Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE
Mercredi 7 novembre 2018
Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission
La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition commune du Dr Pierre Lévy-Soussan, psychiatre psychanalyste, chargé de cours à l'Université Paris-Diderot, et du Dr Sarah Bydlowski, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur, chef de service au département de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris, chercheur associé au laboratoire de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse, de l'Université René Descartes .
L'audition débute à neuf heures cinquante-cinq.
Notre mission d'information accueille, pour sa deuxième audition de la matinée, le docteur Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste et chargé de cours à l'université Paris-Diderot, et le docteur Sarah Bydlowski, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur, chef de service au département de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris (ASM13), et chercheur associé au laboratoire de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse de l'université René-Descartes. Nous vous remercions tous deux d'avoir accepté de venir vous exprimer devant nous.
L'enfant est au coeur de nombreux débats dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique, notamment sur des questions comme l'ouverture éventuelle de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, la gestation pour autrui ou encore l'anonymat du don de gamètes. Votre expertise dans le domaine de l'enfant va donc nous être très utile.
Je vais vous donner dans un premier temps la parole à tour de rôle, puis nous procèderons à un échange de questions et réponses.
Bonjour et merci de votre invitation.
Mon exposé portera sur les problèmes qui se posent à l'enfant relativement aux techniques que vous venez d'évoquer. Ce sera mon fil rouge, en tant que pédopsychiatre ayant depuis près de vingt ans une expérience dans ce domaine, à la fois par le biais de l'adoption, de l'AMP et dans le cadre d'entretiens que j'ai pu mener avec des candidats au don de sperme et d'ovocytes au sein des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS). Je précise que nous avons été la toute première consultation à travailler sur les problèmes de filiation, à l'initiative du professeur Soulé, lui-même ayant travaillé avec Mme Simone Veil.
L'expérience clinique accumulée depuis vingt ans nous montre, dans le champ de l'AMP et de l'adoption, qu'il existe des filiations plus à risque que d'autres. Mon propos n'est évidemment pas prédictif, mais préventif.
Nous avons tout d'abord pu observer, au fil de ces deux décennies d'expérience clinique, à quel point la filiation en tant que telle, dans une famille n'ayant recours ni à l'adoption, ni aux techniques d'AMP, était parfois complexe et difficile. Je puis vous dire, pour intervenir en tant qu'expert auprès des juges aux affaires familiales et des juges pour enfants, qu'il existe des situations déjà très compliquées dans des configurations familiales « classiques ». L'enfant est en effet un révélateur de problématiques personnelles, de couple, familiales, y compris au niveau intergénérationnel, qui n'étaient pas visibles auparavant et demeuraient masquées par un simple désir d'enfant. L'enfant peut mettre en lumière des points soit d'ouverture, soit de fermeture. Les échecs filiatifs ne sont donc pas réservés aux filiations adoptives ou par AMP. Ils se traduisent par le fait que l'enfant manque de fondations, de fondements pour se construire et risque des dérives graves et sévères, telles que des dérives psychopathiques, une désinsertion scolaire ou des difficultés à reconnaître son père et sa mère comme tels.
Ne pas être reconnu comme fils ou fille, ou ne pas reconnaître ses parents comme père et mère, est l'un des échecs les plus importants de la filiation, dans les cas d'adoption comme de recours à l'AMP. Au fur et à mesure de cette expérience, je me suis ainsi aperçu que le fait de se construire une filiation n'avait rien de naturel. La filiation est de l'ordre de la construction et n'est pas un élément donné. L'une des premières conclusions sur lesquelles nous avons été amenés à travailler est le fait que transformer un enfant de la science en son enfant ne va pas de soi. Diverses problématiques et difficultés se posent au cours de ce processus. La raison en est simple : à partir du moment où le tiers médical intervient, il occupe une place particulière dans la psyché tant du père que de la mère. Ce tiers médical qui, comme le tiers social dans le cadre de l'adoption, intervient dans le cheminement vers l'enfant, va en tant que tel avoir des effets psychiques, aussi bien dans la psyché des parents que dans celle de l'enfant. L'un des exemples de cet impact psychique est le fait que, dans le cadre de procédures d'AMP avec don de sperme, certains couples ne parviennent pas à s'approprier ce don venant d'un patrimoine extérieur et n'arrivent pas à faire comme si les gamètes venaient de l'homme. Cela peut alors conduire à une idéologisation et à une amplification du rôle du donneur biologique, qui va prendre toute la place dans la psyché maternelle et paternelle. Cela fait partie des mécanismes qui empêchent l'homme comme la femme de se considérer respectivement comme vrais père et mère de l'enfant et qui sont responsables des échecs filiatifs dans le domaine des procréations par AMP. Bien évidemment, l'existence de ce mécanisme psychique délétère ne sous-entend pas qu'il conviendrait à l'inverse de faire comme si le don n'avait pas existé : il faut pouvoir s'approprier ce don de façon à se positionner comme père et mère par rapport à l'enfant. Si une femme considère par exemple le donneur de sperme comme le vrai père de l'enfant, en raison d'une valorisation, d'une idéologisation du lien du sang, cela se fera au détriment de son conjoint, si bien que l'enfant risquera de se retrouver sans filiation psychique. Il convient bien entendu de différencier ici la filiation psychique de la filiation biologique et juridique.
Comment fonctionnent ces filiations ? Il existe, dans l'adoption et dans l'AMP, des mécanismes communs, visant à réassocier au sein du couple ce qui a été dissocié soit par le social, soit par le biologique. La capacité d'un couple ou d'un enfant à réassocier ce qui a été dissocié est une clé de la réussite. Or il existe dans l'AMP plusieurs types de dissociations : dissociation temporelle, dissociation de la sexualité et de la procréation, dissociation des dons. Dans les cas où tout se passe bien, ces éléments sont réassociés : l'enfant peut ainsi se construire une « scène originaire », à la base de sa création par le couple, et faire comme s'il était issu de cet homme et de cette femme qui ont eu recours au don de sperme, d'ovocyte ou d'embryon. Avec cette scène originaire, qu'il va fantasmer, imaginer, il saura qu'il vient d'un ailleurs d'un point de vue biologique, mais il aura la capacité psychologique de se réoriginer, c'est-à-dire de renaître au sein de ce couple-là. Les situations dans lesquelles les couples ne parviennent pas à ne pas valoriser le lien du sang et se vivent comme des parents de seconde catégorie conduisent aux échecs classiques de filiation et à des enfants qui, une fois devenus adultes, souffrent de leurs origines et demandent la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes. Cela a été illustré, dans le domaine de l'adoption, par la création du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), dont je puis parler d'autant mieux que j'en ai été vice-président pendant deux ans, aux côtés du professeur Henrion. Je me suis rendu compte à cette occasion que les demandes très militantes d'accès aux origines, à l'identité des donneurs, s'enracinaient toujours dans une souffrance familiale conduisant à ce que la modalité procréatique par rapport au secret ou au dépassement du lien du sang n'ait pas été rendue possible. L'idéalisation du lien du sang rend les situations très difficiles et empêche les couples de se considérer comme les véritables parents de ces enfants.
