un suivi du financement de la politique de prévention en santé.
Comme l'ont dernièrement fait remarquer Cyrille Isaac-Sibille et Ericka Bareigts dans leur rapport sur la prévention auprès des jeunes, les financements de la prévention sont difficiles à appréhender de façon globale car ils sont dispersés entre beaucoup de ministères – agriculture, sport, éducation, université, recherche, justice, et j'en passe. Si l'on veut savoir où l'on va, on ne peut rester dans ce flou ni au stade des voeux pieux.
Cet amendement vise donc à créer un nouveau document de politique transversale, dit « orange » budgétaire, pour construire une vision consolidée et exhaustive des dépenses dédiées à la prévention. Il présentera les grandes orientations stratégiques de l'État, les différents moyens affectés et leur répartition par programme budgétaire. C'est une proposition de 2011 de la Cour des comptes, qui a été réitérée en 2017 et qui est reprise par le rapport précité.
L'enjeu est double. D'une part, faire en sorte que l'exécutif mène une réflexion sur le financement de la prévention, son pilotage et sur la possibilité de l'améliorer et de le clarifier. D'autre part, informer clairement le Parlement et les citoyens sur la politique de prévention en santé. La création de cet « orange » budgétaire peut constituer une étape préalable à la création d'un document budgétaire plus large, regroupant les financements de l'État, des collectivités locales et de la sécurité sociale.
Je rejoins tout à fait votre préoccupation. La prévention en santé doit être au coeur de nos politiques. Elle intervient dans de nombreuses missions et de nombreux programmes, et l'approche de ce thème est un peu dispersée. Au demeurant, il est important qu'on puisse mieux l'appréhender et mieux l'utiliser et donc d'améliorer l'information du Parlement. Je ne suis pas certaine que votre amendement soit facile à appliquer. Cependant, j'y suis favorable.
Comme la rapporteure spéciale, nous sommes évidemment sensibles à ce sujet et partageons la volonté de faire de la prévention. Cependant, le groupe majoritaire vous invite à retirer cet amendement et à débattre du sujet dans l'hémicycle avec les ministres des solidarités et de la santé et de l'action et des comptes publics. En effet, la rapporteure spéciale l'a dit à juste titre : cet amendement nous semble difficilement applicable car il ne concerne pas que le budget de l'État mais aussi celui des collectivités locales et de la sécurité sociale.
J'entends la difficulté. Même si l'objectif est ambitieux, il faut vraiment le tenir sinon on ne mettra pas en évidence la volonté de faire de la prévention une réelle politique.
L'amendement est retiré.
Il est repris, sous le numéro II-CF932, par la rapporteure spéciale
Cet amendement est pertinent et va permettre un dialogue. La rapporteure spéciale y est favorable. Par conséquent, le groupe Les Républicains le reprend.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement II-CF890 de la rapporteure spéciale.
J'ai eu l'occasion d'évoquer, à la fois dans mon propos introductif et en réponse à certaines questions, la difficulté d'instruction des dossiers relatifs à la Dépakine. La procédure d'indemnisation des victimes est peu lisible. Il faut prendre en compte l'ensemble des familles aujourd'hui en difficulté. Je vous propose donc qu'un rapport puisse être établi par le Gouvernement et remis au Parlement pour le 1er septembre prochain sur la soutenabilité pour les finances publiques du dispositif tel qu'il a été prévu et sur sa gestion. Je vous rappelle qu'il y a au moins 16 000 victimes et que seules quinze d'entre elles seront probablement indemnisées à la fin de l'année 2018.
Évidemment, nous soutenons pleinement cet amendement. Sur de nombreuses questions relatives à la politique de santé, on a besoin d'y voir clair. Cet amendement va dans ce sens. Nous espérons donc que le groupe majoritaire se rangera à cet avis sans quoi cela voudrait dire qu'il ne souhaite pas de transparence sur ces questions.
Je n'ai pas le droit de vote dans cette commission, mais j'apporte mon soutien moral à cet amendement. On peut a minima demander au Gouvernement si on va réussir à indemniser les familles et, si on n'y arrive pas par le biais du budget de l'État, comment faire pour que d'autres responsables mettent la main au portefeuille.
La majorité est attentive à ce qui se passe. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la ministre des solidarités et de la santé s'est engagée à travailler avec les familles dont les mères ont pris de la Dépakine pendant leur grossesse. Mme Louwagie a évoqué la procédure qui a été instituée et dont on aura une première évaluation d'ici à la fin de l'année 2018. Les engagements qu'a pris la ministre et la transparence qu'apporte ce comité d'experts sont autant d'éléments de réponse. Le groupe La République en Marche ne votera donc pas cet amendement.
