Intervention de Christophe Masle

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h50
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l'université de Rouen :

Le professeur Jouannet avait réalisé une étude intéressante montrant que les couples qui, en Suède, souhaitaient informer leur enfant de son mode de conception n'avaient pas recouru à la banque de sperme Cryos International. En effet, en recourant à cette banque de sperme danoise, il est possible de choisir un donneur non anonyme. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre présentation. Toute étude peut être présentée sous un jour favorable ou défavorable. Il faudrait apporter à cette mission des études au complet, ce que je ferai moi-même.

Je précise que l'association que je préside ne milite pas activement pour la préservation de l'anonymat. Nos membres sont divers : des couples dans un parcours d'AMP avec tiers donneur, des parents qui se demandent comment annoncer le mode de conception à leur enfant et des enfants issus d'un don de gamètes.

Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de « culture du mensonge » aux débuts de cette technique, dans les années 1970-1980. Nous ne sommes plus dans la culture du mensonge. Aujourd'hui, si vous allez sur le terrain, si vous consultez les couples et vous rendez dans les CECOS, vous constaterez que presque tous veulent informer l'enfant de son mode de conception. Très peu des personnes informées de leur mode de conception que je rencontre éprouvent une souffrance directement en lien avec l'anonymat. Quand vous apprenez votre mode de conception, je ne suis pas sûr que la première chose qui vous vient à l'esprit soit de vous demander si vous êtes pour ou contre le principe de l'anonymat. Il faut déjà digérer l'annonce qui vous a été faite, puis, éventuellement, vous positionner au sujet de l'anonymat. La question de l'anonymat est très médiatisée. Si vous demandez à un enfant du don quelles questions lui viennent à l'esprit après qu'il a été informé de son mode de conception, il n'évoque pas l'anonymat, mais plutôt pourquoi ses parents ont eu recours à cette technique, et éventuellement pourquoi ses parents ont gardé ce secret pendant autant de temps. Nous avons évolué.

Vous dites également que la majorité d'entre eux n'ont pas été informés de leur mode de conception. Il a été dit, juste avant, que l'on n'avait pas d'information sur les enfants issus d'un don de gamètes en France. Nous n'avons pas encore d'étude permettant de savoir combien, sur les 70 000 enfants nés d'un donneur, sont informés et combien ne le sont pas. Dès lors, comment affirmer que la majorité de ces 70 000 enfants ne sont pas informés de leur mode de conception ? Peut-être la majorité silencieuse de ces 70 000 enfants est-elle très satisfaite du principe de l'anonymat. J'ai un frère de deux ans mon cadet, issu d'un autre donneur que moi. Je lui ai dit : « je n'ai pas de problème à ce sujet, mais je me suis posé des questions, parce que je pense que cette technique n'est pas neutre ». Il m'a répondu : « Papa, c'est papa ». On a invité des personnes comme Arthur sur BFMTV. Pourquoi n'a-t-on pas invité des personnes comme mon frère qui sont capables de dire la phrase magique : « Papa, c'est papa », alors même qu'il est issu lui aussi d'un don de gamètes ? On essaie de faire une loi à partir des études lues dans la presse et en citant des statistiques. On est en train d'imaginer un système prospectif, alors que nous avons déjà des informations, certes pas recueillies par des études, sur la manière dont les enfants aujourd'hui en âge de s'exprimer se positionnent sur la question de l'accès aux origines.

On a peu parlé de la troisième voie, sorte de compromis, qui avait été proposée dans le projet de loi Bachelot lors de la dernière révision de la loi relative à la bioéthique, à savoir l'accès à des données non identifiantes sur le donneur. Cette troisième voie pose aussi des difficultés. Si vous demandez à des enfants quelles données non identifiantes ils souhaiteraient connaître, aucun ne proposera la même liste. De plus, si l'on fait une liste limitative de dix ou vingt données, il faudra les trier et établir une hiérarchie. Si on imagine un système prévoyant l'anonymat des donneurs à la majorité de l'enfant et si celui-ci est toxique, pourquoi attendre la majorité de l'enfant pour en permettre la levée ? Mieux vaudrait un système prévoyant d'informer dès l'âge de seize ans l'enfant qu'il pourra avoir accès à un certain nombre de données.

La liste est longue des éléments qui m'inquiètent. Monsieur le rapporteur, j'ai l'impression que vous avez déjà votre opinion, et je la respecte. Dans notre association, nous continuerons à accompagner les enfants issus d'un don. Il est évident que nous n'allons pas leur mentir. Pour ceux qui souhaitent accéder à l'identité de leur donneur ou avoir des informations sur celui-ci, il faudra faire un gros travail de prévention et de discussion avec eux et avec leur famille.

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