Cette transformation d'enfant de la science en enfant de la famille est une difficulté qui se pose dans toutes les procréations médicalement assistées (PMA). Nous allons voir à présent dans quelle mesure cela pourrait être particulièrement problématique dans les cas de couples de femmes ou de femmes seules, qui placeraient les enfants dans l'impossibilité de se créer une scène originaire à la base de leur naissance. Il s'agit d'un phénomène que l'on constate déjà dans l'adoption. Il faut en effet savoir que les personnes célibataires peuvent adopter : il s'agit là d'une conséquence de la Première Guerre mondiale, à la suite de laquelle on avait autorisé les femmes à adopter après la perte de leur mari ou de leurs enfants. Or nous voyons, dans notre pratique, à quel point il est beaucoup plus difficile d'adopter pour les femmes seules que pour les couples. On observe, dans l'adoption, une sur-incidence des consultations psychologiques de l'ordre de cinq à six fois supérieure chez les femmes célibataires par rapport aux adoptants en couple. Cette sur-incidence se retrouve aussi dans le cadre de l'AMP et dans les situations de femmes seules en général. Les difficultés touchent aussi les enfants des familles monoparentales. La sur-incidence des pathologies chez les enfants des femmes seules est reconnue dans tous les travaux nationaux et internationaux. Cela n'est pas spécifique à l'AMP et à l'adoption, mais concerne aussi, bien évidemment, ces situations.
Dans toutes les situations particulières de filiation, l'État a mis en place des mesures visant à s'assurer qu'il ne soit pas trop compliqué pour l'enfant d'arriver dans une famille donnée. L'intérêt de l'enfant a toujours été considéré comme primordial. Dans le domaine de l'adoption par exemple, la procédure d'agrément a été conçue pour s'assurer que l'enfant arrive dans une situation dont il n'aura pas à payer trop cher le prix et veiller à ne pas l'exposer à des problématiques de couples ou de femmes célibataires trop difficiles à vivre pour lui. Sont ainsi récusées 10 % à 20 % des demandes d'adoption. Très souvent, lorsque l'enfant est considéré comme relevant de l'ordre du besoin personnel ou devant donner un sens à la vie de l'individu, on estime que ce contrat narcissique sera beaucoup trop lourd à porter pour lui et l'agrément est alors refusé. Des mesures de protection sont ainsi mises en oeuvre par l'État, dans l'intérêt de l'enfant. L'enfant n'est pas fait pour lutter contre la solitude ou pour pallier l'échec d'une vie de femme en essayant de réussir une vie de mère, comme on l'entend parfois. Il n'est pas là pour être un support narcissique par rapport à la mère. Cette problématique est complexe : quelles sont les raisons pouvant conduire une femme à vouloir délibérément placer un enfant dans une situation dans laquelle il n'aura pas de père ? Nous abordons bien évidemment cette question avec les femmes concernées, aussi bien dans le cadre des PMA que de l'adoption. Il s'agit véritablement de l'un des problèmes essentiels : comment se positionner par rapport à la volonté d'une personne de priver son enfant de père ?
Il peut évidemment advenir, dans le contexte d'une histoire de vie, qu'un enfant soit privé de père ; mais il serait très différent d'utiliser la science pour éradiquer de la vie d'un enfant un père dont il sera privé à jamais. Les problématiques actuelles d'AMP pourraient avoir des conséquences psychologiques, de par cette volonté parentale de placer l'enfant dans une situation particulière sans lui donner les moyens psychiques de la dépasser en lui permettant de créer une scène originaire à la base de sa venue au monde. Cela conduirait à une véritable discrimination entre deux types d'enfants : d'une part ceux qui auraient les moyens d'élaborer une scène originaire avec une mère et un père, d'autre part ceux dont la science aurait décidé de les en priver. Ainsi, l'enfant paierait le prix de cette discrimination, en se trouvant placé dans une situation dans laquelle il n'aurait pas accès à ce dont d'autres pourraient disposer.
Je vous ai fait parvenir les références d'un certain nombre d'articles scientifiques étayant ces risques : citons notamment une étude rétrospective menée sur 65 000 enfants de parents seuls et montrant l'existence de deux fois plus de risques de tentatives de suicide, de troubles psychiatriques, d'alcoolisme, et de trois fois plus de risques d'addictions par stupéfiants que les autres. Les risques liés à la situation monoparentale se retrouvent aussi dans les études internationales sur l'AMP. Il ne s'agit pas uniquement de difficultés liées à la monoparentalité en tant que telle, avec une différence socio-économique par rapport aux autres familles : ce facteur a été apparié par rapport au reste et l'on retrouve cette sur-incidence de risques au regard de cette situation particulière.
Alors même que ces études nous apportent de telles connaissances, pourquoi notre société a-t-elle autant de mal à mesurer les enjeux par rapport à l'enfant ? On observe une vraie difficulté sociétale à s'identifier à l'enfant et à lui éviter une situation dont on connaît pourtant les risques, grâce aux études cliniques et aux travaux scientifiques.
Concernant les célibataires, l'autorisation d'adopter se traduit par une augmentation des risques pour l'enfant, à tel point que de nombreux pays originaires récusent désormais les femmes seules dans les situations adoptives, considérant que l'intérêt de l'enfant doit primer.
Le rôle du père vis-à-vis de l'enfant est extrêmement important en termes d'identification. Il est complémentaire de celui de la mère. Là aussi, les travaux menés sur les interactions précoces de l'enfant montrent à quel point celui-ci perçoit les images du père et de la mère comme différenciées, complémentaires, avec des spécificités qui développeront chez lui des compétences particulières par rapport à l'un comme à l'autre.
Le père a en outre un rôle de soutien auprès de la mère, par rapport à une position fusionnelle que celle-ci a souvent, d'une façon positive, avec le nouveau-né et qui doit peu à peu évoluer vers une situation moins fusionnelle. Le père a, dans ce processus, un rôle essentiel à jouer.
La rencontre de l'enfant avec des personnes différenciées sur le plan sexuel est extrêmement importante. Je ne vois pas quelle raison invoquer pour justifier de priver sciemment un enfant de cette parité, qui constitue un élément essentiel à sa construction, non seulement au niveau des différentes identifications qu'il aura, mais aussi par rapport à la fantasmatisation d'une scène dont il est l'issue. Je cite souvent l'exemple d'un enfant demandant à ses parents adoptifs pourquoi ils faisaient l'amour alors qu'ils ne pouvaient pas concevoir d'enfant : cela montre à quel point les fantasmes que nourrit un enfant par rapport à une scène de conception dont il aurait, comme tous les autres enfants, pu être issu sont extrêmement fondateurs pour lui.
Il importe également de citer le préjudice lié à l'absence de père avant la naissance. La cour d'appel de Metz a ainsi fixé en 2016 à 25 000 euros le préjudice moral d'un enfant privé de son père, ce dernier s'étant fait écraser alors que sa mère était enceinte. Ce jugement a été confirmé par la Cour de cassation.
Permettez-moi, avant de conclure, de citer les mots du professeur Labrusse-Riou, qui formule les enjeux bioéthiques de ces situations et de l'impact de la science sur le psychisme, en soulignant clairement le risque du « droit de puissance ». Elle estime ainsi que « l'équilibre entre l'état des personnes, d'ordre public et non disponible, et la volonté individuelle, d'ordre privé, est en train de se rompre concernant la filiation, car un poids accru de la volonté individuelle conduit à reconnaître des droits de puissance sur les enfants, dès les conceptions. Cette réflexion conduit à ne pas faire subir à l'enfant la loi du plus fort concernant sa filiation ».
