Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h50

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AMP
  • CNAOP
  • anonymat
  • don
  • donneur
  • gamètes
  • origine
  • test
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 17 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à une table ronde sur l'accès aux origines (M. Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme ; M. Stéphane Viville, professeur à la Faculté de médecine de Strasbourg et praticien hospitalier spécialiste de la biologie de la reproduction ; M. Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'Université de Rouen ; Dr Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, Mme Michèle Fontanon-Missenard, psychiatre, et M. Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l'Institut Thomas More ; Mme Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP).

L'audition débute à seize heures cinquante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous poursuivons nos auditions avec une table ronde sur l'accès aux origines et sur la filiation.

Pour ce faire, nous avons le plaisir d'accueillir : M. Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme ; M. Stéphane Viville, professeur à la faculté de médecine de Strasbourg et praticien hospitalier spécialiste de la biologie de la reproduction ; M. Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen ; le docteur Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière, accompagné de Mme Michèle Fontanon-Missenard, psychiatre ; M. Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l'Institut Thomas More ; Mme Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP).

Mesdames, messieurs, je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir dans le cadre de notre mission d'information. Les débats actuels sur la potentielle ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, la médiatisation de cas d'individus nés de dons de gamètes à la recherche de leurs origines, ainsi que le développement de tests génétiques par des sociétés privées étrangères nous conduisent régulièrement à nous interroger sur les questions de la filiation, de l'anonymat du don de gamètes et de l'accès aux origines.

Nous souhaiterions prendre connaissance de vos expériences et de vos positionnements sur ces différents sujets, afin de faire mûrir notre propre réflexion dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Je vais vous donner la parole à tour de rôle, pour un exposé d'une dizaine de minutes. Nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses avec le rapporteur et les membres de la mission. Je rappelle que nos débats sont filmés et enregistrés, et feront l'objet d'un compte rendu écrit.

Permalien
Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme

Mon propos aujourd'hui n'est pas de vous convaincre de la légitimité de la reconnaissance du droit d'accès aux origines, parce que la plupart d'entre vous n'ont pas à l'être, et surtout parce que son heure en France est venue.

Le quotidien La Croix titrait en une, le vendredi 5 octobre : « L'anonymat du don bientôt levé » et, sur les réseaux sociaux : « Comment cette idée s'est imposée ? ». Le 25 septembre dernier, dans son avis n° 129, le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) proposait, pour la première fois, que soit rendue possible la levée de l'anonymat des futurs donneurs de sperme. Au-delà, la société française, qui suit le concert des nations occidentales ayant déjà reconnu le droit d'accès aux origines, est majoritairement favorable à cette demande. Dans un sondage en ligne du Figaro du 19 février, sur 22 142 votants, 56 % d'entre eux répondaient positivement à la question : faut-il lever l'anonymat des donneurs pour permettre aux enfants de connaître leurs origines ?

Je ne résiste pas non plus à citer la remarquable intervention du Défenseur des droits. Ici même, devant vous, le 9 octobre, Jacques Toubon, préconisait : « Au moment du don, le donneur accepterait que ces informations soient données et, au moment où l'enfant deviendrait majeur, il y aurait une sorte de rencontre de volontés » – expression que j'ai beaucoup appréciée – « entre ce donneur qui a consenti avant le don et cet enfant qui, à ce moment-là, réclame l'accès à ses origines ».

Mon propos aujourd'hui est plutôt de rassurer tout en faisant appel à votre vigilance. Mon propos est aussi et surtout de transmettre le message de très nombreuses personnes nées de dons – près de 150 –, de donneurs, de parents qui rejoignent notre association.

Rassurer, tout d'abord, sur un point qu'il faut systématiquement rappeler et qui est souvent la source d'un quiproquo inconscient : le droit aux origines n'est pas une remise en cause, de quelque manière que ce soit, de la filiation. Pas une seule des femmes, pas un seul des hommes de notre association n'a remis en cause sa filiation et, au-delà, l'amour qu'ils portent à ceux qui les ont désirés, aimés, éduqués.

Rassurer aussi sur le fait que cette démarche n'est rien d'autre qu'une démarche personnelle, intime, qui ne vise qu'à mieux se connaître soi-même dans tout ce qui fait notre individualité. D'ailleurs, je parlerai toujours plus facilement de reconnaissance du droit d'accès aux origines que de levée de l'anonymat – cela a été dit suffisamment ici – car la demande de mon association n'est pas de mettre fin à ce système, qui remplit une fonction psychologique et organisationnelle pour l'AMP avec don, mais plutôt de permettre une dérogation à ce principe d'anonymat à la majorité de la personne et seulement si elle le souhaite.

Comme vous avez pu le voir dans le dossier qui accompagne mon intervention, l'association PMAnonyme a émis huit propositions pour la mise en oeuvre de l'accès aux origines, étayées par le retour d'expérience des pays qui le reconnaissent parfois depuis des décennies, en Europe et dans le reste du monde. Elles traitent de la révélation de l'identité du donneur mais également de nombreux sujets importants comme les données médicales, l'accès aux informations non identifiantes, les mises en relation, notamment entre personnes nées de dons qui le souhaitent elles-mêmes.

Je voudrais surtout, ici, aujourd'hui, vous alerter sur deux points qu'il convient de clarifier, notamment après la publication de l'avis du CCNE, à savoir la prise en compte des 70 000 personnes déjà nées de dons, comme moi, et le « double guichet ».

La loi que vous ferez – nous en avons conscience – n'aura pas d'effet rétroactif. Je souhaite que dans le futur, les enfants à naître par dons de gamètes n'aient pas comme nous à affronter le mur indépassable de l'anonymat absolu et irréversible de leur donneur. Mais pour eux, je reste confiant et je veux croire qu'ils n'auront rien d'autre qu'à choisir d'exercer ou pas ce droit d'accès à leurs origines.

Je pense donc maintenant à ceux qui, comme moi, sont nés d'un donneur à qui l'on a promis l'anonymat. Je vous le dis : ne nous oubliez pas ! Nous ne demandons pour nous-mêmes qu'une simple mesure : le droit de demander à notre donneur, à travers une structure dédiée et mise en place par l'État, s'il accepterait de nous en dire plus sur lui. Ne nous oubliez pas non plus, parce qu'aujourd'hui de très nombreuses personnes nées de dons n'attendent pas qu'on s'occupe d'elles et réalisent des tests génétiques récréatifs. Certaines retrouvent leur donneur, des demi-frères ou des demi-soeurs, et sont totalement livrées à elles-mêmes. Pas plus tard que la semaine dernière, deux personnes de l'association se sont aperçues qu'elles étaient nées, à Reims, du même donneur. J'en appelle donc à la responsabilité de l'État de ne pas les laisser contraintes à ce dernier recours que sont les tests ADN et de se retrouver face à des situations potentiellement compliquées pour les familles, sans préparation ni accompagnement.

Enfin, j'attire votre attention sur le risque d'une mise en place bancale que constituerait le système du double guichet, à savoir la possibilité laissée au donneur de choisir s'il veut rester anonyme ou pas au moment du don ou, pire, au moment de la demande par une personne née de don d'exercer son droit. C'est d'ailleurs l'un des systèmes que présente, dans son avis du 11 juillet 2018, le Conseil d'État qui, au passage, a reconnu lui aussi la nécessité de répondre à la demande de reconnaissance du droit d'accès aux origines – cela fait déjà beaucoup d'institutions. Notons d'ailleurs que les seuls pays avoir instauré le double guichet, lorsque l'accès aux origines était possible, sont les États-Unis et le Danemark, lesquels le font pour des raisons purement mercantiles.

Pourquoi est-ce que je vous exhorte à rejeter ce système ? Tout d'abord, parce qu'il est fondamentalement injuste et renvoie encore une fois la personne née de don, il y a parfois plus de quarante ans, à un statut d'enfant, au sens étymologique d'infans, c'est-à-dire celui qui ne sait pas encore parler, à qui l'on dénie le droit de décider pour lui-même. Créateur d'une rupture d'égalité insupportable pour les personnes nées de dons, ce système est une contradiction en lui-même. Si le droit d'accès aux origines est un principe, alors il ne saurait être subordonné à un choix personnel du donneur. Surtout, je vous demande de le rejeter car, pas plus qu'aujourd'hui, il ne protège les donneurs de la réalité technique de notre temps. Leur promettre l'anonymat à l'heure où, de par le monde et désormais de plus en plus en France, ils sont retrouvés via les tests ADN, est une hypocrisie.

Je rappelle enfin que, dans son avis n° 90, le CCNE s'était prononcé en défaveur du double guichet, rappelant que cela constituerait une discrimination entre les enfants nés de dons. Ce serait également un déséquilibre injuste et éthiquement injustifié entre les aspirations des parents et des donneurs, d'un côté, et des enfants, de l'autre côté.

Je conclurai par cette citation de Victor Hugo : « Une idée n'est jamais aussi forte que quand son heure est venue. » Le droit d'accès aux origines est un droit simple, protecteur et qui n'enlève rien à personne : ni à ceux qui donnent généreusement et en responsabilité, rendus à ce statut de générosité assumée, ni à ceux qui feront le choix de ne pas l'exercer.

Permalien
Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg

Je m'exprimerai en tant qu'ancien chef de service du laboratoire de biologie de la reproduction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg. Fondateur du premier centre de diagnostic préimplantatoire (DPI), mon laboratoire s'est longtemps concentré sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites (IPS). C'est donc au titre de professionnel de l'assistance médicale à la procréation (AMP) que je m'exprime aujourd'hui.

J'évoquerai uniquement l'anonymat du don de gamètes, que l'on appelle généralement AMP avec tiers donneur. Si je disposais d'un peu plus de temps, je m'exprimerais aussi sur la recherche d'aneuploïdies sur les embryons précoces, puisque mon point de vue est un peu discordant par rapport au mainstream actuel.

Je tiens à remercier vivement le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, qui, devant cette même mission et avec une très grande précision et un vrai travail de professionnel, a exposé les principaux arguments pour l'autorisation de l'accès à leurs origines des personnes conçues par AMP avec tiers donneur.

On entend toujours demander : faut-il lever l'anonymat du don ? Ce n'est pas la bonne question. Celle-ci est de savoir s'il est légitime d'accorder l'accès aux origines. L'importance de l'accès aux origines a été plébiscitée par l'Assemblée nationale lors de la création du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), votée à l'unanimité. Implicitement, voire explicitement, c'est une façon de reconnaître l'importance de l'accès aux origines.

