Monsieur le rapporteur, j'ai l'impression que vous êtes mal informé sur la genèse de l'anonymat. Pour avoir travaillé dans ma jeunesse avec le professeur Michel Soulé et Mme Simone Veil, je suis très instruit du principe. Ce sont eux qui l'ont instauré dans l'adoption, pour la protection de l'enfant, sachant parfaitement que le processus visait un centrage sur la relation adoptante, en toute officialisation de l'adoption. Il ne s'agit pas de cacher ni l'adoption ni le principe de l'assistance médicale à la procréation. Le fait doit être connu par l'enfant, à un moment ou à un autre de son développement. Mais ce centrage sur ses parents permet à l'enfant d'organiser son originaire, dans une cohérence lui permettant d'établir sa raison d'être comme le fruit de la relation de ses parents. C'est le principe psychique qui compte.
Monsieur le rapporteur, ce qui dicte manifestement votre opinion sur la nécessité d'une évolution de la loi résulte, me semble-t-il, d'une confusion. Ces jeunes auraient besoin de connaître leurs demi-frères et demi-soeurs, avez-vous dit. Mais il ne s'agit pas de leurs demi-frères ou de leurs demi-soeurs ! Cette confusion me semble avoir été opérée par Mme Mauss, qui parlait d'une « démarche active auprès des parents ». C'est une erreur. Il s'agit du géniteur et de la génitrice, non des parents. C'est le registre psychique qui établit le principe de la filiation et de la personnalité de l'enfant.
M. Viville demandait : que se passe-t-il si on dit à l'enfant qu'il ne pourra pas connaître son géniteur ? La question n'est pas celle-là. Elle est de comprendre pourquoi un enfant demande à connaître ses origines. Il demande à connaître ses origines, parce qu'il n'est pas bien dans la filiation qui lui a été proposée en relais de la filiation qui n'a pas pu s'établir précédemment.
Monsieur le rapporteur, vous parlez de mensonge. Je le conteste. Il n'y a pas de mensonge. En revanche, ce que vous proposez est un leurre. Vous proposez d'entraîner, de droit, les familles dans le tiraillement psychique. Dès qu'il se sentira mal ou en conflit avec ses parents, l'enfant demandera à connaître ses origines. Ce faisant, vous détruisez la famille. Le principe de l'anonymat est un principe de protection de l'enfant et de la famille. La question actuelle qui est à l'origine de ce débat, c'est que ce principe est porté par la référence à l'enfantement. C'est ce qui donne sa consistance à la vie psychique de l'enfant. Dès lors qu'il y a une tendance à relâcher ce principe de l'enfantement comme la possibilité d'accueillir l'enfant, apparaît la tentative de solutions de substitution factices qui ne sont pas de nature à fonder la vie psychique de l'enfant. C'est comme si, pour une maison fragilisée, on posait des étais à l'extérieur pour soutenir les murs au lieu de consolider les fondations.
La préservation de l'anonymat me semble être une donnée essentielle à la vie psychique, dans la tradition française. La tradition américaine ne connaît pas cette fonction, notamment parce qu'aux États-Unis l'anthropologie familiale est une anthropologie religieuse, basée sur l'introspection des religions. D'ailleurs, le mariage y est religieux. Je trouve discutable et déstabilisant pour la société française de vouloir établir ce type de principes, qui ne relèvent aucunement de notre culture, en particulier sur le plan des religions.