Intervention de Pierre Lévy-Soussan

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9h55
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste, chargé de cours à l'université Paris-Diderot :

Concernant la filiation psychique, juridique et biologique, il faut savoir que j'ai conceptualisé ces trois piliers à partir des travaux du psychiatre lyonnais Jean Guyotat, qui s'est rendu compte qu'à chaque fois que l'on retirait la filiation biologique, la filiation pouvait être maintenue en raison de la solidité des deux piliers restants, juridique et psychique. Il considère toutefois que le dernier pilier doit être renforcé : il est extrêmement important que le pilier psychique soit cohérent et crédible si l'on veut pouvoir dépasser le lien du sang, afin de permettre l'élaboration d'une scène d'engendrement pensable, de nature à surmonter les dissociations et à dépasser précisément la filiation biologique.

Cela m'amène à répondre directement à votre seconde question : le fait d'avoir un pilier psychique peu robuste ou une famille fragile par rapport au lien et aux origines biologiques va conduire l'enfant, devenu adulte en souffrance par rapport à un couple parental en difficulté vis-à-vis de la filiation, à mener une quête permanente de ses origines et de l'identité du donneur de gamètes. Ce rapport à l'anonymat est le vrai point commun à l'AMP et à l'adoption : on retrouve dans les deux cas le même discours militant par rapport aux origines et à la levée du secret en raison de la même problématique à laquelle ont été confrontés ces enfants, qui ont dû faire face à un couple parental en difficulté pour évoquer la situation, dépasser le lien du sang et se positionner en tant que père et mère. À l'époque de la création du CNAOP, il existait un discours très militant, qui disait qu'en France quelque 200 000 personnes étaient en souffrance vis-à-vis de leurs origines : or en vingt ans, seules 12 000 à 13 000 personnes se sont manifestées auprès du CNAOP. C'est également vrai dans le domaine de l'AMP. Depuis les années 1970, environ 70 000 enfants ont été conçus par don de sperme en France ; or la proportion de ceux qui s'interrogent à propos de leurs origines représente une infime minorité. Si certaines associations regroupent des personnes en quête de leurs origines et demandant de ce fait la levée de l'anonymat, d'autres en revanche considèrent qu'il n'y a aucun problème. La différence entre ces deux points de vue renvoie précisément à la différence de positionnement de leurs familles, qui ont pu ou non dépasser le lien du sang. Le risque d'une levée de l'anonymat serait de créer une attirance fantasmatique constante vers cet ailleurs, qui empêcherait l'ici et le maintenant de la famille nécessaire à l'enfant pour s'originer à partir de lui. Cela favoriserait donc les échecs filiatifs, par une réification du lien biologique.

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