Recentrer le juge sur son coeur de métier nécessite également de développer les règlements amiables des différends, comme nous le proposons. Cela suppose aussi que nous prenions en considération ces outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant avec un haut niveau de garanties pour leurs utilisateurs. Là encore, l'adaptation au monde qui est le nôtre est une évidente nécessité, mais pas à n'importe quel prix.
Assurer enfin une justice de meilleure qualité, c'est proposer, par exemple, d'étendre le périmètre de la représentation obligatoire par avocat. Cela s'appliquera non pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros mais à certains contentieux complexes.
Grâce à ces mesures, mesdames et messieurs les députés, et à de nombreuses autres, l'expertise sollicitée de l'avocat sera mieux dirigée dans l'intérêt du client, et le travail du juge sera facilité : il sera recentré sur son office, et les résolutions des litiges ne passeront plus exclusivement par lui, afin de pacifier et de responsabiliser la société.
Pour ce qui concerne la procédure civile, je dois constater que le Sénat est revenu sur bon nombre de mesures proposées, en les vidant bien souvent de leur substance. Votre commission des lois a rétabli l'ambition du projet initial en en précisant les termes lorsque cela lui paraissait nécessaire. Je ne peux que m'en réjouir.
Le deuxième axe de la réforme s'attache à la procédure pénale.
En cette matière, les dernières décennies ont trop souvent été marquées par des débats idéologiques et des coups de balanciers déstabilisant le fonctionnement quotidien de la justice. J'ai pris résolument un autre parti. Je n'ai pas voulu céder au fantasme du grand soir de la procédure pénale. J'ai voulu, au contraire, construire des solutions pratiques nées des constats issus du terrain, grâce au travail conduit en commun avec le ministère de l'intérieur pour la phase d'enquête et avec l'ensemble des personnels de justice pour les autres phases. J'insiste sur cet aspect : c'est à la fois avec les forces de sécurité et les magistrats que nous avons voulu penser des solutions concrètes à des problèmes réels. Tel n'a pas toujours été le cas par le passé. J'en remercie Gérard Collomb, avec qui ce travail a été harmonieux, et Christophe Castaner, qui lui a succédé.
La criminalité prend des formes nouvelles qui imposent plus de réactivité et de simplicité dans l'action. J'insiste sur ce point : nous devons être plus agiles pour mieux protéger les Français. L'objectif que je poursuis consiste à atteindre plus d'efficacité, tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, sans sacrifier la garantie des droits. À cette fin, il faut simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes et lutter contre la délinquance du quotidien.
Simplifier le travail des acteurs, qu'ils soient enquêteurs ou magistrats, est bien une priorité. C'est la raison pour laquelle je souhaite aller vers une numérisation complète des procédures. C'est aussi pour cela que le texte propose toute une série d'harmonisations, par exemple au sujet des seuils de déclenchement de certaines procédures. Avoir des textes et des procédures plus clairs, c'est renforcer l'efficacité de l'action au profit de nos concitoyens.
Mieux protéger les victimes est aussi une de mes grandes préoccupations. La plainte en ligne constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales, qui hésitent parfois à franchir le seuil d'un commissariat ou d'une gendarmerie pour porter plainte. Dans le même esprit, je propose, à travers ce texte, l'expérimentation du tribunal criminel départemental, devenu « cour criminelle », à l'initiative de la délégation aux droits des femmes et de son rapporteur, Guillaume Gouffier-Cha, afin notamment d'éviter la correctionnalisation de certains crimes, en particulier des viols. Il faut que les crimes soient jugés comme des crimes ; c'est un élément clef de la vérité judiciaire. Je rappelle que, depuis plus de trente ans, les crimes terroristes sont jugés par des magistrats professionnels ; je n'ai pas le sentiment qu'il s'agisse d'une réponse dégradée par rapport au jugement rendu par une cour d'assises classique. C'est aussi pour mieux protéger les victimes que j'ai proposé la création d'une juridiction chargée de l'indemnisation du préjudice corporel des victimes d'actes de terrorisme. De ce dispositif, adopté par le Sénat et précisé par votre rapporteur, Didier Paris, on peut attendre une meilleure prise en charge de l'indemnisation des victimes, qui déchargera parallèlement la juridiction pénale de la procédure d'indemnisation, sans écarter bien entendu les victimes du procès pénal. Cette mesure fait écho à la création du parquet national antiterroriste, qui entend répondre à l'installation, malheureusement durable, de cette menace dans notre paysage ; c'est une mesure essentielle pour assurer la sécurité des Français.
