Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 17h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 24 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie.

L'audition débute à dix-sept heures quarante-cinq.

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Nous achevons notre séquence d'auditions de ce jour en accueillant M. Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie, qui est accompagné de M. Cédric Emile. Nous vous remercions, messieurs, d'avoir accepté de vous exprimer devant nous.

Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, notre mission d'information est amenée à étudier le sujet des dons et transplantations d'organes, à travers notamment le prisme de l'insuffisance de l'offre de greffons, du recueil de consentement, de la formation des professionnels pour l'accompagnement psychologique des familles de donneurs décédés ou encore de la question des dons de reins croisés et de la création d'un « statut » de donneur. Nous souhaiterions bénéficier de votre expertise et connaître vos positions sur ces sujets.

Je vous donne maintenant la parole pour un court exposé, que nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le député, mesdames les députées, je vous remercie de nous auditionner au sujet de cette belle cause qu'est le don d'organes.

Je ferai tout d'abord un bref rappel historique.

1976 : loi Caillavet.

1994 : création de l'Établissement français des greffes (EFG) qui permet aux familles d'intervenir.

Puis séparation des équipes de préleveurs et de transplanteurs.

2004 : création de l'Agence de la biomédecine et transformation de la notion de famille en celle de « proches », sans toutefois la définir précisément.

2009 : Grande cause nationale ; création du collectif Don de vie avec des donneurs de sang, de moelle et d'organes. Malheureusement, il s'est passé peu de choses.

Et puis, en 2016, un bel amendement a précisé la loi Caillavet, qui avait déjà plus de quarante ans. Malheureusement, depuis 1994, le nombre de personnes en attente augmente de façon exponentielle alors que le nombre de greffés augmente simplement de façon linéaire… Ce bel amendement respecte les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Liberté, car on décide que si on est opposé au prélèvement, on peut s'inscrire dans un registre du refus ou laisser un écrit à ses proches. Égalité, parce que même si l'on est contre le fait de donner, on ne sera pas pénalisé en tant que receveur et on pourra être greffé. Fraternité, car on considère que par solidarité nous sommes tous donneurs.

Pour préciser le contexte de cet amendement, initialement, la commission des Affaires sociales prévoyait exclusivement un registre des refus. Mais, à la suite d'une levée de boucliers des équipes et des professionnels, on a élargi le dispositif. On peut s'opposer principalement en s'inscrivant au registre du refus ou en laissant un écrit à ses proches. Cependant, un proche peut faire valoir le refus qu'aurait effectué oralement le défunt de son vivant. Dans ce cas, le proche doit relater les faits par écrit de sa main – ou les faire rédiger par une équipe de coordination s'il n'a pas la faculté d'écrire le français – et signer le document. Enfin, on a conservé la notion de « contexte », c'est-à-dire la possibilité de renoncer au prélèvement si la famille est trop impactée par la douleur et la brutalité du décès.

Malheureusement, les résultats évoluent peu : le taux de refus se situe toujours à 30 %, plus au moins 3 %. En 2007, nous avions obtenu de très bons résultats : le don d'organes, et notamment du poumon, a été médiatisé à la suite de la mort de Grégory Lemarchal. Le taux de refus est alors descendu à 27 %. En 2017, nous étions revenus à 30,5 % et cette année nous ignorons si le taux a varié.

Ce taux de 30 % correspond en fait à 30 prélèvements sur 80 personnes. En effet, sur 100 personnes recensées, seules 80 sont prélevables car 20 ne peuvent l'être pour des raisons notamment techniques. Le taux réel n'est donc pas 30 %, mais 30 % divisé par 0,8, donc plutôt 36 %, 37 %, voire 38 %.

Le taux est établi sur la base de normes européennes afin de pouvoir effectuer des comparaisons. Les Espagnols ont un faible taux de refus, entre 15 % et 20 %, car ils ont beaucoup investi sur les équipes.

Si nous souhaitons augmenter le nombre de greffes, il y a deux points principaux à améliorer.

Tout d'abord, la diminution du taux de refus. Il existe plusieurs protocoles : le don du vivant, le don croisé, le don pyramidal en chaîne, le « Maastricht II », le « Maastricht III », mais diminuer le taux de refus libérerait un gros potentiel.