Ces arguments ne sont pas très convaincants. Le rôle du Parlement est aussi d'assurer un contrôle de l'action gouvernementale. Il ne s'agit pas d'être dans une logique de défiance mais en refusant cet amendement, vous ne remplissez pas votre rôle de parlementaires. Il y a une séparation des pouvoirs et nous devons à nos concitoyens de faire ce contrôle. Votre vision de la représentation parlementaire est extrêmement inquiétante.
Nous voterons en faveur de cet amendement. Ceux qui sont depuis quelques années au sein de cette assemblée savent qu'à chaque fois qu'on a voté un texte d'indemnisation – ce fut le cas à la suite des irradiations consécutives aux expérimentations menées dans le Pacifique et du scandale de l'amiante –, on s'est heurté à l'extrême lenteur de la procédure. On demande à ces familles, déjà accablées par le malheur, de suivre tout un processus bureaucratique et cela finit toujours mal. Demander au Gouvernement un rapport régulier obligera les ministres successifs à mettre leur nez dans ces affaires et à simplifier la procédure d'indemnisation pour la rendre plus efficace et plus rapide. Être indemnisé trois ou quatre ans après les faits, cela vous fait une belle jambe ! Si on ne maintient pas constamment la pression sur le Gouvernement, il se passera ce qui s'est passé à chaque fois qu'on a voté des textes d'indemnisation.
Je ne comprends pas la réaction de la majorité. Dans cette affaire, les pouvoirs publics ont été lamentables depuis trente ans. Il y a eu une série de scandales. D'abord, Sanofi n'a pas été contrôlé. Ensuite, les contre-indications qui auraient dû être précisées par les autorités de santé ne l'ont pas été pendant des décennies. Puis les indemnisations ont été confiées à l'ONIAM alors qu'il était incapable de gérer un afflux de dossiers et qu'il était en état de paralysie. Deux ans plus tard, il n'y a toujours pas une seule famille indemnisée ! On est dans le contexte d'une série de scandales et lorsque la droite demande un rapport pour vérifier si on a les fonds suffisants pour indemniser les victimes, si le traitement des dossiers avance et s'il y a suffisamment de fonctionnaires au sein de l'ONIAM pour les traiter, la majorité le refuse. C'est incompréhensible pour moi et ce le sera encore davantage pour les victimes de la Dépakine.
Madame Peyrol, les interventions de Mme la ministre lors de l'examen du PLFSS ne m'ont pas rassurée. Elle a dit que le recouvrement des sommes auprès de Sanofi n'était pas une priorité. Cela laisse craindre que le remboursement effectif de ces sommes doive être engagé uniquement dans le cadre du fonds dédié à l'indemnisation des victimes. Or, ce fonds est crédité de moins de 500 millions d'euros pour 10 290 victimes.
La ministre a reconnu qu'il y avait une vraie difficulté d'approche et s'est engagée à utiliser les bases de données de l'assurance maladie pour retrouver les victimes potentielles de la Dépakine et les indemniser. Si cette démarche va dans le bon sens, elle ne résout en rien le problème structurel de la complexité de la procédure. Le dossier fait 800 pages ! Il faut simplifier de façon significative la procédure d'indemnisation pour qu'elle soit véritablement accessible. C'est pourquoi je demande la publication d'un rapport. Vous ne pouvez rester insensibles à un sujet qui m'a troublée quand j'en ai pris connaissance dans le cadre de l'élaboration de mon rapport spécial. Les personnes devant constituer ces dossiers sont souvent atteintes d'épilepsie et ont des enfants en difficulté. Dans certains cas, il s'agit de femmes seules, abandonnées par leur compagnon.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement II-CF891 de la rapporteure spéciale.
Comme il a été dit par Marie-Christine Dalloz et Philippe Vigier, il est important d'avoir une vision exhaustive des dépenses de santé. Or, nous n'avons pas de chiffrage concernant les dépenses de santé liées aux personnes en situation irrégulière à Mayotte puisque l'AME n'y existe pas. Nous savons cependant qu'environ 40 % des entrées dans le centre hospitalier de Mayotte sont le fait de personnes en situation irrégulière. Nous n'avons pas d'approche plus précise de ces dépenses de santé. Je vous propose donc de demander au Gouvernement de remettre sur ce sujet un rapport avant le 1er septembre prochain. Je sais que nos collègues députés de Mayotte sont inquiets de cette situation et des problèmes qui en résultent.
La commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement II-CF892 de la rapporteure spéciale.
Comme je l'indiquais, le dispositif des soins urgents relevant de l'AME bénéficie d'une dotation forfaitaire de 40 millions d'euros, ce qui ne suffit pas. Il manque à peu près 25 millions d'euros. Il faut que nous ayons des précisions et une connaissance exacte du coût des soins urgents de sorte que l'AME prenne en compte l'ensemble des dépenses, dans un souci de transparence.
La commission rejette l'amendement.
La commission examine ensuite les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances (Mme Stella Dupont, rapporteure spéciale).
