Mesdames, Messieurs les députés, c'est à nouveau avec grand plaisir que je m'exprime devant la commission des affaires économiques pour vous présenter cette fois l'ambition que nous souhaitons défendre pour la pêche française dont je me réjouis qu'elle ait rejoint le champ des compétences du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, dans la mesure où il s'agit d'une filière tout à la fois économiquement dynamique et stratégique pour l'aménagement du territoire.
La pêche et l'aquaculture contribuent activement à l'économie de nos territoires et s'inscrivent parfaitement dans les objectifs que j'ai assignés à mon ministère, notamment la recherche de la « multiperformance » de nos secteurs d'activité, c'est-à-dire la performance économique, environnementale, sanitaire et sociale.
La filière pêche aquaculture conchyliculture est associée aux États généraux de l'alimentation. Elle doit y contribuer, mais aussi en bénéficier.
La filière pêche et aquaculture connaît aujourd'hui une conjoncture favorable. Ce n'est cependant pas une raison pour se laisser bercer passivement par une douce illusion. Au contraire, il nous faut profiter de cette situation pour anticiper dès à présent les évolutions et préparer le futur. Je considère que l'avenir passe par la réponse à trois enjeux clés : une Europe forte, la compétitivité de la filière et une politique maritime qui concilie les usages.
Premier enjeu stratégique de la filière, l'Europe, l'espace de croissance et de développement et la protection qu'elle apporte. Il nous faut en effet construire une Europe qui protège ses citoyens, qui sachent donc protéger le travail des pêcheurs, la diversité des modèles de pêche et le développement des littoraux. Cette Europe qui protège est un axe fort de la politique du Président de la République : il l'a d'ailleurs exprimé très clairement lors du discours sur l'Europe qu'il a prononcé hier, posant tout à la fois un diagnostic et une méthode qui guidera l'action du Gouvernement dans les prochains mois.
Les acquis européens apportés par la politique commune de la pêche (PCP) sont nombreux : l'accès aux eaux européennes, la préservation ou le rétablissement des stocks et l'harmonisation des règles applicables à tous les pêcheurs européens. Aussi avons-nous tous en tête les menaces que fait planer sur ce secteur le Brexit, soulignant ainsi en creux tous les avantages qui découlent de cette politique européenne.
Aujourd'hui, cela fait quatre mois que les discussions sont officiellement engagées entre le Royaume-Uni et l'Union européenne représentée par M. Michel Barnier et son équipe. Cela fait quatre mois que l'Europe défend son modèle sur des questions prioritaires que constituent la préservation de l'intégrité du marché unique, la défense des acquis et droits de ses citoyens ou encore le maintien de la paix que nous avons encore trop tendance à oublier dans une zone aussi délicate, par exemple, que la frontière entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. Cependant, je mesure parfaitement l'anxiété que représente le Brexit pour nos pêcheurs, compte tenu des incertitudes nombreuses que fait peser cette négociation tout à la fois difficile et compliquée. Je sais que les Britanniques insistent beaucoup sur les avantages qu'ils pensent en tirer ; dans ce contexte, il est fondamental de prendre de la hauteur, de rappeler que la négociation sera globale et d'éviter que la pêche ne soit considérée comme l'une des variables d'ajustement. Je réaffirme aujourd'hui ma totale mobilisation pour anticiper au mieux des négociations qui, ne nous le cachons pas, s'annoncent très complexes.
Deuxième enjeu : la compétitivité de la filière. Pour moi, la compétitivité est d'abord un état d'esprit, celui de la libération de l'énergie d'entreprendre. Le patron pêcheur, le conchyliculteur ou le chef d'entreprise qui possède un armement en sont d'excellentes images.
La compétitivité c'est aussi pleinement l'exercice de responsabilités : je vois déjà une claire illustration de cet esprit de responsabilité de la filière dans les réflexions et les travaux engagés en matière de gestion de la ressource en prévision du conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne du mois de décembre prochain. J'ai à l'esprit les règles de gestion que la filière a proposées pour le stock communautaire de la sole en Manche Est, qui vise à assurer la durabilité, l'amélioration de la situation du stock plutôt que la maximisation d'un bénéfice immédiat mais peut-être précaire. Je sais quels ont été les efforts des pêcheurs : on leur a demandé beaucoup durant ces dernières années au titre de la PCP sur le rendement maximum durable et la gestion de la ressource. Mais parce qu'ils ont réussi à préserver cette ressource, parce qu'ils ont eu cette gestion responsable et raisonnée, nous pouvons dire aujourd'hui que nous avons retrouvé de la ressource et du coup restauré le dynamisme de ce secteur.
