Merci beaucoup de m'avoir invitée à m'exprimer devant vous. J'en suis très honorée.
Je commencerai mon exposé en précisant que je dirige le centre Alfred-Binet, dans lequel sont reçus chaque année quelque 2 000 enfants et leurs familles. Il s'agit d'enfants de tous âges et de situations cliniques d'une extrême variété. Il me semble important de mentionner que ce centre médico-psychologique appartient à l'Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris (ASM13), structure à but non lucratif dont les missions s'inscrivent dans le cadre du service public exclusif. Je suis en outre enseignant chercheur à l'université Paris-Descartes. Mes champs de travail clinique et de recherche sont notamment centrés sur la périnatalité. Je me suis penchée plus particulièrement ces dernières années sur le devenir de l'enfant et sa construction psychique à la suite des nouvelles pratiques et technologies, dont l'AMP. Ce domaine de recherche est extrêmement peu exploré sur le plan international. En France, nous n'avons connaissance de quasiment aucune étude sur ce sujet.
Mon exposé s'articulera autour de plusieurs points, entre lesquels vous trouverez, je l'espère, un fil conducteur.
Je souhaite tout d'abord insister, à la suite du docteur Lévy-Soussan, sur l'extrême complexité de la rencontre entre une mère et son nouveau-né dans les situations les plus ordinaires. Lorsque tout se déroule bien, ce qui est fort heureusement souvent le cas, on ne s'aperçoit pas des difficultés ; mais en réalité, cette rencontre avec un nouveau-né est, pour les parents, très complexe, et constitue, en soi, une période à risque. Les femmes sont alors d'une assez grande vulnérabilité, à tel point qu'il s'agit pour elles, sur le plan psychique, de la période la plus à risque, à l'échelle d'une vie entière : les troubles psychologiques et psychiatriques sont les premières causes de mortalité et de morbidité en post-partum. Je vous ai d'ailleurs fait parvenir un article à ce sujet. Il s'agit d'un moment relativement volcanique pour les femmes.
Le nouveau-né est, quant à lui, d'une extrême dépendance vis-à-vis de son environnement. Le bébé naît, au regard des autres mammifères, dans un état qualifié de « néoténie », c'est-à-dire d'immaturité. Les connaissances dont nous disposons montrent ainsi le très grand impact, positif comme négatif, que peuvent avoir les interactions entre parents et bébé sur le développement de ce dernier. Le nourrisson est dans une situation de très grande perméabilité et vulnérabilité par rapport à l'état psychique de sa mère.
Les situations de stérilité, qui se caractérisent par une impossibilité absolue de se reproduire, pour des raisons génétiques, anatomiques ou acquises, sont à distinguer très clairement de ce que l'on qualifie d'« infertilité ». Dans les situations d'infertilité, les sujets, hommes ou femmes, ont des organes et des fonctions physiologiques sains. L'infertilité est donc une situation temporaire ou acquise – on parle ainsi de stérilité primaire ou secondaire –, souvent très mal expliquée scientifiquement. Il est ainsi question d'infertilité psychogène ou psychosomatique. Ces situations sont aujourd'hui en France à l'origine de l'essentiel des demandes d'AMP. Or il apparaît dans notre expérience clinique que la souffrance psychique, parfois importante, ressentie par les femmes infertiles ne s'explique pas exclusivement par l'absence d'enfant. Leur mal de vivre précède souvent l'infertilité. Des désillusions surviennent alors parfois en période postnatale, dans la mesure où l'arrivée de l'enfant ne vient pas résoudre et apaiser toutes leurs souffrances existentielles. Ces situations sont à risque pour les femmes sur le plan psychique, mais aussi du point de vue des interactions entre mère et bébé. Je vous renvoie là au premier point de mon exposé.