Le maintien de l'anonymat à perpétuité est pour moi illégitime, dans la mesure où il introduit une discrimination. Comment justifier que certains aient le droit d'accéder à leurs origines alors que d'autres ne l'ont pas ?

Comme vous l'avez noté, je parle principalement d'accès aux origines et non de levée de l'anonymat, d'autant que cette expression peut prêter à confusion. En effet, il ne s'agit pas de rendre le don nominatif. Aucun pays ayant modifié sa loi ne l'a fait. Cet anonymat est pour moi indispensable à la construction de la cellule familiale, ce qui vous sera peut-être confirmé par mes collègues psychologues ou psychiatres. Je suis donc favorable au don anonyme assorti d'une possibilité d'accès aux origines pour la majorité des gens conçus par AMP avec tiers donneur, avec spermatozoïdes, ovocytes ou embryons.

Comme M. Toubon a clairement exposé les arguments en faveur de l'accès aux origines, je vous proposerai un autre éclairage important. Je vous le dis d'emblée : pour moi, il n'est plus temps de se poser la question de la légitimité de l'accès aux origines, il est temps de l'organiser.

J'ai publié, en juillet 2017, une première tribune dans Le Monde pour défendre l'accès aux origines et surtout annoncer qu'avec l'émergence des tests ADN sur le web, les personnes allaient pouvoir retrouver leur donneur. Je remercie M. Arthur Kermalvezen qui, six mois plus tard, me donnait raison, prouvant que des donneurs peuvent être identifiés. Depuis, cinq personnes ont retrouvé leur donneur. Du fait de la baisse de coût des tests, proposés désormais pour moins de 100 dollars – avec des promotions entre 50 et 60 dollars –, et de l'engouement qu'ils génèrent, il est certain que le mouvement d'identification des donneurs ira en s'amplifiant dans les années à venir.

Il importe de réaliser qu'il n'est pas nécessaire que le donneur ait fait lui-même le test ADN pour être identifié. Je n'ai pas le temps de fournir de détails, mais je répondrai éventuellement à vos questions sur ce sujet.

Compte tenu, donc, de l'engouement pour ces tests et des résultats obtenus en matière d'identification des donneurs, cette loi sur l'anonymat devient inapplicable et incohérente. L'évidence de l'accès aux origines est pour moi telle qu'à mon sens ce n'est pas lui qui doit être justifié éthiquement, mais la légitimité même de l'anonymat.

J'en profite pour dénoncer les rumeurs persistantes prévoyant une baisse du nombre de donneurs en cas d'accès aux origines. Ce risque se heurte à la réalité des faits. Dans les pays qui ont révisé leur législation, on n'observe pas de baisse du nombre des donneurs mais au contraire, dans nombre de cas, des augmentations, voire des augmentations significatives. Au Royaume-Uni, le nombre de donneurs – et de donneuses – a doublé en moins de dix ans.

J'en arrive au cri d'alarme que je souhaite pousser ici en tant que défenseur du don de gamètes. À mon sens, l'absence d'évolution de la loi de bioéthique sur l'accès aux origines mettrait en péril l'activité de l'AMP avec tiers donneur. La fuite des donneurs sera bien plus importante si l'on ne change rien. La découverte de l'identité de donneurs met en difficulté les professionnels de l'AMP responsables de l'activité du don qui, dès aujourd'hui, sont confrontés à une contradiction entre les promesses d'anonymat du système et l'existence des techniques de tests d'ADN. Je crains qu'après la multiplication des annonces de personnes ayant trouvé leur donneur via ces tests d'ADN, ces professionnels soient de plus en plus souvent questionnés sur l'effectivité de l'anonymat annoncé. Que diront les professionnels de l'AMP quand on leur demandera : finalement, notre don est-il anonyme ou pas ? Je crains que l'incapacité de rassurer les candidats au don par la garantie de l'anonymat ne les fasse fuir au lieu de faciliter leur recrutement. Sans changement, nous risquons d'assister à une baisse du nombre de donneurs et d'avoir encore plus de difficultés à répondre à la demande des couples. Nous le voyons, le maintien en l'état de la loi mènerait à une situation bien pire que son évolution visant à autoriser les personnes conçues par don, majeures et le souhaitant, à connaître leur origine.

Nous vous avons présenté plusieurs possibilités alternatives d'accès aux origines. L'une est la fourniture de données non identifiantes. Or je n'ai pas besoin de vous expliquer que, par définition, la demande d'accéder aux origines ne peut pas se satisfaire de données non identifiantes. Une autre est la mise en place d'un système de double guichet, qui peut s'entendre de deux manières. Le donneur consentirait ou non, soit au moment du don, soit au moment de la demande de la personne conçue par ce don, à ce que son identité soit révélée. Pour moi, un système de double guichet n'est éthiquement pas acceptable, car il se traduirait par une injustice entre ceux qui obtiendraient l'accord du donneur et ceux qui se le verraient refuser.

Que l'on considère les données non identifiantes ou le double guichet, la problématique reste la même. L'anonymat du don ne peut pas être garanti, à l'heure actuelle et encore moins dans le futur, compte tenu de la démocratisation des tests ADN récréatifs. Donc, je considère, en tant que professionnel de l'AMP, que le don doit être subordonné au consentement du donneur qui accepte que son identité soit révélée. Je lance ici un cri d'alarme : sauvons l'AMP avec tiers donneur ! Il s'agit d'une avancée remarquable de notre société, qu'il convient de préserver. Pour cela, il n'y a pas d'autre possibilité que d'accorder le droit d'accès aux origines aux personnes conçues par don. Autoriser l'accès aux origines est la seule solution possible.

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Je représente la fédération France AMP, qui regroupe des personnes issues d'un don de gamètes, des couples en parcours d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et des parents qui se posent la question de savoir comment annoncer son mode de conception à leur enfant.

Nous sommes réunis ce jour pour discuter de la question de l'anonymat des donneurs, reformulée dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique en « accès aux origines » au profit des personnes conçues grâce à un don de gamètes. Ce glissement sémantique témoigne, selon moi, d'un véritable changement de paradigme. De fait, il ne s'agit plus de considérer un des principes fondateurs, l'anonymat qui gouverne le don des éléments et produits du corps humain, dont le sang et les dons d'organe, mais d'envisager la création d'un nouveau droit, d'une nouvelle liberté pour les individus. Nous voici, une fois de plus, confrontés à la société du « droit à », qui entend faire primer les intérêts particuliers sur l'intérêt collectif, et même sur l'intérêt général.

De fait, il est possible de se demander à qui profiterait réellement l'abolition du principe de l'anonymat. Aux enfants du don ? Ou au secteur privé à but lucratif, comme dans d'autres pays qui ont renoncé à ce principe fondamental ? Ce « droit à », celui de connaître ses origines, aura pour conséquence de développer un droit pour le secteur privé lucratif de proposer au marché, en l'occurrence celui des couples confrontés aux problèmes de fertilité, ses produits et services, à l'image de la banque de sperme danoise Cryos International. Les couples consommateurs pourront alors choisir des donneurs de gamètes sur catalogue : anonymes ou non anonymes, caractéristiques physiques, catégories socioprofessionnelles, aptitudes diverses, comme le sport et la musique, hobbies, etc. Au lien symbolique sera donc substitué le lien génétique permettant de fantasmer l'enfant idéal.

Derrière la question de l'accès aux origines se cache donc celle, beaucoup moins visible, du marché des gamètes. Il me semblait important de souligner ce point avant d'aborder des questions plus spécifiques.

Nous allons nous concentrer aujourd'hui sur le point de savoir dans quelle mesure une personne issue d'un don de gamètes aurait le droit ou non d'accéder à des informations identifiantes sur « son » donneur. Je tiens à préciser que cette expression me semble impropre dans la mesure où, dans les faits, un donneur donne à une banque de gamètes, un centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), par exemple, et non à un couple receveur pour la conception d'un enfant particulier. La connaissance de la technique du don me conduit donc à penser que la question de l'accès aux origines pour les personnes issues d'un don se pose en des termes bien différents que pour les personnes adoptées ou nées sous X, dans la mesure où l'intervention du corps médical est nécessaire à la conception même de l'enfant. Par ailleurs, il n'est pas possible de lier directement une souffrance à un abandon, comme chez les personnes adoptées ou nées sous X, puisque le donneur n'a jamais souhaité s'investir dans le projet parental du couple receveur et n'a donc pas de fonction parentale.

La problématique de l'accès aux origines est, me semble-t-il, une formulation beaucoup trop imprécise. L'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), mentionné notamment dans l'avis du CCNE en date du 25 septembre 2018, ne fait pas référence aux origines, c'est-à-dire à une banque de gamètes ou aux donneurs de gamètes, mais seulement aux parents. À mon sens, le CCNE induit par cette mention une confusion regrettable entre le parent et le donneur. Cela pourrait donc signifier que moi, personne issue d'un don, j'ai trois parents : mon père, ma mère et un donneur. Le CCNE précise également : « Certains ont d'ailleurs fait de la recherche de l'identité de leur donneur le combat de leur vie. » Or combien exactement, sur les 70 000 enfants conçus grâce à un don depuis les années 1970, sont entendus ?

M. Brès a rappelé qu'une poignée de personnes – notamment une, Arthur – témoignent dans les médias d'une certaine souffrance. M. Viville a parlé de cinq personnes qui auraient obtenu des informations sur leur donneur. Pour autant, Arthur est-il le représentant de tous les enfants du don ? Son discours relayé par les médias tend à présenter l'anonymat comme un principe toxique. Pour lui, peut-être, mais qu'en est-il des autres enfants ? Qu'en est-il de ceux informés de leur mode de conception, pour qui l'anonymat présente au contraire des vertus ? Pour qui fait-on exactement les lois en France ? Pour quelques individus médiatisés sur 70 000 ou pour la majorité silencieuse ? Quand allons-nous nous pencher réellement, au moyen d'études qualitatives et quantitatives, sur le vécu des enfants du don ?