Le budget de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances traduit l'engagement du Gouvernement de mener des politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale en faveur des personnes les plus fragiles. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit 21,13 milliards d'euros pour cette mission, soit 1,7 milliard d'euros de plus que l'an dernier et 3,3 milliards de plus qu'en 2017.
Cette hausse traduit principalement deux engagements forts du Président de la République : les revalorisations de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
La prime d'activité a fait couler beaucoup d'encre dernièrement, du fait notamment de l'incompréhension causée par la hausse de 20 euros de la base forfaitaire décidée l'an dernier et la modification concomitante de la prise en compte des revenus du travail, ce qui a pour conséquence une hausse de 10 euros de prime d'activité en 2018 pour une personne rémunérée au SMIC. Cette hausse est moins forte qu'attendu, mais elle est notable. Elle représente un effort de 460 millions d'euros de dépenses. Néanmoins, Mme la ministre m'a confirmé, hier encore, le respect de cet engagement ; elle fera d'ailleurs des annonces et précisions importantes sur ce sujet cet après-midi devant la commission des affaires sociales. Pour 2019, ce sont au total 6 milliards d'euros de crédits qui sont prévus pour financer cette prime d'activité.
Pour l'AAH, le taux plein mensuel passera de 819 à 860 euros en novembre 2018. L'engagement du Gouvernement de porter à 900 euros le taux plein de l'AAH sera mis en oeuvre dès l'année prochaine. Ce projet de loi de finances prévoit plus de 10 milliards d'euros pour cette politique.
Vous l'avez compris, ces deux prestations constituent les principaux postes de dépense de cette mission – mais sont loin d'être les seuls engagements financiers de l'État en faveur de l'insertion des plus fragiles.
Le budget en hausse traduit également l'engagement du Gouvernement dans sa stratégie interministérielle de lutte contre la précarité des enfants et des jeunes avec 175 millions d'euros supplémentaires, retracés dans une nouvelle action du programme 304. Ces crédits doivent participer au financement de la lutte contre les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance, la mise en place des référents de parcours ou encore de la tarification sociale à la cantine dans les communes prioritaires.
La stratégie de lutte contre la pauvreté est ainsi clairement affermie.
Je tiens également à souligner l'effort de l'État en faveur des départements pour leur action en faveur des mineurs non accompagnés, qui alimente aussi régulièrement nos débats. Les modalités de calcul du remboursement de la phase d'évaluation et de mise à l'abri par l'État aux départements ont été redéfinies. La dotation de l'État – qui, je le rappelle, était de 16 millions d'euros en 2017 – passe à 141,2 millions d'euros pour 2019, après un effort conséquent en 2018 qui avait porté ce montant à environ 130 millions d'euros. Cet engagement traduit la volonté du Gouvernement d'agir en faveur d'un accueil effectif des mineurs non accompagnés, tout en confiant leur accompagnement aux départements, titulaires de la compétence « enfance », car il ne faut pas oublier que ces mineurs sont aussi des enfants.
En matière de protection juridique des majeurs, l'effort de l'État est croissant et la prévision de dépense s'établit à 668 millions d'euros. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements : le barème de participation des majeurs protégés a évolué, mais ceux dont les revenus sont inférieurs à l'AAH restent exonérés de toute participation. J'étais d'ailleurs intervenue l'an dernier à ce sujet auprès de la ministre pour m'assurer de l'exclusion de ce barème des personnes dont le revenu est inférieur au montant de cette allocation.
Dans le programme 157 Handicap et dépendance, outre l'augmentation de l'AAH, le Gouvernement renforce le dispositif d'accompagnement dans l'emploi des personnes en situation de handicap, qui atteint 6,9 millions d'euros : c'est la politique d'inclusion qui est la nôtre. Ce programme organise un accompagnement durable vers et dans l'emploi en combinant appui médico-social et soutien à visée d'insertion professionnelle.
Les crédits soutenant la politique d'égalité entre les femmes et les hommes sont maintenus à 30 millions d'euros. Derrière la stabilité apparente des crédits, on observe en réalité une augmentation significative de la dépense. Ce programme était en effet chaque année sous-exécuté. Pour 2018, la secrétaire d'État a obtenu la levée de la réserve de précaution. Aussi, les 29 millions d'euros votés seront bien 29 millions d'euros effectivement dépensés en faveur de cette politique, contrairement aux années précédentes. Enfin, pour le programme 124, un effort est fait sur les dépenses de personnel. La baisse touche essentiellement le personnel mettant en oeuvre les politiques sociales et de santé, ce qui représente 1,7 million d'euros par rapport à la loi de finances pour 2018, mais concerne également le personnel mettant en oeuvre les politiques du droit des femmes – 1,4 million d'euros en moins – ainsi que la politique de la ville, du logement et de l'hébergement – 2 millions d'euros en moins. Ces diminutions traduisent notre engagement en faveur d'une baisse durable de la dépense publique.