Au nom de quels principes priverait-on un enfant d'un père, dont il a justement le plus besoin en raison même de la dissociation scientifique dont il est issu, avec un don de sperme ou d'ovocyte ? Ce qui serait présenté comme une égalité des droits des adultes conduirait à une inégalité des droits des enfants, en termes de droit à la différence des sexes, à la parité, aux interactions précoces complémentaires, à l'accès à la différenciation parentale. J'invite sur ce point à la mise en oeuvre d'un principe de précaution semblable à celui qui est respecté dans les questions d'environnement et d'écologie : il n'existe selon moi aucune raison d'accroître les risques de problèmes psychologiques pour l'enfant au sein de notre société qui entend prévenir tous les risques.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à m'exprimer devant vous. J'en suis très honorée.
Je commencerai mon exposé en précisant que je dirige le centre Alfred-Binet, dans lequel sont reçus chaque année quelque 2 000 enfants et leurs familles. Il s'agit d'enfants de tous âges et de situations cliniques d'une extrême variété. Il me semble important de mentionner que ce centre médico-psychologique appartient à l'Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris (ASM13), structure à but non lucratif dont les missions s'inscrivent dans le cadre du service public exclusif. Je suis en outre enseignant chercheur à l'université Paris-Descartes. Mes champs de travail clinique et de recherche sont notamment centrés sur la périnatalité. Je me suis penchée plus particulièrement ces dernières années sur le devenir de l'enfant et sa construction psychique à la suite des nouvelles pratiques et technologies, dont l'AMP. Ce domaine de recherche est extrêmement peu exploré sur le plan international. En France, nous n'avons connaissance de quasiment aucune étude sur ce sujet.
Mon exposé s'articulera autour de plusieurs points, entre lesquels vous trouverez, je l'espère, un fil conducteur.
Je souhaite tout d'abord insister, à la suite du docteur Lévy-Soussan, sur l'extrême complexité de la rencontre entre une mère et son nouveau-né dans les situations les plus ordinaires. Lorsque tout se déroule bien, ce qui est fort heureusement souvent le cas, on ne s'aperçoit pas des difficultés ; mais en réalité, cette rencontre avec un nouveau-né est, pour les parents, très complexe, et constitue, en soi, une période à risque. Les femmes sont alors d'une assez grande vulnérabilité, à tel point qu'il s'agit pour elles, sur le plan psychique, de la période la plus à risque, à l'échelle d'une vie entière : les troubles psychologiques et psychiatriques sont les premières causes de mortalité et de morbidité en post-partum. Je vous ai d'ailleurs fait parvenir un article à ce sujet. Il s'agit d'un moment relativement volcanique pour les femmes.
Le nouveau-né est, quant à lui, d'une extrême dépendance vis-à-vis de son environnement. Le bébé naît, au regard des autres mammifères, dans un état qualifié de « néoténie », c'est-à-dire d'immaturité. Les connaissances dont nous disposons montrent ainsi le très grand impact, positif comme négatif, que peuvent avoir les interactions entre parents et bébé sur le développement de ce dernier. Le nourrisson est dans une situation de très grande perméabilité et vulnérabilité par rapport à l'état psychique de sa mère.
Les situations de stérilité, qui se caractérisent par une impossibilité absolue de se reproduire, pour des raisons génétiques, anatomiques ou acquises, sont à distinguer très clairement de ce que l'on qualifie d'« infertilité ». Dans les situations d'infertilité, les sujets, hommes ou femmes, ont des organes et des fonctions physiologiques sains. L'infertilité est donc une situation temporaire ou acquise – on parle ainsi de stérilité primaire ou secondaire –, souvent très mal expliquée scientifiquement. Il est ainsi question d'infertilité psychogène ou psychosomatique. Ces situations sont aujourd'hui en France à l'origine de l'essentiel des demandes d'AMP. Or il apparaît dans notre expérience clinique que la souffrance psychique, parfois importante, ressentie par les femmes infertiles ne s'explique pas exclusivement par l'absence d'enfant. Leur mal de vivre précède souvent l'infertilité. Des désillusions surviennent alors parfois en période postnatale, dans la mesure où l'arrivée de l'enfant ne vient pas résoudre et apaiser toutes leurs souffrances existentielles. Ces situations sont à risque pour les femmes sur le plan psychique, mais aussi du point de vue des interactions entre mère et bébé. Je vous renvoie là au premier point de mon exposé.
Il m'apparaît par ailleurs que le traitement de ces situations ne saurait se limiter à proposer des innovations techniques, sans entreprendre simultanément une prise en charge relationnelle visant à l'apaisement de cette souffrance existentielle. Il me semble très important à la fois d'accompagner ces femmes dans le but d'humaniser des protocoles contraignants, mais aussi de leur donner accès à la problématique intime de la fertilité et de les aider à faire face à la rencontre, parfois complexe, avec leur enfant.
Dans le prolongement de ce développement sur l'infertilité, je souhaiterais aborder la question de la cryoconservation des ovocytes. J'y vois le risque de pousser les femmes à faire des enfants tardivement. Le retard à concevoir est d'ores et déjà la première cause d'infertilité et de consultation en AMP aujourd'hui en France. Or ces grossesses tardives sont à risque sur le plan somatique et peuvent se traduire par un retard de croissance intra-utérin, une hypertension gravidique ou une prématurité. Elles sont également à risque du point de vue des interactions mère-bébé ; je vous renvoie là à une publication que je vous ai adressée. Je m'exprimerai davantage ici en tant que citoyenne que comme médecin : ne faudrait-il pas envisager d'autres solutions sur le plan sociétal pour soutenir la possibilité de congés de maternité non pénalisants sur le plan professionnel et l'égalité des femmes et des hommes vis-à-vis de leur carrière, à laquelle je suis évidemment tout à fait attachée ? S'ajoutent à cela les risques d'asservissement potentiel à des entreprises ou des institutions sans scrupules, qui proposeraient ce genre de « service » aux femmes. Cela existe déjà dans d'autres pays.
J'en arrive à présent à la question des risques encourus par les enfants issus de l'AMP. Je souhaiterais souligner le fait que toutes les techniques d'AMP ont en commun l'absence de réflexion sur leurs conséquences pour l'enfant à venir. Au nom de certaines convenances personnelles et du « droit à l'enfant », on pourrait oublier les droits et les besoins élémentaires de ce dernier. Il me semble que les risques pour l'enfant ne sont pas suffisamment pensés. En tant que chercheur, je considère que l'AMP risque de s'apparenter à une expérimentation scientifique sans évaluation préalable, ce qui est contraire, me semble-t-il, à toute l'éthique de la recherche médicale. L'enfant ne saurait être considéré comme le traitement de la souffrance existentielle des adultes ou de l'absence de rencontre d'un compagnon pour faire un enfant. Le travail et l'art du médecin doivent toujours consister à maximiser les effets thérapeutiques d'une technique et à en diminuer les effets secondaires. Toute technique, qu'elle soit thérapeutique ou psychothérapique, a des effets secondaires, que le médecin doit veiller à réduire. Dans le cas de l'AMP, je dois avouer que je m'interroge.
C'est dans cette perspective et à titre exploratoire que nous avons mené une étude sur le nombre d'enfants issus de l'AMP venant en consultation au centre Alfred-Binet. Il s'agit d'enfants de tous âges. Or nous avons eu la surprise d'observer une très nette sur-représentation de ces enfants par rapport à la population générale des enfants. Nombre d'hypothèses et de conclusions pourraient être émises à partir de ce simple constat. Peut-être s'agit-il, comme le montrent certaines études, d'une préoccupation plus grande de la part des parents, d'une forme de surprotection d'enfants très attendus, ayant fait l'objet d'inquiétudes avant et après leur arrivée. Ces enfants ne souffrent pas nécessairement de troubles très sévères. Néanmoins, cette sur-représentation ne peut que nous interroger. Je précise qu'il ne s'agissait en général pas de consultations uniques, mais de suivis. Cette étude a également permis de s'apercevoir que les consultants pédopsychiatres ignoraient bien souvent que ces enfants étaient issus de l'AMP.
