Je représente la fédération France AMP, qui regroupe des personnes issues d'un don de gamètes, des couples en parcours d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et des parents qui se posent la question de savoir comment annoncer son mode de conception à leur enfant.
Nous sommes réunis ce jour pour discuter de la question de l'anonymat des donneurs, reformulée dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique en « accès aux origines » au profit des personnes conçues grâce à un don de gamètes. Ce glissement sémantique témoigne, selon moi, d'un véritable changement de paradigme. De fait, il ne s'agit plus de considérer un des principes fondateurs, l'anonymat qui gouverne le don des éléments et produits du corps humain, dont le sang et les dons d'organe, mais d'envisager la création d'un nouveau droit, d'une nouvelle liberté pour les individus. Nous voici, une fois de plus, confrontés à la société du « droit à », qui entend faire primer les intérêts particuliers sur l'intérêt collectif, et même sur l'intérêt général.
De fait, il est possible de se demander à qui profiterait réellement l'abolition du principe de l'anonymat. Aux enfants du don ? Ou au secteur privé à but lucratif, comme dans d'autres pays qui ont renoncé à ce principe fondamental ? Ce « droit à », celui de connaître ses origines, aura pour conséquence de développer un droit pour le secteur privé lucratif de proposer au marché, en l'occurrence celui des couples confrontés aux problèmes de fertilité, ses produits et services, à l'image de la banque de sperme danoise Cryos International. Les couples consommateurs pourront alors choisir des donneurs de gamètes sur catalogue : anonymes ou non anonymes, caractéristiques physiques, catégories socioprofessionnelles, aptitudes diverses, comme le sport et la musique, hobbies, etc. Au lien symbolique sera donc substitué le lien génétique permettant de fantasmer l'enfant idéal.
Derrière la question de l'accès aux origines se cache donc celle, beaucoup moins visible, du marché des gamètes. Il me semblait important de souligner ce point avant d'aborder des questions plus spécifiques.
Nous allons nous concentrer aujourd'hui sur le point de savoir dans quelle mesure une personne issue d'un don de gamètes aurait le droit ou non d'accéder à des informations identifiantes sur « son » donneur. Je tiens à préciser que cette expression me semble impropre dans la mesure où, dans les faits, un donneur donne à une banque de gamètes, un centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), par exemple, et non à un couple receveur pour la conception d'un enfant particulier. La connaissance de la technique du don me conduit donc à penser que la question de l'accès aux origines pour les personnes issues d'un don se pose en des termes bien différents que pour les personnes adoptées ou nées sous X, dans la mesure où l'intervention du corps médical est nécessaire à la conception même de l'enfant. Par ailleurs, il n'est pas possible de lier directement une souffrance à un abandon, comme chez les personnes adoptées ou nées sous X, puisque le donneur n'a jamais souhaité s'investir dans le projet parental du couple receveur et n'a donc pas de fonction parentale.
La problématique de l'accès aux origines est, me semble-t-il, une formulation beaucoup trop imprécise. L'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), mentionné notamment dans l'avis du CCNE en date du 25 septembre 2018, ne fait pas référence aux origines, c'est-à-dire à une banque de gamètes ou aux donneurs de gamètes, mais seulement aux parents. À mon sens, le CCNE induit par cette mention une confusion regrettable entre le parent et le donneur. Cela pourrait donc signifier que moi, personne issue d'un don, j'ai trois parents : mon père, ma mère et un donneur. Le CCNE précise également : « Certains ont d'ailleurs fait de la recherche de l'identité de leur donneur le combat de leur vie. » Or combien exactement, sur les 70 000 enfants conçus grâce à un don depuis les années 1970, sont entendus ?
M. Brès a rappelé qu'une poignée de personnes – notamment une, Arthur – témoignent dans les médias d'une certaine souffrance. M. Viville a parlé de cinq personnes qui auraient obtenu des informations sur leur donneur. Pour autant, Arthur est-il le représentant de tous les enfants du don ? Son discours relayé par les médias tend à présenter l'anonymat comme un principe toxique. Pour lui, peut-être, mais qu'en est-il des autres enfants ? Qu'en est-il de ceux informés de leur mode de conception, pour qui l'anonymat présente au contraire des vertus ? Pour qui fait-on exactement les lois en France ? Pour quelques individus médiatisés sur 70 000 ou pour la majorité silencieuse ? Quand allons-nous nous pencher réellement, au moyen d'études qualitatives et quantitatives, sur le vécu des enfants du don ?