Il faut également développer le don du vivant. En France, nous faisons neuf prélèvements par million d'habitants. Aux Pays-Bas, ils en font trente. On a effectué l'année dernière 611 dons du vivant. L'objectif de l'Agence est de parvenir à un millier et de ramener en passant le taux de refus de 31 % à 25 %. Pour nous, c'est sur ce point que l'on doit insister.

La loi est bien plus connue maintenant qu'il y a quelques anénes. En 2013 et en 2015, nous avions réalisé des enquêtes qui démontraient que la loi n'était connue que par 13 % des Français. Aujourd'hui, avec le travail de l'Agence, elle est connue par plus de 50 % des Français. C'est bien : il faut continuer à favoriser cette connaissance spontanée ou associée de la loi.

Malheureusement, elle n'est pas vraiment appliquée. Sur le terrain, lorsque le drame arrive, les familles se trouvent confrontées à un accident brutal, un AVC par exemple, et se trouvent dans la douleur. Les équipes ne sont pas suffisamment formées pour répondre à cette douleur de la famille. En outre, les coordinatrices de prélèvements sont susceptibles d'être affectées à d'autres services de l'hôpital et, dans certaines équipes, elles sont employées à quart-temps ou à mi-temps. Pour nous, il est impératif que le job de coordinatrice soit valorisé : ces personnes sont en contact avec les familles. Les coordinatrices doivent pouvoir bénéficier d'une formation diplômante, obtenir davantage de reconnaissance et être employées à plein temps. Généralement, elles ont une formation d'infirmière mais pour être en contact et parler avec les familles endeuillées, elles doivent être formées à la psychologie. Une formation de deux années orientée vers la pratique serait adaptée. C'est là-dessus qu'il faudrait insister.

Ensuite, sur le don du vivant, il faut motiver l'hôpital et les équipes de prélèvement. Souvent, l'hôpital ne met pas les moyens adéquats à disposition, comme par exemple des tables d'opération. L'hôpital doit être motivé, appliquer les forfaits hospitaliers aux services de prélèvements – car cela entre parfois dans le pot commun – et éventuellement recruter d'autres personnels.

Outre le fait qu'elles peuvent sauver des vies – l'an dernier, 590 personnes sont décédées faute d'avoir pu recevoir une greffe, sans compter celles qui ont été sorties des listes d'attente – et améliorer la qualité de vie de dizaines de milliers de personnes, les transplantations permettent de réaliser des économies. Par exemple, une dialyse coûte 87 000 euros, une greffe environ 53 000 euros et un suivi de greffe 23 000 euros. Un greffon a une durée de vie d'une quinzaine d'années et le coût de la première année de greffe est identique à celui d'une dialyse. Ainsi, si on diminuait le taux de refus d'un tiers et si on doublait le don du vivant, cela représenterait l'équivalent de 8,5 milliards d'euros économisés sur une période de quatorze ans.

En conclusion, il est important d'accorder plus de valeur à ces équipes de coordination qui ont un travail difficile. Ces équipes doivent être totalement sur le terrain. Elles n'ont pas à aller communiquer à l'extérieur pour, parfois, diffuser des informations inexactes et non conformes à la loi.

Les équipes et l'hôpital doivent être motivés et comprendre que la greffe est intéressante pour l'hôpital.

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Merci pour cet exposé.

Comment expliquez-vous que le taux de refus soit plus élevé en France que dans d'autres pays de l'Union européenne, notamment l'Espagne où il est deux fois moindre ?

Pensez-vous que les modalités des campagnes d'information sur le don d'organes devraient évoluer afin de toucher une cible plus large ? Si oui, de quelle manière ?

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Certes, le taux de refus en France est plus important qu'en Espagne, mais il est plus faible que dans d'autres pays. En France, nous appliquons le droit d'opposition, alors que des pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre ont un registre du oui, donc un taux de greffe par million d'habitants bien plus faible. L'idée du droit d'opposition est donc très bonne, et il faut continuer à faire mieux connaître la loi. En créant la Fondation, nous avons proposé un système à quatre cartes : une que l'on gardait avec soi, trois que l'on confiait à ses proches. À l'époque, l'Agence faisait des campagnes « Pour sauver des vies, il faut l'avoir dit », ce qui est contraire à la loi. Heureusement, depuis l'arrivée de Mme Anne Courrèges et de sa directrice de la communication, les choses ont évolué et désormais l'Agence communique sur le mode « dites à vos proches si vous êtes opposés ou non au don d'organes ».