Les arguments exposés par les personnes favorables à une levée de l'anonymat ne me semblent pas tous convaincants, car nombreux sont les mythes présentés comme des vérités. La question du dossier médical du donneur est un faux problème, puisque par essence, un donneur ne peut être admis au don si son patrimoine génétique et sa généalogie laissent penser à la transmission éventuelle d'une maladie grave. Mesdames et messieurs les députés, croyez-vous sincèrement que les médecins auraient pris un tel risque ? Autre exemple, la consanguinité chez les enfants du don. Nous savons que, dans la population des personnes conçues « à l'ancienne », le risque est bien supérieur pour les enfants nés de relations adultères que pour les enfants issus d'un même donneur. Quand allons-nous enfin cesser de croire à ces non-vérités ?

Le CCNE avance également dans son avis l'argument suivant lequel « il est clair que continuer à défendre l'anonymat à tout prix est un leurre à l'heure présente et future de la génomique et du big data ». Ce fatalisme venant de la part d'une institution que je respecte me déçoit. Pensez-vous que chaque enfant du don va recourir au test génétique, comme le très médiatisé Arthur ? Et quand bien même, ne devrions-nous pas prévenir les dangers de cette technologie ? À titre personnel, mon donneur est peut-être déjà décédé, et peut-être le test génétique ne donnerait-il rien, ou peut-être serais-je déçu s'il ne souhaitait pas me rencontrer ou s'il ne correspondait pas à mes attentes et représentations. Il ne faut pas mentir aux enfants du don. Le lien génétique ne confère aucune sécurité affective ou financière et ne permet pas la transmission de valeurs, comme le font actuellement les parents ayant eu recours à un don.

J'en reviens donc à la question essentielle : comment et pour qui faisons-nous réellement la loi ? Pour combien d'enfants issus du don ? Pour les 70 000 dont la quasi-totalité ne s'expriment pas dans les médias ou devant vous aujourd'hui ? La logique voudrait que l'on s'intéresse d'abord à la proportion d'enfants informés de leur mode de conception, pour savoir exactement ce qu'ils en pensent. Si je peux aujourd'hui m'exprimer devant vous au sujet de l'anonymat, c'est bien parce que mes parents m'ont informé de mon mode de conception. Or, nous ne savons pas combien d'enfants sont informés de leur mode de conception. Notre association incite les parents à informer leurs enfants du mode de conception, et la quasi-totalité sont prêts à le faire ou l'ont déjà fait.

Comment voter une loi sans s'assurer au préalable de l'hypothétique nocivité du principe de l'anonymat ? Si vous êtes aujourd'hui en mesure de me démontrer qu'une majorité des 70 000 enfants issus d'un don souffrent de ce principe, en ce cas je serai le premier à souhaiter l'abolition de l'anonymat des donneurs. Mon expérience associative, depuis plus de dix ans, m'a conforté dans l'idée que la majorité des parents et des enfants du don que j'ai rencontrés ne souhaitent pas la levée de l'anonymat. Pour autant, les avez-vous déjà entendus dans les médias ? Non, évidemment, car les médias ne s'intéressent pas aux personnes silencieuses. Les médias ne franchissent pas la porte des groupes de parole et ne vont pas à la rencontre de celles et ceux qui ont aussi des choses à dire sur ce qui, justement, les aide à se structurer et à vivre sereinement l'anonymat.

L'intérêt général, supposé transcender les libertés individuelles, ne fait plus sens aujourd'hui. L'AMP est prise dans ce tourbillon des libertés individuelles, du primat de l'individu et de la satisfaction de ses moindres besoins et envies. Plus que la question de l'accès aux origines, il me semble fondamental de continuer à sensibiliser les couples et les parents à l'intérêt de lever le secret sur le mode de conception de l'enfant.

Je me tiens devant vous aujourd'hui pour vous dire que l'on peut être un enfant du don et être heureux, que nos doutes et souffrances ne procèdent pas exclusivement de notre mode de conception, car nous vivons dans le même monde que vous, dans la même société que vous, et nous traversons les mêmes moments heureux et moins heureux que vous.

Mesdames, messieurs les députés, prenez le temps de la réflexion, car ce n'est pas être conservateur que de garder intact un principe dont la nocivité n'est pas démontrée. Laissons aux chercheurs le temps de se pencher davantage sur cette question et gardons à l'esprit que l'anonymat fait partie d'un tout, qui garantit une réelle éthique dans la pratique française de l'AMP. L'exception ne doit pas devenir un principe car, comme d'autres enfants du don, je maintiens que l'anonymat présente de multiples vertus dont on ne parle pas assez.

Permalien
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière

Comment le Parlement français pourrait-il déconstruire les principes régissant en France l'adoption et l'aide médicale à la procréation, alors que ceux-ci ont été élaborés en fonction des besoins de l'enfant, notamment d'une cohérence entre la filiation psychique et la filiation juridique, laquelle fixe un cadre structurant à la filiation psychique de l'enfant ?

Je rappellerai les deux principes qui régissent l'adoption et l'aide médicale à la procréation à la française, car ils sont liés. Le premier, c'est que le couple enfante. Même s'il n'a pas enfanté charnellement, il enfante psychiquement. Il se constitue comme les parents de l'enfant. C'est le cas dans l'adoption comme dans l'aide médicale à la procréation. Le principe de l'enfantement constitue ce que l'on appelle en psychologie « l'originaire » pour l'enfant, notion que je mets en balance avec celle de connaissance des origines. L'originaire, c'est la façon dont l'enfant va se constituer lui-même comme issu de ses deux parents. Même si, charnellement, il a fallu un apport extérieur, cela deviendra sa raison d'être. Il sera le fruit de l'union de ses parents, en dépit d'un apport de gamètes.

Cette notion « d'originaire » est centrale pour la vie psychologique de l'enfant. Elle lui permet de s'inscrire dans le principe psychique de sa filiation. Cette filiation psychique, mise en cohérence avec la filiation juridique, établira le principe régulateur de la vie familiale, à savoir les interdits familiaux de l'inceste et du meurtre. Cela est fondamental, car le principe de la protection de l'enfant est en jeu.

L'anonymat est donc un principe de protection de la vie psychique de l'enfant, pour éviter le tiraillement entre la filiation proposée à l'enfant et une autre filiation, et l'impression que l'enfant aurait une dette à rédimer quelque part, ailleurs que là où il s'est inscrit et ailleurs que là où l'adoption l'a inscrit, à partir d'un discours clair : tu n'étais pas attendu ici mais tu étais attendu là par tes parents adoptants, ou, dans le cas de l'AMP : ils avaient le voeu de te concevoir, il a fallu un apport médical, mais ils sont pleinement tes parents.

Ce principe n'entraîne aucun préjudice. La connaissance de l'identité du géniteur n'a aucune fonction fondatrice de la personnalité de l'enfant, comme le montre le nombre considérable d'enfants adoptés pour lesquels la connaissance des origines ne représente aucun sujet. Et ceux qui ont eu connaissance du recours à une AMP n'ont aucun sujet autour de la connaissance du géniteur.

Certains enfants se sentent mal à l'aise au regard de cela, comme les personnes médiatiques dont vous avez parlé. Mais ces personnes sont dans l'illusion que la connaissance du géniteur résoudrait quelque chose. Elles ont quelque chose à résoudre à l'égard de leurs propres parents, mais leur permettre de le gérer par la connaissance des origines est un leurre, car c'est la filiation psychique qui fonde le lien familial et fixe les interdits familiaux. Les personnes réclamant la levée de l'anonymat disent que leur grande crainte est de commettre l'inceste dès lors qu'elles ne sauraient pas qu'une autre personne serait née du même géniteur, ce qui relève d'une confusion complète sur la notion d'inceste. La notion d'inceste n'a rien à voir avec la communauté chromosomique. Elle a à voir avec la notion de dette symbolique qui établit la filiation psychique. Si ce n'était pas le cas, il faudrait, logiquement, permettre que deux enfants adoptés dans une même famille puissent se marier.

Par conséquent, c'est un leurre complet de penser que la connaissance de l'identité du géniteur résoudrait quelque chose au profit de l'équilibre psychologique d'un enfant. En revanche, ce serait profondément destructeur, puisque cela créerait un tiraillement permanent dans la vie psychique de l'enfant. Avec l'idée d'une autre famille, dès que l'enfant se sentirait en difficulté dans sa famille, il aurait l'impression qu'il aurait mieux correspondu à l'autre famille. Cela tend donc à la déconstruction de la famille.

Certes, les médias racontent certaines réussites, mais ils ne parlent pas des effets catastrophiques que peuvent induire des retrouvailles de géniteurs. L'effet produit par un géniteur qui ne veut absolument pas en entendre parler et qui claque la porte est destructeur, sans parler des effets pervers, comme celui de géniteurs qui exploitent le retour d'un enfant en réclamant des compensations financières, comme cela se produit à l'étranger dans des cas d'adoption.

L'anonymat est donc un régime protecteur de l'enfant, mais si la question de la levée de l'anonymat revient actuellement, c'est parce que les lois récentes ont fragilisé l'enfantement comme principe structurant de la vie psychique de l'enfant. On essaie de compenser l'oubli de l'importance de la dimension psychique de l'enfantement non seulement par des leurres, mais aussi par un mensonge. En étendant aux femmes seules et aux couples de femmes le droit à la procréation médicalement assistée, on conserverait le principe biologique de la fécondation, mais on lui ôterait l'enveloppe psychique et affective, l'enveloppe relationnelle portant un enfantement, qui permet à l'enfant, en dépit de l'apport technique, médical, de se sentir le fruit de cette union.

Je trouve extrêmement regrettable l'importation de la manière américaine dans la manière française. Alors que la manière française était extrêmement consistante, fondée sur les besoins psychologiques de l'enfant, la manière américaine est totalement ignorante du principe de la filiation psychique. Par exemple, en matière d'adoption, l'adoption française est filiative mais l'adoption américaine est une adoption de recueil. Lorsqu'un enfant ne se sent pas bien dans une famille, on peut trouver sur des blogs la possibilité de l'échanger avec d'autres familles. De tels principes sont extrêmement peu sécurisants pour l'enfant et pour l'adoption. De même, tous les blogs qui fleurissent consacrés à l'aide médicale à la procréation invitent non seulement à retrouver un géniteur dans des conditions très angoissées, mais aussi à rechercher de leurres, car le fait de retrouver un géniteur n'a jamais résolu l'angoisse existentielle.

Par conséquent, il est essentiel que les lois françaises conservent le primat de la cohérence entre le psychologique et le juridique. Il était au coeur du principe de l'adoption plénière, il y a un certain temps, mais il a malheureusement été déconstruit. C'est à ce principe qu'il est essentiel de revenir dans l'intérêt de l'enfant et dans l'intérêt des familles.

