Intervention de Jean-Pierre Scotti

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 17h35
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le député, mesdames les députées, je vous remercie de nous auditionner au sujet de cette belle cause qu'est le don d'organes.

Je ferai tout d'abord un bref rappel historique.

1976 : loi Caillavet.

1994 : création de l'Établissement français des greffes (EFG) qui permet aux familles d'intervenir.

Puis séparation des équipes de préleveurs et de transplanteurs.

2004 : création de l'Agence de la biomédecine et transformation de la notion de famille en celle de « proches », sans toutefois la définir précisément.

2009 : Grande cause nationale ; création du collectif Don de vie avec des donneurs de sang, de moelle et d'organes. Malheureusement, il s'est passé peu de choses.

Et puis, en 2016, un bel amendement a précisé la loi Caillavet, qui avait déjà plus de quarante ans. Malheureusement, depuis 1994, le nombre de personnes en attente augmente de façon exponentielle alors que le nombre de greffés augmente simplement de façon linéaire… Ce bel amendement respecte les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Liberté, car on décide que si on est opposé au prélèvement, on peut s'inscrire dans un registre du refus ou laisser un écrit à ses proches. Égalité, parce que même si l'on est contre le fait de donner, on ne sera pas pénalisé en tant que receveur et on pourra être greffé. Fraternité, car on considère que par solidarité nous sommes tous donneurs.

Pour préciser le contexte de cet amendement, initialement, la commission des Affaires sociales prévoyait exclusivement un registre des refus. Mais, à la suite d'une levée de boucliers des équipes et des professionnels, on a élargi le dispositif. On peut s'opposer principalement en s'inscrivant au registre du refus ou en laissant un écrit à ses proches. Cependant, un proche peut faire valoir le refus qu'aurait effectué oralement le défunt de son vivant. Dans ce cas, le proche doit relater les faits par écrit de sa main – ou les faire rédiger par une équipe de coordination s'il n'a pas la faculté d'écrire le français – et signer le document. Enfin, on a conservé la notion de « contexte », c'est-à-dire la possibilité de renoncer au prélèvement si la famille est trop impactée par la douleur et la brutalité du décès.

Malheureusement, les résultats évoluent peu : le taux de refus se situe toujours à 30 %, plus au moins 3 %. En 2007, nous avions obtenu de très bons résultats : le don d'organes, et notamment du poumon, a été médiatisé à la suite de la mort de Grégory Lemarchal. Le taux de refus est alors descendu à 27 %. En 2017, nous étions revenus à 30,5 % et cette année nous ignorons si le taux a varié.

Ce taux de 30 % correspond en fait à 30 prélèvements sur 80 personnes. En effet, sur 100 personnes recensées, seules 80 sont prélevables car 20 ne peuvent l'être pour des raisons notamment techniques. Le taux réel n'est donc pas 30 %, mais 30 % divisé par 0,8, donc plutôt 36 %, 37 %, voire 38 %.

Le taux est établi sur la base de normes européennes afin de pouvoir effectuer des comparaisons. Les Espagnols ont un faible taux de refus, entre 15 % et 20 %, car ils ont beaucoup investi sur les équipes.

Si nous souhaitons augmenter le nombre de greffes, il y a deux points principaux à améliorer.

Tout d'abord, la diminution du taux de refus. Il existe plusieurs protocoles : le don du vivant, le don croisé, le don pyramidal en chaîne, le « Maastricht II », le « Maastricht III », mais diminuer le taux de refus libérerait un gros potentiel.

Il faut également développer le don du vivant. En France, nous faisons neuf prélèvements par million d'habitants. Aux Pays-Bas, ils en font trente. On a effectué l'année dernière 611 dons du vivant. L'objectif de l'Agence est de parvenir à un millier et de ramener en passant le taux de refus de 31 % à 25 %. Pour nous, c'est sur ce point que l'on doit insister.

La loi est bien plus connue maintenant qu'il y a quelques anénes. En 2013 et en 2015, nous avions réalisé des enquêtes qui démontraient que la loi n'était connue que par 13 % des Français. Aujourd'hui, avec le travail de l'Agence, elle est connue par plus de 50 % des Français. C'est bien : il faut continuer à favoriser cette connaissance spontanée ou associée de la loi.

Malheureusement, elle n'est pas vraiment appliquée. Sur le terrain, lorsque le drame arrive, les familles se trouvent confrontées à un accident brutal, un AVC par exemple, et se trouvent dans la douleur. Les équipes ne sont pas suffisamment formées pour répondre à cette douleur de la famille. En outre, les coordinatrices de prélèvements sont susceptibles d'être affectées à d'autres services de l'hôpital et, dans certaines équipes, elles sont employées à quart-temps ou à mi-temps. Pour nous, il est impératif que le job de coordinatrice soit valorisé : ces personnes sont en contact avec les familles. Les coordinatrices doivent pouvoir bénéficier d'une formation diplômante, obtenir davantage de reconnaissance et être employées à plein temps. Généralement, elles ont une formation d'infirmière mais pour être en contact et parler avec les familles endeuillées, elles doivent être formées à la psychologie. Une formation de deux années orientée vers la pratique serait adaptée. C'est là-dessus qu'il faudrait insister.

Ensuite, sur le don du vivant, il faut motiver l'hôpital et les équipes de prélèvement. Souvent, l'hôpital ne met pas les moyens adéquats à disposition, comme par exemple des tables d'opération. L'hôpital doit être motivé, appliquer les forfaits hospitaliers aux services de prélèvements – car cela entre parfois dans le pot commun – et éventuellement recruter d'autres personnels.

Outre le fait qu'elles peuvent sauver des vies – l'an dernier, 590 personnes sont décédées faute d'avoir pu recevoir une greffe, sans compter celles qui ont été sorties des listes d'attente – et améliorer la qualité de vie de dizaines de milliers de personnes, les transplantations permettent de réaliser des économies. Par exemple, une dialyse coûte 87 000 euros, une greffe environ 53 000 euros et un suivi de greffe 23 000 euros. Un greffon a une durée de vie d'une quinzaine d'années et le coût de la première année de greffe est identique à celui d'une dialyse. Ainsi, si on diminuait le taux de refus d'un tiers et si on doublait le don du vivant, cela représenterait l'équivalent de 8,5 milliards d'euros économisés sur une période de quatorze ans.

En conclusion, il est important d'accorder plus de valeur à ces équipes de coordination qui ont un travail difficile. Ces équipes doivent être totalement sur le terrain. Elles n'ont pas à aller communiquer à l'extérieur pour, parfois, diffuser des informations inexactes et non conformes à la loi.

Les équipes et l'hôpital doivent être motivés et comprendre que la greffe est intéressante pour l'hôpital.

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