Je ne suis pas paranoïaque : lorsque je signale un risque, c'est en me fondant sur l'expérience. Chaque fois qu'un service public a été réorganisé – ils ont été nombreux à l'être – , on a prétendu que c'était pour le rendre plus simple, plus rapide et plus accessible, notamment grâce à la numérisation. Dois-je rappeler la départementalisation des CAF, des URSSAF – unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales – et des commissions de surendettement, ou la régionalisation des rectorats et des inspections académiques ? Dans les territoires au sein desquels nous vivons, ceux dans lesquels on roule au diesel et on fume des clopes, une réorganisation se traduit à chaque fois par un accès plus éloigné au service public, ce qui ne fait que renforcer le sentiment d'abandon.
D'autre part, le texte prévoit que les chefs de cour, à savoir le premier président de la cour d'appel et le procureur général près la cour d'appel, consulteront les présidents de tribunaux et les procureurs, dont ils sont les responsables hiérarchiques. Je crois beaucoup dans l'audace des présidents de TI et TGI et dans leur capacité à résister : ils devront toutefois exprimer à leurs chefs, dont les pouvoirs seront renforcés avec le renforcement de la coordination des cours d'appel, des réserves sur les propositions qui leur seront faites.
Enfin, il existe de nombreux contentieux très spécifiques, qui sont inhérents à la spécificité des territoires. Je pense notamment à des contentieux relatifs à la pêche, l'agriculture ou le littoral ou aux contrôles douaniers, ces derniers risquant de se renforcer avec le Brexit. Ces contentieux feront-ils l'objet d'une spécialisation dans certains TGI ou seront-ils territorialisés ? Si vous aviez été sûre de vous, madame la garde des sceaux, vous auriez proposé au Parlement une répartition des critères, laquelle aurait pu nous rassurer sur une présence territoriale équilibrée des tribunaux. Or tel n'est pas le cas.