Monsieur le président, en tant qu'ancien universitaire et ancien président d'université, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir cette année encore, pour faire ce rapport, à entendre l'ensemble des directeurs de recherche – dont près de 90 % viennent de changer. Ceux-ci ont d'ailleurs manifesté leur satisfaction de voir les budgets augmenter.
Pour faire la transition avec la mission « Écologie », dont nous venons d'examiner les crédits, je dirai que c'est aussi dans les organismes de recherche que se préparent les avancées sur l'environnement de demain. Et je commencerai mon intervention en rendant hommage aux performances réalisées par la recherche française. Oui, la France peut être fière de ses chercheurs !
L'actualité se fait régulièrement l'écho des réussites de nos universités et de nos organismes de recherche. Je ne pourrai pas, bien sûr, tout évoquer mais rien qu'au début du mois d'octobre, nous avons appris successivement qu'un Français, le professeur Gérard Mourou, spécialiste du laser, avait obtenu le prix Nobel de physique, et qu'une unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de l'Institut Curie avait découvert une protéine du système immunitaire susceptible d'apporter un avantage décisif dans la lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Tous ces succès sont remarquables. Ils le sont d'autant plus que nos chercheurs ne peuvent objectivement bénéficier des mêmes facilités financières que leurs homologues américains ou chinois. Savez-vous, par exemple, que les National Institutes of Health (NIH), organismes de recherche américains spécialisés en santé et en biomédecine, ont reçu en 2016 un budget de 32,31 milliards de dollars ? L'INSERM, leur équivalent français, affichait au même moment un niveau de dépenses trente-huit fois moins élevé, avec 856 millions d'euros. Et cela ne l'a pas empêché de figurer dans les classements internationaux à la neuvième place !
Si l'on regarde, justement, les grandes masses financières, on peut se féliciter de l'importance des efforts de la recherche française. En 2017, les dépenses intérieures de recherche et développement en France, tous secteurs confondus, se sont maintenues à environ 2,20 % du produit intérieur brut (PIB).
Ne nous le cachons pas : cela place la France au cinquième rang européen, devant le Royaume-Uni (1,69 %), mais encore loin de nos partenaires allemands, qui consacrent à la recherche près de 3 % de leur richesse nationale. C'est la raison pour laquelle il est important que la puissance publique continue à insuffler une nouvelle dynamique à un secteur dont le poids est consubstantiel à la compétitivité de la France et à son rayonnement international.
Un premier pas a été franchi avec le budget 2018 : les crédits de paiement de la mission « Recherche et enseignement supérieur » avaient ainsi progressé de plus de 700 millions d'euros par rapport à 2017, pour s'établir à 27,67 milliards d'euros. Ils sont portés à 28,17 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019, ce qui représente une hausse de 500 millions d'euros.
J'observe que, comme l'an dernier, la progression des crédits en pourcentage (1,82 %) est supérieure aux projections de croissance du PIB (1,7 %). Je tiens donc à saluer l'effort fait par le Gouvernement pour que la part du budget de l'État affectée à la recherche n'ait pas à souffrir des impératifs de maîtrise des dépenses publiques.
La recherche spatiale est, tout naturellement, le premier secteur bénéficiaire de cette dynamique. Au travers des crédits alloués au Centre national d'études spatiales (CNES), principal opérateur du programme 193, la France accroît sa contribution à l'Agence spatiale européenne de plus de 200 millions d'euros, ce qui lui permettra de rester le premier contributeur européen devant l'Allemagne.
Pour répondre à la question que vous avez posée, Monsieur le président, sur la « nouvelle économie de l'espace », la réduction des coûts de production liés, notamment, à la numérisation des composants, a effectivement permis l'émergence de concurrents low-cost, tels que SpaceX et Blue Origin, mais aussi de start-ups spécialisées dans les microsatellites, comme les sociétés californiennes Spire et Planet. Il faut dire que ces satellites, de plus en plus réduits et légers, sont plus faciles à lancer.
Face à ces nouveaux acteurs, l'Europe spatiale garde, à mes yeux, de grands atouts : elle bénéficie d'une industrie performante, de plus en plus intégrée avec la création de la société Arianegroup, et d'un secteur scientifique de premier plan. Sa position sur le marché dépendra du succès des projets en développement avec le futur moteur réutilisable Prometheus et, bien sûr, la fusée Ariane 6. Sur ce dernier point, il ressort des auditions que j'ai menées avec le CNES que le programme de développement avance bien et que, pour le moment, le calendrier reste maîtrisé avec un premier vol prévu à l'été 2020. Je reste donc confiant sur la capacité de l'Europe à garder sur le long terme sa position éminente sur le marché.
Regardons maintenant le programme 172, qui regroupe la plupart des dotations de l'État aux organismes de recherche. L'effort budgétaire consenti est ici presque aussi important que pour le secteur spatial : ses crédits de paiement augmentent de 171 millions d'euros par rapport à 2018, pour s'établir à 6,94 milliards d'euros.