Il m'apparaît par ailleurs que le traitement de ces situations ne saurait se limiter à proposer des innovations techniques, sans entreprendre simultanément une prise en charge relationnelle visant à l'apaisement de cette souffrance existentielle. Il me semble très important à la fois d'accompagner ces femmes dans le but d'humaniser des protocoles contraignants, mais aussi de leur donner accès à la problématique intime de la fertilité et de les aider à faire face à la rencontre, parfois complexe, avec leur enfant.
Dans le prolongement de ce développement sur l'infertilité, je souhaiterais aborder la question de la cryoconservation des ovocytes. J'y vois le risque de pousser les femmes à faire des enfants tardivement. Le retard à concevoir est d'ores et déjà la première cause d'infertilité et de consultation en AMP aujourd'hui en France. Or ces grossesses tardives sont à risque sur le plan somatique et peuvent se traduire par un retard de croissance intra-utérin, une hypertension gravidique ou une prématurité. Elles sont également à risque du point de vue des interactions mère-bébé ; je vous renvoie là à une publication que je vous ai adressée. Je m'exprimerai davantage ici en tant que citoyenne que comme médecin : ne faudrait-il pas envisager d'autres solutions sur le plan sociétal pour soutenir la possibilité de congés de maternité non pénalisants sur le plan professionnel et l'égalité des femmes et des hommes vis-à-vis de leur carrière, à laquelle je suis évidemment tout à fait attachée ? S'ajoutent à cela les risques d'asservissement potentiel à des entreprises ou des institutions sans scrupules, qui proposeraient ce genre de « service » aux femmes. Cela existe déjà dans d'autres pays.
J'en arrive à présent à la question des risques encourus par les enfants issus de l'AMP. Je souhaiterais souligner le fait que toutes les techniques d'AMP ont en commun l'absence de réflexion sur leurs conséquences pour l'enfant à venir. Au nom de certaines convenances personnelles et du « droit à l'enfant », on pourrait oublier les droits et les besoins élémentaires de ce dernier. Il me semble que les risques pour l'enfant ne sont pas suffisamment pensés. En tant que chercheur, je considère que l'AMP risque de s'apparenter à une expérimentation scientifique sans évaluation préalable, ce qui est contraire, me semble-t-il, à toute l'éthique de la recherche médicale. L'enfant ne saurait être considéré comme le traitement de la souffrance existentielle des adultes ou de l'absence de rencontre d'un compagnon pour faire un enfant. Le travail et l'art du médecin doivent toujours consister à maximiser les effets thérapeutiques d'une technique et à en diminuer les effets secondaires. Toute technique, qu'elle soit thérapeutique ou psychothérapique, a des effets secondaires, que le médecin doit veiller à réduire. Dans le cas de l'AMP, je dois avouer que je m'interroge.
C'est dans cette perspective et à titre exploratoire que nous avons mené une étude sur le nombre d'enfants issus de l'AMP venant en consultation au centre Alfred-Binet. Il s'agit d'enfants de tous âges. Or nous avons eu la surprise d'observer une très nette sur-représentation de ces enfants par rapport à la population générale des enfants. Nombre d'hypothèses et de conclusions pourraient être émises à partir de ce simple constat. Peut-être s'agit-il, comme le montrent certaines études, d'une préoccupation plus grande de la part des parents, d'une forme de surprotection d'enfants très attendus, ayant fait l'objet d'inquiétudes avant et après leur arrivée. Ces enfants ne souffrent pas nécessairement de troubles très sévères. Néanmoins, cette sur-représentation ne peut que nous interroger. Je précise qu'il ne s'agissait en général pas de consultations uniques, mais de suivis. Cette étude a également permis de s'apercevoir que les consultants pédopsychiatres ignoraient bien souvent que ces enfants étaient issus de l'AMP.
Une étude du même type est en cours au sein de l'unité d'hospitalisation psychiatrique mère-bébé de l'hôpital de Montesson, car il est suggéré – pour le moment sur une base empirique et demandant à être documentée – une augmentation des situations psychopathologiques en postnatal après AMP.