Toutes les familles qui refusent le prélèvement seraient d'accord pour recevoir. Il faut donc expliquer que si l'on souhaite recevoir, il faut également donner. La probabilité de recevoir est trois fois plus importante que d'avoir à donner puisqu'un donneur peut, en moyenne, offrir 3,3 greffons. Il faut donc continuer les campagnes et mieux former les équipes sur le terrain, dont le rôle n'est pas de convaincre les familles. Elles doivent en revanche pouvoir bénéficier d'une formation en psychologie car on ne peut passer outre la douleur des familles. Le refus de prélèvement lié au contexte représente 37 % des refus, ce qui est beaucoup trop important. Nous avons des exemples, des évaluations et des informations de la part des équipes de coordination, qui rapportent que parfois la famille était d'accord mais qu'elle a refusé car leur proche décédé lui semblait égoïste. On a donné à l'Agence un objectif de 7 800 greffes en 2021, mais il faut qu'elle puisse avoir une action sur les équipes. Or, pour l'instant, il n'existe que des formations d'une semaine, où celles-ci sont en situation, certes, mais il faut beaucoup plus de temps, ainsi qu'une formation psy.

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Vous avez raison de présenter tout cela avec une certaine passion car il est regrettable de voir chaque année plus de personnes mourir, non pas de défaillance du traitement, mais de l'absence d'organe disponible pour traiter leur maladie. Les chiffres que vous rapportez montrent que, chaque année, il y a beaucoup plus de malades inscrits sur liste d'attente que de malades greffés, et la probabilité d'être greffé est de plus en plus faible. Aujourd'hui, nous avons 23 800 malades en attente pour 6 000 greffes, et 590 personnes qui meurent faute d'avoir été greffées, sans compter celles qui ont été retirées des listes car elles ne sont plus opérables à force d'avoir attendu. Cela devrait être rappelé plus régulièrement.

Lorsque l'on entend parler d'accompagnement du deuil, de respect de la personne défunte et de sa famille, principes auxquels je souscris tout à fait, je trouve regrettable que l'on oublie du parler du drame des vivants qui meurent faute de traitement. Ne devrions-nous pas demander qu'à chaque fois que l'on évoque le « drame » du donneur – qui n'en est pas toujours un, car certaines familles sont heureuses de savoir que les organes de leur proche vivent encore, et la transplantation rend alors la mort moins absurde, notamment après un accident –, on évoque aussi le drame des vivants ? Je trouve tout cela d'autant plus curieux que tout converge : l'intérêt des malades – car leur qualité de vie est bien meilleure après transplantation que sous dialyse ou avec d'autres moyens supplétifs – et l'intérêt des finances publiques, grâce à des économies considérables. Cela signifie que nous ne sommes pas efficaces. Si nous voulons atteindre l'objectif de 7 800 greffes en 2021, inscrit dans le troisième plan « Greffes », nous devons prendre des mesures constitutives d'une mini-révolution de notre schéma sanitaire. Cet objectif était considéré raisonnable lors de sa définition. Or, si l'année dernière il y a eu un progrès, avec 6 105 greffes, cette année ce sont moins de 6 000 greffes qui seront réalisées. Dans ces conditions, l'objectif de 7 800 ne sera jamais atteint, et les associations de malades interpelleront à bon droit l'État pour connaître les raisons de ce non-respect des objectifs. Quand on analyse les différents éléments comme vous l'avez fait, on constate qu'il n'y a pas de cause unique, mais plusieurs facteurs, ainsi qu'une série d'insuffisances qui devraient toutes être corrigées.

J'ai donc quelques questions à vous poser.

On voit qu'il existe de fortes disparités régionales. Une mission « flash » de la commission des affaires sociales a mis en évidence que le pourcentage d'oppositions au prélèvement variait du simple au double selon les régions. Cela suggère qu'il existe des endroits où les professionnels sont plus motivés, mieux organisés, plus efficaces, et d'autres où ils le sont moins. Êtes-vous d'accord pour dire que l'Agence de la biomédecine devrait aller sur place, dans les régions, pour constater les faits comme je l'ai fait ?