S'agissant de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), dont la fusion avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) est prévue pour 2020, j'ai observé avec satisfaction que le projet était animé avant tout par une logique d'excellence scientifique et non d'économies budgétaires. Si l'on peut, naturellement, attendre des synergies d'un tel rapprochement, le rapport d'étape qui a été présenté aux deux ministres de tutelle il y a quelques semaines évoque le coût immédiat de la convergence : celui-ci est estimé à 8,1 millions d'euros sur la période 2018-2020, hors dépenses de rémunérations. J'ai donc insisté, dans mon rapport, pour que le Gouvernement donne à ces deux établissements les moyens financiers nécessaires à la constitution du nouvel ensemble.
Si vous me le permettez, Monsieur le président, je voudrais maintenant m'attarder un peu sur la situation de l'Agence nationale de la recherche (ANR).
Cet établissement, qui est le principal opérateur du financement sur appels à projets en France, avait souffert d'une réduction drastique de ses dotations entre 2013 et 2017. L'an dernier, le Gouvernement avait décidé d'aider l'Agence à couvrir ses engagements par un relèvement spectaculaire de ses crédits de paiements de l'ordre de 134 millions d'euros. Le projet de loi de finances pour 2019 confirme ce rattrapage, avec un effort supplémentaire de 86 millions d'euros. Je me félicite donc de voir l'ANR disposer enfin des moyens nécessaires au déploiement de ses capacités d'intervention.
Mais ces moyens ne sont pas en eux-mêmes suffisants : il faut maintenant que les universités et les grands organismes se saisissent de cet outil pour accroître leurs activités de recherche au-delà de ce que leur permettent leurs dotations budgétaires. Or, l'ANR souffre encore, aux yeux de ses utilisateurs, d'un défaut d'attractivité qui est lié selon moi aux conditions encore trop restrictives de ses financements. Je fais ici allusion au « préciput », terme technique désignant le taux par lequel l'ANR prend en charge les coûts indirects supportés par les établissements hébergeurs des projets de recherche.
Si l'on prend en compte à la fois le préciput proprement dit, fixé à 11 %, et le prélèvement forfaitaire préalable de 8 % pour frais de gestion, ces coûts indirects ne sont financés qu'à hauteur d'environ 20 %. Ce taux est faible quand on sait que l'environnement d'un projet représente souvent le tiers, voire la moitié des dépenses correspondantes : il faut parfois aménager de nouveaux locaux, accéder à des ressources documentaires généralistes, recourir aux services du personnel permanent, etc. Les programmes européens ont, de toute évidence, mieux pris en compte cette contrainte en proposant un taux de couverture des coûts indirects de 25 %.
Je souhaite donc que l'année 2019 soit mise à profit pour engager avec l'ANR une réforme de son règlement financier de façon à porter le taux du préciput stricto sensu à 17 %. Un tel relèvement serait le signal fort qu'attendent les équipes de chercheurs pour porter leurs projets auprès de l'ANR.
J'achèverai mon intervention en indiquant que, tout naturellement, l'effort de recherche français ne saurait être porté par les seuls organismes publics. Les entreprises doivent également prendre toute leur part et il appartient à l'État de leur offrir l'accès le plus large possible à la « matière grise » issue des universités et des grands organismes.
Comme l'an dernier, mon rapport s'est intéressé aux mécanismes de valorisation et de recherche partenariale mis en place dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Ce dispositif, qui s'articule notamment autour des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) et des instituts de recherche technologique (IRT), a souvent été critiqué, notamment par la Cour des comptes dans un rapport publié en mars dernier. Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le président, la Cour a pointé du doigt son apparente complexité dans la présentation qu'elle a faite aux membres de notre commission en juin dernier.
Certes, l'enchevêtrement des structures peut, de prime abord, rebuter un non-initié, et des adaptations ou des simplifications seront probablement nécessaires à plus ou moins brève échéance dans certains cas. J'estime toutefois qu'il est encore trop tôt pour tirer un trait sur un dispositif qui est en train de monter en puissance et qui favorise la mobilisation des compétences au service de la compétitivité de notre pays. Les IRT s'appuient en effet sur un modèle de protection de la propriété intellectuelle issue des travaux de recherche-développement, qui fait de ces structures un véritable outil de souveraineté technologique. Quant aux SATT, ce sont pour l'instant les structures les mieux positionnées dans les écosystèmes locaux pour mettre en relation les universités et les acteurs privés. C'est en tout cas ce qui est ressorti de nos auditions. En ce sens, je partage pleinement l'avis du Premier ministre qui, lors de la conférence qu'il a donnée le 21 juin dernier à l'IRT M2P de Metz, a insisté sur la nécessité de ne pas bouleverser le dispositif et de le faire évoluer par « petites touches » en fonction des retours d'expérience.
Dans l'espoir que les propositions formulées sur ces différents sujets seront reprises, je vous remercie, mes chers collègues, pour votre attention et émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».