Ainsi la mission Solidarité, insertion et égalité des chances embrasse-t-elle de très nombreux sujets et des politiques très importantes pour nos concitoyens.
Le budget de cette mission consacre plus de 21 milliards d'euros à la lutte contre la pauvreté, ce qui constitue une nette augmentation.
Le rapport de Mme Dupont comme les études publiées depuis un an et demi montrent que la pauvreté est liée à l'activité. La rapporteure spéciale note d'ailleurs que plus de 30 % des chômeurs sont pauvres, alors que la pauvreté touche moins de 6 % des actifs. Cette situation légitime notre stratégie d'augmentation de la prime d'activité dont l'incidence n'est plus à démontrer.
Devant le maquis des aides, des dispositifs et des services, l'expérimentation du « référent parcours » a été lancée. Où en sommes-nous ? Quatre départements ont été retenus, dont l'Ariège ; il s'agissait de proposer, sinon un guichet, un référent unique pour guider les bénéficiaires des différentes aides dans les méandres des dispositifs.
Par ailleurs, une concertation sur le revenu universel d'activité est prévue en 2019. Comment sera-t-elle organisée, aura-t-elle des incidences budgétaires ?
Je souhaiterais interroger notre rapporteure spéciale sur la prime d'activité, qui, avec l'AAH, constitue l'un des grands postes de dépenses de ce programme.
Depuis des années nous débattons sur la meilleure façon d'aider les travailleurs pauvres, les encourager et faire en sorte qu'ils soient récompensés de leur activité. L'objectif est-il atteint, mes chers collègues ? Ne pensez-vous pas – ce sont des débats qui hantent la commission des finances depuis plus de vingt ans – qu'il faudrait « brancher » cette prime directement sur la feuille de paie, et qu'elle soit ensuite remboursée aux entreprises ?
Plusieurs dispositifs ont été essayés, et les indicateurs de performance sont très faibles alors que le but était d'aider ces personnes qui ont le courage de reprendre une activité, et de leur montrer que le travail paie. Considérez-vous, madame la rapporteure spéciale, que nous devons continuer à errer en attribuant des primes a posteriori qui présentent plusieurs inconvénients ? Beaucoup de gens, du fait du décalage temporel séparant l'activité du moment où elle est récompensée, ne comprennent pas la logique du dispositif.
Par ailleurs, le cumul a des effets désastreux car, dans certaines situations, lorsque vous travaillez plus, vous gagnez moins. Avez-vous étudié cette question qui, elle aussi, agite nos débats depuis de nombreuses années ?
La responsabilité des mineurs non accompagnés relève désormais des conseils départementaux, ce qui est très lourd. Dans un certain nombre de services sociaux d'aide à l'enfance, plus du quart des intéressés sont des mineurs étrangers non accompagnés, ce qui change la nature de ces services qui naguère s'occupaient de tout jeunes enfants, et ont maintenant affaire à de grands adolescents.
Il existe très vraisemblablement une fraude à la qualité de mineur : certains de ces jeunes ont passé les dix-huit ans. Quelles sont les modalités existantes pour éviter ce type de fraude et contrôler l'âge de ces jeunes ?
M. Grau a souligné l'importance de l'effort que comporte ce programme. Il a évoqué le « maquis » des aides, qui est une réalité, et le travail important qui reste à conduire dans le domaine de la lisibilité et de la simplification. La mise en place d'un revenu universel d'activité aura cette simplification pour objet.
Au cours des auditions que j'ai organisées, j'ai pu me pencher sur l'un des quatre départements dans lequel l'expérimentation du référent unique est menée. Cet intervenant est un professionnel qui dispose d'une vision globale des actions sociales qu'il coordonne en accord avec la personne qu'il accompagne. Il n'a toutefois pas vocation à suppléer les autres intervenants, mais à orienter les personnes en difficulté vers les bons interlocuteurs et à coordonner leurs actions. La personne accompagnée est au centre de la démarche, et le référent organise les relations et les liens avec les divers acteurs susceptibles d'assurer cet accompagnement.
Les résultats de l'expérience sont plutôt positifs et, dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, cette mesure sera étendue.
La feuille de route de la concertation sur le revenu universel d'activité n'est pas encore établie, mais elle doit bien se tenir en 2019.
M. de Courson a évoqué la question du décalage entre le versement de la prime d'activité et celui de la rémunération ; il sera intéressant d'étudier l'intérêt qu'il pourrait y avoir à intégrer la prime dans ce futur revenu. Je ne dispose toutefois pas, à ce stade, d'informations supplémentaires.