Lutter contre la délinquance du quotidien est également une nécessité. L'instauration des amendes forfaitaires pour l'usage de stupéfiants et l'extension de l'interdiction de comparaître en constituent des exemples. Je salue ici le travail mené par la commission des lois sur ces questions, sous l'impulsion notamment d'Éric Poulliat, qui a permis d'affiner le dispositif sur les amendes forfaitaires.
Mesdames et messieurs les députés, j'ai bien entendu tous ceux qui estimaient que ce texte faisait la part belle aux enquêteurs au détriment de la garantie des droits. Je voudrais apporter deux réponses à leurs inquiétudes.
En premier lieu, protéger les Français est une mission essentielle de la justice. Ne l'oublions pas, c'est parce que la justice pénale fait son oeuvre que nous vivons dans une société démocratique. Elle en est même le fondement, en écartant toute idée de vengeance privée et en faisant reposer la peine sur le principe de légalité.
En second lieu, les garanties constitutionnelles sont bien là, j'y ai veillé avec la plus grande attention. Votre rapporteur, Didier Paris, y a veillé, votre commission des lois y a veillé, et le Conseil d'État l'a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs, répond le contrôle des magistrats du parquet et du siège par le juge des libertés et de la détention sur les actes d'enquête. Je rappelle à nouveau devant vous l'unité de l'autorité judiciaire, au sein de laquelle les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et, à ce titre, également garants de la liberté individuelle. Quant aux juges des libertés et de la détention, je ne crois pas que les contrôles qu'ils exercent soient de nature purement formelle. Par l'intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est effectivement assurée.
Sur le volet pénal du texte, le Sénat a tenu une position en retrait par rapport à l'ambition du projet et au travail mené avec les magistrats, les policiers et les gendarmes pour répondre à des problèmes pratiques. Votre commission a rétabli les grands équilibres du texte, grâce à des propositions de votre rapporteur et à plusieurs initiatives du groupe LaREM, sous l'impulsion de Stéphane Mazars, qui ont même permis quelques améliorations.
Le troisième axe du projet de loi redéfinit le sens et l'efficacité de la peine.
Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer. C'est un chantier essentiel, qui doit se comprendre en lien avec le plan pénitentiaire que j'ai récemment présenté.
C'est pourquoi, considérant que toute infraction mérite sanction, je propose une nouvelle échelle des peines, destinée à remettre de l'ordre dans notre droit de la peine. Les peines prononcées doivent en effet être des peines réelles, utiles et autonomes, qu'il s'agisse, par exemple, des travaux d'intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique – le bracelet électronique – , que nous proposons de développer.
Pour les peines de prison, le postulat de base est simple : ceux qui doivent être placés en détention doivent s'y rendre réellement ; ceux qui n'ont rien à y faire doivent être sanctionnés, mais d'une autre manière, notamment par les peines autonomes, auxquelles je faisais allusion à l'instant. Je propose que l'emprisonnement, qui ne sera donc plus la seule peine de référence, soit abordé de la manière suivante : en dessous d'un mois, les peines d'emprisonnement ferme seront interdites ; entre un et six mois, la peine s'exécutera par principe en dehors d'un établissement de détention ; entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d'imposer que la peine s'exécute en détention, mais il pourra aussi orienter vers un aménagement ; au-delà d'un an, les peines d'emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio.
Quel est mon objectif ? Il est double : mettre fin aux emprisonnements de courte durée, très souvent inutiles, désocialisants et qui nourrissent la récidive, mais aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd'hui, l'inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. C'est la raison pour laquelle je propose que le seuil d'aménagement des peines d'emprisonnement soit abaissé de deux ans à un an, en modifiant l'article 723-15 du code de procédure pénale. Je pourrais également évoquer la proposition d'expérimenter un dossier unique de personnalité, qui sera extrêmement utile dans ce contexte.
Vous l'aurez compris, l'efficacité, pour moi, ne consiste pas à brandir la prison comme l'alpha et l'oméga de notre politique pénale. Elle n'a pas non plus pour but de vider les prisons, au nom d'une vision angélique de la société. Ces schémas tout faits nous empêchent de voir la réalité telle qu'elle est.