La loi est complète mais c'est son application qui pèche – comme souvent en France.

Par exemple, dans certains endroits il n'y a pas d'astreinte et les prélèvements ne sont faits que si la personne décède entre huit heures et vingt heures, du lundi au samedi. Il faut organiser des gardes dans toutes les grandes villes universitaires. Il faut que les directeurs d'hôpitaux et d'agences régionales de santé (ARS) soient motivés. Si l'on évaluait chaque année les directeurs d'hôpitaux sur le nombre de transplantations effectuées, ce nombre augmenterait miraculeusement car ils sont tous – et c'est humain – volontaires pour une promotion. Mais j'ignore si nous avons les moyens de faire évoluer cela et quels sont les freins.

Ensuite, dans certains endroits, les responsables des prélèvements – les coordinatrices, infirmières valeureuses chapeautées souvent par un médecin – ont laissé dériver leur métier. Elles disent être là pour accompagner le deuil des familles. Or, ce n'est pas leur fonction. Il faut un psychologue du deuil. C'est une autre spécialité. En revanche, il faut que quelqu'un s'occupe de faire le prélèvement. Si les personnes font autre chose que ce pour quoi elles sont recrutées et payées, le nombre de transplantations ne pourra pas progresser.

Je le répète : il n'est pas question d'entraver les volontés des familles. Mais, depuis quarante ans, je constate que les familles s'interrogent sur les modalités de la loi et s'inclinent devant elle. Par exemple, lorsque le magistrat ordonne une autopsie médico légale, les familles ne s'y opposent pas. Et l'autopsie, ce n'est pas le prélèvement d'un organe, c'est le prélèvement de tous les organes ! On reste au milieu du gué. Or, les familles seraient soulagées de ne pas à avoir à prendre de décision difficile lorsqu'elles perdent un proche.

Les reportages diffusés aux heures de très grande écoute, comme par exemple sur LCP la semaine dernière, laissent penser que c'est à la famille de décider. Or, elle est uniquement consultée pour savoir si le défunt a exprimé de son vivant son opposition au prélèvement.

D'autres pays demandent un consentement explicite ou un consentement complet de la famille. Ces pays-là font tous moins de prélèvements et moins de greffes. D'autres pays, comme la France depuis la loi Caillavet de 1976, pratiquent le consentement présumé.

Certains pays, qui étaient dans le premier registre et qui ont ensuite adopté une loi en faveur du consentement présumé, comme cela a récemment été le cas au Pays de Galles, ont constaté un accroissement de leur taux de prélèvements.

Notre loi est bonne et nous ne devons pas en changer. N'écoutons pas Mme Agacinski qui veut arrêter les transplantations en mettant fin au consentement présumé.

Pourquoi ne sommes-nous pas leader dans le domaine des prélèvements alors que, médicalement parlant, nous sommes parmi les meilleurs ? Pourquoi l'Espagne fait-elle beaucoup mieux que nous ? Je sais qu'il existe dans ce pays une motivation des équipes qui n'existe pas chez nous. Mais si l'on parvenait à faire en sorte que les endroits qui travaillent bien, qui acceptent de ne pas différer les prélèvements lorsque le décès survient la nuit ou le dimanche et qui font tout dans les meilleures conditions, recevaient des ressources supplémentaires, cela pourrait représenter une incitation.

Voyez-vous d'autres suggestions pour sortir de cette léthargie inquiétante ? Car en 2021, les objectifs ne seront pas atteints et les associations nous rappelleront que les engagements pris n'ont pas été tenus.

Certains diront qu'il faut attendre cinquante ans et que tous les organes pourront être fabriqués à partir de cellules souches, mais cela signifie que, pendant ce temps, tous les malades n'auront pas été traités.

Enfin, dans le contexte du recours au donneur vivant – notamment pour la transplantation rénale lorsque l'on ne trouve pas de bonne compatibilité entre le malade et le membre de la famille volontaire –, que pensez-vous de la possibilité d'utiliser non plus exclusivement les dons croisés où deux familles échangent entre elles, mais aussi ces chaînes de donneurs où s'inscrivent en même temps des familles offrant un donneur potentiel et proposent en même temps un malade qui souhaite recevoir un organe de donneur vivant ?