La proposition de lier la prime d'activité et la feuille de paie me paraît risquer d'induire une complexité supplémentaire pour les chefs d'entreprise, et ce d'autant plus que le taux de non-recours est extrêmement faible, car l'attribution de la prime est quasi automatique et elle est très sollicitée. Le dispositif actuel me semble fonctionner correctement, même si son évaluation est difficile ; un rapport avait été rendu sur le sujet à la fin de l'année 2017, mais il n'embrassait pas la totalité des problématiques.
La prime d'activité s'inscrit parfaitement dans la politique menée pour récompenser l'activité ; elle constitue un des leviers de la reprise et du maintien dans l'emploi.
Le Gouvernement a été très à l'écoute de départements au sujet de la question des mineurs non accompagnés dont ils ont la charge. Je considère que les moyens prévus sont bien orientés, j'ai d'ailleurs été de ceux qui ont milité pour que le Gouvernent assiste les départements dans cette mission.
Il est vrai que, comme dans tous les domaines, la fraude existe. La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a créé un fichier qui simplifiera la tâche des départements par un suivi des demandeurs. L'analyse de la minorité des jeunes que nous accueillons doit être fine et sociale ; les travailleurs sociaux ont pour cela conduit un travail de fond afin d'atteindre cet objectif d'évaluation. À partir de cette analyse sociale, nos connaissances sur la minorité sont pertinentes.
En application de la règle du bloc de compétences, la logique voudrait que l'État reprenne la charge des mineurs non accompagnés ; il passerait alors des conventions avec les départements pour gérer ceux qui sont vraiment mineurs. Je rappelle, et le département de la Marne doit se situer dans la moyenne nationale, que sur cent individus se déclarant mineurs, au bout de huit mois ou un an on constate que 80 % d'entre eux ne le sont pas. Cela crée des chicayas...
Cette organisation qui fait que les départements s'occupent des mineurs non accompagnés et l'État des majeurs n'est pas la bonne, il faudrait un bloc cohérent, car la politique migratoire est une compétence de l'État, et l'État passerait des conventions avec les départements, ce qui en ferait cent une, pour gérer ceux qui sont de vrais mineurs. Un tarif serait fixé et le dispositif serait cohérent. Partagez-vous cette idée, madame la rapporteure spéciale ?
La question des mineurs non accompagnés pose un problème de coût et d'organisation. L'organisation des départements, les locaux, les résidences ont été conçus pour de tout jeunes enfants ; or plus du quart des effectifs suivis par les services sociaux des départements sont des mineurs non accompagnés étrangers.
Quels sont les moyens objectifs existants dans le domaine de la biologie, et comment les départements peuvent-ils les mettre en oeuvre ?
Je me suis déjà exprimée, monsieur de Courson, lors du débat sur le projet de loi sur l'asile et l'immigration au sujet de la responsabilité de l'État en matière d'accompagnement et de prise en charge des mineurs non accompagnés.
Avant même, monsieur Le Fur, de regarder le détail de l'analyse sociale susceptible d'être conduite ici ou là, il faut simplement considérer les chiffres : des départements constatent une minorité importante des jeunes accueillis, d'autres non.
La question de fond est d'assurer l'équité de traitement et la bonne prise en charge de ces jeunes sur l'ensemble du territoire national. Le fichier prévu par la loi paraît fragile du fait même de ces disparités de pratique d'un département à l'autre, car un mineur reconnu comme tel dans un département très peu ouvert à l'évaluation de la minorité n'aura pas de possibilités de contester et de déposer une nouvelle demande ailleurs. Cela peut s'entendre en termes de droit, car il ne s'agit pas de papillonner en passant d'un département à l'autre. Mais le traitement de ces jeunes ne peut être équitable et juste qu'à la condition que la garantie existe qu'il est le même partout en France, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je suis donc partisane d'un investissement autre de l'État pour ces mineurs non accompagnés.
La loi du 10 septembre 2018 est encore très récente. J'ai formulé ces propositions à l'époque, mais je n'ai pas été entendue. Nous pouvons y revenir et continuer d'insister comme nous l'avons fait sur d'autres sujets qui ne manqueront pas d'aboutir dans les prochaines semaines.
Enfin, à M. Le Fur qui m'a interrogée sur les techniques biologiques, je fais observer que de nombreux médecins et scientifiques considèrent que ces moyens ne sont pas satisfaisants. De nombreux départements ont abandonné les tests osseux et autres ; pour ma part, je suis très peu favorable à ce type de pratiques, et l'étude sociale constitue la meilleure garantie de la juste analyse de minorité de ces jeunes.
La commission en vient à l'examen des amendements.
Article 39 et état B
La commission est saisie de l'amendement II-CF607 de Mme Christine Pires Beaune.
Je précise par avance qu'afin d'être recevables au regard de l'article 40 de la Constitution, les amendements que je présente sont gagés par des ponctions opérées sur divers programmes de la mission. Il n'est évidemment pas dans nos intentions de réduire les crédits de cette mission et, si les amendements étaient adoptés, cela supposerait que le Gouvernement lève le gage.
