Intervention de Didier Paris

Séance en hémicycle du lundi 19 novembre 2018 à 16h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Nos concitoyens veulent un État fort et protecteur, des services publics qui marchent, qui soient facilement accessibles et qui répondent sans tarder à leurs demandes. Ils veulent aussi, et ce n'est pas nécessairement paradoxal, que les droits individuels, dans une société qui a souvent tendance à se replier sur elle-même, soient le point cardinal de toute action publique.

La justice n'échappe évidemment pas à ces multiples exigences, dont le respect est une condition du lien de confiance qui l'unit au peuple et construit son image, en bien ou en mal. Elle est totalement connectée au réel ; elle fait partie de la vie des Français qui, à un moment ou un autre de leur existence auront à franchir la porte d'un tribunal, à pousser celle d'un avocat ou d'un service de police, à faire valoir des droits personnels.

Notre justice doit, à n'en pas douter, s'adapter au quotidien de nos compatriotes, sans leur demander d'accomplir le chemin inverse. Elle se doit d'être plus simple, plus accessible, plus claire, plus efficace, tout en gardant une très haute exigence de qualité. Le projet du Gouvernement qui vous est soumis répond, selon moi, pleinement à cette demande – je pourrais dire à cette commande – des Français.

Soyons clairs : ce n'est pas d'une révolution qu'il s'agit, car la valeur de nos principes est largement éprouvée ; il s'agit plutôt d'une adaptation, d'une modernisation des méthodes, d'une simplification des processus. Cette vision s'applique, sans restriction, à la matière pénale, dont j'ai l'honneur d'être votre rapporteur. Le texte s'attache à simplifier réellement la procédure pénale sans renoncer en aucune façon à la garantie des droits.

C'est ainsi que sont inscrites dans le texte de nombreuses mesures de simplification et d'harmonisation relatives aux règles de compétence des OPJ – les officiers de police judiciaire – , à la garde à vue, à la visioconférence, ou encore aux techniques spéciales d'enquête. D'autres, plus novatrices, permettent la poursuite pendant un très court laps de temps de mesures d'investigation après une ouverture d'information, à l'instar de ce qui existait déjà en matière de terrorisme, ou créent une procédure de comparution différée.

Ces mesures ne parlent pas nécessairement aux citoyens, qui, fort heureusement, hormis quelques-uns d'entre eux, n'y sont que rarement confrontés. Mais elles prennent tout leur sens aux yeux des services d'enquête, dont elles constituent, à l'inverse, le quotidien. Le projet de loi vise à les décharger le plus possible des tâches qui ne sont pas au coeur de leur action de protection des populations.

C'est la même logique qui prédomine dans la distribution des rôles entre les acteurs judiciaires : un parquet suffisamment puissant pour répondre aux urgences et tenir pleinement sa place dans la lutte contre la délinquance, petite ou grande ; un juge des libertés et de la détention, magistrat du siège, totalement indépendant et assurant par son contrôle la garantie des droits, le respect de l'équilibre entre répression et libertés individuelles ; un juge d'instruction qui demeure, quoi qu'on en dise, quoi que l'on entende, un élément fondamental de notre dispositif pénal mais dont l'importance et la valeur méritent qu'il soit recentré sur ses missions les plus essentielles ; des avocats dont le rôle, essentiel à la garantie des droits, n'est absolument pas amoindri. Votre commission des lois s'est attachée à dissiper les craintes du Sénat dans ces domaines.

Elle a aussi considéré que les explications du Gouvernement, tout particulièrement celles, fréquentes, longues et précises apportées par Mme la garde des sceaux, ainsi que les garanties inscrites dans le texte étaient suffisantes pour rétablir les dispositions initiales en matière de garde à vue, d'extension de la compétence des juges uniques, de visioconférence – en tenant compte de la restriction acceptée par le Gouvernement s'agissant du placement en détention provisoire – , de comparution différée, etc. Elle les a aussi jugées suffisantes pour la réduction du périmètre de l'avis à transport de l'avocat ou de sa présence pendant une opération de seule perquisition.

Le dépôt d'une plainte en ligne pour tous types d'infraction, contrairement aux restrictions du Sénat, est une avancée majeure pour l'amélioration du parcours judiciaire des victimes. Les plaintes, créatrices de droits, répondront pleinement aux besoins de traitement d'infractions répétitives et permettront à certaines victimes qui hésitent, pour de multiples raisons, à franchir physiquement le seuil d'un commissariat ou d'une gendarmerie, d'enclencher le processus judiciaire. Qu'il soit bien entendu que cette procédure nouvelle n'empêchera absolument pas le contact direct avec l'OPJ chargé d'enquêter et de caractériser les faits – le texte a été complété sur ces points – et que toutes les précautions indispensables de conservation des preuves seront prises par voie réglementaire.