J'ajoute que ces transplantations effectuées avec des organes de donneurs vivants, même lorsque la compatibilité est imparfaite, obtiennent de meilleurs résultats que les transplantations réalisées avec des organes de cadavres présentant une compatibilité supérieure, car les caractéristiques physiologiques des organes vivants sont meilleures. Faut-il au regard, de la pénurie actuelle, encourager le don du vivant ?

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Oui, on doit développer le don du vivant.

Il faudrait donner plus de moyens à l'Agence, car on ne peut lui fixer un objectif de 7 800 greffes sans qu'elle dispose d'un pouvoir sur les équipes de terrain et sur l'hôpital.

Il faut mieux former les équipes de coordination, en proposant une formation diplômante de deux ans.

La moitié des familles qui refusent le prélèvement le regrettent ensuite. La question leur est posée à un moment douloureux, et elles répondent alors négativement. Il faut donc faire respecter la fraternité en rappelant que la liberté de refuser peut s'exercer confidentiellement en s'inscrivant sur le registre de refus, et que cette action ne retire aucun avantage.

On ne peut accepter que des coordinations s'expriment dans les médias pour dire : « si la famille s'oppose, on ne prélève pas ». À quoi bon, dans ces conditions, faire dépenser des millions d'euros à l'Agence de la biomédecine ?

On entend répéter partout que le consentement est présumé. Or, la loi précise qu'il s'agit d'un droit d'opposition. Il y a là plus qu'une nuance. Les termes utilisés dans la loi sont « anonymat », « gratuité » et « droit d'opposition ». Chacun est donc donneur potentiel.

On peut faire des dons croisés et des dons en chaîne, mais c'est compliqué et le don du vivant « normal » a un vrai potentiel. Il faudrait envisager une campagne nationale comme cela est fait pour le don entre frères. Il faudrait aussi le faire pour le don entre amis, car il est autorisé si l'on justifie d'un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans.

À l'intérieur de l'hôpital, des actions plus « marketing » doivent être développées : dès lors que l'on atteint une clairance de 25 ou de 20, les néphrologues devraient pouvoir diffuser le plus tôt possible des documents aux futurs dialysés ou aux personnes en insuffisance rénale afin qu'ils transmettent le plus rapidement possible cette information à leurs proches. Il faut agir vite afin que les gens s'habituent à l'idée et prennent conscience que l'on peut aider un proche à éviter la dialyse.

En diminuant d'un tiers le taux de refus et en doublant le don du vivant, on pourrait atteindre les objectifs fixés. Nous avons actuellement 1 035refus. Si l'on diminuait ce nombre d'un tiers, cela ferait 345 refus de moins. Étant donné qu'on fait 1,7 greffe de rein par prélèvement, on attendrait en 2021 l'objectif de 7 800 avec 600 dons du vivant supplémentaires.

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Vous avez évoqué le fait que l'on peut donner de son vivant. Quels sont les organes que l'on peut donner de son vivant, hormis le sang et un rein ?

Si l'on exclut les réticences de la famille, quelles sont les barrières à faire tomber pour augmenter le don d'organes de la personne vivante ? Ce qui nous semble une évidence ne l'est pas pour tous.

Par ailleurs, vous avez dit qu'il ne s'agissait pas d'un consentement présumé, mais d'un droit d'opposition. Dès lors, qu'est ce qui pose problème ? Ne pourrait-on considérer que la famille est présumée consentante et que seul un refus explicitement exprimé permettrait de s'opposer au prélèvement ?

Enfin, avez-vous des éléments quant à l'avenir des xénogreffes – c'est-à-dire des greffes pratiquées avec des greffons provenant d'autres espèces – et de tout ce qui concerne les nouvelles technologies liées à l'intelligence artificielle pour pallier, à terme, l'insuffisance de dons humains ?

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Pour la dernière question, il faut laisser les chercheurs avancer pendant une dizaine d'années encore…

On peut donner une partie de son foie, car il s'agit d'un organe qui se régénère. Il est très facile de le donner à un enfant. Il y a eu un problème en 2008 et nous avons ensuite été réticents, mais le développement a repris car les techniques se sont améliorées.

