Sur l'idée d'un agrément pour l'AMP sur le modèle de celui utilisé pour l'adoption, il me semble que les situations sont très différentes, y compris d'un point de vue clinique. Dans le cas de l'AMP en effet, l'enfant n'est pas encore là. Il ne s'agit donc pas de trouver « les meilleurs parents possibles ». Les cliniciens de l'AMP sont face à la pression urgente et douloureuse du désir d'enfant. Je suis dubitative vis-à-vis de la possibilité, à ce moment-là, de donner un agrément. En revanche, il me semblerait opportun, comme j'ai pu en avoir l'expérience au sein de plusieurs services d'AMP, d'essayer de travailler ensemble, en regardant les choses sous différents angles. Il est important de pouvoir entendre autrement la souffrance des adultes, d'en discuter et de pouvoir se figurer ce que pourrait être l'accueil d'un enfant, avec des équipes de pédopsychiatres. Il faudrait pouvoir réfléchir en faisant un pas de côté, en se décalant de cette pression et de cette urgence qui pèsent aussi sur les équipes médicales. Mettre en oeuvre de telles collaborations me semble très important ; cela requiert toutefois un engagement du système de santé à donner des moyens suffisants pour permettre aux équipes de travailler mieux, avec cette perspective commune.
Le projet voulu, annoncé et conscient d'enfant se traduit fort heureusement dans la plupart des cas par une heureuse rencontre entre des parents et un bébé, même lorsqu'une aide médicale a été nécessaire. Dans d'autres situations, cela ne fonctionne pas. Une part échappe à la volonté : on ne maîtrise pas tout ce que l'on souhaite ou que l'on annonce. Je ne mets pas l'accent sur les situations difficiles par catastrophisme, mais simplement pour montrer que certains éléments échappent parfois à la volonté. Les équipes d'AMP sont toujours très étonnées de voir des demandes d'interruption volontaire de grossesse (IVG) après un parcours d'AMP parfois long de plusieurs années et un projet affiché comme souhaité et apparemment sans faille : la grossesse survient et, soudainement, devient vécue comme quelque chose d'insupportable. Il s'agit évidemment de situations rares, mais assez emblématiques du fait que tout, dans une démarche, n'est pas volontaire, conscient et maîtrisé – je renvoie d'ailleurs aux situations d'infertilité, qui montrent qu'il existe une part d'inconscient qui nous échappe.
Vous avez effectué un lien, judicieux à mon sens, entre relation fusionnelle entre mère et bébé et difficulté de faire face aux conflits. Le bébé humain se construit, d'une certaine façon, dans le conflit. Le psychisme est fait de conflits et de tentatives de dépassement. Les parents sont en général, dans ce domaine comme dans d'autres, les premiers interlocuteurs de l'enfant, quelles que soient les configurations parentales. Un enfant qui va le mieux du monde peut se mettre en conflit, assumer des conflits et ses parents les supporter. C'est précisément ce qui a du mal à se jouer dans une relation très fusionnelle.
Concernant la question du tiers, je suis heureuse d'avoir été aussi bien comprise : l'un des sujets principaux est en effet que la mère accepte et puisse faire une place au tiers. Il s'agit d'un premier préalable avant tout arrivée d'un enfant. Le tiers renvoie à la notion d'altérité. Il est important de pouvoir rencontrer l'altérité et pas seulement la mêmeté du collage fusionnel, pour être en mesure d'imaginer, de rêver un enfant, puis de l'attendre et de l'accueillir. Cela rejoint la différence que j'ai souhaité marquer entre « isolée » et « seule ».
La question de la pratique à l'étranger fait écho à celle des études. Il existe très peu de travaux. Je reçois beaucoup de personnes ayant eu recours aux différentes formes de dons autorisées à l'étranger, notamment en Europe. Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la façon dont les choses s'organisent en réalité. Parfois, il est demandé à ces femmes de prouver qu'elles vivent avec quelqu'un. Je me trouve ainsi face à des femmes qui ont tenté par tous les moyens d'obtenir de fausses attestations. Cela revient à les placer dans des situations compliquées. Dans certains pays, sont pratiqués des entretiens psychologiques de l'ordre de l'agrément : or je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure manière de faire. La semaine dernière encore, j'ai reçu une femme qui me demandait une attestation justifiant son choix. Or aucun échange n'est prévu entre l'équipe du pays étranger et nous. Il faudrait vraiment travailler au développement d'échanges entre les équipes ; les moyens de communication actuels le permettent. Cela place par ailleurs les couples et les femmes en situation de savoir qu'ils ont commis un acte transgressif du point de vue de la législation française, ce qui pèse sur la relation entre parents et enfants.
Le droit à la filiation qui n'interviendrait que par l'intermédiaire de sa valeur biologique gommerait selon moi tout ce qui relève du quotidien, des relations entre les parents et les enfants, tout ce qui a été vécu et traversé sur le plan psychique. Cela constitue une réduction extraordinaire du droit à la filiation, qui revêt en réalité une amplitude bien plus importante.
S'agissant des études internationales précédemment évoquées, j'insiste sur le fait que l'un des principaux écueils réside dans le fait qu'elles ne se basent sur aucune observation d'enfants. Les résultats ont été obtenus à partir d'auto-questionnaires, complétés la plupart du temps par les parents. Il ne s'agit pas de remettre en cause la bonne volonté des parents dans les réponses apportées à ces enquêtes ; pour autant, cela ne remplace pas des examens cliniques effectués auprès des enfants.
Vous souhaitiez savoir si un consensus se dégageait au niveau des professionnels. Je suis frappée du fait que l'expérience empirique est de plus en plus importante. En médecine, de nombreuses découvertes ont été effectuées de la sorte. L'empirisme est une façon de faire de la recherche. J'observe d'ailleurs une évolution, en France, dans le sens d'une sensibilisation de plus en plus grande à ces questions de la part des professionnels de l'enfance. Il s'agit selon moi d'une bonne chose.