Dans cet esprit, un amendement de votre rapporteur, avec l'accord du Gouvernement, vient prolonger la réforme engagée. Il s'agit de prévoir, dès maintenant et pour un avenir proche, la possibilité de numériser l'ensemble de la procédure, d'un bout à l'autre de la chaîne pénale. C'est une avancée très attendue par les acteurs judiciaires, qui verront leur travail grandement simplifié. Un groupe projet puissant, réunissant les services de la chancellerie et du ministère de l'intérieur, est en place. Mme la garde des sceaux a rappelé qu'un demi-milliard d'euros sera consacré à cette opération.

Le projet de loi s'attache aussi à mieux protéger et à mieux lutter contre le terrorisme et le crime organisé.

À l'initiative du Gouvernement et en dépit du rejet par le Sénat qui avait seulement accepté des améliorations du système judiciaire existant, il est procédé à la création d'un parquet national antiterroriste, ou PNAT, qui sera doté de pouvoirs centraux et de capacités de mobilisation des magistrats, à Paris et sur tout le territoire national. C'est un outil, une force de frappe indispensable en raison des menaces qui continuent de peser en France. Il améliorera notre capacité de renseignement, de cohésion et d'action, y compris en dehors de nos frontières. Protéger les populations de la menace terroriste reste, mes chers collègues, une priorité absolue de l'État, parfaitement prise en compte dans ce texte, comme l'illustre la création du PNAT.

Il est tout aussi essentiel de faciliter le parcours des victimes elles-mêmes. C'est pourquoi nous allons créer le juge de l'indemnisation des victimes d'attentats terroristes, ou JIVAT, qui, en parallèle ou plutôt en complément des juridictions pénales, lesquelles doivent se recentrer sur leur tâche, assurera une harmonisation et un renforcement du régime indemnitaire.

Comme l'a longuement expliqué Mme la garde des sceaux, le projet, au-delà des règles procédurales – qui pour certaines ne sont qu'affaires de spécialistes – porte la marque d'une ambition plus forte, plus large. Il s'agit de rien de moins que changer les mentalités.

Pour les Français, la prison reste encore, trop souvent, la vraie sanction, voire la seule sanction possible. C'est sans doute vrai pour les crimes et délits d'une certaine gravité ; ça l'est beaucoup moins pour les atteintes mineures et lorsque la personnalité de l'auteur montre des capacités de réadaptation et une réelle compréhension de la réprobation sociale qui s'attache à son acte. S'y rajoute le sentiment d'une justice qui a perdu le sens commun et n'assume plus ses responsabilités. Comment expliquer qu'une condamnation à deux ans de prison ne soit finalement pas exécutée ? Comment expliquer un aménagement automatique de peine, géré par un magistrat différent de celui qui a condamné ? La peine doit sanctionner, protéger la société, veiller à la réinsertion des auteurs. Cela suppose que toutes les peines soient considérées comme d'égale valeur pour atteindre ces objectifs, la différence ne se faisant que par application du principe d'individualisation, fondement de notre droit.

C'est pour refonder ce pacte social que le Gouvernement propose une réécriture de l'échelle des peines à laquelle votre commission a pleinement adhéré. Elle ne permettra plus les incarcérations pour de très courtes durées, qui se traduisent trop souvent par la marginalisation de l'auteur. Elle rendra exceptionnelle la détention de moins de six mois et autorisera les aménagements jusqu'à un an. Mais toute peine supérieure à un an devra être exécutée – c'est le fameux article 723-15 du code de procédure pénale. C'est dans ce même but que le sursis probatoire est refondu et que sont replacées à leur juste valeur les peines sous surveillance électronique et le travail d'intérêt général.

Les modes différenciés de poursuites comme l'amende forfaitaire, y compris délictuelle, la composition pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité reprennent tout leur sens comme autant de réponses adaptées et effectives à la délinquance.

Bien sûr, l'individualisation, dans cette échelle nouvelle, exige que la personnalité, l'environnement social et, le cas échéant, le parcours pénal des mis en cause soient mieux appréhendés et connus le plus en amont possible. Le projet de loi contient à cet égard de nombreuses dispositions, comme le renforcement des capacités d'enquêtes de personnalité, la césure ou encore le fameux DUP, dossier unique de personnalité.

Je ne reviendrai pas sur les efforts financiers considérables consacrés, dans cette loi de programmation, au budget de la justice ; Mme la garde des sceaux y a largement fait référence. Les créations de postes prévues seront indispensables pour faire vivre ces évolutions structurantes.

De même, et bien que la prison ne puisse plus, ne doive plus être la seule réponse, encore faut-il renforcer ses capacités d'accueil et améliorer les conditions d'incarcération, parfois fort éloignées des standards et des critères de dignité. C'est tout l'enjeu du plan prison présenté par le Gouvernement, financé en deux phases. Il se double d'une approche de différenciation, évidemment cohérente avec la réforme, qui se traduira notamment par l'ouverture de 2 500 places dans des structures d'accompagnement.

Vous l'avez compris, chers collègues, votre rapporteur soutient pleinement ce projet, initié de longue date par les cinq chantiers de la justice et qui a donné lieu à de très nombreuses concertations. Son équilibre d'ensemble en est le résultat. Il permettra de mieux servir les justiciables et de mener à bien cette grande ambition pour notre justice.

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