Permalien
Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en tant que présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), je vais expliquer en quelques mots le fonctionnement de celui-ci et les éléments qui nous conduisent à nous préoccuper de l'évolution envisagée dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique.

De tout temps, des femmes ont abandonné leur enfant sans laisser d'informations sur leur identité. Les raisons qui les poussent à le faire encore aujourd'hui sont multiples, d'ordre familial, professionnel ou économique. La plupart des femmes pour lesquelles les grossesses sont impossibles veulent que le secret le plus absolu soit maintenu, faute de quoi leur vie pourrait parfois être menacée. D'ailleurs, le Mouvement français pour le planning familial défend toujours l'accouchement sous le secret.

Le cadre législatif n'est pas récent, puisque c'est la Révolution française qui a institué la règle du secret de la grossesse et de l'accouchement. Le secret de l'abandon a été introduit en juin 1904. La sédimentation des textes a conforté le dispositif. En 1993, l'accouchement sous X a fait son entrée dans le code civil, dont l'article 326 précise : « Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». La rupture du lien de filiation est donc légalisée. En 1996, la loi Mattei prévoit que les éléments non identifiants entourant la naissance – lieu, date et heure – soient recueillis et conservés. Un accompagnement psychologique et social des mères est prévu, ainsi que la possibilité pour elles de renoncer à l'anonymat à tout moment si elles le souhaitent.

C'est donc un problème à la frontière de l'éthique et du droit. Ces interrogations alimentent toujours un débat fortement médiatisé, comme l'ont relevé les intervenants précédents, qui opposent souvent les aspirations des uns à la connaissance de leurs origines et les droits des autres à la préservation du secret de leur identité, débat au coeur duquel est posée la question du maintien de l'accouchement anonyme.

Je ne reviendrai pas sur le contexte international, notamment la Convention internationale des droits de l'enfant ou la Convention de La Haye du 29 mai 1993, qui sont des éléments de contexte sur lesquels s'appuient un certain nombre de défenseurs, mais sans trouver de réponse unanime à la question.

C'est aussi dans ce contexte d'une volonté d'accès aux dossiers des pupilles et d'une forte demande de transparence émanant des personnes concernées par la question de l'accès aux origines personnelles, notamment la difficulté de se construire sur le silence de leur origine biologique, que la loi de 2002 a été votée. Cette loi maintient la faculté d'accoucher dans l'anonymat, solution à la fois protectrice pour les mères qui pourraient accoucher clandestinement avec tous les risques que cela comporte, mais limite les obstacles légaux et administratifs qui étaient opposés à l'accès aux origines personnelles. La loi de 2002 a donc créé le Conseil national, qui avait déjà été évoqué en 1990, pour harmoniser les pratiques administratives et organiser la réversibilité du secret des origines.

L'objectif du CNAOP est d'harmoniser les pratiques entre tous les départements, en particulier au moment de l'accouchement, afin que les services de proximité, notamment les correspondants du CNAOP au sein des conseils départementaux, puissent informer les femmes sur leurs droits, obtenir suffisamment d'informations et consigner dans le dossier de l'enfant un certain nombre d'informations, et ce selon des pratiques homogènes sur l'ensemble du territoire, ce qui n'est encore pas gagné aujourd'hui.

Son objectif est aussi d'organiser la réversibilité du secret. Cela consiste en une démarche active auprès des parents, pour s'assurer de leur volonté de maintenir ou non le secret de leur identité. L'enfant détenteur de ses origines personnelles restera libre de se faire connaître de ses parents de naissance, s'il le souhaite. La loi prend la mesure de l'importance du temps et des circonstances économiques et psychologiques, telles que la pression de l'entourage lors de l'accouchement, qui peuvent faire évoluer la femme et l'inciter plus tard à lever le secret de son identité.

L'objectif de cette loi votée à l'unanimité par le Parlement est d'obtenir un compromis équilibré entre les droits des femmes et ceux des enfants. En effet, si elle donne acte aux personnes qui souhaitent accéder à leurs origines personnes de la légitimité de leur recherche, elle réaffirme aussi que la question de l'accès aux origines personnelles ne peut être examinée à l'aune de la seule aspiration des enfants à connaître leurs origines. Ce dispositif fournit aux femmes conduites par la détresse à accoucher anonymement la protection qu'elles sont en droit d'attendre de notre société. Les jurisprudences française et européenne ont d'ailleurs conforté la position adoptée par le CNAOP.

Il convient aussi de souligner que le rôle des établissements de santé dans l'accueil des femmes et le recueil des informations, ainsi que le rôle des services de l'aide sociale à l'enfance dans les départements, qui informent et accompagnent les femmes, sont des éléments majeurs dans l'instruction des dossiers. C'est le gage d'une instruction neutre des dossiers, dont le mode opératoire est respectueux des parties – la mère biologique et l'enfant – et de la loi. Il s'agit d'assurer un accompagnement psychologique et social de la mère, pour l'inciter à laisser à son enfant des éléments d'information suffisants relatifs à son histoire, sans pour autant révéler son identité. Les femmes sont ainsi incitées à laisser un pli fermé au moment de l'accouchement. On constate toutefois qu'un certain nombre de plis fermés ne sont pas déposés ou ne contiennent rien.

Mais le débat est aussi ouvert par la révision de la loi de bioéthique, qui conduit à s'interroger sur le cas des maladies génétiques. Lorsqu'une maladie génétique est décelée chez un enfant né dans le secret, il est normal qu'il cherche à s'informer et à entrer en relation avec ses parents biologiques. De même, lorsqu'une mère ayant donné naissance à un enfant qu'elle a abandonné apprend qu'un de ses enfants est atteint d'une maladie génétique, il importe que l'enfant né dans le secret soit informé du risque de développer cette maladie. Il s'agit d'une véritable préoccupation de santé publique, qui rejoint les préoccupations relatives aux maladies génétiques dans le cas de naissances obtenues dans le cadre d'une AMP. Néanmoins le CNAOP considère que la volonté de la mère biologique et la volonté de l'enfant doivent être convergentes pour aboutir à une levée d'identité.

Quelques chiffres pour expliquer le fonctionnement du CNAOP. Sur les 700 demandes annuelles d'accès aux origines qui émanent d'enfants, nous parvenons dans moins de la moitié des cas à identifier la mère de naissance, et dans la moitié encore de ces cas, la mère de naissance accepte de donner son identité. Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, l'aspect relatif à la santé publique, notamment le fait de transmettre des maladies génétiques, sera peut-être un argument pour fournir des informations sans lever obligatoirement le secret. Toutefois, à ce stade, nous estimons n'avoir pas encore suffisamment d'éléments sur la loi pour approfondir la question au sein du CNAOP.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame et messieurs, je vous remercie pour vos interventions.

Existe-t-il des études sur la souffrance engendrée par l'impossibilité d'accès aux origines pour les enfants nés à la suite de dons de gamètes et sur la souffrance des donneurs qui souhaitent obtenir des informations sur les enfants nés de leur don ?

Existe-t-il des pays où sont suivis à long terme les donneurs de gamètes dont l'identité a in fine été révélée ? Quels enseignements en ont été tirés ? Existe-t-il de même des études sur un suivi des enfants ayant accédé à leurs origines ?

Permalien
Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme

Vous avez raison de souligner l'absence d'études en France. Au-delà des discours anxiogènes tenus d'un côté et de l'autre, nous n'avons pas d'éléments scientifiques sérieux. En revanche, et c'est heureux, un grand nombre de pays voisins, comme l'Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les pays anglo-saxons en général, réalisent des études.

Les études sur la souffrance des enfants conçus par don sont difficiles à réaliser, mais j'en citerai trois qui figurent en lien sur le site web de notre association. Une étude anglaise de 2015 portant sur une cohorte de 419 personnes conçues par don révèle que 46 % d'entre elles sont très favorables ou favorables à l'accès à l'identité du donneur ou, du moins, de la personne qui a participé à leur conception, 33 % sont neutres et 21 % seulement hostiles à un système d'open identity. Dans une étude américaine de 2010, 57,7 % des personnes interrogées déclarent souhaiter que l'identité du donneur soit accessible à l'âge de dix-huit ans, contre 4,7 % favorables au maintien de l'anonymat. Encore faut-il considérer en détail les modalités de l'étude et les différentes conditions d'un pays à l'autre. Une autre étude révèle une forte proportion d'enfants exprimant ce souhait. J'ai oublié laquelle. J'y reviendrai un peu plus tard.

La seule réponse que je puisse faire à votre question sur les donneurs est une étude anglaise réalisée en 2010 par Mme Susan Golombok. Sur une population d'enfants conçus par don et participant à un programme d'open identity, c'est-à-dire se sachant en mesure d'accéder à leurs origines, 77 % d'entre eux souhaitent l'accès à l'identité du donneur. On y apprend aussi qu'une majorité de donneurs ne voient aucune difficulté à répondre à l'attente des personnes issues de leur don.

Permalien
Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg

Il y a en effet très peu d'études et la plupart ont été citées par M. Brès. Elles sont très difficiles à mener, car elles conduisent à s'immiscer dans la vie privée de couples dont beaucoup n'ont pas annoncé à leurs enfants leur mode de conception. Or une étude sur la souffrance des enfants conçus par don implique que ceux-ci sachent qu'ils ont été ainsi conçus. Cela me permet de dénoncer un propos qu'on entend régulièrement, à savoir qu'ils n'ont pas de raison de mal aller, puisque les enfants nés d'un adultère – on considère qu'ils représentent environ 3 % de la population française – vont bien. Là aussi, par définition, il est impossible de réaliser des études, donc de savoir si ces enfants vont vraiment bien.

Ce n'est pas tant un problème de souffrance des enfants ou des donneurs – lesquels n'ont pas, à ma connaissance, fait l'objet d'étude, notamment à cause de l'anonymat – que de réponse à cette demande pour ceux qui le souhaitent, même s'ils sont minoritaires, car la loi est faite aussi pour protéger les minorités, quelle que soit la souffrance ou l'absence de souffrance. Je ne crois pas que ce soit la souffrance qui motive la demande d'accès aux origines.

