Je vous remercie pour toutes ces questions passionnantes, auxquelles je vais tenter de répondre du mieux possible.
Lorsque j'ai commencé à travailler dans le champ de l'adoption en prenant la direction de cette consultation, j'ignorais que l'on pouvait abandonner à nouveau un enfant qui avait été adopté. J'ai donc décidé de m'intéresser tout particulièrement aux échecs de l'adoption et aux facteurs de risque. Nous étions alors très peu de professionnels à travailler dans ce domaine. Sont apparues très clairement au fil de ce travail des grilles de facteurs de risque parentaux, sur lesquelles j'ai voulu communiquer. Je n'ai évidemment pas travaillé seul et je me suis entouré de tous les professionnels de l'adoption des différents conseils généraux à travers la France, afin de tenter de lever le tabou relatif aux échecs de l'adoption. Très rapidement, a été évoqué le risque de la situation monoparentale : on constatait en effet beaucoup plus d'échecs dans les situations d'adoption par des personnes célibataires que dans les autres cas. Lorsque j'ai été auditionné à l'Assemblée nationale ou au Sénat par les différentes commissions en charge de l'adoption, j'ai insisté sur l'existence de différents facteurs de risque, parmi lesquels celui de l'âge de l'adoptant – les échecs étant plus importants au-delà de 50 ans – ou encore la situation de la personne seule. Il m'a alors été rétorqué que si ma priorité était l'enfant, celle de mes interlocuteurs était plutôt focalisée sur le monde des adultes. Je me suis donc très rapidement heurté à un mur et à ce fameux « désir d'enfant » que la société prône. S'il existait une vraie politique de prévention des échecs, prenant en compte les risques pour l'enfant, il faudrait bien sûr s'aligner sur ce que font déjà d'autres pays et interdire l'adoption par des personnes célibataires ou âgées de plus de 50 ans. Cela faciliterait énormément le travail de sélection des conseils généraux, qui est extrêmement difficile et complexe à effectuer.
L'une des questions portait sur le bien-fondé de proposer, dans le cadre de l'AMP, une procédure d'agrément, sous forme d'une enquête par exemple, inspirée de celle en vigueur pour l'adoption. Pourquoi pas ? Il faut savoir que des entretiens obligatoires avec un psychologue existent déjà, mais sans aucune conséquence sur le plan de la poursuite de la démarche d'AMP. On n'observe que très rarement des refus suite à la détection, lors de l'entretien psychologique, d'un couple à risque. Pourtant, les professionnels repèrent très bien ces couples dont la problématique de couple ou personnelle est trop importante. Les cas que nous récusons dans les agréments d'adoption sont ceux dans lesquels les enjeux par rapport à l'enfant sont beaucoup trop importants : il n'est pas envisageable de lui faire payer ce prix. C'est la raison pour laquelle nous considérons que le désir d'enfant et le projet parental ne suffisent pas. Tous les professionnels qui travaillent dans le champ de l'adoption savent bien à quel point ces deux éléments masquent des problématiques personnelles et de couple. L'enfant est ainsi parfois envisagé comme un antidépresseur, voire un moyen de sauver le couple. Il est important d'aller au-delà de ce désir. Cette grille des facteurs de risque pourrait être appliquée telle quelle aux couples envisageant le recours à la PMA. Il m'est souvent rétorqué que les deux situations sont différentes, dans la mesure où, dans le cas de l'adoption, l'enfant existe déjà, a une histoire préalable, a vécu éventuellement des maltraitances, des traumatismes : c'est vrai, mais j'ai aussi vu des échecs d'adoption avec des bébés adoptés à seulement quelques jours ou semaines. Dans ces situations, les facteurs de risque sont essentiellement parentaux. Il est évident qu'avoir une attitude préventive en matière de PMA, par le biais d'entretiens poussés tels que ceux que nous menons dans le cadre des procédures d'adoption, serait appréciable. De tels entretiens n'existent pas dans les pays qui pratiquent l'ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes. Cela permettrait pourtant d'éviter les risques d'échec et les situations dans lesquelles l'enfant n'est pas considéré comme le fils ou la fille de la famille. On observe dans ces cas soit de véritables échecs, dans lesquels l'enfant est à nouveau abandonné, soit des « équivalents d'échec », c'est-à-dire des situations dans lesquelles les enfants sont éloignés, placés dans des internats, sans plus aucun contact avec la famille. Or si l'enfant ne parvient pas à se fonder au sein de la famille, il va se tourner ailleurs : cela conduit à toutes ces situations d'enfants se tournant soit vers une attirance pour le lien biologique, soit vers une autre idéologie. Cela correspond au versant psychopathique de la filiation, avec des enfants qui se refondent vers des personnes extrêmement autoritaires, qui vont parfois les pousser à commettre des actes délictueux.
