Intervention de Stéphane Viville

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h50
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg :

Je m'exprimerai en tant qu'ancien chef de service du laboratoire de biologie de la reproduction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg. Fondateur du premier centre de diagnostic préimplantatoire (DPI), mon laboratoire s'est longtemps concentré sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites (IPS). C'est donc au titre de professionnel de l'assistance médicale à la procréation (AMP) que je m'exprime aujourd'hui.

J'évoquerai uniquement l'anonymat du don de gamètes, que l'on appelle généralement AMP avec tiers donneur. Si je disposais d'un peu plus de temps, je m'exprimerais aussi sur la recherche d'aneuploïdies sur les embryons précoces, puisque mon point de vue est un peu discordant par rapport au mainstream actuel.

Je tiens à remercier vivement le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, qui, devant cette même mission et avec une très grande précision et un vrai travail de professionnel, a exposé les principaux arguments pour l'autorisation de l'accès à leurs origines des personnes conçues par AMP avec tiers donneur.

On entend toujours demander : faut-il lever l'anonymat du don ? Ce n'est pas la bonne question. Celle-ci est de savoir s'il est légitime d'accorder l'accès aux origines. L'importance de l'accès aux origines a été plébiscitée par l'Assemblée nationale lors de la création du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), votée à l'unanimité. Implicitement, voire explicitement, c'est une façon de reconnaître l'importance de l'accès aux origines.

Le maintien de l'anonymat à perpétuité est pour moi illégitime, dans la mesure où il introduit une discrimination. Comment justifier que certains aient le droit d'accéder à leurs origines alors que d'autres ne l'ont pas ?

Comme vous l'avez noté, je parle principalement d'accès aux origines et non de levée de l'anonymat, d'autant que cette expression peut prêter à confusion. En effet, il ne s'agit pas de rendre le don nominatif. Aucun pays ayant modifié sa loi ne l'a fait. Cet anonymat est pour moi indispensable à la construction de la cellule familiale, ce qui vous sera peut-être confirmé par mes collègues psychologues ou psychiatres. Je suis donc favorable au don anonyme assorti d'une possibilité d'accès aux origines pour la majorité des gens conçus par AMP avec tiers donneur, avec spermatozoïdes, ovocytes ou embryons.

Comme M. Toubon a clairement exposé les arguments en faveur de l'accès aux origines, je vous proposerai un autre éclairage important. Je vous le dis d'emblée : pour moi, il n'est plus temps de se poser la question de la légitimité de l'accès aux origines, il est temps de l'organiser.

J'ai publié, en juillet 2017, une première tribune dans Le Monde pour défendre l'accès aux origines et surtout annoncer qu'avec l'émergence des tests ADN sur le web, les personnes allaient pouvoir retrouver leur donneur. Je remercie M. Arthur Kermalvezen qui, six mois plus tard, me donnait raison, prouvant que des donneurs peuvent être identifiés. Depuis, cinq personnes ont retrouvé leur donneur. Du fait de la baisse de coût des tests, proposés désormais pour moins de 100 dollars – avec des promotions entre 50 et 60 dollars –, et de l'engouement qu'ils génèrent, il est certain que le mouvement d'identification des donneurs ira en s'amplifiant dans les années à venir.

Il importe de réaliser qu'il n'est pas nécessaire que le donneur ait fait lui-même le test ADN pour être identifié. Je n'ai pas le temps de fournir de détails, mais je répondrai éventuellement à vos questions sur ce sujet.

Compte tenu, donc, de l'engouement pour ces tests et des résultats obtenus en matière d'identification des donneurs, cette loi sur l'anonymat devient inapplicable et incohérente. L'évidence de l'accès aux origines est pour moi telle qu'à mon sens ce n'est pas lui qui doit être justifié éthiquement, mais la légitimité même de l'anonymat.

J'en profite pour dénoncer les rumeurs persistantes prévoyant une baisse du nombre de donneurs en cas d'accès aux origines. Ce risque se heurte à la réalité des faits. Dans les pays qui ont révisé leur législation, on n'observe pas de baisse du nombre des donneurs mais au contraire, dans nombre de cas, des augmentations, voire des augmentations significatives. Au Royaume-Uni, le nombre de donneurs – et de donneuses – a doublé en moins de dix ans.

J'en arrive au cri d'alarme que je souhaite pousser ici en tant que défenseur du don de gamètes. À mon sens, l'absence d'évolution de la loi de bioéthique sur l'accès aux origines mettrait en péril l'activité de l'AMP avec tiers donneur. La fuite des donneurs sera bien plus importante si l'on ne change rien. La découverte de l'identité de donneurs met en difficulté les professionnels de l'AMP responsables de l'activité du don qui, dès aujourd'hui, sont confrontés à une contradiction entre les promesses d'anonymat du système et l'existence des techniques de tests d'ADN. Je crains qu'après la multiplication des annonces de personnes ayant trouvé leur donneur via ces tests d'ADN, ces professionnels soient de plus en plus souvent questionnés sur l'effectivité de l'anonymat annoncé. Que diront les professionnels de l'AMP quand on leur demandera : finalement, notre don est-il anonyme ou pas ? Je crains que l'incapacité de rassurer les candidats au don par la garantie de l'anonymat ne les fasse fuir au lieu de faciliter leur recrutement. Sans changement, nous risquons d'assister à une baisse du nombre de donneurs et d'avoir encore plus de difficultés à répondre à la demande des couples. Nous le voyons, le maintien en l'état de la loi mènerait à une situation bien pire que son évolution visant à autoriser les personnes conçues par don, majeures et le souhaitant, à connaître leur origine.

Nous vous avons présenté plusieurs possibilités alternatives d'accès aux origines. L'une est la fourniture de données non identifiantes. Or je n'ai pas besoin de vous expliquer que, par définition, la demande d'accéder aux origines ne peut pas se satisfaire de données non identifiantes. Une autre est la mise en place d'un système de double guichet, qui peut s'entendre de deux manières. Le donneur consentirait ou non, soit au moment du don, soit au moment de la demande de la personne conçue par ce don, à ce que son identité soit révélée. Pour moi, un système de double guichet n'est éthiquement pas acceptable, car il se traduirait par une injustice entre ceux qui obtiendraient l'accord du donneur et ceux qui se le verraient refuser.

Que l'on considère les données non identifiantes ou le double guichet, la problématique reste la même. L'anonymat du don ne peut pas être garanti, à l'heure actuelle et encore moins dans le futur, compte tenu de la démocratisation des tests ADN récréatifs. Donc, je considère, en tant que professionnel de l'AMP, que le don doit être subordonné au consentement du donneur qui accepte que son identité soit révélée. Je lance ici un cri d'alarme : sauvons l'AMP avec tiers donneur ! Il s'agit d'une avancée remarquable de notre société, qu'il convient de préserver. Pour cela, il n'y a pas d'autre possibilité que d'accorder le droit d'accès aux origines aux personnes conçues par don. Autoriser l'accès aux origines est la seule solution possible.

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