Mon amendement consiste à doter de 800 000 euros supplémentaires l'aide à la réinsertion familiale et sociale des travailleurs immigrés âgés (ARFS) ; très récente cette aide est méconnue, et il nous semble dangereux de diviser le montant de son enveloppe par cinquante.
Cette question a déjà été soulevée l'an passé par le groupe Socialistes et apparentés et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Je m'étais engagée en séance publique à approfondir cette question : les conclusions auxquelles je suis parvenue figurent dans mon rapport publié au mois de juin dernier.
La situation de l'ARFS est encore plus préjudiciable que je ne le pensais, puisqu'en juin dernier on ne comptait que 36 bénéficiaires de cette aide. Ce très faible nombre est imputable à la faiblesse du nombre des demandes, car l'ARFS est exclusive des aides au logement et de tout autre minimum social. Or, les personnes susceptibles de demander l'ARFS bénéficient souvent de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, dont le montant est bien supérieur puisqu'il varie, en fonction des revenus, entre 600 et 6 600 euros par an.
Par ailleurs, les conditions qui encadrent ce dispositif sont très strictes, parfois absurdes : il faut vivre seul, être hébergé en foyer de travailleurs migrants, vivre plus de six mois par dans le pays d'origine, mais, pour le renouvellement du versement de l'ARFS, justifier de la résidence dans un foyer pour travailleurs migrants lors du retour en France.
Le manque d'ambition que vous soulignez est lié aux conditions d'éligibilité à cette aide créée en 2017 par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « DALO », et le décret du 6 octobre 2015 ; je tiens à préciser qu'il ne s'agissait pas alors de décisions prises par notre majorité.
Parmi les conditions absurdes figure celle d'être hébergé dans un foyer de travailleurs migrants ou dans une résidence sociale au moment de la demande de renouvellement de la prestation ; or le taux d'occupation de ce type de structures est souvent de 100 %. Il est donc impossible pour les gestionnaires de réserver des places pour des personnes qui partent dans leur pays pour un temps donné et reviennent ensuite en France.
Le dispositif étant inapplicable pour les intéressés, j'ai formulé sept recommandations dans mon rapport, que le Gouvernement étudie. Je ne pense donc pas qu'il s'agisse d'une question de crédits, mais plutôt du caractère inadapté du dispositif tel qu'il existe actuellement, et qu'il convient de réformer afin de le rendre plus efficace. Je continuerai d'intervenir en ce sens, mais, compte tenu du nombre de demandes constatées, les crédits sont tout à fait suffisants.
Pour ces raisons mon avis est défavorable.
À ce stade, un travail partenarial doit être mené, qui prendra du temps ; la ministre m'a indiqué que les mesures qui en résulteront ne seront pas inscrites au présent projet de loi de finances.
Avant de retirer mon amendement, je souhaiterais savoir quelle publicité est faite pour l'ARFS auprès des travailleurs migrants âgés.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement II-CF610 de Mme Christine Pires Beaune.
Cet amendement vise à redonner les moyens nécessaires aux associations têtes de réseau qui effectuent un travail au quotidien remarquable pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et pour accompagner les victimes.
Nous souhaitons leur restituer la dotation de 500 000 euros dont elles bénéficiaient jusqu'à présent. Si cette subvention n'était pas reconduite, les associations concernées nous ont fait savoir qu'elles seraient contraintes à mettre la clef sous la porte ; ce qui provoque notre inquiétude.
Vous souhaitez augmenter de 500 000 euros les crédits du programme 137 au motif que les crédits alloués à ces têtes de réseau font l'objet d'une diminution.
Il est vrai que la construction de la maquette rend le suivi de ces crédits plus complexe. Il m'a toutefois été confirmé que les têtes de réseau bénéficiaient de la même dotation qu'en 2018 avec par exemple 272 000 euros pour le Mouvement français du Planning familial et 2,124 millions d'euros pour les associations actives dans le domaine de l'accompagnement du parcours de sortie de la prostitution.
Vous aviez aussi déposé des amendements relatifs au financement de l'aide financière pour l'insertion sociale et professionnelle (AFIS) dans le parcours de sortie de la prostitution, que j'ai étudié de près dans mon rapport de mi-parcours. Les commissions départementales sont en train d'être mises en place, et les agréments d'associations se poursuivent. Au 30 septembre dernier, on ne comptait que 75 bénéficiaires de l'AFIS sur 113 personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution.
Si la montée en charge se poursuit à ce rythme, la prévision de 2 millions d'euros pour 2019 est très large. Je rappelle que le montant de l'AFIS est de 330 euros par mois pour une personne seule et de 432 euros pour une personne ayant un enfant à charge. La dotation de l'AFIS est donc suffisante et permettrait l'accompagnement de 400 personnes en 2019.
L'ensemble de ces crédits s'inscrit donc dans la continuité, et j'émets donc un avis défavorable à l'amendement.