La loi n'est pas connue par 100 % des Français. Il faudrait qu'elle le soit autant que la formule « Il faut manger cinq fruits et légumes par jour »… La connaissance de la loi a progressé avec la nouvelle équipe à la tête de l'Agence, et désormais plus de 50 % de Français connaissent la loi. Lorsqu'ils la connaîtront tous, il sera plus simple d'expliquer aux familles que si la personne décédée s'était opposée au prélèvement, elle se serait inscrite sur le registre des refus. Malheureusement, celui-ci ne comporte que 300 000 noms : c'est insuffisant. Plus il sera complet, plus il sera démontré que les gens connaissent la loi.

Les réticences au prélèvement sont majoritairement liées aux extrémismes religieux et à la confusion entre la mort encéphalique et le coma, qui fait redouter un acte de prélèvement avant la mort.

En outre, on pose aux familles la question du prélèvement à un moment trop difficile, et elles regrettent ensuite d'avoir refusé. Il faut donc en avoir parlé avant et continuer de communiquer.

L'association Grégory Lemarchal a réalisé des tests dans les écoles de sa région et a interrogé 400 élèves de seconde, première et terminale. Les résultats sont bons, et l'intervention auprès de ces élèves est un investissement d'autant meilleur pour les trois prochaines générations, c'est-à-dire entre 18 et 80 ans, que ces jeunes en parlent avec leur famille. Il faudrait agir avec l'Éducation nationale et intégrer la question du prélèvement dans les cours d'éducation civique.

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Cédric Emile, chargé de communication de la Fondation Greffe de Vie

Le taux de refus nous permet de dire qu'il y a un problème avec les équipes de coordination. Selon les enquêtes, 15 % et 20 % de personnes sont censées refuser. Sur le terrain, on observe un taux de refus de 37,8 %. Comment expliquer cet écart ? Le problème se situe au niveau des équipes de coordination : les coordinatrices reçoivent une brève formation d'une semaine, organisée par l'Agence de la biomédecine, où elles font, je crois, trois entretiens accompagnés, avant de se trouver directement confrontées aux familles. Ensuite, sur le terrain, elles sont peu encadrées car elles dépendent de l'hôpital et non de l'Agence.

D'autre part, le nombre de personnes en état de mort encéphalique a diminué ces dernières années. On soigne mieux les AVC et il y a moins d'accidents de voiture. Or, on envoie sur le terrain, pour traiter des « produits rares » – pardonnez-moi cette expression –, des personnes qui manquent de formation. C'est donc compliqué. De plus, bien souvent, les coordinatrices ne font de la coordination que la moitié du temps. Lors de l'épidémie de grippe, par exemple, elles ont été employées à soigner les patients. Dans certaines équipes, le temps passé à la coordination peut même n'être que de 20 %, voire de 10 %. Et comme les coordinatrices ne sont ni encadrées, ni formées, ni soutenues, ni mises en valeur, le turnover est très élevé. Une infirmière de coordination exerce trois ou quatre ans, puis, dès qu'elle commence à être qualifiée, elle prend d'autres fonctions. C'est l'un des facteurs qui peuvent expliquer ces taux de refus ne reflétant pas les intentions réelles des personnes.

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Le refus serait, semble-t-il, le problème majeur. Y en a-t-il d'autres qui soient liés à la bioéthique ?

Vous avez parlé de fraternité, d'égalité, mais je souhaiterais revenir sur la notion de liberté. Pourquoi la famille est-elle toujours consultée ? Nul n'est censé ignorer la loi, nul n'est donc censé ignorer le don. Ne serait-il pas plus simple d'écrire dans la loi qu'une personne qui s'oppose au don ne sera pas prélevée et que les autres seront des donneurs potentiels si leurs organes sont susceptibles d'être prélevés ? Le refus familial évoqué par notre rapporteur me semble différent du refus personnel exprimé du vivant de la personne. Pensez-vous qu'il serait possible de dire : les personnes qui n'ont pas refusé seront prélevées ?