Une étude du même type est en cours au sein de l'unité d'hospitalisation psychiatrique mère-bébé de l'hôpital de Montesson, car il est suggéré – pour le moment sur une base empirique et demandant à être documentée – une augmentation des situations psychopathologiques en postnatal après AMP.
L'un des rares risques pour l'enfant actuellement pris en considération est celui des effets réputés néfastes du secret des origines, donnant à penser que seul ce secret serait responsable des difficultés existentielles éventuelles de l'enfant et laissant de côté tout ce qui a été vécu avec les parents et transmis par eux, qui déborde largement la simple transmission biologique, autour éventuellement d'un secret, maintenu ou non.
Je souhaiterais maintenant évoquer la situation des femmes isolées, terme que je préfère à celui de femmes « seules », qui renvoie à un constat comportemental, alors que la notion d'isolement signe une situation plus active, bien que souvent non volontaire, dont ces femmes souffrent en général. Je rejoins sur ce sujet les propos du docteur Lévy-Soussan et ne vais donc pas développer. Il est vrai que l'on observe en clinique des situations de relations très fusionnelles entre mères et bébés. Il faut savoir que l'élaboration par le bébé de la séparation, de l'individuation, se fait en principe dès le plus jeune âge ; elle est ici rendue extrêmement difficile par l'absence d'un tiers aux côtés de la mère isolée. Cette notion de tiers n'est pas à entendre exclusivement par rapport à la réalité de la personne qui est à côté de la femme, mais essentiellement au niveau de ce que vit la mère intérieurement. Cela vaut autant pour la conception, dont la femme rêve qu'elle s'effectue avec quelqu'un et non pas en laboratoire, avec une équipe médicale qui ne sera plus présente ensuite, que pour la suite, avec la présence de quelqu'un lui permettant de s'absenter de la relation avec l'enfant et donnant ainsi la possibilité à ce dernier de s'autonomiser par rapport à elle, de se construire, de progresser. Toute cette construction se joue par un jeu d'alternance entre présence et absence, même si la mère a évidemment, au tout début de la relation, besoin d'être très présente aux côtés de l'enfant. Dans les cas les plus extrêmes d'isolement maternel, mère et enfant peuvent en arriver à se trouver enfermés dans une relation d'intolérance mutuelle, parfois violente, qui apparaît comme la seule issue pour se dégager d'un trop grand collage et qui est à la mesure des tensions qui existent entre eux.
Je voudrais pour conclure souligner que lorsque je reçois des femmes ou des hommes confrontés à la très délicate clinique du désir d'enfant, la question est, de ma place de médecin, de psychiatre, de psychanalyste, de pédopsychiatre, de me garder de toute obligation de résultat en matière de grossesse : ce n'est absolument pas mon propos. L'objectif poursuivi est celui d'un mieux-être pour le sujet, avec ou sans enfant à la clé. Il s'agit là selon moi d'un point important.
Dans cette même perspective, on ne propose trop souvent qu'une aide visant à faire face au parcours – difficile en soi – de l'AMP ou, comme cela se pratique notamment dans les CECOS, des entretiens psychologiques pour donner un avis pour accord pour l'AMP. Il n'existe à mon sens pas suffisamment de propositions et d'organisation du système de santé permettant d'effectuer un suivi des adultes souffrant dans leur désir d'enfant, puis des enfants issus de ces situations encore mal connues et de leurs familles. Il me semble essentiel de mettre l'accent sur l'organisation d'un accompagnement en amont et en aval de ces situations, pour les adultes, les enfants issus de ces situations et leurs familles. Il conviendrait de même de prévoir et d'organiser une collaboration entre les équipes d'AMP et les pédopsychiatres, dans le cadre des soins de santé publique, accessibles à tous.
Au fond, il nous semble que les décisions d'ouverture de l'AMP à des situations potentiellement à risque relèvent d'un choix de santé publique. J'ajoute que dans un système de santé comme le nôtre, organisé autour de la notion de solidarité nationale, les conséquences des risques sont l'affaire de tous. C'est en ce sens qu'il me paraît important de pouvoir les souligner.
Je vous remercie de votre attention.
C'est nous qui vous remercions tous deux pour vos témoignages fondés sur l'expérience et la pratique. Nous avons en effet grand besoin de tels éléments, et notamment d'études et d'enquêtes, pour objectiver les termes de la réflexion.
Je souhaiterais, pour lancer la discussion, vous soumettre deux questions. Vous avez, docteur Lévy-Soussan, évoqué la filiation psychique, mais aussi biologique et juridique. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces différentes dimensions de la filiation ?
Ma deuxième interrogation concerne l'anonymat du don de gamètes, dont des voix s'élèvent pour demander la levée : existe-t-il, selon vous, des arguments en faveur du maintien de cet anonymat du point de vue de l'impact psychologique sur l'enfant et les parents ?
Concernant la filiation psychique, juridique et biologique, il faut savoir que j'ai conceptualisé ces trois piliers à partir des travaux du psychiatre lyonnais Jean Guyotat, qui s'est rendu compte qu'à chaque fois que l'on retirait la filiation biologique, la filiation pouvait être maintenue en raison de la solidité des deux piliers restants, juridique et psychique. Il considère toutefois que le dernier pilier doit être renforcé : il est extrêmement important que le pilier psychique soit cohérent et crédible si l'on veut pouvoir dépasser le lien du sang, afin de permettre l'élaboration d'une scène d'engendrement pensable, de nature à surmonter les dissociations et à dépasser précisément la filiation biologique.
Cela m'amène à répondre directement à votre seconde question : le fait d'avoir un pilier psychique peu robuste ou une famille fragile par rapport au lien et aux origines biologiques va conduire l'enfant, devenu adulte en souffrance par rapport à un couple parental en difficulté vis-à-vis de la filiation, à mener une quête permanente de ses origines et de l'identité du donneur de gamètes. Ce rapport à l'anonymat est le vrai point commun à l'AMP et à l'adoption : on retrouve dans les deux cas le même discours militant par rapport aux origines et à la levée du secret en raison de la même problématique à laquelle ont été confrontés ces enfants, qui ont dû faire face à un couple parental en difficulté pour évoquer la situation, dépasser le lien du sang et se positionner en tant que père et mère. À l'époque de la création du CNAOP, il existait un discours très militant, qui disait qu'en France quelque 200 000 personnes étaient en souffrance vis-à-vis de leurs origines : or en vingt ans, seules 12 000 à 13 000 personnes se sont manifestées auprès du CNAOP. C'est également vrai dans le domaine de l'AMP. Depuis les années 1970, environ 70 000 enfants ont été conçus par don de sperme en France ; or la proportion de ceux qui s'interrogent à propos de leurs origines représente une infime minorité. Si certaines associations regroupent des personnes en quête de leurs origines et demandant de ce fait la levée de l'anonymat, d'autres en revanche considèrent qu'il n'y a aucun problème. La différence entre ces deux points de vue renvoie précisément à la différence de positionnement de leurs familles, qui ont pu ou non dépasser le lien du sang. Le risque d'une levée de l'anonymat serait de créer une attirance fantasmatique constante vers cet ailleurs, qui empêcherait l'ici et le maintenant de la famille nécessaire à l'enfant pour s'originer à partir de lui. Cela favoriserait donc les échecs filiatifs, par une réification du lien biologique.