Cet esprit de responsabilité se retrouve encore dans les règles techniques et le dispositif d'évaluation mis en oeuvre à l'initiative de la profession sur la langoustine du golfe de Gascogne : non seulement la profession s'est impliquée activement dans la définition et le financement d'un dispositif nouveau et reconnu du stock, mais aussi dans la définition et le financement de la généralisation du dispositif de protection et des rejets des juvéniles de langoustines dans les meilleures conditions.
Ces exemples mettent en évidence le souci de pérenniser l'équilibre, de donner de la visibilité et de stabiliser ainsi l'horizon de production des armements. J'ai fait part au commissaire européen à l'environnement, aux affaires maritimes et à la pêche, M. Karmenu Vella, lundi dernier à Bruxelles, de ma préoccupation concernant la façon de gérer les stocks sensibles, par exemple celui de l'anguille. Je lui ai expliqué que les annonces brutales, sans préavis et sans concertation préalable n'étaient pas une bonne méthode, car elle va à rebours des principes de la nouvelle PCP, de la responsabilisation régionale, de la concertation en amont des instances professionnelles ainsi que des États membres. Elle ne peut que décourager tous les efforts d'organisation et de gestion engagés par la profession avec de nombreux partenaires – les agences de l'eau, les hydro-électriciens, les pêcheurs fluviaux, l'Agence française pour la biodiversité, etc. – et qui portent leurs fruits.
Comme l'a rappelé le Président de la République, la politique européenne que nous avons voulue et que je souhaite défendre doit être protectrice, elle doit reconnaître et encourager les efforts. En effet, il est profondément artificiel d'opposer aujourd'hui la pêche professionnelle ou les activités aquacoles à la gestion des écosystèmes et des ressources marines. La nouvelle PCP a consacré l'implication active de la pêche professionnelle dans la gestion de la ressource halieutique et des milieux dont elle dépend. C'est donc sur la base de ce constat et de ces objectifs partagés que je souhaite que les organisations non gouvernementales (ONG) et les structures professionnelles puissent retisser de meilleures relations sur la base d'engagements réalistes mais aussi concrets.
Le renouvellement de la flottille est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. La question de la compétitivité dans le secteur de la pêche ne se limite pas au seul renouvellement de la flotte, même s'il s'agit, j'en conviens, d'une question essentielle. Le cadre juridique européen, vous le savez, est devenu très contraignant puisqu'il interdit tout soutien public. Mais cela n'empêche pas un dynamisme certain, dont on peut se féliciter avec des mises en chantier et des lancements de bateaux neufs, comme cela a été le cas dernièrement à Boulogne-sur-Mer ou encore à Cherbourg, cas que je connais bien. Nous attendions depuis 1994 un chalutier neuf sur le port de Cherbourg. 1994-2017 : que de temps il nous a fallu pour récupérer un armement neuf sur ce port où transitent énormément de bateaux ! Mais cela ne saurait masquer le décalage entre les besoins très importants de capitaux qu'exige le renouvellement d'une flottille vieillissante, et la difficulté des professionnels d'y accéder. Le montant de l'investissement rend souvent inaccessible l'achat d'un navire neuf pour la majorité des entreprises, notamment pour la petite pêche artisanale. Le problème de la capitalisation des armements de pêche doit être traité en associant l'ensemble des acteurs concernés. Je sais que certaines régions ont mis en place des cadres juridiques pour pouvoir avancer et travailler sur le renouvellement des flottilles, ce qui va plutôt dans le bon sens.
Cela passe aussi par l'amélioration de l'attractivité du secteur pour les capitaux privés et l'accroissement des capacités de mutualisation de capitaux. La loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue qui ouvre le capital des sociétés de pêche artisanale est un premier pas dans ce sens pour parvenir à ce renouvellement.
La question du renouvellement de la flottille prend une dimension particulière dans les régions d'outre-mer, à travers la demande des acteurs locaux d'avoir à nouveau accès aux aides publiques. J'ai évidemment aujourd'hui une pensée pour l'ensemble des pêcheurs antillais qui n'ont pas été épargnés par le passage de l'ouragan Irma. Nous allons engager une discussion sur la capacité des outre-mer à financer des bateaux. Ce sera compliqué et nous aurons besoin du soutien de tous, et notamment de celui des parlementaires européens qui s'intéressent à ces questions.
La compétitivité, c'est également la capacité de la filière à valoriser des produits dont la disponibilité est par nature aléatoire, et de surcroît très divers, certains étant parfois qualifiés de moins nobles que les autres. Mais les débouchés pour la filière sont nombreux et nous pouvons compter sur la richesse de nos industries agroalimentaires et leur capacité d'innovation pour répondre à l'évolution des besoins des consommateurs et – pourquoi pas ? – en faire naître de nouveaux.