Je maintiens l'amendement, car nous proposons un fléchage précis de nature à rassurer les associations, alors qu'il disparaît dans la présentation du budget.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement II-CF609 de Mme Christine Pires Beaune.
Le présent projet de loi de finances supprime de nombreux postes consacrés à des missions que nous jugeons prioritaires. Il prévoit la suppression de 250 équivalents temps plein (ETP) alors que 278 avaient déjà connu le même sort en 2018.
Pour mettre en oeuvre les politiques sociales, de santé, d'égalité des droits des femmes, du logement et de l'hébergement, il nous semble important de conserver ces emplois, particulièrement au moment où la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté doit être déployée.
Le schéma d'emplois de la mission Solidarité, insertion et égalités des chances est de – 2,6 % entre 2018 et 2019, ce qui représente 250 ETP au total.
La ventilation de cet effort reste en cours de définition ; le Premier ministre a lancé une grande concertation avec les ministres et les préfets de région afin de supprimer les doublons et mieux rationaliser la dépense, notamment au sein de l'administration déconcentrée de l'État ; ce qui a fait l'actualité de ces derniers jours.
C'est l'ambition portée dans le cadre du plan « Action publique 2022 » et dans les grands chantiers de transformation publique ; la diminution de dépenses de personnel doit donc découler de cette stratégie.
Je comprends votre demande, mais je considère que nous devons tenir cette ligne de rigueur budgétaire si nous souhaitons rétablir nos comptes publics.
Avis défavorable, donc.
La commission rejette cet amendement.
Puis elle adopte les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, non modifiés.
Article 82 : Création d'une nouvelle bonification de la prime d'activité
La commission adopte l'article 82 sans modification.
Article 83 : Simplification des compléments à l'allocation aux adultes handicapés (AAH
La commission examine l'amendement II-CF611 de Mme Christine Pires Beaune.
Sous couvert de simplification, l'article 83 fusionne deux allocations versées aux personnes handicapées : le complément de ressources (CR) et la majoration pour la vie autonome (MVA). Ces deux allocations ne sont pas cumulables, mais elles sont de montants différents. La MVA, d'un montant de 104 euros, est versée aux personnes handicapées avec un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %, qui occupent un logement autonome pour favoriser l'accès à cette autonomie. Le CR s'élève à 179 euros et vient compléter l'AAH.
Je ne suis pas opposée à une fusion pour cause de simplification. Mais vous en profitez pour aligner le montant par le bas, ce qui aboutit à une perte de pouvoir d'achat de 75 euros pour les personnes concernées. C'est contraire à vos engagements en faveur du handicap. Notre amendement vise donc à supprimer l'article 83.
Il ne s'agit pas vraiment d'une fusion, mais de la suppression du CR. La problématique des ressources des personnes handicapées, sujet majeur, mérite un débat dans l'hémicycle avec Mme la ministre.
Je me permettrai simplement de souligner quelques éléments. Les bénéficiaires actuels du CR continueront à en bénéficier pendant dix ans. Il n'y a donc pas de rupture brutale de financement. En outre, la plupart des bénéficiaires du CR sont également éligibles à la MVA. Par ailleurs, l'AAH augmente de 90 euros entre 2017 et 2019.
Certes, le montant de la MVA est inférieur de 75 euros à celui du CR. Mais les conditions d'obtention de la MVA sont plus simples et plus rapides : elle est attribuée automatiquement et ne nécessite pas l'évaluation par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'une capacité de travail inférieure à 5 %.
La principale différence réside dans la situation locative des personnes bénéficiaires : les personnes qui auraient été éligibles au CR, mais ne le seront pas à la MVA, sont celles qui sont propriétaires ou logées à titre gratuit. En effet, la MVA est versée uniquement aux personnes qui perçoivent des aides au logement.
À travers cet article, le Gouvernement nous propose d'orienter les financements vers l'accès au logement et à la vie autonome. J'entends vos questions et je pense qu'il est important d'en débattre avec la ministre. Je vous propose en conséquence de retirer votre amendement.
Je vous remercie pour tous ces éléments. Malgré tout, je maintiens l'amendement car je n'en suis pas à l'origine. Je comprends vos explications. Je suis favorable à la simplification. C'est également une bonne chose d'avoir conservé le dispositif dont l'assiette est la plus large. Pour autant, on aurait pu aligner le montant de l'allocation sur la plus élevée ! Cette perte de 75 euros est importante pour les personnes concernées et l'économie budgétaire sera probablement négligeable...
La commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 83 sans modification.
Après l'article 83
La commission examine, en discussion commune, les amendements II-CF612 de Mme Christine Pires Beaune, II-CF802 de M. Vincent Descoeur et II-CF856 de Mme Sandrine Mörch.