L'idée sous-jacente à l'anonymat est surtout qu'il convient de ne pas donner trop de réalité au donneur. Mon expérience, notamment dans le cas de don d'ovocytes, montre que la place fantasmatique de la donneuse est très importante, pour les femmes seules ou en couple, qu'il y ait ou non anonymat. Comme vous le savez, un très grand nombre de dons d'ovocytes se font aujourd'hui à l'étranger, où l'anonymat est plus ou moins préservé, où certaines informations sont données. Les femmes, dans ces situations, racontent souvent avoir eu l'impression de croiser la donneuse à chaque coin de rue. Cette sensation est d'ailleurs certainement accrue par le fait de se trouver dans un pays étranger. Le donneur ou la donneuse occupent déjà, fantasmatiquement, une place importante ; lever l'anonymat ne ferait que l'accroître, au détriment de la relation entre parents et enfants.
Le don d'ovocytes est en outre une situation particulière. Par essence, un homme ne pouvant porter un enfant, il existe nécessairement une dissociation entre la conception et la rencontre, l'adoption de l'enfant dans sa réalité, dans tous les moments quotidiens, après sa naissance. Cette dissociation n'existait pas pour les femmes, jusqu'à une période récente : quelles que soient les situations – hormis dans les cas d'abandon –, la femme qui portait l'enfant était sa mère, pendant et après la grossesse. Les choses sont différentes dans le cas du don d'ovocytes, qui crée un clivage inédit dans la situation de la maternité. Le travail d'adoption psychique, qui concerne toutes les femmes en cours de grossesse et à l'arrivée de l'enfant – il ne suffit pas de porter un enfant pour se sentir son parent –, est rendu plus compliqué dans les cas de don d'ovocytes.
Nous sommes, me semble-t-il, tous d'accord sur l'existence d'une évolution consistant à diminuer l'importance de la parentalité biologique et à accroître celle de la « vraie » parentalité, c'est-à-dire du lien noué entre l'enfant et ceux qui l'élèvent, l'aiment et pourvoient à ses besoins et à son éducation.
Je pense que nous souscrivons également à l'idée que le « droit à l'enfant » n'est pas légitime, tandis que les droits de l'enfant doivent être privilégiés, tout en faisant droit au désir d'enfant, qui semble être positif dans toutes les études qui nous ont été rapportées, montrant des chances supplémentaires pour les enfants nés après avoir été fortement désirés.
Nous ne disposons pas, en France, d'études prospectives sur les enfants nés de femmes seules – isolées pour reprendre votre terme – ou en couple homosexuel. On peut toutefois se référer aux travaux menés en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Belgique. Or il apparaît une différence notable entre les résultats de ces études et l'approche des différentes écoles psychanalytiques sur ce sujet. Les études montrent une capacité d'adaptation extraordinaire chez les enfants, qui fait que l'on n'observe pas chez eux de conséquence néfaste. Les difficultés pointées se résument apparemment essentiellement aux méfaits de la discrimination sociale et du jugement de l'environnement à leur encontre et ne sont pas dues au développement de l'enfant et à ses interactions avec son ou ses parents. Il serait intéressant que vous évoquiez la raison pour laquelle, sans disposer d'études prospectives, vous énoncez autant de craintes de risques d'effets délétères pour les enfants, risques issus par exemple de la privation de père, en ne tenant pas compte du fait que, dans les familles modernes, il existe en général dans l'entourage de ces femmes des référents masculins pour l'enfant.
Les deux questions suivantes s'adressent plus précisément au docteur Lévy-Soussan. Vous avez siégé à l'Académie de médecine en 2013, c'est-à-dire avant la loi sur le mariage pour tous, et en 2018. Avez-vous noté une évolution dans la réflexion des médecins de cette Académie au cours de cette période ?
J'ai eu en vous écoutant l'impression d'un certain pessimisme de votre part quant à la capacité humaine à résoudre d'éventuels problèmes. Si l'on pousse votre raisonnement jusqu'à l'absurde – je vous prie de m'excuser d'être caricatural –, j'irais presque jusqu'à dire qu'il conduirait à déconseiller aux couples hétérosexuels d'avoir des enfants, ces derniers risquant de développer un complexe d'Œdipe potentiellement néfaste pour eux. Or nous avons tous, heureusement, surmonté cela. Pourquoi considérez-vous que des enfants de couples homosexuels ou de femmes seules ne seraient pas aptes à surmonter des problèmes comparables à ce que représente, pour chacun de nous, le complexe d'Œdipe ou tout autre difficulté rencontrée au cours du développement précoce ?
Vous indiquez, docteur Bydlowski, que nous serions dans une condition expérimentale. Or nous ne le sommes plus. Nous avons entendu hier une gynécologue belge, par ailleurs sénatrice, qui nous a expliqué qu'en Belgique l'AMP était accessible depuis vingt-cinq ans aux femmes homosexuelles, depuis vingt ans aux femmes seules, et que des études avaient été conduites à ce sujet. On ne se situe donc plus dans le champ de l'expérimentation, mais dans celui de la constatation, de l'analyse, de la comparaison, de l'application rationnelle. Comment expliquez-vous que ceux qui bénéficient, comme nos amis belges, anglais ou américains, d'une expérience de plusieurs décennies soient positifs et confiants, et que ceux qui ne l'ont pas soient aussi réticents et méfiants, évoquant des risques majeurs ? Pourquoi ne pas se reposer sur les preuves apportées par ces études, menées sur des nombres importants d'enfants suivis jusqu'à l'âge adulte ?
Vous faites référence à des travaux, que je connais très bien, dont aucun n'est basé sur des observations cliniques précises de l'enfant : tous sont fondés sur des auto-questionnaires.
Vous semblez dire par ailleurs que l'approche psychanalytique serait différente de ces études. Or je n'en ai pas le sentiment. Les classifications des difficultés éventuelles de l'enfant sont reconnues et peuvent être utilisées dans toutes les publications à l'échelle internationale. Notre réticence n'est pas théorique, mais relève d'un problème méthodologique quant à la façon dont les études sont menées, sans entretien conséquent avec les enfants, quel que soit leur âge.
La pratique de l'AMP telle qu'effectuée dans les pays que vous mentionnez est effectivement assez ancienne. En France, le don d'ovocytes est aussi pratiqué depuis plusieurs décennies. Pour autant, il n'existe toujours pas d'études en termes de suivi des enfants nés de ces techniques.
Je précise par ailleurs que si j'ai exposé les différents risques potentiels des situations les plus ordinaires, ce n'était absolument pas dans l'idée qu'il faudrait qu'elles cessent, mais simplement pour donner de la matière à réflexion dans l'optique où l'on déciderait d'en ouvrir le champ. Nous avons, en tant que médecins, à traiter des accidents de la vie ; cela fait partie de notre travail. Vous nous demandez un avis dans l'hypothèse d'une ouverture de l'AMP à de nouvelles situations ; nous vous répondons sur la base d'éléments qui, à partir de notre pratique, nous semblent présenter certains facteurs de risque pour les enfants.