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

C'était ce qui était prévu au départ dans l'amendement. Vous avez voté, en commission des affaires sociales, la seule mention du refus personnel. Puis il y a eu une levée de bouclier des équipes sur le terrain, qui ont dit que leur métier n'allait plus être intéressant, qui ont menacé de faire grève, si bien que des discussions ont été engagées avec le ministère, monsieur Touraine étant en première ligne, et qu'on a élargi un peu le dispositif.

Il ne s'agit pas de la famille, mais des « proches », sans que ceux-ci soient définis. Parfois, il y a un père génétique et un autre qui a élevé l'enfant. Qui décide, dans ce cas ? Alors que, lorsqu'on interroge les gens, ils expriment un taux de refus compris entre 15 % et 20 %, pourquoi le taux constaté est-il double ? Parce que plus on met de gens autour du défunt, plus la probabilité que l'un d'eux s'oppose est grande. Et dès lors qu'une personne s'oppose, la coordination ne prend aucun risque. On doit expliquer aux Français qu'il faut des donneurs pour qu'il y ait des receveurs, et que si leurs proches avaient besoin de cette greffe, ils seraient tous d'accord pour en bénéficier. Mais c'est un moment douloureux et il faut l'anticiper, continuer de communiquer, mieux faire connaître la loi, en attendant de trouver d'autres solutions.

Par ailleurs, il y a environ 5 % de prélèvements qui ne se font pas pour des raisons légales, ou médicales, ou parce qu'il existe des incidents lors du prélèvement. De même, les Espagnols ont un meilleur taux de prélèvement que nous, mais ne conservent pas le même ratio à l'étape de la greffe. Ils prélèvent plus que nous, mais ne greffent pas beaucoup plus que nous.

Le problème est que la notion de « proche » n'est pas définie et que plus il y a de gens autour de la table, plus le risque d'avoir un refus est élevé. Il devrait pourtant être naturel de dire : « je suis d'accord pour recevoir et je suis d'accord pour donner ». Il faut investir sur les enfants, sur les jeunes, et améliorer la qualité de la formation sur le terrain. Je viens du monde de l'entreprise, et je sais que l'on doit former les équipes avant de les envoyer sur le terrain. Là, il ne s'agit pas de produits mais de vies que l'on peut sauver : c'est plus important. Il faut valoriser ces équipes, avec un diplôme reconnu et avec un titre. On ne peut se satisfaire de coordinatrices que l'on déplace à droite ou à gauche.

Pour le don du vivant, il faut communiquer au niveau national en précisant que l'on peut donner à la fois à ses proches et à un ami. À l'hôpital, le néphrologue doit pouvoir distribuer des documents pour trouver un greffon le plus rapidement possible dans les régions où le taux de refus est important.

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Cédric Emile, chargé de communication de la Fondation Greffe de Vie

Pour finir sur une note plus personnelle, ma nièce, qui est infirmière, a fait un AVC hémorragique en janvier. Elle a été hospitalisée à l'hôpital de Bicêtre, son pronostic vital a été engagé et j'ai vu l'infirmière de coordination. Ma nièce était en faveur du don et notre famille également. Mais, pour ma soeur et mon beau-frère, ce n'était pas évident, et si on leur avait demandé leur consentement, cela aurait été très compliqué alors que ma nièce, infirmière, était donneuse.

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

C'est sur le moment que c'est difficile. Il faut expliquer que la solidarité est basée sur le donneur. Pour recevoir, il faut donner. La probabilité de recevoir est plus importante que celle de donner.

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Jean-Louis Touraine a parlé d'aide à la décision. Pourrait-on adopter une loi qui oblige, ou au moins favorise, le don en précisant que le prélèvement sera effectué sauf si on a formalisé son refus ? Cela pourrait représenter une aide à la décision, car ces moments de deuil sont chargés d'émotions difficilement évaluables avant d'y être confronté. Ne serait-il pas plus simple pour les familles de pouvoir se raccrocher à une loi ?

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Mais c'était ce qui était proposé dans l'amendement ! Ici même, vous avez voté, à la quasi-unanimité, un texte qui prévoyait seulement un registre des refus. Cela signifiait que si vous êtes opposé au prélèvement, vous vous inscrivez sur le registre du refus. Nous avions également envisagé l'éventualité d'une inscription de l'opposition au prélèvement sur la carte d'identité. Vous avez voté cette loi. C'est après, à la suite d'une levée de boucliers des équipes, qui pensaient que leur métier n'existerait plus, que l'on a ajouté au registre des refus le refus écrit ou verbal du défunt.