C'est d'ailleurs le constat que votre commission des lois a fait, en travaillant intensément sur les questions pénitentiaires depuis plusieurs mois, sous l'impulsion de sa présidente, Yaël Braun-Pivet. Et ce constat dépasse les clivages partisans classiques.
Le Sénat s'est reconnu dans ces objectifs globaux mais a adopté un point de vue opérationnel différent de celui du projet de loi que je porte, en particulier sur les plus courtes peines. Votre commission des lois a adhéré à la philosophie des peines que j'ai proposée et a rétabli le dispositif initial, en retravaillant très utilement certains points.
Je pense en particulier aux travaux d'intérêt général, dont Didier Paris est l'un des plus ardents promoteurs. Le dispositif a été renforcé et étendu, par exemple, aux entreprises dont les statuts définiraient une mission assignant la poursuite d'objectifs sociaux et environnementaux. Des ajustements pour les outre-mer, proposés par Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, ont aussi été adoptés – c'est une heureuse initiative.
Le quatrième axe du projet de loi prévoit l'évolution de l'organisation judiciaire.
Il s'agit ici de réformer, sans brutaliser. Je n'ai pas dessiné de carte ; j'ai voulu proposer une méthode, fondée sur le dialogue. Mon projet repose donc sur une double préoccupation. La proximité, d'abord : le justiciable doit, j'y crois profondément, avoir un accès simple à la justice, ce qui passe par une proximité physique, mais aussi par le développement du numérique. La qualité du service public de la justice, ensuite : la dispersion des moyens et l'absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne sont pas nécessairement le gage d'une justice efficace, et nous souhaitons y porter remède.
Dès l'ouverture des chantiers de la justice, j'ai affirmé qu'aucune fermeture de lieu de justice n'aurait lieu, et je tiens parole. Pour autant, il faut améliorer notre organisation judiciaire, ce qui suppose trois évolutions principales.
La première porte sur les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance. Le présent texte prévoit ce regroupement administratif, qui donnera naissance au tribunal judiciaire, lequel constituera dorénavant, pour plus de clarté, le pendant du tribunal administratif. Ainsi, l'organisation de la justice de première instance sera plus simple aux yeux du justiciable, qui ne connaîtra plus qu'un seul tribunal et une seule procédure de saisine. Tous les sites seront maintenus, je le répète ici, puisque le tribunal judiciaire travaillera de concert avec ses tribunaux de proximité – les actuels tribunaux d'instance.
Pour assurer la justice de proximité en matière de contentieux du quotidien, j'ai décidé, à la suite de la concertation que j'ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d'habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera des contentieux identifiés comme relevant des problématiques de la vulnérabilité sociale ou économique.
Enfin, pour optimiser le traitement des contentieux et adapter au mieux le dispositif à la situation de chaque ressort, les chefs de cour des villes où il n'existe actuellement qu'un tribunal d'instance pourront confier à celui-ci des contentieux en plus de ceux dont il a aujourd'hui la charge.
La deuxième évolution de notre organisation judiciaire concerne les départements comptant plusieurs tribunaux de grande instance. Je réaffirme clairement devant vous que les tribunaux de grande instance – futurs tribunaux judiciaires – , dans les départements où il en existe plusieurs, seront tous maintenus. Les chefs de cour pourront, à l'issue d'une concertation locale, proposer la création, dans ces tribunaux, de pôles de compétences spécialisés. Ceux-ci jugeront, à l'échelle du département, certains contentieux spécialisés, techniques, dont le volume est faible. L'idée est de répartir ces pôles de compétences parmi les TGI d'un même département, de renforcer les compétences des magistrats là où c'est utile et d'améliorer en conséquence les délais de jugement.
J'ai pris note de l'adoption par votre commission, à l'initiative conjointe de votre rapporteure et de Denis Sommer, de l'amendement relatif aux tribunaux interdépartementaux. Il vise uniquement la situation particulière de Belfort-Montbéliard et doit rester cantonné à ce cas spécifique.
