Intervention de Christian Flavigny

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h50
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l'hôpital de La Pitié-Salpétrière :

Comment le Parlement français pourrait-il déconstruire les principes régissant en France l'adoption et l'aide médicale à la procréation, alors que ceux-ci ont été élaborés en fonction des besoins de l'enfant, notamment d'une cohérence entre la filiation psychique et la filiation juridique, laquelle fixe un cadre structurant à la filiation psychique de l'enfant ?

Je rappellerai les deux principes qui régissent l'adoption et l'aide médicale à la procréation à la française, car ils sont liés. Le premier, c'est que le couple enfante. Même s'il n'a pas enfanté charnellement, il enfante psychiquement. Il se constitue comme les parents de l'enfant. C'est le cas dans l'adoption comme dans l'aide médicale à la procréation. Le principe de l'enfantement constitue ce que l'on appelle en psychologie « l'originaire » pour l'enfant, notion que je mets en balance avec celle de connaissance des origines. L'originaire, c'est la façon dont l'enfant va se constituer lui-même comme issu de ses deux parents. Même si, charnellement, il a fallu un apport extérieur, cela deviendra sa raison d'être. Il sera le fruit de l'union de ses parents, en dépit d'un apport de gamètes.

Cette notion « d'originaire » est centrale pour la vie psychologique de l'enfant. Elle lui permet de s'inscrire dans le principe psychique de sa filiation. Cette filiation psychique, mise en cohérence avec la filiation juridique, établira le principe régulateur de la vie familiale, à savoir les interdits familiaux de l'inceste et du meurtre. Cela est fondamental, car le principe de la protection de l'enfant est en jeu.

L'anonymat est donc un principe de protection de la vie psychique de l'enfant, pour éviter le tiraillement entre la filiation proposée à l'enfant et une autre filiation, et l'impression que l'enfant aurait une dette à rédimer quelque part, ailleurs que là où il s'est inscrit et ailleurs que là où l'adoption l'a inscrit, à partir d'un discours clair : tu n'étais pas attendu ici mais tu étais attendu là par tes parents adoptants, ou, dans le cas de l'AMP : ils avaient le voeu de te concevoir, il a fallu un apport médical, mais ils sont pleinement tes parents.

Ce principe n'entraîne aucun préjudice. La connaissance de l'identité du géniteur n'a aucune fonction fondatrice de la personnalité de l'enfant, comme le montre le nombre considérable d'enfants adoptés pour lesquels la connaissance des origines ne représente aucun sujet. Et ceux qui ont eu connaissance du recours à une AMP n'ont aucun sujet autour de la connaissance du géniteur.

Certains enfants se sentent mal à l'aise au regard de cela, comme les personnes médiatiques dont vous avez parlé. Mais ces personnes sont dans l'illusion que la connaissance du géniteur résoudrait quelque chose. Elles ont quelque chose à résoudre à l'égard de leurs propres parents, mais leur permettre de le gérer par la connaissance des origines est un leurre, car c'est la filiation psychique qui fonde le lien familial et fixe les interdits familiaux. Les personnes réclamant la levée de l'anonymat disent que leur grande crainte est de commettre l'inceste dès lors qu'elles ne sauraient pas qu'une autre personne serait née du même géniteur, ce qui relève d'une confusion complète sur la notion d'inceste. La notion d'inceste n'a rien à voir avec la communauté chromosomique. Elle a à voir avec la notion de dette symbolique qui établit la filiation psychique. Si ce n'était pas le cas, il faudrait, logiquement, permettre que deux enfants adoptés dans une même famille puissent se marier.

Par conséquent, c'est un leurre complet de penser que la connaissance de l'identité du géniteur résoudrait quelque chose au profit de l'équilibre psychologique d'un enfant. En revanche, ce serait profondément destructeur, puisque cela créerait un tiraillement permanent dans la vie psychique de l'enfant. Avec l'idée d'une autre famille, dès que l'enfant se sentirait en difficulté dans sa famille, il aurait l'impression qu'il aurait mieux correspondu à l'autre famille. Cela tend donc à la déconstruction de la famille.

Certes, les médias racontent certaines réussites, mais ils ne parlent pas des effets catastrophiques que peuvent induire des retrouvailles de géniteurs. L'effet produit par un géniteur qui ne veut absolument pas en entendre parler et qui claque la porte est destructeur, sans parler des effets pervers, comme celui de géniteurs qui exploitent le retour d'un enfant en réclamant des compensations financières, comme cela se produit à l'étranger dans des cas d'adoption.

L'anonymat est donc un régime protecteur de l'enfant, mais si la question de la levée de l'anonymat revient actuellement, c'est parce que les lois récentes ont fragilisé l'enfantement comme principe structurant de la vie psychique de l'enfant. On essaie de compenser l'oubli de l'importance de la dimension psychique de l'enfantement non seulement par des leurres, mais aussi par un mensonge. En étendant aux femmes seules et aux couples de femmes le droit à la procréation médicalement assistée, on conserverait le principe biologique de la fécondation, mais on lui ôterait l'enveloppe psychique et affective, l'enveloppe relationnelle portant un enfantement, qui permet à l'enfant, en dépit de l'apport technique, médical, de se sentir le fruit de cette union.

Je trouve extrêmement regrettable l'importation de la manière américaine dans la manière française. Alors que la manière française était extrêmement consistante, fondée sur les besoins psychologiques de l'enfant, la manière américaine est totalement ignorante du principe de la filiation psychique. Par exemple, en matière d'adoption, l'adoption française est filiative mais l'adoption américaine est une adoption de recueil. Lorsqu'un enfant ne se sent pas bien dans une famille, on peut trouver sur des blogs la possibilité de l'échanger avec d'autres familles. De tels principes sont extrêmement peu sécurisants pour l'enfant et pour l'adoption. De même, tous les blogs qui fleurissent consacrés à l'aide médicale à la procréation invitent non seulement à retrouver un géniteur dans des conditions très angoissées, mais aussi à rechercher de leurres, car le fait de retrouver un géniteur n'a jamais résolu l'angoisse existentielle.

Par conséquent, il est essentiel que les lois françaises conservent le primat de la cohérence entre le psychologique et le juridique. Il était au coeur du principe de l'adoption plénière, il y a un certain temps, mais il a malheureusement été déconstruit. C'est à ce principe qu'il est essentiel de revenir dans l'intérêt de l'enfant et dans l'intérêt des familles.

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