Mon amendement vise à demander un rapport au Gouvernement pour disposer d'un bilan de l'application du décret du 31 août 2018 relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ce décret accroît les frais à la charge des majeurs protégés. Or, vous le savez, ces personnes sont fragiles et connaissent déjà des conditions de vie difficiles. Il nous semble utile de mesurer ce que le décret a changé.
Il ne s'agit pas d'une énième demande de rapport, mais d'éclairer le Parlement sur les effets sociaux de la réforme du financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Cette réforme, menée par voie réglementaire, a eu pour effet d'augmenter la participation financière des majeurs concernés. Certains acteurs associatifs s'interrogent sur ses conséquences. Mon amendement vise à ce que ces dernières soient analysées.
La hausse de la participation financière des majeurs protégés inquiète beaucoup les associations. Elles craignent des conséquences dramatiques sur des personnes qui vivent déjà souvent en dessous du seuil de pauvreté et subissent de ce fait une nouvelle forme de précarisation.
Alors que les ministères de la santé et de la justice se penchent sur la révision de la protection juridique des majeurs, un rapport communiqué au Parlement sur les conséquences de cette augmentation pourrait contribuer à l'information du législateur, sur ce sujet qui touche de près l'inclusion sociale.
Avant de me prononcer sur vos amendements, il me semble utile de rappeler les barèmes en vigueur. Aucune participation n'est requise pour les personnes dont les ressources sont inférieures ou égales à l'AAH. Si les ressources sont supérieures à l'AAH, la participation s'élèvera à 0,6 % sur la tranche des revenus inférieurs ou égaux à l'AAH, puis à 8,5 % pour les revenus jusqu'au SMIC – contre 7 % par le passé.
En conséquence, les personnes protégées les plus vulnérables continuent à ne pas participer financièrement. Par ailleurs, le Gouvernement a demandé un rapport à Mme Anne Caron-Déglise, avocate générale près la Cour de cassation, concernant l'évolution de la protection juridique des majeurs. Ce rapport vient d'être publié, en septembre. Il est particulièrement dense. Je ne sais pas si vous avez pu en prendre connaissance mais il contient de très nombreuses informations et analyses. C'est pourquoi un nouveau rapport ne me semble pas pertinent. Nous pourrons éventuellement l'envisager l'an prochain. Cette année, le dispositif est encore très récent.
Sur le difficile sujet de la protection des personnes sous tutelle ou curatelle, quelle est votre position suite à la publication de ce rapport ? Les amendements n'abordent que la question du financement des mandataires ; ce n'est qu'un sous-problème. Le système fonctionne-t-il ? Donne-t-il lieu à des abus ? Quand il y a abus, les détecte-t-on ? Connaît-on les intentions du Gouvernement ? Les magistrats chargés des tutelles nous disent avoir bien du mal à contrôler les mandataires et les comptes qu'ils doivent remettre annuellement.
L'an dernier, j'avais abordé cette thématique dans mon rapport budgétaire et j'avais mis en évidence l'absence de pilotage des mandataires, ballottés entre deux ministères. C'est l'une des conclusions du rapport de Mme Caron-Déglise : elle propose la désignation d'un délégué interministériel pour répondre à ce besoin de coordination.
Une réflexion est engagée concernant le cadre déontologique et professionnel des mandataires. J'attends ses conclusions. Ces métiers sont sensibles, vous avez raison, car les mandataires travaillent au contact de personnes fragiles. Pour le moment, un rapport vient d'être publié. Je souhaite que certaines des propositions soient mises en oeuvre, afin de mieux encadrer cette profession, constituée de personnels de la fonction publique hospitalière, mais aussi de mandataires privés et indépendants. Cet encadrement est de la responsabilité de l'État ; il doit y veiller.
Les associations ont-elles eu connaissance des conclusions de ce rapport ? Si c'est le cas, cela ne semble pas les avoir rassurées. Peut-être est-ce parce qu'il vient d'être publié ? Pour autant, il faut analyser les effets sociaux de l'évolution du barème. Je maintiens donc mon amendement. Nous verrons la semaine prochaine s'il peut être satisfait par ce rapport.
Les amendements II-CF612 et II-CF856 sont retirés.
La commission rejette l'amendement II-CF802.
Nous avons consacré un peu plus de vingt-sept heures à l'examen des crédits des différentes missions. Les débats ont eu lieu. Nous avons pu entendre les rapporteurs spéciaux – et les rapporteurs pour avis quand ils sont venus. J'ai d'ailleurs attiré de nouveau l'attention des présidents des autres commissions permanentes afin qu'ils sollicitent leurs rapporteurs.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 31 octobre à 9 heures 30
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Émilie Cariou, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Philippe Chassaing, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Romain Grau, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-François Parigi, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth
Excusé. - M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. - M. Vincent Descoeur, M. Jean-Louis Masson, Mme Sandrine Mörch, M. François Ruffin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe
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