La troisième évolution est celle des cours d'appel. Le projet de loi prévoit d'expérimenter, dans des régions administratives comportant plusieurs cours d'appel, l'exercice par l'une d'entre elles de fonctions d'animation et de coordination ainsi que la spécialisation des contentieux, conformément au modèle précédemment évoqué. Votre commission des lois a proposé d'augmenter le nombre de régions concernées par ces expérimentations. En la matière, il faut trouver le bon niveau d'action, permettant de rendre cette expérimentation utile tout en en conservant le caractère expérimental. Je sais votre rapporteure, Laetitia Avia, aussi attentive que moi à cet équilibre. Je ne doute pas que la discussion parlementaire permettra d'atteindre le bon.
Le projet de loi organique, quant à lui, tire les conséquences de la loi ordinaire s'agissant de la fusion des TI et des TGI que je viens d'évoquer.
J'en viens à présent aux deux derniers axes de la réforme. Le cinquième vise à la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants, l'idée directrice consistant à offrir une gamme de solutions diversifiées pour ces jeunes.
Outre la création de vingt centres éducatifs fermés à laquelle il procède, le projet de loi permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, notamment le retour en famille, dont il vise à atténuer les effets, qui peuvent s'avérer brutaux et très déstabilisants. Il sera aussi institué, à titre expérimental, une mesure éducative d'accueil de jour, troisième voie entre le placement en centre éducatif fermé et l'accompagnement en milieu ouvert.
La justice des mineurs est un sujet qui mérite d'être traité de façon raisonnée et mesurée. Les problèmes sont réels. Les textes et les procédures méritent d'être réévalués. Des actions méritent d'être engagées. Cependant, je ne souhaite pas que les postures l'emportent, car elles ont toujours eu pour conséquence l'impossibilité de réformer. Sans angélisme ni démagogie là encore, il s'agit d'adopter une approche sérieuse afin d'affronter les questions et d'y répondre.
Si des ajustements très ponctuels restent possibles à ce stade, un travail plus global doit être mené. Je sais que Jean Terlier et Cécile Untermaier, dans le cadre de la mission d'information qui leur a été confiée, travaillent sur ce sujet. Il peut être utile de s'appuyer sur ce travail en vue de répondre aux besoins de la société et aux attentes de nos concitoyens en la matière. Nous aurons ce débat au cours de la semaine à venir.
Le sixième axe du présent texte traite de la procédure devant les juridictions administratives. À la demande même de celles-ci, le projet de loi prévoit le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes entourant les magistrats. Il prévoit aussi de renforcer l'exécution des décisions administratives par le biais d'injonctions et d'astreintes.
Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que je vous soumets est à la fois ambitieux et modeste.
Il est ambitieux car il est systémique, traitant de divers pans de la procédure devant les juridictions. Il l'est aussi car il a pour unique objectif l'amélioration de la protection du justiciable et de l'image de la justice parmi nos concitoyens.
Il est modeste, cependant, car, je le sais, d'autres chantiers devront être ouverts. Sitôt voté le projet de loi – si vous l'adoptez – , et tout en veillant à son exécution, je souhaite notamment m'atteler à une vaste réforme de l'accès au droit des plus vulnérables et à la question de l'aide juridictionnelle. Il s'agit, à mes yeux, d'un enjeu majeur, qui exige de prendre le temps et de mener une concertation, notamment avec les autres professions du droit. Je pourrais évoquer d'autres sujets, d'autres chantiers qui méritent d'être menés à bien, mais je préfère revenir au texte que je vous présente.
À l'orée de nos débats, je remercie les parlementaires qui ont participé aux trente-trois heures de débat en commission, dans un climat constructif. Je rends hommage à vos rapporteurs pour la qualité de leur travail, leur engagement et le dialogue que nous avons mené depuis plusieurs mois, dans le cadre d'une véritable entreprise de coconstruction de la réforme. Je remercie également les membres de la majorité, ceux du groupe LaREM, menés par Jean Terlier et Stéphane Mazars, et ceux du groupe MODEM, menés par Laurence Vichnievsky et Erwan Balanant. Enfin, je salue la hauteur de vue des membres de l'opposition qui connaissent bien le sujet ; ils ont défendu leurs propositions avec conviction, dans un climat qui fait honneur à nos institutions.
J'en suis très heureuse car j'estime que la justice doit être un objet de débat et non de combat. Si combat il devait y avoir, il devrait nous réunir en vue de mieux servir les justiciables et la justice de notre pays. C'est, je crois, ce qu'attendent les Français.