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Une étude réalisée par M. Jean-Loup Clément, psychologue au CECOS de Lyon, qui n'avait interrogé qu'une vingtaine d'enfants, montrait que ceux-ci n'éprouvaient guère de difficulté au regard du principe de l'anonymat mais reprochaient à leurs parents de les avoir informés tardivement de leur mode de conception. Cette étude non publiée n'a pas de portée scientifique, mais, au sein de l'association, nous avons observé que plus les enfants sont informés tardivement de leur mode de conception, plus ils sont enclins à souhaiter des informations sur le donneur, qu'elles soient non identifiantes ou qu'elles permettent d'accéder à son identité.

Aujourd'hui plus qu'hier, le principe de l'anonymat permet aux parents d'informer les enfants de leur mode de conception. Il faut maintenir ce principe pour permettre aux parents de faire l'annonce le plus tôt possible. Plus cette annonce est faite tôt, plus ces enfants peuvent intégrer leur mode de conception à leur histoire. Je le vois dans les groupes de parole, où la quasi-totalité des personnes ayant eu un enfant par cette technique l'ont déjà dit à leur enfant alors qu'il était en bas âge – donc pas forcément en âge de comprendre – ou est prête à le lui dire.

Permalien
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière

Monsieur le président, je ne pense pas qu'une étude puisse répondre à votre question. Toutefois l'expérience montre que l'enfant ou le jeune qui demande à connaître son origine dit : « Je me sens mal avec mes parents », et même, plus précisément : « Je ne me sens pas à la hauteur de ce que je sens être les attentes de mes parents. » C'est incontestablement une souffrance mais, loin d'être exprimée dans les seules situations de don ou d'adoption, nous la retrouvons régulièrement dans les consultations de pédopsychiatrie et nous savons comment l'aborder. Il convient de recentrer l'enjeu de la problématique de l'enfant non pas en l'entraînant vers un leurre mais en examinant le malaise qui soumet l'enfant à la souffrance, malaise qui ne procède pas spécifiquement du don ou de l'adoption. Par conséquent, l'anonymat ne nuit en rien. Au contraire, il permet de recentrer le problème. À l'enfant venu avec ses deux parents en consultation, qui dit qu'il veut retrouver sa mère, nous disons : « Ta mère est devant toi, qu'as-tu à lui dire ? » Nous pouvons alors commencer à travailler sur la souffrance de l'enfant et lui permettre de la dépasser.

La question de l'anonymat est un leurre, surtout si elle devient légale, car il sera alors d'emblée une hantise pour l'enfant et cela nuira gravement à la protection de l'enfant et à l'organisation de la vie familiale. Certains prétendent que la levée de l'anonymat serait favorable à quelques personnes et ne nuirait pas aux autres. C'est faux ! La levée de l'anonymat est une déconstruction du lien de la filiation.

Permalien
Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP)

Nous n'avons pas d'étude précise. Nous recensons un certain nombre de cas.

Je reviendrai sur les propos des précédents intervenants concernant la souffrance. Les naissances dans le secret provoquent deux souffrances : celle de la femme au moment où elle abandonne son enfant et où elle tient à préserver le secret de son identité, et celle de l'enfant qui cherche son origine biologique.

Depuis le début du siècle, bon nombre d'enfants sont nés dans le secret mais nous ne recevons chaque année qu'environ 700 dossiers d'enfants nés dans le secret qui demandent à connaître leurs origines. Il s'agit de jeunes majeurs et très peu de mineurs, car depuis la loi de 2015 l'accès est réservé aux enfants ayant l'âge du discernement. Une personne qui demande à accéder à ses origines fait l'objet d'un accompagnement important de la part de l'équipe du CNAOP, composée de huit personnes à Paris et de relais départementaux. Mais sur les 700 dossiers ouverts, on ne retrouve qu'environ 400 femmes, dont seules 200 à 250 acceptent de lever le secret et d'entrer en contact avec l'enfant qu'elles ont eu.

Il faut être extrêmement prudent, car c'est encore une grande souffrance pour la mère qui accepte de lever le secret, et c'est parfois déstructurant pour la famille qu'elle a pu refaire ultérieurement. Il faut accompagner au plus près et dans la durée la personne qui demande à accéder à ses origines et la personne qui accepte de donner des informations afin de concrétiser la rencontre. Les informations peuvent rester anonymes : on explique que la mère est dans telle ou telle situation, et l'enfant se contente parfois des renseignements non identifiants qui lui sont fournis sur la mère de naissance. Il n'y a pas non plus de cas englobant toutes les situations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un grand merci à vous tous pour vos présentations très diverses, qui montrent bien l'importance de la réflexion dans un domaine où il n'existe pas de vérité unique mais qui peut être appréhendé sous différents angles.

Personne ne veut préconiser le « droit à l'enfant ». Au contraire, chacun entend mettre en avant le très légitime droit de l'enfant et le non moins légitime désir d'enfant de la part de parents qui élèveront bien et aimeront beaucoup un enfant qu'ils auront fortement désiré. Au regard de ce simple précepte à l'origine de notre réflexion, l'accès aux origines s'inscrit pleinement dans le droit de l'enfant et il apparaît aujourd'hui difficile d'y résister.

Certains d'entre vous ont rappelé les bases de l'élaboration du dispositif juridique actuel, mais à l'époque on se préoccupait moins des besoins de l'enfant que du maintien du secret, essentiellement pour l'homme infertile, qui ne voulait pas que la société sache qu'il avait eu recours à un donneur. On avait alors toute excuse à ne pas connaître le besoin des enfants grandissants de disposer d'informations plus complètes, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ces enfants sont devenus adultes, ils nous l'ont dit et répété.

On nous dit qu'il n'y a que 700 demandes par an en France pour 70 000 procréations avec donneur, mais combien d'entre elles ont été suivies de la révélation de leur mode de conception aux enfants concernés ? Très peu. En France, nous n'avons ni études ni statistiques et nous sommes obligés de lire les articles anglo-saxons, mais ils sont critiqués au motif qu'ils véhiculeraient des valeurs ignobles. Sauf que, pour les critiquer, il faut avoir quelque chose à mettre en regard. En Europe, seuls 6,8 % des enfants nés de PMA avec donneur le savent. En supposant que nous soyons meilleurs en France, on atteindrait peut-être 10 %. Autrement dit, très peu des 70 000 enfants nés de PMA avec donneur le savent. Il est donc normal que peu le demandent.

Les doutes dont vous avez fait état ne me semblent pas propres à ces enfants. Je ne suis pas psychiatre, mais j'entends les psychiatres dire qu'à une certaine phase de son développement, quasiment tout enfant est effleuré par le doute sur sa parentalité. Si, à ce stade, on dit la vérité à ces jeunes, ils s'adaptent parfaitement. On a grand tort de ne pas dire aux enfants qu'un tiers donneur est à l'origine de leur naissance. Cela ne protège ni l'enfant ni les parents car, quand l'enfant le saura plus tard, les parents en prendront plein la figure. Je peine à comprendre le maintien de cette culture du mensonge qui fait tant de mal aux enfants et, indirectement, aux parents d'intention, aux vrais parents, ceux qui aiment et qui élèvent.

Vouloir revenir aux valeurs anciennes est un combat d'arrière-garde. C'est fini ! La société a fait son choix. La société française du XXIe siècle, comme précédemment les sociétés des pays anglo-saxons et latins d'autres continents, a déjà compris qu'il fallait évoluer. Je veux bien que nous soyons petits à la surface du monde, mais nous ne saurions conserver les seules valeurs prévalant au tout début de l'AMP, bien que je les respecte parfaitement, puisque l'ignorance de l'époque permettait de douter de ce qu'il fallait faire.

D'une façon concrète et pragmatique, peut-on, aujourd'hui, ne plus rediscuter cette question et ne pas se demander comment faire, à partir du moment où l'on considère qu'un certain nombre d'informations doivent être accessibles à ces enfants car elles sont nécessaires à leur développement ? On ne construit pas une vie sur le mensonge. Comme dit le poète : un arbre ne s'élève pas vers le ciel sans racines profondes. Les humains aussi ont besoin de connaître leurs origines pour s'épanouir. J'entends qu'on critique les méthodes des autres pays, en particulier l'Amérique. On constate pourtant que le niveau d'épanouissement du jeune devenu adulte est plus élevé dans les pays qui prônent la vérité. Nous devons donc nous remettre en question. Être fiers de nos valeurs et de l'humanisme à la française ne signifie pas que l'on doive camper sur des idées héritées du XXe siècle.

Il y a beaucoup trop de secret. Il n'est pas acceptable que la majorité des enfants conçus avec un tiers donneur l'ignorent. Ils sont contraints de faire des tests ADN dans d'étranges conditions pour découvrir qui sont leurs demi-frères et demi-soeurs. Nous devons donc avancer. Mais comment ? Quelles informations leur fournir ? Comment faire pour que cela se passe sereinement ?

L'un d'entre vous a estimé que la connaissance des origines encouragera le recours au marché privé. Je ne vois pas le lien entre les deux. En France, les dons, qu'il s'agisse du sang, du sperme, des organes, de la moelle osseuse ou du sang du cordon, sont gratuits et en dehors du secteur privé. Nous pouvons nous protéger contre une dérive commerciale. Des pays ont dérivé, non à cause de cela mais parce qu'ils ont une autre conception de la nôtre de l'implication du secteur public pour préserver certaines valeurs.

Nous nous interrogeons sur les dons faits antérieurement. Les donneurs ont fourni des indications en matière d'anonymat. Ils ne sont pas tous arc-boutés sur celles-ci, mais il faut les interroger. Certes, il ne peut y avoir d'application rétroactive de la loi. Il faut donc les contacter pour leur demander s'ils accepteraient, comme les nouveaux donneurs, de transmettre quelques informations. Les CECOS disent que la plupart d'entre eux sont introuvables. Pourtant, la loi prévoit la conservation des éléments relatifs aux donneurs durant quarante ans. Ils invoquent le manque de moyens. Il faut donc leur donner les moyens de réaliser les recherches et d'envoyer des courriers. Il est important de retrouver des personnes qui ont donné il y a vingt ou trente ans. Si, dans l'intervalle, ils ont subi une maladie génétique à révélation tardive, les enfants doivent en être informés. Si un homme porteur d'une maladie génétique qui se déclare à l'âge adulte a donné il y a vingt ans du sperme qui a été utilisé il y a dix ans, l'enfant, qui a aujourd'hui dix ans, doit le savoir, notamment si un traitement précoce est recommandé et pour qu'on n'utilise plus les paillettes stockées. Comment, pour les dons antérieurs, évoluer positivement tout en respectant les engagements pris ?

