Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 17h35
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Vous avez raison de présenter tout cela avec une certaine passion car il est regrettable de voir chaque année plus de personnes mourir, non pas de défaillance du traitement, mais de l'absence d'organe disponible pour traiter leur maladie. Les chiffres que vous rapportez montrent que, chaque année, il y a beaucoup plus de malades inscrits sur liste d'attente que de malades greffés, et la probabilité d'être greffé est de plus en plus faible. Aujourd'hui, nous avons 23 800 malades en attente pour 6 000 greffes, et 590 personnes qui meurent faute d'avoir été greffées, sans compter celles qui ont été retirées des listes car elles ne sont plus opérables à force d'avoir attendu. Cela devrait être rappelé plus régulièrement.

Lorsque l'on entend parler d'accompagnement du deuil, de respect de la personne défunte et de sa famille, principes auxquels je souscris tout à fait, je trouve regrettable que l'on oublie du parler du drame des vivants qui meurent faute de traitement. Ne devrions-nous pas demander qu'à chaque fois que l'on évoque le « drame » du donneur – qui n'en est pas toujours un, car certaines familles sont heureuses de savoir que les organes de leur proche vivent encore, et la transplantation rend alors la mort moins absurde, notamment après un accident –, on évoque aussi le drame des vivants ? Je trouve tout cela d'autant plus curieux que tout converge : l'intérêt des malades – car leur qualité de vie est bien meilleure après transplantation que sous dialyse ou avec d'autres moyens supplétifs – et l'intérêt des finances publiques, grâce à des économies considérables. Cela signifie que nous ne sommes pas efficaces. Si nous voulons atteindre l'objectif de 7 800 greffes en 2021, inscrit dans le troisième plan « Greffes », nous devons prendre des mesures constitutives d'une mini-révolution de notre schéma sanitaire. Cet objectif était considéré raisonnable lors de sa définition. Or, si l'année dernière il y a eu un progrès, avec 6 105 greffes, cette année ce sont moins de 6 000 greffes qui seront réalisées. Dans ces conditions, l'objectif de 7 800 ne sera jamais atteint, et les associations de malades interpelleront à bon droit l'État pour connaître les raisons de ce non-respect des objectifs. Quand on analyse les différents éléments comme vous l'avez fait, on constate qu'il n'y a pas de cause unique, mais plusieurs facteurs, ainsi qu'une série d'insuffisances qui devraient toutes être corrigées.

J'ai donc quelques questions à vous poser.

On voit qu'il existe de fortes disparités régionales. Une mission « flash » de la commission des affaires sociales a mis en évidence que le pourcentage d'oppositions au prélèvement variait du simple au double selon les régions. Cela suggère qu'il existe des endroits où les professionnels sont plus motivés, mieux organisés, plus efficaces, et d'autres où ils le sont moins. Êtes-vous d'accord pour dire que l'Agence de la biomédecine devrait aller sur place, dans les régions, pour constater les faits comme je l'ai fait ?

La loi est complète mais c'est son application qui pèche – comme souvent en France.

Par exemple, dans certains endroits il n'y a pas d'astreinte et les prélèvements ne sont faits que si la personne décède entre huit heures et vingt heures, du lundi au samedi. Il faut organiser des gardes dans toutes les grandes villes universitaires. Il faut que les directeurs d'hôpitaux et d'agences régionales de santé (ARS) soient motivés. Si l'on évaluait chaque année les directeurs d'hôpitaux sur le nombre de transplantations effectuées, ce nombre augmenterait miraculeusement car ils sont tous – et c'est humain – volontaires pour une promotion. Mais j'ignore si nous avons les moyens de faire évoluer cela et quels sont les freins.

Ensuite, dans certains endroits, les responsables des prélèvements – les coordinatrices, infirmières valeureuses chapeautées souvent par un médecin – ont laissé dériver leur métier. Elles disent être là pour accompagner le deuil des familles. Or, ce n'est pas leur fonction. Il faut un psychologue du deuil. C'est une autre spécialité. En revanche, il faut que quelqu'un s'occupe de faire le prélèvement. Si les personnes font autre chose que ce pour quoi elles sont recrutées et payées, le nombre de transplantations ne pourra pas progresser.

Je le répète : il n'est pas question d'entraver les volontés des familles. Mais, depuis quarante ans, je constate que les familles s'interrogent sur les modalités de la loi et s'inclinent devant elle. Par exemple, lorsque le magistrat ordonne une autopsie médico légale, les familles ne s'y opposent pas. Et l'autopsie, ce n'est pas le prélèvement d'un organe, c'est le prélèvement de tous les organes ! On reste au milieu du gué. Or, les familles seraient soulagées de ne pas à avoir à prendre de décision difficile lorsqu'elles perdent un proche.

Les reportages diffusés aux heures de très grande écoute, comme par exemple sur LCP la semaine dernière, laissent penser que c'est à la famille de décider. Or, elle est uniquement consultée pour savoir si le défunt a exprimé de son vivant son opposition au prélèvement.

D'autres pays demandent un consentement explicite ou un consentement complet de la famille. Ces pays-là font tous moins de prélèvements et moins de greffes. D'autres pays, comme la France depuis la loi Caillavet de 1976, pratiquent le consentement présumé.

Certains pays, qui étaient dans le premier registre et qui ont ensuite adopté une loi en faveur du consentement présumé, comme cela a récemment été le cas au Pays de Galles, ont constaté un accroissement de leur taux de prélèvements.

Notre loi est bonne et nous ne devons pas en changer. N'écoutons pas Mme Agacinski qui veut arrêter les transplantations en mettant fin au consentement présumé.

Pourquoi ne sommes-nous pas leader dans le domaine des prélèvements alors que, médicalement parlant, nous sommes parmi les meilleurs ? Pourquoi l'Espagne fait-elle beaucoup mieux que nous ? Je sais qu'il existe dans ce pays une motivation des équipes qui n'existe pas chez nous. Mais si l'on parvenait à faire en sorte que les endroits qui travaillent bien, qui acceptent de ne pas différer les prélèvements lorsque le décès survient la nuit ou le dimanche et qui font tout dans les meilleures conditions, recevaient des ressources supplémentaires, cela pourrait représenter une incitation.

Voyez-vous d'autres suggestions pour sortir de cette léthargie inquiétante ? Car en 2021, les objectifs ne seront pas atteints et les associations nous rappelleront que les engagements pris n'ont pas été tenus.

Certains diront qu'il faut attendre cinquante ans et que tous les organes pourront être fabriqués à partir de cellules souches, mais cela signifie que, pendant ce temps, tous les malades n'auront pas été traités.

Enfin, dans le contexte du recours au donneur vivant – notamment pour la transplantation rénale lorsque l'on ne trouve pas de bonne compatibilité entre le malade et le membre de la famille volontaire –, que pensez-vous de la possibilité d'utiliser non plus exclusivement les dons croisés où deux familles échangent entre elles, mais aussi ces chaînes de donneurs où s'inscrivent en même temps des familles offrant un donneur potentiel et proposent en même temps un malade qui souhaite recevoir un organe de donneur vivant ?

J'ajoute que ces transplantations effectuées avec des organes de donneurs vivants, même lorsque la compatibilité est imparfaite, obtiennent de meilleurs résultats que les transplantations réalisées avec des organes de cadavres présentant une compatibilité supérieure, car les caractéristiques physiologiques des organes vivants sont meilleures. Faut-il au regard, de la pénurie actuelle, encourager le don du vivant ?

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