L'idée sous-jacente à l'anonymat est surtout qu'il convient de ne pas donner trop de réalité au donneur. Mon expérience, notamment dans le cas de don d'ovocytes, montre que la place fantasmatique de la donneuse est très importante, pour les femmes seules ou en couple, qu'il y ait ou non anonymat. Comme vous le savez, un très grand nombre de dons d'ovocytes se font aujourd'hui à l'étranger, où l'anonymat est plus ou moins préservé, où certaines informations sont données. Les femmes, dans ces situations, racontent souvent avoir eu l'impression de croiser la donneuse à chaque coin de rue. Cette sensation est d'ailleurs certainement accrue par le fait de se trouver dans un pays étranger. Le donneur ou la donneuse occupent déjà, fantasmatiquement, une place importante ; lever l'anonymat ne ferait que l'accroître, au détriment de la relation entre parents et enfants.
Le don d'ovocytes est en outre une situation particulière. Par essence, un homme ne pouvant porter un enfant, il existe nécessairement une dissociation entre la conception et la rencontre, l'adoption de l'enfant dans sa réalité, dans tous les moments quotidiens, après sa naissance. Cette dissociation n'existait pas pour les femmes, jusqu'à une période récente : quelles que soient les situations – hormis dans les cas d'abandon –, la femme qui portait l'enfant était sa mère, pendant et après la grossesse. Les choses sont différentes dans le cas du don d'ovocytes, qui crée un clivage inédit dans la situation de la maternité. Le travail d'adoption psychique, qui concerne toutes les femmes en cours de grossesse et à l'arrivée de l'enfant – il ne suffit pas de porter un enfant pour se sentir son parent –, est rendu plus compliqué dans les cas de don d'ovocytes.