Que faire pour l'accouchement sous X ? Quand les enfants de demain, nés de PMA avec tiers donneur, auront accès à des informations sur leurs origines, les enfants nés d'accouchement sous X diront : pourquoi pas nous ? Il existera une inégalité de traitement. Il est possible que, dix ou vingt ans plus tard, des femmes veuillent contacter leur enfant, parce que les difficultés qui les avaient amenées à accoucher sous X se seront dissipées et qu'elles auront recouvré un mode de vie stable, propice à renouer avec leurs enfants.

Permalien
Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme

Monsieur le rapporteur, permettez-moi, tout d'abord, de répondre à une précédente question de M. le président. J'aurais pu faire appel à mon savoir expertal de président de l'association PMAnonyme, forte de quelque 150 personnes issues du don, mais j'ai préféré répondre avec des éléments scientifiques. Le document auquel j'ai fait allusion est une étude suédoise intitulée « Sperm and egg donors are happy to be contacted ». Publiée en 2014 dans la célèbre revue Human Reproduction, elle montre que la majorité des donneurs répondent de manière neutre ou positive au contact d'un enfant issu de leur don. Les auteurs remarquent que c'est plus positif pour les dons de sperme que pour les dons d'ovocytes.

Monsieur le rapporteur, nous avons des idées très claires sur la façon d'organiser l'accès aux origines pour les personnes déjà conçues par don, et je vous remercie d'avoir entendu notre appel. Nous avons défini un certain nombre de propositions à la lumière de l'expérience de nombreux pays qui le font depuis des années. Je pense notamment à l'Angleterre, qui est un modèle très intéressant, aux Pays-Bas ou à la Nouvelle-Zélande.

Nous proposons la création d'un registre national du don. Je me fais ainsi l'écho des professionnels des CECOS qui considèrent que la gestion de l'information n'est pas un sujet médical. Laissons les médecins faire leur travail de médecins et laissons l'administration et l'État faire leur travail de gestion de la société. Il existe un registre national du don dans tous les pays qui autorisent l'accès aux origines. Ce registre permettrait de contrôler le respect de la limite légale de dix enfants conçus par un seul et même donneur, ce dont nous sommes aujourd'hui incapables. Il permettrait aussi de conserver des informations médicales. Deux membres au moins de notre association ont des personnes de leur famille porteuses de maladies génétiques ou le sont eux-mêmes. La conservation des données médicales est un important sujet que le ministère de la santé maîtrise sûrement très bien lui-même au quotidien.

Enfin, le registre national du don permettrait la rencontre ou l'échange. Le droit d'accès aux origines n'est pas un droit de rencontre mais un droit de connaissance d'une information, mais on peut vouloir aller plus loin. À l'image du CNAOP – pourquoi, d'ailleurs, ne pas le confier au CNAOP ? –, nous souhaiterions, lorsqu'une personne conçue par don demande à exercer son droit, avoir la capacité de demander de manière discrète et anonyme au donneur ce qu'il serait prêt à faire ou ce qu'il voudrait faire. Il pourrait alors répondre : « Je ne veux pas » ou : « Je voudrais bien donner une lettre ou des photos », ou encore : « Je veux bien le rencontrer ». Tout est possible, mais nous demandons que ce soit encadré. Je pense aussi – on les oublie trop souvent – aux personnes issues du même donneur, qui seraient prêtes à rencontrer leurs diblings – néologisme anglo-saxon formé sur donor siblings, c'est-à-dire les demi-soeurs et demi-frères génétiques. Comme le disait M. Toubon, pourquoi empêcher la rencontre de deux volontés ?

Ce registre serait porté par une institution, quelle qu'elle soit. Dans l'association, nous nous sommes interrogés sur la légitimité du CNAOP pour ce faire. J'allais dire que c'est dans son ADN…

Vous nous interrogez au sujet des accouchements sous X. Nous avons des demandes convergentes avec les associations de personnes nées sous X et nous nous retrouvons sur nombre de thématiques. Je ne me permettrai toutefois pas de me positionner davantage sur le sujet, me limitant à dire que les personnes conçues par don ne vivent pas une histoire aussi douloureuse que les personnes nées sous X.

Permalien
Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg

Monsieur le rapporteur, vous rejoignez ma conclusion visant à dire qu'il n'est plus temps de se poser la question de la légitimité de l'accès, mais qu'il convient maintenant de l'organiser. Il faut penser aux gens déjà conçus. Vous l'avez mentionné, selon la loi, les dossiers doivent être conservés quarante ans. L'activité des CECOS ayant débuté en 1973, il y a donc plus de quarante ans, il ne faudrait pas que ces dossiers soient détruits. À mon avis, il serait bon de porter rapidement ce délai à cent vingt ans, comme c'est le cas en Allemagne. Les gamètes conservés dans des congélateurs peuvent être utilisés pendant des dizaines d'années, mais nous ne savons pas jusqu'à quand. Des naissances ont eu lieu à partir d'embryons congelés pendant plus de vingt ans et l'on peut imaginer que les gamètes soient utilisés quarante ou cinquante ans plus tard, voire plus. Le délai de cent vingt ans n'aurait alors plus guère de sens. On peut imaginer, surtout si on réussit, comme au Royaume-Uni, à recruter moins difficilement des donneurs, de limiter à dix ou quinze ans l'utilisation des gamètes d'un même donneur.

Il est grand temps de mettre en place un registre national des donneurs, en collaboration avec les professionnels de l'AMP et la fédération des CECOS.

En ce qui concerne l'accouchement sous X, on peut très bien imaginer que la femme qui accouche soit interrogée sur la possibilité d'être recontactée par le CNAOP aux seize ou dix-huit ans de l'enfant. Je dis généralement à la majorité, mais c'est une facilité de langage. On en profiterait pour faire valoir l'importance que cela pourra revêtir pour la personne née sous X.

Vous faisiez état du taux d'annonces du mode de conception. Une récente étude française montre que 75 % des couples sous régime d'anonymat avaient l'intention d'annoncer le mode de conception. La Suède a changé de régime en 1984 et une très récente étude suédoise comparable montre que 96 % des couples, soit plus de 20 points de plus que les couples français, allaient annoncer ou avaient annoncé le mode de conception. Cette différence s'explique aisément. Les parents savent très bien que la première question de l'enfant sera : qui est-ce ? Si le couple est dans la capacité de donner une réponse positive, peut-être pas le jour même mais, à seize ou dix-huit ans, il est plus encouragé à annoncer à l'enfant son mode de conception que s'il est obligé de lui répondre : « Tu ne pourras jamais savoir. »

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Je répondrai sur cette proportion de couples qui, en Suède, envisagent d'informer l'enfant de son mode de conception. Monsieur Viville, faisiez-vous référence à l'étude de M. Pierre Jouannet ?

Permalien
Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg

Non, je faisais référence à une étude bien plus récente.

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Le professeur Jouannet avait réalisé une étude intéressante montrant que les couples qui, en Suède, souhaitaient informer leur enfant de son mode de conception n'avaient pas recouru à la banque de sperme Cryos International. En effet, en recourant à cette banque de sperme danoise, il est possible de choisir un donneur non anonyme. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre présentation. Toute étude peut être présentée sous un jour favorable ou défavorable. Il faudrait apporter à cette mission des études au complet, ce que je ferai moi-même.

Je précise que l'association que je préside ne milite pas activement pour la préservation de l'anonymat. Nos membres sont divers : des couples dans un parcours d'AMP avec tiers donneur, des parents qui se demandent comment annoncer le mode de conception à leur enfant et des enfants issus d'un don de gamètes.

Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de « culture du mensonge » aux débuts de cette technique, dans les années 1970-1980. Nous ne sommes plus dans la culture du mensonge. Aujourd'hui, si vous allez sur le terrain, si vous consultez les couples et vous rendez dans les CECOS, vous constaterez que presque tous veulent informer l'enfant de son mode de conception. Très peu des personnes informées de leur mode de conception que je rencontre éprouvent une souffrance directement en lien avec l'anonymat. Quand vous apprenez votre mode de conception, je ne suis pas sûr que la première chose qui vous vient à l'esprit soit de vous demander si vous êtes pour ou contre le principe de l'anonymat. Il faut déjà digérer l'annonce qui vous a été faite, puis, éventuellement, vous positionner au sujet de l'anonymat. La question de l'anonymat est très médiatisée. Si vous demandez à un enfant du don quelles questions lui viennent à l'esprit après qu'il a été informé de son mode de conception, il n'évoque pas l'anonymat, mais plutôt pourquoi ses parents ont eu recours à cette technique, et éventuellement pourquoi ses parents ont gardé ce secret pendant autant de temps. Nous avons évolué.

Vous dites également que la majorité d'entre eux n'ont pas été informés de leur mode de conception. Il a été dit, juste avant, que l'on n'avait pas d'information sur les enfants issus d'un don de gamètes en France. Nous n'avons pas encore d'étude permettant de savoir combien, sur les 70 000 enfants nés d'un donneur, sont informés et combien ne le sont pas. Dès lors, comment affirmer que la majorité de ces 70 000 enfants ne sont pas informés de leur mode de conception ? Peut-être la majorité silencieuse de ces 70 000 enfants est-elle très satisfaite du principe de l'anonymat. J'ai un frère de deux ans mon cadet, issu d'un autre donneur que moi. Je lui ai dit : « je n'ai pas de problème à ce sujet, mais je me suis posé des questions, parce que je pense que cette technique n'est pas neutre ». Il m'a répondu : « Papa, c'est papa ». On a invité des personnes comme Arthur sur BFMTV. Pourquoi n'a-t-on pas invité des personnes comme mon frère qui sont capables de dire la phrase magique : « Papa, c'est papa », alors même qu'il est issu lui aussi d'un don de gamètes ? On essaie de faire une loi à partir des études lues dans la presse et en citant des statistiques. On est en train d'imaginer un système prospectif, alors que nous avons déjà des informations, certes pas recueillies par des études, sur la manière dont les enfants aujourd'hui en âge de s'exprimer se positionnent sur la question de l'accès aux origines.