Je souscris tout à fait aux propos du docteur Bydlowski concernant les études. Il a fallu, dans le champ de l'adoption, attendre près de trente ans avant de pouvoir dire qu'il existait parfois un problème avec les parents adoptifs. Les premières publications sur l'adoption mettaient en lumière les facteurs de risque par rapport à l'enfant, les troubles de l'attachement, mais rien sur les parents. Cela faisait partie des sujets tabous. J'ai écrit un livre sur les échecs d'adoption, dans lequel je pointais les risques parentaux. Ce champ d'étude commençait à peine à poindre d'un point de vue scientifique. Or il existe aujourd'hui de plus en plus de publications à ce sujet.
Il arrive exactement la même chose avec les couples de même sexe et les femmes seules. Depuis les années 2000, s'est développé un discours extrêmement militant, autour du dogme selon lequel les enfants issus de ces procréations non seulement vont bien, mais vont mieux. Or cette vision a été remise en cause par tous les travaux récents, qui expliquent justement que l'idéologie qui a fondé des études effectuées le plus souvent par des associations militantes, engagées, avait apporté des biais terribles. Je ne peux pas vous laisser dire que ces enfants vont bien ou mieux, car ce n'est pas vrai. Les études ont montré au contraire que les choses étaient plus compliquées pour ces enfants. Vous évoquiez le poids du regard social ; or les études menées dans des pays où le mariage de même sexe est autorisé ont donné les mêmes résultats. Lorsque l'on apparie sur ce paramètre, les différences subsistent.
S'agissant de l'absence de père, il nous est également couramment opposé l'existence d'autres repères familiaux masculins. Ma réponse est simple : rien ne remplace un père. Un parrain, un grand-père, un éducateur, un professeur, s'ils peuvent être des références masculines, ne sauraient en aucun cas remplacer un père, dans la mesure où ils ne sont qu'occasionnellement présents dans la vie de l'enfant. Lorsque ces femmes doivent affronter les difficultés quotidiennes auprès de l'enfant, personne n'est là pour les épauler. Un référent masculin peut être utile à l'enfant dans sa construction, mais il n'est pas l'équivalent d'un père.
Concernant l'évolution de l'Académie de médecine, il est clair qu'aucune des auditions auxquelles j'ai pu assister avant n'avait évoqué l'ouverture de l'AMP aux femmes seules. Seule était envisagée la possibilité d'un accès de l'AMP pour les couples de femmes. C'est également vrai des rapports de l'Agence de la biomédecine.
Là encore, il me semble important de distinguer le facteur filiatif du facteur éducatif. Ces différents travaux montrent que la pratique de la sexualité n'a rien à voir avec l'éducation de l'enfant. Le point de vue que je souligne est qu'il peut exister des différences par rapport à la complémentarité homme-femme ou à la solitude de la femme. Mais je souhaite insister surtout sur les complexités au plan filiatif, autour du fait pour l'enfant de ne pouvoir s'originer. Cela se retrouve dans tous les travaux du professeur Guyotat sur la filiation.
Le fait de travailler dans le champ de la protection de l'enfance et en tant qu'expert auprès des tribunaux m'a montré par ailleurs à quel point tous les humains étaient faillibles. Même dans les situations dites « classiques », mettant en scène un couple hétérosexuel, les choses sont complexes et il existe des échecs filiatifs. Certains parents ne parviennent pas à être père ou mère. C'est vrai a fortiori dans des situations moins classiques, dans lesquelles on sait que les risques augmentent et se démultiplient. Je me souviens de l'exemple d'un couple de femmes qui avait eu recours à un don d'ovocytes ; celle qui avait porté l'enfant ne parvenait pas, malgré l'accouchement, à se sentir mère et avait demandé à son enfant de l'appeler « tata ». Pourtant, généralement, l'accouchement fait la mère, sur un plan psychologique. L'impact de la technologie sur le psychisme peut être énorme et empêcher les personnes d'occuper pleinement cette position de parents, avec toutes les conséquences cataclysmiques que cela peut avoir au niveau de l'enfant. Une fois de plus, la question n'est pas de savoir si tout le monde peut surmonter cette situation. Tout dépend de qui l'on décide de privilégier. Mon fil rouge est, vous l'aurez compris, de donner la priorité au point de vue de l'enfant, qui n'a pas à supporter des risques scientifiques. L'utilisation de la science pour fragiliser cette position ne me semblerait, éthiquement, pas raisonnable.
Je souhaiterais vous remercier tout particulièrement d'être revenus sur ces études, auxquelles on fait dire beaucoup, mais qui comportent de nombreux biais méthodologiques et ne sont pas réellement scientifiques.
Il me semble également important de souligner, comme vous l'avez fait, que la présence d'un référent masculin dans l'entourage d'un enfant est certes importante, mais ne remplace pas celle d'un père.
Vous avez abordé la question de l'adoption par des femmes célibataires, qui constitue une situation dont il est possible d'étudier scientifiquement en France les conséquences pour ces femmes comme pour leurs enfants. Vous avez indiqué par ailleurs que les demandes d'agrément étaient, dans ce contexte, étudiées avec une attention particulière et accordées avec parcimonie. Faudrait-il selon vous revenir sur cette possibilité donnée aux célibataires d'adopter, ou pensez-vous que les limites actuellement posées permettent d'oeuvrer dans le bon sens ?
Merci pour ces exposés extrêmement précis et basés sur des données scientifiques.
Vous avez présenté l'agrément, dans la procédure d'adoption, comme une garantie visant à ne pas exposer l'enfant à des situations trop difficiles à vivre. Le même type de dispositif, sous forme d'une enquête par exemple, pourrait-il selon vous être envisagé dans le cas où une femme seule demanderait à bénéficier de la PMA ?
Vous avez également mentionné un risque accru, chez les enfants issus d'une AMP et de familles monoparentales, d'alcoolisme ou de suicide. Or il nous est régulièrement expliqué que le fait que ces enfants soient désirés et aient fait l'objet d'un projet parental les préservait de ces risques. Qu'en est-il ?
Vous avez, docteur Bydlowski, évoqué la relation très fusionnelle entre la femme seule et son enfant, pouvant aller jusqu'à une situation d'intolérance mutuelle. Or il se trouve que nous avons reçu, dans le cadre des soirées Colbert, une jeune adulte fille d'une mère isolée, qui nous a expliqué qu'il lui était très difficile de se disputer, de s'opposer à sa mère, dans la mesure où elle n'avait qu'elle. Cela m'apparaît être une réelle difficulté pour ces enfants.
Vous avez parlé du rôle du père comme devant permettre à la mère de s'absenter et indiqué que la construction de l'enfant se jouait dans l'alternance de l'absence et de la présence. Encore faut-il que la mère accepte de donner cette place au tiers. N'y a-t-il pas là quelque chose à travailler autour de la question du désir commun d'enfant ? Cela me paraît essentiel.
Merci pour vos apports d'expérience. Je suis particulièrement sensible au fait de partir de la place de l'enfant, plutôt que du désir d'enfant.
L'un des arguments souvent évoqués concerne le fait que les pratiques dont il est question sont autorisées ailleurs, avec des résultats apparemment probants. Comment appréhender cela ? Que ressort-il des échanges que vous pouvez avoir avec vos collègues étrangers ?
Vous avez par ailleurs indiqué que le maintien de l'anonymat des donneurs de gamètes vous semblait favorable à la construction d'une relation satisfaisante entre les parents et l'enfant issu du don. Or la question du « droit à la filiation » revient souvent dans nos discussions. Cette expression est d'ailleurs paradoxale, puisqu'il est question de filiation alors même que le donneur n'est pas reconnu comme le père.
