Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du lundi 19 novembre 2018 à 16h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Présentation commune

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

La justice est un mot magnifique et extraordinaire : il représente un idéal que chacun porte en soi, un horizon que toute société s'efforce d'atteindre et une valeur pour laquelle nous luttons sans cesse. Mais la justice est aussi une institution, constituée d'une communauté de femmes et d'hommes qui, chaque jour, en dépit des difficultés, des obstacles et de la rudesse de leur tâche, accueillent nos concitoyens, les protègent, les sanctionnent quand c'est nécessaire, rendent à chacun la justice à laquelle il a droit dans un État démocratique. À l'orée de ce débat consacré à la réforme que j'ai l'honneur de vous proposer au nom du Gouvernement, c'est à ces femmes et à ces hommes qui ont fait le choix personnel de s'engager pour la justice que je souhaite adresser mes premiers mots pour les remercier du travail qu'ils accomplissent chaque jour au service de cette institution garante de la paix sociale.

Faire de la justice une priorité : tel est l'engagement pris par le candidat Emmanuel Macron pendant sa campagne électorale et renouvelé par le Premier ministre dans son discours de politique générale en juillet 2017. Le projet de loi de programmation et de réforme de la justice ainsi que le projet de loi organique qui l'accompagne traduisent le respect de cette promesse.

Cette réforme de la justice répond à un constat ancien, clair et partagé : la société française connaissant de profondes mutations, l'État redéfinit ses missions et les services publics se modernisent. La justice ne saurait échapper à ces transformations : elle doit faire face à de nouveaux enjeux qui traduisent l'évolution de notre société, et s'approprier de nouveaux outils dans le cadre de la révolution numérique, porteuse d'espoir et parfois d'incertitudes. Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens, la justice ne peut rester sur le bord du chemin, indifférente à ce qui joue autour d'elle. Comment le pourrait-elle d'ailleurs puisqu'elle connaît de toutes les activités humaines ? Mais elle doit aussi incarner une stabilité : celle de nos valeurs et celle de l'État.

À cette fin, la justice française doit se renforcer et s'adapter. Pour se renforcer, il lui faut des moyens susceptibles de faire rattraper un retard évident ; le Gouvernement répond à cette nécessité en déployant un budget très important en faveur de la justice. Mais le déploiement de moyens, s'il est indispensable, ne saurait suffire à répondre aux défis qui se dressent devant nous. Pour se renforcer, la justice doit également se réformer en s'adaptant aux besoins des justiciables. Partant de ce constat, mon ambition est simple – si certains la trouveront modeste, je la crois au contraire essentielle – : je souhaite que les Français se sentent écoutés, protégés et pris en considération par l'ensemble de notre système judiciaire. Et j'ai la conviction profonde – en quelque sorte viscérale – que la justice sera plus crédible si elle est rendue avant tout compréhensible pour les citoyens et qu'elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu'ils rencontrent. C'est cette conviction que j'ai souhaité insuffler dans ces textes.

La réforme que je vous présente repose sur trois piliers : elle est globale et concrète ; elle a été construite pour le justiciable ; elle consacre des moyens importants à la justice.

Dès mon entrée à la chancellerie, j'ai fait un choix, celui d'une réforme globale et concrète. Globale, car le premier texte qui vous est proposé conjugue des moyens – c'est une loi de programmation – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l'organisation – c'est une loi de réforme de la justice. Concrète, cette réforme entend l'être également car elle s'appuie de manière pragmatique sur les propositions de terrain, dans le respect des principes indépassables comme la garantie des droits. Je n'ai pas souhaité aborder cette réforme au prisme de considérations exclusivement idéologiques. Ma volonté est de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide sur la justice au quotidien. Indiscutablement, cette réforme s'inscrit dans un objectif de protection : chacune des dispositions prévues s'attache à protéger la société, le citoyen, le justiciable. C'est cette volonté seule qui m'a animée dans la construction du projet que je vous soumets.

La deuxième caractéristique de cette réforme est d'avoir été construite avec les acteurs et pour le justiciable. Comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, j'ai organisé, d'octobre 2017 à janvier 2018, d'octobre 2017 à janvier 2018, une grande consultation – les chantiers de la justice – qui a permis d'entendre tous les acteurs de la justice et de faire remonter des propositions issues du terrain. Des concertations ont ensuite été menées avec toutes les parties prenantes. J'ai voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre, mais sans jamais abandonner l'ambition initiale que je viens de préciser.

Une réforme suscite toujours des réactions, c'est inévitable : certains expriment des craintes face au changement ; d'autres ont des aspirations nouvelles. Ces craintes et ces aspirations ne sont pas toujours convergentes, loin de là, selon que l'on se place du point de vue des avocats, des magistrats ou des élus de terrain. C'est pourquoi, je le réaffirme ici, devant vous, cette réforme n'a pas pour vocation de faire la part belle à tels ou tels acteurs, à telle ou à telle profession du monde judiciaire. Elle ne néglige le point de vue de personne mais elle entend surplomber ces intérêts particuliers avec une seule préoccupation, une seule boussole : l'intérêt des justiciables, c'est-à-dire, au fond, l'intérêt général. C'est mon rôle et plus encore, c'est mon devoir. C'est dans cet esprit que j'ai présenté ces deux projets de loi au Sénat et que je les présente aujourd'hui devant vous.