On a peu parlé de la troisième voie, sorte de compromis, qui avait été proposée dans le projet de loi Bachelot lors de la dernière révision de la loi relative à la bioéthique, à savoir l'accès à des données non identifiantes sur le donneur. Cette troisième voie pose aussi des difficultés. Si vous demandez à des enfants quelles données non identifiantes ils souhaiteraient connaître, aucun ne proposera la même liste. De plus, si l'on fait une liste limitative de dix ou vingt données, il faudra les trier et établir une hiérarchie. Si on imagine un système prévoyant l'anonymat des donneurs à la majorité de l'enfant et si celui-ci est toxique, pourquoi attendre la majorité de l'enfant pour en permettre la levée ? Mieux vaudrait un système prévoyant d'informer dès l'âge de seize ans l'enfant qu'il pourra avoir accès à un certain nombre de données.

La liste est longue des éléments qui m'inquiètent. Monsieur le rapporteur, j'ai l'impression que vous avez déjà votre opinion, et je la respecte. Dans notre association, nous continuerons à accompagner les enfants issus d'un don. Il est évident que nous n'allons pas leur mentir. Pour ceux qui souhaitent accéder à l'identité de leur donneur ou avoir des informations sur celui-ci, il faudra faire un gros travail de prévention et de discussion avec eux et avec leur famille.

Permalien
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière

Monsieur le rapporteur, j'ai l'impression que vous êtes mal informé sur la genèse de l'anonymat. Pour avoir travaillé dans ma jeunesse avec le professeur Michel Soulé et Mme Simone Veil, je suis très instruit du principe. Ce sont eux qui l'ont instauré dans l'adoption, pour la protection de l'enfant, sachant parfaitement que le processus visait un centrage sur la relation adoptante, en toute officialisation de l'adoption. Il ne s'agit pas de cacher ni l'adoption ni le principe de l'assistance médicale à la procréation. Le fait doit être connu par l'enfant, à un moment ou à un autre de son développement. Mais ce centrage sur ses parents permet à l'enfant d'organiser son originaire, dans une cohérence lui permettant d'établir sa raison d'être comme le fruit de la relation de ses parents. C'est le principe psychique qui compte.

Monsieur le rapporteur, ce qui dicte manifestement votre opinion sur la nécessité d'une évolution de la loi résulte, me semble-t-il, d'une confusion. Ces jeunes auraient besoin de connaître leurs demi-frères et demi-soeurs, avez-vous dit. Mais il ne s'agit pas de leurs demi-frères ou de leurs demi-soeurs ! Cette confusion me semble avoir été opérée par Mme Mauss, qui parlait d'une « démarche active auprès des parents ». C'est une erreur. Il s'agit du géniteur et de la génitrice, non des parents. C'est le registre psychique qui établit le principe de la filiation et de la personnalité de l'enfant.

M. Viville demandait : que se passe-t-il si on dit à l'enfant qu'il ne pourra pas connaître son géniteur ? La question n'est pas celle-là. Elle est de comprendre pourquoi un enfant demande à connaître ses origines. Il demande à connaître ses origines, parce qu'il n'est pas bien dans la filiation qui lui a été proposée en relais de la filiation qui n'a pas pu s'établir précédemment.

Monsieur le rapporteur, vous parlez de mensonge. Je le conteste. Il n'y a pas de mensonge. En revanche, ce que vous proposez est un leurre. Vous proposez d'entraîner, de droit, les familles dans le tiraillement psychique. Dès qu'il se sentira mal ou en conflit avec ses parents, l'enfant demandera à connaître ses origines. Ce faisant, vous détruisez la famille. Le principe de l'anonymat est un principe de protection de l'enfant et de la famille. La question actuelle qui est à l'origine de ce débat, c'est que ce principe est porté par la référence à l'enfantement. C'est ce qui donne sa consistance à la vie psychique de l'enfant. Dès lors qu'il y a une tendance à relâcher ce principe de l'enfantement comme la possibilité d'accueillir l'enfant, apparaît la tentative de solutions de substitution factices qui ne sont pas de nature à fonder la vie psychique de l'enfant. C'est comme si, pour une maison fragilisée, on posait des étais à l'extérieur pour soutenir les murs au lieu de consolider les fondations.

La préservation de l'anonymat me semble être une donnée essentielle à la vie psychique, dans la tradition française. La tradition américaine ne connaît pas cette fonction, notamment parce qu'aux États-Unis l'anthropologie familiale est une anthropologie religieuse, basée sur l'introspection des religions. D'ailleurs, le mariage y est religieux. Je trouve discutable et déstabilisant pour la société française de vouloir établir ce type de principes, qui ne relèvent aucunement de notre culture, en particulier sur le plan des religions.

Permalien
Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP)

Je répondrai qu'il s'agit bien d'une démarche active auprès des deux parties : la mère biologique et l'enfant qui recherche sa mère biologique. Les enfants adoptés vivent dans des familles qui les ont élevés dans le cadre d'une vraie famille. Je ne remets pas en question la construction familiale d'une famille adoptive.

Le CNAOP n'a jamais pris position en faveur de la levée de l'anonymat. Le CNAOP permet aux enfants qui le demandent d'accéder à leurs origines, mais la rencontre entre la mère biologique et l'enfant n'intervient qu'en cas de convergence des deux parties. Cela prend du temps et n'aboutit pas à chaque fois. Il importe de préserver l'intérêt de la mère biologique et de l'enfant. On ne va pas déstructurer des constructions familiales en allant chercher un enfant pour répondre à la volonté d'une mère biologique qui a abandonné un enfant il y a de nombreuses années. La démarche du CNAOP part donc toujours de l'enfant qui recherche sa mère biologique. Nous contactons alors cette dernière. Si elle répond négativement, nous la relancerons quelques années plus tard pour savoir si elle maintient sa volonté de ne pas lever le secret de la naissance et si, après son décès, elle accepterait ou non de lever ce secret. Ce n'est jamais à sens unique. Nous entendons l'enfant, mais aussi la mère biologique.

L'information en cas de maladie génétique est une de nos préoccupations. Comment informer la parentèle en cas d'apparition d'une maladie génétique ? Quand une mère veut informer l'enfant qu'elle a abandonné qu'il est susceptible de développer une maladie, nous ne pouvons pas, en l'état actuel du droit, engager la démarche. En revanche, quand un enfant est porteur d'une maladie génétique, il lui est possible de rechercher sa mère biologique dans le cadre du CNAOP. Mais la dimension médicale ne relève aucunement des compétences du CNAOP. Il est compétent en matière de recherches administratives et juridiques, en aucune façon en matière de recherches d'ordre médical, puisque cela ne figure pas dans les dossiers. Cela pose d'ailleurs le problème de la conservation de ceux-ci. En outre, dans les maternités, ils ne comportent souvent que des données administratives.

Je reviendrai sur la recherche de l'identité. Certains estiment qu'il serait plus simple que la personne qui vient accoucher présente sa carte d'identité. Ce discours est tenu par un certain nombre d'associations et cette pratique a cours dans certains pays. Mais depuis la loi de 2002, alors que la femme est encouragée à déposer un certain nombre d'informations dans le dossier en vue de la contacter pour lui proposer de lever le secret, on s'aperçoit qu'un certain nombre de femmes ne laissent pas leur identité. Faut-il obliger les femmes à le faire ? Je ne pense pas que la révision de la loi relative à la bioéthique doive bouleverser la loi de 2002 sur l'accouchement dans le secret.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous savons tous que l'accès aux origines pour les enfants ou les majeurs issus d'un don est inéluctable. Comme nous le savons tous, les tests ADN grand public, très facilement accessibles, nous imposent de légiférer pour fixer un cadre aux potentielles rencontres des donneurs et des enfants issus de leur altruisme. D'autres associations proposent d'utiliser une interface numérique pour faciliter, dans un premier temps, cette rencontre virtuelle. Une telle interface numérique pose le problème des fichiers informatisés et des contraintes que pourrait lui imposer la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ne pourrions-nous pas envisager la création de lieux ou d'établissements neutres au sein desquels tout serait mis en oeuvre pour encadrer ces rencontres ? Pourquoi pas le CNAOP, les CECOS ou les établissements d'AMP ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Brès, vous avez mentionné la nécessité que la future loi tienne compte des difficultés relatives à la mise en oeuvre d'un principe d'accès aux origines et de la problématique du double guichet. Pour ma part, je considère que tout futur droit d'accès aux origines devrait bénéficier à l'ensemble des personnes issues d'un don de gamètes. Néanmoins, je considère également que le consentement du donneur doit être recueilli et qu'il a droit à la protection de sa vie privée. La combinaison de ces deux éléments m'amène à rejeter l'idée d'un double guichet qui aurait pour effet de rompre l'égalité entre les futurs bénéficiaires.

Concernant l'application de la loi dans le temps, je suis convaincu que la recherche des anciens donneurs en vue de recueillir leur consentement est un impératif a minima. Néanmoins, le donneur peut refuser ou ne pas être retrouvé, auquel cas, le bénéficiaire sera privé de la possibilité de jouir du droit d'accéder à ses origines. Cette situation ne serait pas acceptable. Dès lors que la vie privée du donneur n'est pas menacée, vous semble-t-il opportun de mettre en place des mécanismes permettant au bénéficiaire d'accéder à ses origines en l'absence d'un consentement express ? Je pense notamment au décès du donneur ayant refusé ou à l'autorisation d'accéder aux informations d'un donneur dont il a été impossible de retrouver la trace.

Enfin, la création d'un registre national du don présenterait le double avantage de centraliser les données personnelles des donneurs afin d'améliorer leur suivi sur le plan sanitaire et de s'assurer que les dispositions légales relatives au nombre d'enfants conçus à l'aide des gamètes d'un même donneur sont bien respectées. La création d'un tel registre vous semble-t-elle souhaitable et réalisable ? Un organisme comme le CNAOP pourrait-il en assurer la gestion, en coopération avec les CECOS ?

Permalien
Vincent Brès, président de l'association PMAnonyme

Madame Vanceunebrock-Mialon, je tiens à préciser de nouveau que nous souhaitons la création d'un lieu physique d'accompagnement et de médiation, à l'instar du CNAOP. Les membres de notre association et ceux qui en sont proches considèrent que le don ne s'arrête pas à la naissance de l'enfant et que parents et donneurs peuvent avoir besoin de répondre à des interrogations. Je sais d'expérience que ces sujets touchent à l'intime. Il est donc rassurant de voir l'État organiser ce suivi. Notre demande principale est donc la création de ce lieu de protection de tous les acteurs.