L'un des rares risques pour l'enfant actuellement pris en considération est celui des effets réputés néfastes du secret des origines, donnant à penser que seul ce secret serait responsable des difficultés existentielles éventuelles de l'enfant et laissant de côté tout ce qui a été vécu avec les parents et transmis par eux, qui déborde largement la simple transmission biologique, autour éventuellement d'un secret, maintenu ou non.
Je souhaiterais maintenant évoquer la situation des femmes isolées, terme que je préfère à celui de femmes « seules », qui renvoie à un constat comportemental, alors que la notion d'isolement signe une situation plus active, bien que souvent non volontaire, dont ces femmes souffrent en général. Je rejoins sur ce sujet les propos du docteur Lévy-Soussan et ne vais donc pas développer. Il est vrai que l'on observe en clinique des situations de relations très fusionnelles entre mères et bébés. Il faut savoir que l'élaboration par le bébé de la séparation, de l'individuation, se fait en principe dès le plus jeune âge ; elle est ici rendue extrêmement difficile par l'absence d'un tiers aux côtés de la mère isolée. Cette notion de tiers n'est pas à entendre exclusivement par rapport à la réalité de la personne qui est à côté de la femme, mais essentiellement au niveau de ce que vit la mère intérieurement. Cela vaut autant pour la conception, dont la femme rêve qu'elle s'effectue avec quelqu'un et non pas en laboratoire, avec une équipe médicale qui ne sera plus présente ensuite, que pour la suite, avec la présence de quelqu'un lui permettant de s'absenter de la relation avec l'enfant et donnant ainsi la possibilité à ce dernier de s'autonomiser par rapport à elle, de se construire, de progresser. Toute cette construction se joue par un jeu d'alternance entre présence et absence, même si la mère a évidemment, au tout début de la relation, besoin d'être très présente aux côtés de l'enfant. Dans les cas les plus extrêmes d'isolement maternel, mère et enfant peuvent en arriver à se trouver enfermés dans une relation d'intolérance mutuelle, parfois violente, qui apparaît comme la seule issue pour se dégager d'un trop grand collage et qui est à la mesure des tensions qui existent entre eux.
Je voudrais pour conclure souligner que lorsque je reçois des femmes ou des hommes confrontés à la très délicate clinique du désir d'enfant, la question est, de ma place de médecin, de psychiatre, de psychanalyste, de pédopsychiatre, de me garder de toute obligation de résultat en matière de grossesse : ce n'est absolument pas mon propos. L'objectif poursuivi est celui d'un mieux-être pour le sujet, avec ou sans enfant à la clé. Il s'agit là selon moi d'un point important.
Dans cette même perspective, on ne propose trop souvent qu'une aide visant à faire face au parcours – difficile en soi – de l'AMP ou, comme cela se pratique notamment dans les CECOS, des entretiens psychologiques pour donner un avis pour accord pour l'AMP. Il n'existe à mon sens pas suffisamment de propositions et d'organisation du système de santé permettant d'effectuer un suivi des adultes souffrant dans leur désir d'enfant, puis des enfants issus de ces situations encore mal connues et de leurs familles. Il me semble essentiel de mettre l'accent sur l'organisation d'un accompagnement en amont et en aval de ces situations, pour les adultes, les enfants issus de ces situations et leurs familles. Il conviendrait de même de prévoir et d'organiser une collaboration entre les équipes d'AMP et les pédopsychiatres, dans le cadre des soins de santé publique, accessibles à tous.
Au fond, il nous semble que les décisions d'ouverture de l'AMP à des situations potentiellement à risque relèvent d'un choix de santé publique. J'ajoute que dans un système de santé comme le nôtre, organisé autour de la notion de solidarité nationale, les conséquences des risques sont l'affaire de tous. C'est en ce sens qu'il me paraît important de pouvoir les souligner.
Je vous remercie de votre attention.