Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en tant que présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), je vais expliquer en quelques mots le fonctionnement de celui-ci et les éléments qui nous conduisent à nous préoccuper de l'évolution envisagée dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique.
De tout temps, des femmes ont abandonné leur enfant sans laisser d'informations sur leur identité. Les raisons qui les poussent à le faire encore aujourd'hui sont multiples, d'ordre familial, professionnel ou économique. La plupart des femmes pour lesquelles les grossesses sont impossibles veulent que le secret le plus absolu soit maintenu, faute de quoi leur vie pourrait parfois être menacée. D'ailleurs, le Mouvement français pour le planning familial défend toujours l'accouchement sous le secret.
Le cadre législatif n'est pas récent, puisque c'est la Révolution française qui a institué la règle du secret de la grossesse et de l'accouchement. Le secret de l'abandon a été introduit en juin 1904. La sédimentation des textes a conforté le dispositif. En 1993, l'accouchement sous X a fait son entrée dans le code civil, dont l'article 326 précise : « Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». La rupture du lien de filiation est donc légalisée. En 1996, la loi Mattei prévoit que les éléments non identifiants entourant la naissance – lieu, date et heure – soient recueillis et conservés. Un accompagnement psychologique et social des mères est prévu, ainsi que la possibilité pour elles de renoncer à l'anonymat à tout moment si elles le souhaitent.
C'est donc un problème à la frontière de l'éthique et du droit. Ces interrogations alimentent toujours un débat fortement médiatisé, comme l'ont relevé les intervenants précédents, qui opposent souvent les aspirations des uns à la connaissance de leurs origines et les droits des autres à la préservation du secret de leur identité, débat au coeur duquel est posée la question du maintien de l'accouchement anonyme.
Je ne reviendrai pas sur le contexte international, notamment la Convention internationale des droits de l'enfant ou la Convention de La Haye du 29 mai 1993, qui sont des éléments de contexte sur lesquels s'appuient un certain nombre de défenseurs, mais sans trouver de réponse unanime à la question.
C'est aussi dans ce contexte d'une volonté d'accès aux dossiers des pupilles et d'une forte demande de transparence émanant des personnes concernées par la question de l'accès aux origines personnelles, notamment la difficulté de se construire sur le silence de leur origine biologique, que la loi de 2002 a été votée. Cette loi maintient la faculté d'accoucher dans l'anonymat, solution à la fois protectrice pour les mères qui pourraient accoucher clandestinement avec tous les risques que cela comporte, mais limite les obstacles légaux et administratifs qui étaient opposés à l'accès aux origines personnelles. La loi de 2002 a donc créé le Conseil national, qui avait déjà été évoqué en 1990, pour harmoniser les pratiques administratives et organiser la réversibilité du secret des origines.
L'objectif du CNAOP est d'harmoniser les pratiques entre tous les départements, en particulier au moment de l'accouchement, afin que les services de proximité, notamment les correspondants du CNAOP au sein des conseils départementaux, puissent informer les femmes sur leurs droits, obtenir suffisamment d'informations et consigner dans le dossier de l'enfant un certain nombre d'informations, et ce selon des pratiques homogènes sur l'ensemble du territoire, ce qui n'est encore pas gagné aujourd'hui.
Son objectif est aussi d'organiser la réversibilité du secret. Cela consiste en une démarche active auprès des parents, pour s'assurer de leur volonté de maintenir ou non le secret de leur identité. L'enfant détenteur de ses origines personnelles restera libre de se faire connaître de ses parents de naissance, s'il le souhaite. La loi prend la mesure de l'importance du temps et des circonstances économiques et psychologiques, telles que la pression de l'entourage lors de l'accouchement, qui peuvent faire évoluer la femme et l'inciter plus tard à lever le secret de son identité.
L'objectif de cette loi votée à l'unanimité par le Parlement est d'obtenir un compromis équilibré entre les droits des femmes et ceux des enfants. En effet, si elle donne acte aux personnes qui souhaitent accéder à leurs origines personnes de la légitimité de leur recherche, elle réaffirme aussi que la question de l'accès aux origines personnelles ne peut être examinée à l'aune de la seule aspiration des enfants à connaître leurs origines. Ce dispositif fournit aux femmes conduites par la détresse à accoucher anonymement la protection qu'elles sont en droit d'attendre de notre société. Les jurisprudences française et européenne ont d'ailleurs conforté la position adoptée par le CNAOP.
Il convient aussi de souligner que le rôle des établissements de santé dans l'accueil des femmes et le recueil des informations, ainsi que le rôle des services de l'aide sociale à l'enfance dans les départements, qui informent et accompagnent les femmes, sont des éléments majeurs dans l'instruction des dossiers. C'est le gage d'une instruction neutre des dossiers, dont le mode opératoire est respectueux des parties – la mère biologique et l'enfant – et de la loi. Il s'agit d'assurer un accompagnement psychologique et social de la mère, pour l'inciter à laisser à son enfant des éléments d'information suffisants relatifs à son histoire, sans pour autant révéler son identité. Les femmes sont ainsi incitées à laisser un pli fermé au moment de l'accouchement. On constate toutefois qu'un certain nombre de plis fermés ne sont pas déposés ou ne contiennent rien.
Mais le débat est aussi ouvert par la révision de la loi de bioéthique, qui conduit à s'interroger sur le cas des maladies génétiques. Lorsqu'une maladie génétique est décelée chez un enfant né dans le secret, il est normal qu'il cherche à s'informer et à entrer en relation avec ses parents biologiques. De même, lorsqu'une mère ayant donné naissance à un enfant qu'elle a abandonné apprend qu'un de ses enfants est atteint d'une maladie génétique, il importe que l'enfant né dans le secret soit informé du risque de développer cette maladie. Il s'agit d'une véritable préoccupation de santé publique, qui rejoint les préoccupations relatives aux maladies génétiques dans le cas de naissances obtenues dans le cadre d'une AMP. Néanmoins le CNAOP considère que la volonté de la mère biologique et la volonté de l'enfant doivent être convergentes pour aboutir à une levée d'identité.
Quelques chiffres pour expliquer le fonctionnement du CNAOP. Sur les 700 demandes annuelles d'accès aux origines qui émanent d'enfants, nous parvenons dans moins de la moitié des cas à identifier la mère de naissance, et dans la moitié encore de ces cas, la mère de naissance accepte de donner son identité. Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, l'aspect relatif à la santé publique, notamment le fait de transmettre des maladies génétiques, sera peut-être un argument pour fournir des informations sans lever obligatoirement le secret. Toutefois, à ce stade, nous estimons n'avoir pas encore suffisamment d'éléments sur la loi pour approfondir la question au sein du CNAOP.