Dernière caractéristique de cette réforme : elle consacre à la justice des moyens importants. Je le répète, il s'agit d'une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir et recruter du personnel afin d'assurer une justice de qualité. C'est tout l'intérêt d'une loi de programmation sur cinq ans, qui offre une visibilité, des perspectives et des garanties indispensables. Les moyens mis en jeu sont considérables. Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018, où le budget de la justice avait connu une hausse de 3,9 % et vu la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget 2019 : l'augmentation de nos moyens s'accélère, avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois. Le projet de loi de programmation qui vous est soumis prévoit des moyens dont l'importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle s'est astreint l'ensemble du Gouvernement : le budget de la justice augmentera de 1,6 milliard en cinq ans, passant de 6,7 milliards à 8,3 milliards d'euros – à plus de 9 milliards si l'on y inclut les pensions – , soit une hausse de 24 %, qui nous permettra d'engager 6 500 recrutements supplémentaires.

On peut toujours proposer des chiffres encore plus élevés. Ce fut la position du Sénat et c'est le sens de certains amendements que nous examinerons. Je conçois qu'il s'agit d'une manière d'exprimer son soutien à la justice, et j'en suis heureuse. Mais il faut également être réaliste et tenir compte de l'effort puissant engagé par ce gouvernement, dans un contexte budgétaire contraint.

De l'utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et du personnel, une résorption des vacances de postes et la possibilité de constituer de véritables équipes autour des magistrats. Ce budget va aussi nous permettre de passer de l'ère de l'informatique à celle du numérique. Il s'agit pour moi d'un élément véritablement stratégique : c'est le défi qu'il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur des attentes des magistrats comme des justiciables. Aussi, nous allons engager plus d'un demi-milliard d'euros de crédits pour la révolution numérique.

Enfin, ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire, avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d'ici à 2022. Le texte propose d'ailleurs des dispositions permettant d'accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l'allégement de certaines procédures. J'ajoute que le projet de loi de programmation prévoit la création de vingt centres éducatifs fermés, qui constitueront l'une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants, dont nous aurons à débattre de manière plus approfondie.

Mais, au-delà des moyens, ce projet de loi est avant tout un texte de réforme au contenu ambitieux, construit autour de six axes.

Le premier axe s'attache à la procédure civile, qui concerne la justice de tous les jours, celle de la vie quotidienne ; parfois peu spectaculaire, elle est pourtant essentielle. Mon projet est clair : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens et recentrer le juge sur son coeur de métier, tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des gens, une justice de meilleure qualité, qui considère mieux chacun des justiciables. C'est le sens des dispositions du projet de loi.

Simplifier les procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile ou par une procédure de divorce plus fluide, grâce à la division par deux de leur durée, qui dépasse actuellement deux ans. J'insiste sur ce point car il est emblématique de ce que je souhaite pour la justice. Le divorce est parfois le premier contact de nos concitoyens avec la justice. Hier, on considérait que la procédure devant les juridictions devait durer longtemps pour être vraiment certain que le mariage ne pouvait être finalement sauvé. Il en est résulté des procédures inadaptées aux situations actuelles, lorsque les personnes souhaitent que leur situation soit clarifiée et stabilisée rapidement. Néanmoins, modifier ces règles ne signifie pas sacrifier les procédures protectrices, surtout dans des matières où les inégalités entre les femmes et les hommes restent fortes. C'est pourquoi je propose de réformer, d'élaguer les procédures inutiles, tout en maintenant les mesures protectrices. Votre commission des lois a approuvé cette démarche et l'a même renforcée, sous l'impulsion de votre rapporteure, Laetitia Avia, et de Jean Terlier ; je les en remercie.

Faciliter la vie des gens, c'est également supprimer les formalités inutiles, par exemple en matière de protection des majeurs vulnérables, tout en renforçant encore les droits de ces derniers. Nous avons formulé des propositions pour ce qui concerne leurs droits fondamentaux, notamment l'exercice du droit de suffrage. Elles rejoignent celles du groupe LaREM, avec plusieurs initiatives prises notamment par Caroline Abadie.

La dématérialisation des petits litiges du quotidien est aussi une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens, pour plus de simplicité. La dématérialisation des injonctions de payer permettra, par exemple, d'obtenir plus rapidement une ordonnance, tout en laissant à chacun la possibilité d'exercer un recours devant une juridiction de proximité.

Faciliter la vie des gens, c'est aussi permettre aux personnes séparées d'obtenir rapidement la revalorisation de leur pension alimentaire, sans devoir suivre les méandres de procédures judiciaires parfois trop lentes. Beaucoup de femmes sont concernées par cette situation. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter un dispositif qui a fait ses preuves dans d'autres pays, tout en maintenant un accès au juge. Des ajustements sont envisageables pour que le juge puisse suspendre les décisions de la CAF lorsque cela s'imposera. Le Gouvernement soutiendra ces propositions.

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