L'approche globale de la question de la compétitivité peut et doit s'appuyer sur le levier financier du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Ainsi, grâce aux efforts conjugués de l'État et des régions qui sont très impliquées, les mesures sont progressivement déployées avec tous les outils nécessaires et elles peuvent donc être utilisées.
Troisième enjeu : la formation. La compétitivité, c'est également pouvoir travailler sur l'attractivité des métiers, recruter des femmes et des hommes motivés et formés pour pouvoir exercer ces métiers, travailler dans les entreprises de nos filières et assurer le renouvellement des générations. Nous disposons, et c'est une chance, d'un réseau d'enseignement performant et dynamique, composé à la fois des lycées maritimes et des lycées d'enseignement agricole. Mais l'attractivité du secteur ne dépend pas que de la formation. Il faut renouveler l'image de ces établissements qui a trop longtemps véhiculé des clichés, notamment celui d'un secteur en crise et mal payé, alors que ce n'est plus vrai. La profession doit donc se mobiliser aux côtés des réseaux de formation. L'État et le ministère de la transition écologique et solidaire ont récemment créé une brochure ONISEP sur les métiers de la mer et l'ont diffusée dans les collèges et les centres d'orientation. Un site internet de la formation maritime, « Prométhée », sera mis en ligne à l'automne. Je vous invite bien évidemment à le promouvoir, comme à mettre en avant l'ensemble des métiers de la mer.
La question des risques et des conditions de travail est aussi cruciale. Qui souhaite aujourd'hui s'orienter dans une profession dangereuse ? Des progrès ont été réalisés, mais des marges de manoeuvre existent encore. Il s'agit là de la responsabilité de tous. Nous devons travailler sur la sécurité des marins, autrement dit sur la sécurité des navires, ce qui passe par le renouvellement de la flottille, mais également sur le bien-être des marins à bord, qui doivent pouvoir bénéficier d'équipements de protection individuelle suffisants afin de travailler dans de bonnes conditions et parfaitement protégés.
La compétitivité, on le voit à travers certains sujets que je viens d'évoquer, est une question à la fois complexe et multifactorielle. C'est surtout une question cruciale dont nous devons collectivement nous emparer rapidement. Pour ma part, j'y suis plutôt résolu.
L'autre enjeu du secteur, c'est celui de la place de la pêche et de l'aquaculture dans la politique maritime. Les conditions de l'intégration de la pêche et de l'aquaculture dans leur environnement sont déjà aujourd'hui déterminantes et ce phénomène ne fera que s'accroître. Les enjeux sont à cet égard multiples et complexes, avec notamment la question immédiate de la conciliation des usages et de l'accès à l'espace. Ces questions sont gérées de façon interministérielle, car c'est le rôle de l'État d'organiser la cohabitation de tous les usagers du milieu maritime. Elles sont également éminemment locales avec l'élaboration des documents stratégiques de façade et plus encore avec les éventuels conflits d'usage ou d'accès à l'espace dont je sais que pour les activités aquacoles elles peuvent constituer parfois un véritable frein à l'initiative et au développement. Dans ce domaine, la solution ne peut passer que par le dialogue, un dialogue construit, serein, entre les acteurs de la filière, les autres professionnels et les usagers du monde maritime, les organisations non gouvernementales (ONG) et les consommateurs. C'est la méthode de travail que je souhaite développer auprès de l'ensemble des acteurs, et c'est celle que nous développons dans le cadre des États généraux de l'alimentation.
Voilà, brossées en quelques traits, la vision et les orientations que j'ai pour notre filière pêche, aquaculture et conchyliculture.
La France doit avoir une ambition maritime. Comme je l'ai dit à Quimper lors des assises de la mer et de la pêche, la France a trop longtemps tourné le dos à la mer. Nous sommes un territoire peuplé de terriens, mais aussi tout autour de marins. Ces marins doivent constituer cette task force que nous devons promouvoir pour faire en sorte que la France retrouve cette ambition européenne et mondiale d'une grande nation maritime. Je sais que nous en avons la capacité. Nous sommes la deuxième façade maritime européenne : nous devons mesurer que c'est une chance et nous devons utiliser cet atout pour promouvoir ces filières de qualité.
Monsieur le président, je vous remercie pour les auditions que vous avez organisées au sein de cette commission en appui aux États généraux de l'alimentation et pour le travail que vous avez réalisé avec les députés. Vous me remettrez demain la synthèse des vingt-deux auditions que vous avez menées, et dont j'ai pu voir certaines en replay.