Le fait que l'enfant soit l'objet d'un projet parental ne diminue aucunement les risques, car cela masque les problématiques personnelles, individuelles et de couple. L'enfant est un terrible révélateur des failles du projet parental. Si vous voulez savoir si votre couple est solide, ayez un enfant. Si vous avez encore un doute, ayez un second enfant. Il faut savoir que l'arrivée d'un enfant fait exploser 50 % des couples. Cela montre bien l'insuffisance du projet parental, qui est plus criante encore dans le cas de recours à un tiers, médical ou social, qui fragilise la venue de l'enfant.
Le rôle du père comme tiers est absolument essentiel. Encore faut-il, effectivement, que la mère l'accepte – cela motive d'ailleurs la récusation de certaines femmes dans le cadre de l'adoption, qui, dès le début de leurs projet, n'ont pas ce tiers dans leur tête.
Bien souvent, le projet des femmes célibataires, quelle que soit leur sexualité, est d'être dans un état totalement fusionnel avec l'enfant, avec une grande idéalisation, dont on sait qu'elle est l'autre versant du rejet de l'enfant, qui surviendra à un moment ou à un autre. Ainsi, le désir et le projet parental ne suffisent pas.
Concernant l'anonymat, vous évoquez une revendication d'un « droit à la filiation ». Ce terme, utilisé par les militants des origines, prouve à quel point la filiation a été un échec dans leur famille. Les ouvrages écrits par ces personnes témoignent toujours d'une souffrance personnelle et familiale qui les poussent à tenter de s'originer ailleurs. Cela se rencontre aussi bien dans l'adoption que dans l'AMP et vient signifier l'échec d'une réassociation de ce qui a été dissocié. Cela explique pourquoi j'insiste autant sur l'importance de donner à un enfant les capacités nécessaires pour effectuer cette réassociation.
Les professionnels de l'enfance se divisent en deux groupes : ceux qui sont politiquement corrects et expliquent que tout va bien, et les autres, qui acceptent de prendre le risque d'énoncer dans le champ sociétal ce qu'il en est de leur expérience clinique.
Quant à l'impact de la technologie sur le psychisme, les études dans ce champ sont difficiles à mener. Cela renvoie néanmoins à la spécificité de la réflexion bioéthique. Je rappelle que les débuts de cette réflexion font suite au code de Nuremberg et au fait d'arrêter de penser la science au détriment des expérimentations faites sur l'humain. On sait à quel point la science peut bouleverser nos représentations psychiques par rapport à l'humain. La bioéthique consiste à envisager la manière de conserver notre humanité avec la technique. L'une des façons de procéder est de suivre le fil rouge de l'enfant, qui n'a pas à payer cette hypertechnicité qui va devenir sans limite.
S'ajoutent en effet à cela des enjeux économiques : il est clair que les dons de sperme en France sont insuffisants pour faire face à l'accroissement d'une demande de la part des 5 000 à 6 000 femmes qui se rendent actuellement à l'étranger pour bénéficier d'un tel don. Les 200 à 300 donneurs suffisent à peine à répondre aux besoins des couples infertiles. L'ouverture de l'AMP conduirait donc à une marchandisation du don des gamètes. Il faut savoir que toutes les banques, en Belgique ou en Espagne, achètent leurs paillettes de sperme à la banque danoise Cryos. Cela ouvrirait à une marchandisation et à une objectivisation de la venue de l'enfant au monde, qui ne me semble absolument pas éthique.