Nous avons rencontré les acteurs de la communauté judiciaire, qui sont d'ailleurs tous vent debout contre votre projet, nous avons travaillé, nous avons lu, nous nous sommes documentés. Ainsi, une édition de Dalloz actualité montre qu'Antoine Garapon et Jean Lassègue, qui font autorité sur ces sujets, ont déjà très clairement formulé ce que nous essayons, les uns et les autres, de dire : la déshumanisation, la justice désincarnée, la dématérialisation érigée en dogme aboutissent à l'aggravation des inégalités sociales dans l'accès aux droits.
Ils posent même des questions plus précises que je veux également vous poser. Vous l'avez dit, madame la ministre, sur environ 480 000 injonctions de payer, seulement 4 % font l'objet d'un recours. Mais, selon ces praticiens et spécialistes du droit, c'est justement pour ces derniers cas que le bât blesse. « Si l'opposition porte uniquement sur les délais de paiement, la procédure se déroulera "sans audience" devant un "tribunal numérique" » – ces termes me hérissent le poil ! Ils poursuivent en s'interrogeant : si le débiteur exerce deux demandes, l'une à titre principal sur les prescriptions et l'autre à titre subsidiaire sur les délais de paiement, devant quelle juridiction devra-t-il porter ses demandes ?
Je rejoins par ailleurs notre collègue qui rappelait la nécessité pour un débiteur de développer oralement son argumentation lorsqu'il s'agit d'obtenir des délais de paiement. Ainsi, non seulement votre projet est désincarné, non seulement il constitue une administration de la pénurie, mais il ne répond pas aux questions de droit détaillées posées par les spécialistes.