L'amendement est bien clair : on peut s'opposer au prélèvement principalement par une inscription au registre du refus ou par un écrit laissé à un proche. On a ensuite ajouté : « cependant, un proche peut faire valoir le refus verbal qu'aurait effectué le défunt de son vivant ». Dans ce cas, le proche doit écrire précisément comment se sont déroulés les faits et signer. Aujourd'hui, 1,3 % des refus résultent d'une inscription dans le registre. Nous souhaitons parvenir à une situation où nous n'aurions pas à demander aux familles leur accord, mais seulement si elles ont connaissance d'un écrit ou d'une inscription dans le registre du refus. C'est encore un peu tôt. Aujourd'hui, les enquêtes réalisées ne nous permettent pas de distinguer le refus écrit par le proche du refus écrit par la coordination. On a également ajouté la notion du contexte lié à la douleur de la famille.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En effet, si l'on s'en tient au texte de la loi et au décret d'application, seule l'expression explicite du refus par la personne concernée peut empêcher le prélèvement. Si l'on appliquait la loi, il n'y aurait plus que la moitié des oppositions actuelles, car il y a peu d'inscrits sur le registre.

La loi et le décret d'application indiquent que le non-prélèvement doit survenir principalement du fait d'une inscription sur le registre, lequel est d'accès très facile par informatique, par écrit ou par téléphone. Ceux qui ne s'y inscrivent pas ne sont pas motivés pour s'y opposer. Malheureusement, beaucoup de gens, même les professionnels, n'appliquent pas la loi et sont donc hors la loi. Il faut parvenir à les convaincre car, chaque année, entre 1 000 et 2 000 personnes ne peuvent pas être greffées à cause de cela.

Certains pays utilisent des méthodes plus contraignantes. En Angleterre, si une personne refuse de donner, on considère qu'elle n'est pas solidaire. Elle n'est donc pas prioritaire au cas où elle aurait besoin d'une greffe. En France, l'inscription au registre des refus est secrète. Une personne qui refuse d'être prélevée a autant de chance que celle qui l'accepte de bénéficier d'une transplantation. Tout est fait pour faciliter l'expression du refus. Je ne comprends donc pas pourquoi la loi n'est pas respectée.

Il y a des pays, comme la Belgique, qui proposent simultanément des registres de refus et d'acceptation. L'expérience prouve qu'il n'y a pas plus de gens qui s'inscrivent dans l'un que dans l'autre, soit 2 % d'inscrits sur chaque registre. Il s'ensuit que 96 % de la population ne figure sur aucun des deux et qu'on ne sait pas quoi faire.

Il n'y a pas d'autre solution que de faire appliquer les règles édictées, et qu'une absence d'objection vaut autorisation.

En 1976, Henri Caillavet avait employé une très jolie formule : « Cette loi postule la solidarité entre les humains ». Ce postulat de fraternité est préférable à un postulat d'égoïsme ! Dire « je veux conserver mes organes », c'est un postulat d'égoïsme étonnant. Nous sommes actuellement au milieu du gué.

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Jean-Pierre Scotti, président de la Fondation Greffe de Vie

Il existe en outre un fort enjeu financier. On peut réaliser des économies et le retour sur investissement est immédiat. Le coût de la greffe est le même que celui de la dialyse, mais, dès l'année suivante, le suivi de la greffe coûte trois à quatre fois moins cher.

Nous avons créé le groupe « Greffes + », qui fédère toutes les associations représentant le coeur, les reins, le foie, le poumon et nous serons vigilants sur les résultats. Nous ne comprendrions pas que l'objectif de 7 800 ne soit pas atteint. Le potentiel est là. On ne peut pas conserver un taux de refus de 40 % alors qu'on parle de fraternité.

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Une remarque pour conclure : pour les enfants, si une autorisation de soin n'est pas accordée, le procureur peut être saisi. Cela signifie qu'il est possible, pour un problème médical et sanitaire, de lever les freins en faisant appliquer la loi.

L'audition s'achève à dix-huit heures quarante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 17 h 35

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine

Excusée. – Mme Bérengère Poletti