Nous vivons à une époque très numérisée. Dans mon métier, j'y suis moi-même sensibilisé. Il existe des problèmes de sécurité informatique et de protection des données, mais je ne vois pas ce qui pourrait s'opposer, dans un autre temps, à l'utilisation de tels outils. C'est une bonne idée. Plus on a d'outils, mieux c'est. Mais, je le répète, le coeur de nos propositions est la création de cette institution et de ce lieu.

M. Mbaye nous a interrogés sur des sujets techniques qui confirment la précision du travail de la mission d'information. Nous sommes rarement confrontés à des questions aussi précises, qui se poseront pourtant à vous quand vous élaborerez cette loi.

Si l'institution et, à travers elle, l'État, avec toute sa puissance, n'est pas capable de retrouver le donneur uniquement pour l'interroger, nous proposons que, dans ce contexte précis, l'identité soit divulguée, puisqu'il n'y aurait pas de risque de rencontre contre sa volonté. L'association des juristes pourrait vous répondre plus précisément sur le droit à la vie privée, mais nous pensons que, dès lors que le tiers donneur est décédé, l'enfant devenu grand doit pouvoir accéder à l'intégralité de son dossier, y compris l'identité du donneur.

Vous avez aussi demandé si la création du registre national du don nous paraissait souhaitable, réalisable et organisable par le CNAOP. Je répondrai qu'elle est indispensable, et réalisable très facilement. On doit pouvoir le coder si nécessaire. Je le répète : tous les pays qui organisent l'accès aux origines l'ont fait. Les données retenues sont variables, tantôt très détaillées, tantôt non. Si le CNAOP est un candidat naturel, il peut y en avoir d'autres. Nous n'avons pas d'avis spécifique, nous demandons que les moyens soient apportés à cette structure chargée du don afin qu'elle puisse remplir ses missions correctement.

Permalien
Stéphane Viville, Professeur à la faculté de médecine de Strasbourg

J'ose espérer que ce ne sont pas les tests génétiques dits récréatifs qui vous obligent à légiférer, mais bien la légitimité de l'accès aux origines, même si cela y contribue. Avec Mme Geneviève Delaisi de Parseval, nous avons publié une tribune qui était aussi une sorte de cri d'alarme. Le généticien qui vous parle estime que cela va aller de plus en plus vite et qu'il est hors de question de laisser pratiquer sauvagement ces identifications de donneurs. Il est donc primordial de les organiser pour la protection du donneur.

Lors du vote de la loi, en 1994, on a surtout pensé aux couples receveurs et aux donneurs, mais dans une AMP avec tiers donneur il y a trois intervenants. En légiférant, on obligera ceux qui identifient eux-mêmes de façon parallèle leur donneur par des tests d'ADN que l'on peut désormais réaliser pour quelque 50 euros à passer par une institution, sinon pour entrer en contact avec lui, du moins pour obtenir des compléments d'information, la rencontre ne pouvant se faire en dehors de son consentement. Dans le nouveau système, le consentement se ferait au moment du don. Le choix de donner ou non doit être subordonné à l'acceptation que dix-huit, vingt ou trente ans après, son identité soit divulguée si elle est demandée. En revanche, tout ce qui peut représenter une atteinte à sa vie privée devrait être soumis à son propre consentement. La législation peut le permettre, même si on continue à jouer avec les tests d'ADN. Il faut aussi alerter de tous les risques qu'ils induisent : les gens nés d'adultère, dont on dit qu'ils représentent 3 % de la population, vont découvrir, à la faveur d'un test offert à Noël, que leur père n'est pas leur géniteur !

Je ne pense pas que le registre national soit une fonction du CNAOP. C'est plutôt une fonction de l'Agence de la biomédecine, ce qui permettrait de gérer les antécédents médicaux à aspects génétiques.

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Madame Vanceunebrock-Mialon, vous avez parlé du caractère « inéluctable » de l'accès aux origines. Qui vous met la pression ? Les lobbies ? Des membres de la société civile ? Les citoyens ont le droit d'être informés. Ici, nous nous connaissons tous. Nous ne faisons pas la fête ensemble mais, à chaque révision de la loi relative à la bioéthique, nous retrouvons les mêmes visages.

M. Viville a parlé de Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Je l'ai rencontrée à plusieurs reprises et elle m'a bien fait comprendre que le fait de ne pas souhaiter retrouver l'identité de mon donneur risquait d'être préjudiciable à mon développement psychique. Je tenais à le signaler puisqu'elle se permet de tenir un certain nombre de propos qui me choquent profondément, venant d'une psychanalyste censée apporter un peu de sérénité à ses patients.

J'aimerais savoir, madame, qui vous met la pression. Vous dites que c'est inéluctable. Pourquoi ? Parce que les autres pays de l'Union européenne ont levé l'anonymat ? Parce qu'il y a ces tests génétiques ? Pour le moment, cinq personnes ont réussi à connaître l'identité de leur donneur de cette façon.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il n'y a pas de débat. Veuillez poursuivre, monsieur Masle, sans prendre personne à partie.

Permalien
Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen

Je ne pensais pas prendre qui que ce soit à partie. Puisque les députés représentent la nation, je parlais en tant que citoyen, afin que les citoyens sachent qui fait la loi et surtout comment elle est faite. Si vous m'interrogiez sur cette fameuse société civile et sur les personnes consultées, j'aurais aussi beaucoup à dire.

Nous avons parlé des CECOS et des maladies génétiques. Les CECOS sont nés dans les années 1970, ils ont fonctionné par tâtonnement et il y a eu des « loupés ». Quand les premières personnes issues d'un don de gamètes ont commencé à prendre la parole, des demandes n'ont pas pu être satisfaites. Nous sommes ici pour apporter divers éléments au débat. Dans l'association, une jeune femme en couple avec un homme dont le père avait été donneur nous a dit qu'elle craignait que son beau-père soit son donneur. Nous avons saisi la présidence des CECOS. Nous avons obtenu une réponse en moins d'un mois et apporté toute sérénité à cette jeune femme, car son beau-père ne pouvait pas être son géniteur – au regard de l'âge de cette personne et de l'âge du donneur, le risque existait.

Concernant les maladies génétiques, j'ai moi-même engagé la démarche, en tant que personne issue d'un don et porteur d'une maladie génétique qui n'était pas diagnostiquée dans les années 1980 – j'ai été conçu en 1985. On m'a expliqué qu'à l'époque, on faisait des tests sur les donneurs en fonction des maladies les plus courantes et de celles connues à l'époque. J'ai gardé une part d'incertitude. Puis un généticien rencontré au CECOS de Lyon m'a éclairé. Il m'a dit que quand deux personnes conçues « à l'ancienne » veulent faire un enfant, elles prennent un risque, puisque la génétique est une loterie. Il en est de même dans le cas des personnes conçues par don. On ne peut pas vouloir tout prévoir quand on a recours à cette technique. Or, on en arrive presque à vouloir mettre en place une espèce de service après-vente, parce qu'on serait injustement mécontent. Personne n'en parle ici, mais les CECOS sont très satisfaits d'externaliser ce genre d'informations : selon les centres, des dossiers ont été gardés et d'autres ne l'ont pas été. Pour autant, il ne faut pas jeter la pierre sur les CECOS en général. De toute façon, avant la première loi de 1994, il y avait une charte de fonctionnement des CECOS. Ces gens n'ont pas fait n'importe quoi, ils ont réfléchi. Pour les personnes issues d'un don de gamètes, il est protecteur de savoir que des personnes bienveillantes ont organisé le don en France.

J'ai tiqué sur ce fameux caractère inéluctable qui me renvoie au fatalisme ambiant. Je vous invite à lire l'ouvrage de Régis Debray intitulé Civilisation. Comment nous sommes devenus américains.

Permalien
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière

Madame la députée, je rebondirai aussi sur le terme « inéluctable » en vous posant une question.

Permalien
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière

J'espère toutefois qu'elle vous permettra de percevoir l'interrogation que je souhaite vous soumettre.

Que ferons-nous quand une adolescente, troisième de sa famille, viendra nous dire : « je me sens mal dans sa famille, l'aîné et le deuxième sont aimés, mais moi, ça ne va pas du tout, je pressens que mon père n'est pas mon père et je voudrais vérifier » ? Je souligne ainsi que la question de l'anonymat ne concerne pas seulement le don ou l'adoption, mais est d'ordre général. Si vous voulez faire une loi, allez jusqu'au bout et demandez qu'à l'entrée de toute maternité, on réalise des tests. On aura alors une cohérence et une égalité, une filiation bien plus logique, sans aucun lien avec la vie psychique ni avec les principes de régulation de la vie familiale. Allez jusqu'au bout !

Permalien
Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP)

Je sens que le CNAOP est vraiment sollicité pour élargir son champ d'action. Pour l'instant, ce n'est pas la question pour nous, parce que nous serions bien incapables de gérer un tel dispositif. Un tel registre relève plutôt de l'Agence de la biomédecine, puisqu'il concerne des données médicales qui n'entrent pas dans le champ de compétence du CNAOP.

Le CNAOP recherche les origines à la demande des enfants nés dans le secret, mais nous subissons aussi quelques revers, car des enfants nés dans le secret viennent nous dire : « vous n'avez pas retrouvé ma mère, mais je l'ai retrouvée grâce à un test ADN ». Nous n'allons pas sur ce terrain, la loi nous fixant un cadre juridique protecteur de la mère de naissance et de l'enfant.

En l'état actuel, nous ne déborderons pas sur ce volet médical. En revanche, nous sommes interpellés par la recherche de la parentèle en cas de maladie génétique. C'est pour nous une autre question qui doit rester protectrice des volontés de la mère biologique et de l'enfant né dans le secret.

Je n'ai pas parlé des familles adoptantes. Je m'en tiendrai aujourd'hui à la convergence des volontés. La levée de l'anonymat doit résulter d'une démarche. Nous n'imposerons pas à la mère de déposer sa carte d'identité à l'entrée de la maternité avant d'accoucher dans le secret, comme cela peut être le cas dans d'autres pays européens fréquemment cités.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me reste à vous remercier pour vos contributions.

L'audition s'achève à dix-huit heures vingt.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h15

Présents. – M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Élise Fajgeles, M. Jean François Mbaye, Mme Agnès Thill, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon

Excusé. - Mme Bérengère Poletti