La question des biais méthodologiques relevés dans les études m'intéresse tout particulièrement. Vous avez souligné par ailleurs que peu d'études s'intéressaient à la situation réelle des enfants. Partant de là, existe-t-il sur ces questions un consensus des professionnels de l'enfance, et en particulier des experts que vous êtes en matière de pédopsychiatrie ?
Vous avez évoqué la difficulté que crée pour les enfants le fait de ne pas pouvoir s'originer. Pourriez-vous nous préciser quelles sont, selon vous, les conséquences pour lui ?
Vous avez également mentionné la question de l'impact de la technologie sur le psychisme. Existe-t-il des études à ce sujet ?
Je vous remercie pour toutes ces questions passionnantes, auxquelles je vais tenter de répondre du mieux possible.
Lorsque j'ai commencé à travailler dans le champ de l'adoption en prenant la direction de cette consultation, j'ignorais que l'on pouvait abandonner à nouveau un enfant qui avait été adopté. J'ai donc décidé de m'intéresser tout particulièrement aux échecs de l'adoption et aux facteurs de risque. Nous étions alors très peu de professionnels à travailler dans ce domaine. Sont apparues très clairement au fil de ce travail des grilles de facteurs de risque parentaux, sur lesquelles j'ai voulu communiquer. Je n'ai évidemment pas travaillé seul et je me suis entouré de tous les professionnels de l'adoption des différents conseils généraux à travers la France, afin de tenter de lever le tabou relatif aux échecs de l'adoption. Très rapidement, a été évoqué le risque de la situation monoparentale : on constatait en effet beaucoup plus d'échecs dans les situations d'adoption par des personnes célibataires que dans les autres cas. Lorsque j'ai été auditionné à l'Assemblée nationale ou au Sénat par les différentes commissions en charge de l'adoption, j'ai insisté sur l'existence de différents facteurs de risque, parmi lesquels celui de l'âge de l'adoptant – les échecs étant plus importants au-delà de 50 ans – ou encore la situation de la personne seule. Il m'a alors été rétorqué que si ma priorité était l'enfant, celle de mes interlocuteurs était plutôt focalisée sur le monde des adultes. Je me suis donc très rapidement heurté à un mur et à ce fameux « désir d'enfant » que la société prône. S'il existait une vraie politique de prévention des échecs, prenant en compte les risques pour l'enfant, il faudrait bien sûr s'aligner sur ce que font déjà d'autres pays et interdire l'adoption par des personnes célibataires ou âgées de plus de 50 ans. Cela faciliterait énormément le travail de sélection des conseils généraux, qui est extrêmement difficile et complexe à effectuer.
L'une des questions portait sur le bien-fondé de proposer, dans le cadre de l'AMP, une procédure d'agrément, sous forme d'une enquête par exemple, inspirée de celle en vigueur pour l'adoption. Pourquoi pas ? Il faut savoir que des entretiens obligatoires avec un psychologue existent déjà, mais sans aucune conséquence sur le plan de la poursuite de la démarche d'AMP. On n'observe que très rarement des refus suite à la détection, lors de l'entretien psychologique, d'un couple à risque. Pourtant, les professionnels repèrent très bien ces couples dont la problématique de couple ou personnelle est trop importante. Les cas que nous récusons dans les agréments d'adoption sont ceux dans lesquels les enjeux par rapport à l'enfant sont beaucoup trop importants : il n'est pas envisageable de lui faire payer ce prix. C'est la raison pour laquelle nous considérons que le désir d'enfant et le projet parental ne suffisent pas. Tous les professionnels qui travaillent dans le champ de l'adoption savent bien à quel point ces deux éléments masquent des problématiques personnelles et de couple. L'enfant est ainsi parfois envisagé comme un antidépresseur, voire un moyen de sauver le couple. Il est important d'aller au-delà de ce désir. Cette grille des facteurs de risque pourrait être appliquée telle quelle aux couples envisageant le recours à la PMA. Il m'est souvent rétorqué que les deux situations sont différentes, dans la mesure où, dans le cas de l'adoption, l'enfant existe déjà, a une histoire préalable, a vécu éventuellement des maltraitances, des traumatismes : c'est vrai, mais j'ai aussi vu des échecs d'adoption avec des bébés adoptés à seulement quelques jours ou semaines. Dans ces situations, les facteurs de risque sont essentiellement parentaux. Il est évident qu'avoir une attitude préventive en matière de PMA, par le biais d'entretiens poussés tels que ceux que nous menons dans le cadre des procédures d'adoption, serait appréciable. De tels entretiens n'existent pas dans les pays qui pratiquent l'ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes. Cela permettrait pourtant d'éviter les risques d'échec et les situations dans lesquelles l'enfant n'est pas considéré comme le fils ou la fille de la famille. On observe dans ces cas soit de véritables échecs, dans lesquels l'enfant est à nouveau abandonné, soit des « équivalents d'échec », c'est-à-dire des situations dans lesquelles les enfants sont éloignés, placés dans des internats, sans plus aucun contact avec la famille. Or si l'enfant ne parvient pas à se fonder au sein de la famille, il va se tourner ailleurs : cela conduit à toutes ces situations d'enfants se tournant soit vers une attirance pour le lien biologique, soit vers une autre idéologie. Cela correspond au versant psychopathique de la filiation, avec des enfants qui se refondent vers des personnes extrêmement autoritaires, qui vont parfois les pousser à commettre des actes délictueux.
Le fait que l'enfant soit l'objet d'un projet parental ne diminue aucunement les risques, car cela masque les problématiques personnelles, individuelles et de couple. L'enfant est un terrible révélateur des failles du projet parental. Si vous voulez savoir si votre couple est solide, ayez un enfant. Si vous avez encore un doute, ayez un second enfant. Il faut savoir que l'arrivée d'un enfant fait exploser 50 % des couples. Cela montre bien l'insuffisance du projet parental, qui est plus criante encore dans le cas de recours à un tiers, médical ou social, qui fragilise la venue de l'enfant.
Le rôle du père comme tiers est absolument essentiel. Encore faut-il, effectivement, que la mère l'accepte – cela motive d'ailleurs la récusation de certaines femmes dans le cadre de l'adoption, qui, dès le début de leurs projet, n'ont pas ce tiers dans leur tête.
Bien souvent, le projet des femmes célibataires, quelle que soit leur sexualité, est d'être dans un état totalement fusionnel avec l'enfant, avec une grande idéalisation, dont on sait qu'elle est l'autre versant du rejet de l'enfant, qui surviendra à un moment ou à un autre. Ainsi, le désir et le projet parental ne suffisent pas.
Concernant l'anonymat, vous évoquez une revendication d'un « droit à la filiation ». Ce terme, utilisé par les militants des origines, prouve à quel point la filiation a été un échec dans leur famille. Les ouvrages écrits par ces personnes témoignent toujours d'une souffrance personnelle et familiale qui les poussent à tenter de s'originer ailleurs. Cela se rencontre aussi bien dans l'adoption que dans l'AMP et vient signifier l'échec d'une réassociation de ce qui a été dissocié. Cela explique pourquoi j'insiste autant sur l'importance de donner à un enfant les capacités nécessaires pour effectuer cette réassociation.
Les professionnels de l'enfance se divisent en deux groupes : ceux qui sont politiquement corrects et expliquent que tout va bien, et les autres, qui acceptent de prendre le risque d'énoncer dans le champ sociétal ce qu'il en est de leur expérience clinique.