Les arguments exposés par les personnes favorables à une levée de l'anonymat ne me semblent pas tous convaincants, car nombreux sont les mythes présentés comme des vérités. La question du dossier médical du donneur est un faux problème, puisque par essence, un donneur ne peut être admis au don si son patrimoine génétique et sa généalogie laissent penser à la transmission éventuelle d'une maladie grave. Mesdames et messieurs les députés, croyez-vous sincèrement que les médecins auraient pris un tel risque ? Autre exemple, la consanguinité chez les enfants du don. Nous savons que, dans la population des personnes conçues « à l'ancienne », le risque est bien supérieur pour les enfants nés de relations adultères que pour les enfants issus d'un même donneur. Quand allons-nous enfin cesser de croire à ces non-vérités ?
Le CCNE avance également dans son avis l'argument suivant lequel « il est clair que continuer à défendre l'anonymat à tout prix est un leurre à l'heure présente et future de la génomique et du big data ». Ce fatalisme venant de la part d'une institution que je respecte me déçoit. Pensez-vous que chaque enfant du don va recourir au test génétique, comme le très médiatisé Arthur ? Et quand bien même, ne devrions-nous pas prévenir les dangers de cette technologie ? À titre personnel, mon donneur est peut-être déjà décédé, et peut-être le test génétique ne donnerait-il rien, ou peut-être serais-je déçu s'il ne souhaitait pas me rencontrer ou s'il ne correspondait pas à mes attentes et représentations. Il ne faut pas mentir aux enfants du don. Le lien génétique ne confère aucune sécurité affective ou financière et ne permet pas la transmission de valeurs, comme le font actuellement les parents ayant eu recours à un don.
J'en reviens donc à la question essentielle : comment et pour qui faisons-nous réellement la loi ? Pour combien d'enfants issus du don ? Pour les 70 000 dont la quasi-totalité ne s'expriment pas dans les médias ou devant vous aujourd'hui ? La logique voudrait que l'on s'intéresse d'abord à la proportion d'enfants informés de leur mode de conception, pour savoir exactement ce qu'ils en pensent. Si je peux aujourd'hui m'exprimer devant vous au sujet de l'anonymat, c'est bien parce que mes parents m'ont informé de mon mode de conception. Or, nous ne savons pas combien d'enfants sont informés de leur mode de conception. Notre association incite les parents à informer leurs enfants du mode de conception, et la quasi-totalité sont prêts à le faire ou l'ont déjà fait.
Comment voter une loi sans s'assurer au préalable de l'hypothétique nocivité du principe de l'anonymat ? Si vous êtes aujourd'hui en mesure de me démontrer qu'une majorité des 70 000 enfants issus d'un don souffrent de ce principe, en ce cas je serai le premier à souhaiter l'abolition de l'anonymat des donneurs. Mon expérience associative, depuis plus de dix ans, m'a conforté dans l'idée que la majorité des parents et des enfants du don que j'ai rencontrés ne souhaitent pas la levée de l'anonymat. Pour autant, les avez-vous déjà entendus dans les médias ? Non, évidemment, car les médias ne s'intéressent pas aux personnes silencieuses. Les médias ne franchissent pas la porte des groupes de parole et ne vont pas à la rencontre de celles et ceux qui ont aussi des choses à dire sur ce qui, justement, les aide à se structurer et à vivre sereinement l'anonymat.
L'intérêt général, supposé transcender les libertés individuelles, ne fait plus sens aujourd'hui. L'AMP est prise dans ce tourbillon des libertés individuelles, du primat de l'individu et de la satisfaction de ses moindres besoins et envies. Plus que la question de l'accès aux origines, il me semble fondamental de continuer à sensibiliser les couples et les parents à l'intérêt de lever le secret sur le mode de conception de l'enfant.
Je me tiens devant vous aujourd'hui pour vous dire que l'on peut être un enfant du don et être heureux, que nos doutes et souffrances ne procèdent pas exclusivement de notre mode de conception, car nous vivons dans le même monde que vous, dans la même société que vous, et nous traversons les mêmes moments heureux et moins heureux que vous.
Mesdames, messieurs les députés, prenez le temps de la réflexion, car ce n'est pas être conservateur que de garder intact un principe dont la nocivité n'est pas démontrée. Laissons aux chercheurs le temps de se pencher davantage sur cette question et gardons à l'esprit que l'anonymat fait partie d'un tout, qui garantit une réelle éthique dans la pratique française de l'AMP. L'exception ne doit pas devenir un principe car, comme d'autres enfants du don, je maintiens que l'anonymat présente de multiples vertus dont on ne parle pas assez.