Quant à l'impact de la technologie sur le psychisme, les études dans ce champ sont difficiles à mener. Cela renvoie néanmoins à la spécificité de la réflexion bioéthique. Je rappelle que les débuts de cette réflexion font suite au code de Nuremberg et au fait d'arrêter de penser la science au détriment des expérimentations faites sur l'humain. On sait à quel point la science peut bouleverser nos représentations psychiques par rapport à l'humain. La bioéthique consiste à envisager la manière de conserver notre humanité avec la technique. L'une des façons de procéder est de suivre le fil rouge de l'enfant, qui n'a pas à payer cette hypertechnicité qui va devenir sans limite.
S'ajoutent en effet à cela des enjeux économiques : il est clair que les dons de sperme en France sont insuffisants pour faire face à l'accroissement d'une demande de la part des 5 000 à 6 000 femmes qui se rendent actuellement à l'étranger pour bénéficier d'un tel don. Les 200 à 300 donneurs suffisent à peine à répondre aux besoins des couples infertiles. L'ouverture de l'AMP conduirait donc à une marchandisation du don des gamètes. Il faut savoir que toutes les banques, en Belgique ou en Espagne, achètent leurs paillettes de sperme à la banque danoise Cryos. Cela ouvrirait à une marchandisation et à une objectivisation de la venue de l'enfant au monde, qui ne me semble absolument pas éthique.
Sur l'idée d'un agrément pour l'AMP sur le modèle de celui utilisé pour l'adoption, il me semble que les situations sont très différentes, y compris d'un point de vue clinique. Dans le cas de l'AMP en effet, l'enfant n'est pas encore là. Il ne s'agit donc pas de trouver « les meilleurs parents possibles ». Les cliniciens de l'AMP sont face à la pression urgente et douloureuse du désir d'enfant. Je suis dubitative vis-à-vis de la possibilité, à ce moment-là, de donner un agrément. En revanche, il me semblerait opportun, comme j'ai pu en avoir l'expérience au sein de plusieurs services d'AMP, d'essayer de travailler ensemble, en regardant les choses sous différents angles. Il est important de pouvoir entendre autrement la souffrance des adultes, d'en discuter et de pouvoir se figurer ce que pourrait être l'accueil d'un enfant, avec des équipes de pédopsychiatres. Il faudrait pouvoir réfléchir en faisant un pas de côté, en se décalant de cette pression et de cette urgence qui pèsent aussi sur les équipes médicales. Mettre en oeuvre de telles collaborations me semble très important ; cela requiert toutefois un engagement du système de santé à donner des moyens suffisants pour permettre aux équipes de travailler mieux, avec cette perspective commune.
Le projet voulu, annoncé et conscient d'enfant se traduit fort heureusement dans la plupart des cas par une heureuse rencontre entre des parents et un bébé, même lorsqu'une aide médicale a été nécessaire. Dans d'autres situations, cela ne fonctionne pas. Une part échappe à la volonté : on ne maîtrise pas tout ce que l'on souhaite ou que l'on annonce. Je ne mets pas l'accent sur les situations difficiles par catastrophisme, mais simplement pour montrer que certains éléments échappent parfois à la volonté. Les équipes d'AMP sont toujours très étonnées de voir des demandes d'interruption volontaire de grossesse (IVG) après un parcours d'AMP parfois long de plusieurs années et un projet affiché comme souhaité et apparemment sans faille : la grossesse survient et, soudainement, devient vécue comme quelque chose d'insupportable. Il s'agit évidemment de situations rares, mais assez emblématiques du fait que tout, dans une démarche, n'est pas volontaire, conscient et maîtrisé – je renvoie d'ailleurs aux situations d'infertilité, qui montrent qu'il existe une part d'inconscient qui nous échappe.
Vous avez effectué un lien, judicieux à mon sens, entre relation fusionnelle entre mère et bébé et difficulté de faire face aux conflits. Le bébé humain se construit, d'une certaine façon, dans le conflit. Le psychisme est fait de conflits et de tentatives de dépassement. Les parents sont en général, dans ce domaine comme dans d'autres, les premiers interlocuteurs de l'enfant, quelles que soient les configurations parentales. Un enfant qui va le mieux du monde peut se mettre en conflit, assumer des conflits et ses parents les supporter. C'est précisément ce qui a du mal à se jouer dans une relation très fusionnelle.
Concernant la question du tiers, je suis heureuse d'avoir été aussi bien comprise : l'un des sujets principaux est en effet que la mère accepte et puisse faire une place au tiers. Il s'agit d'un premier préalable avant tout arrivée d'un enfant. Le tiers renvoie à la notion d'altérité. Il est important de pouvoir rencontrer l'altérité et pas seulement la mêmeté du collage fusionnel, pour être en mesure d'imaginer, de rêver un enfant, puis de l'attendre et de l'accueillir. Cela rejoint la différence que j'ai souhaité marquer entre « isolée » et « seule ».
La question de la pratique à l'étranger fait écho à celle des études. Il existe très peu de travaux. Je reçois beaucoup de personnes ayant eu recours aux différentes formes de dons autorisées à l'étranger, notamment en Europe. Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la façon dont les choses s'organisent en réalité. Parfois, il est demandé à ces femmes de prouver qu'elles vivent avec quelqu'un. Je me trouve ainsi face à des femmes qui ont tenté par tous les moyens d'obtenir de fausses attestations. Cela revient à les placer dans des situations compliquées. Dans certains pays, sont pratiqués des entretiens psychologiques de l'ordre de l'agrément : or je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure manière de faire. La semaine dernière encore, j'ai reçu une femme qui me demandait une attestation justifiant son choix. Or aucun échange n'est prévu entre l'équipe du pays étranger et nous. Il faudrait vraiment travailler au développement d'échanges entre les équipes ; les moyens de communication actuels le permettent. Cela place par ailleurs les couples et les femmes en situation de savoir qu'ils ont commis un acte transgressif du point de vue de la législation française, ce qui pèse sur la relation entre parents et enfants.
Le droit à la filiation qui n'interviendrait que par l'intermédiaire de sa valeur biologique gommerait selon moi tout ce qui relève du quotidien, des relations entre les parents et les enfants, tout ce qui a été vécu et traversé sur le plan psychique. Cela constitue une réduction extraordinaire du droit à la filiation, qui revêt en réalité une amplitude bien plus importante.
S'agissant des études internationales précédemment évoquées, j'insiste sur le fait que l'un des principaux écueils réside dans le fait qu'elles ne se basent sur aucune observation d'enfants. Les résultats ont été obtenus à partir d'auto-questionnaires, complétés la plupart du temps par les parents. Il ne s'agit pas de remettre en cause la bonne volonté des parents dans les réponses apportées à ces enquêtes ; pour autant, cela ne remplace pas des examens cliniques effectués auprès des enfants.
Vous souhaitiez savoir si un consensus se dégageait au niveau des professionnels. Je suis frappée du fait que l'expérience empirique est de plus en plus importante. En médecine, de nombreuses découvertes ont été effectuées de la sorte. L'empirisme est une façon de faire de la recherche. J'observe d'ailleurs une évolution, en France, dans le sens d'une sensibilisation de plus en plus grande à ces questions de la part des professionnels de l'enfance. Il s'agit selon moi d'une bonne chose.
L'audition s'achève à onze heures trente.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique
Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9h30
Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Philippe Chalumeau, Mme Élise Fajgeles, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Patrick Hetzel, M. Jean François Mbaye, M. Thomas Mesnier, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal
Excusée. - Mme Bérengère Poletti