Intervention de Bruno Saintôt

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Bruno Saintôt :

La question de savoir ce qui constitue l'humanité de l'homme ou la dignité de la personne donne lieu à de nombreux débats. On peut par exemple se référer, en droit français, à des principes comme la non-patrimonialité ou la non-instrumentalisation du corps. Qualifier positivement ces deux notions est toutefois assez difficile. À défaut de définition positive, l'histoire nous a enseigné qu'il était possible de savoir quand l'homme n'était plus humain. Des expériences douloureuses nous ont permis de nous en rendre compte. Je vous renvoie au procès de Nuremberg. Si nous ne pouvons pas toujours qualifier ce qui fait l'humanité de l'homme, nous pouvons en revanche avoir conscience de moments où certains comportements portent atteinte à l'humanité ou à la dignité de la personne.

Quelle « ligne rouge » ne faudrait-il pas franchir ? Les aspects développés par le droit français et soulignés par le Conseil d'État autour du concept objectif de dignité, avec la question de la non-commercialisation des éléments du corps, m'apparaissent être un repère central. Affirmer, dans le prolongement de la philosophie de Kant notamment, qu'un être humain, non plus que les produits de son corps, n'est pas marchandisable, me semble essentiel. Comme je vous l'ai expliqué, cette vision peut toutefois être contestée par une autre philosophie politique, une autre conception du rapport entre l'individu et le politique. Il s'agit néanmoins d'un repère majeur de notre histoire et de notre droit. Les limites à ne pas franchir concernent donc, selon moi, tout ce qui a trait par exemple à l'atteinte au corps d'autrui, à sa commercialisation. Il y a de nombreuses interrogations autour du principe de gratuité, notamment des organes et des gamètes. La menace portée à ce principe doit à mon sens être prise très au sérieux.

Il me semble également très important, pour fixer ces limites, de considérer le principe de fraternité et la notion de reconnaissance. Le fait d'occulter socialement un tiers qui a joué, dans une situation donnée, un rôle important me pose un problème éthique, politique. Pour qu'une procréation reste humaine, il ne faut pas que soit organisée, politiquement, juridiquement, la disparition du tiers.

Nous nous appuyons, en France, sur le principe de dignité, qui est très contesté et a plusieurs acceptions : il en existe une vision dite objective, ontologique, et une autre relative à l'opinion que chacun a de sa propre valeur. L'héritage du droit français va plutôt vers une conception objective, validée par la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je crois qu'il s'agit d'un élément fondamental. On pourrait d'ailleurs revisiter le premier considérant de la Déclaration universelle et son article 1, qui sont des repères très sûrs, et dont il ressort que nul n'a le pouvoir de juger de la qualité d'humain d'autrui. Le fait qu'une société organise l'éviction de citoyens, présents ou à venir, est une limite. Cela concerne profondément les liens politiques par lesquels nous nous reconnaissons comme citoyens, y compris dans notre histoire, et n'est pas qu'une question d'éthique biomédicale.

C'est la raison pour laquelle je plaide également pour un concept enrichi de personne, prenant en compte l'histoire personnelle. Il me semble important de réfléchir à la cohérence d'une certaine conception de la personne et à la cohérence du droit français. Mon inquiétude est que ce droit, qui intègre des questions sociales, économiques, politiques, se détricote tout seul, par manque de vigilance des députés. Je préfèrerais que les députés qui sont opposés au système actuel et souhaitent donner un nouveau sens aux principes qui le régissent en prennent acte et l'indiquent clairement. Le pire selon moi serait, sous couvert de laisser perdurer le modèle français, d'autoriser des droits qui, de fait, le détricoteraient. Voici ma préoccupation essentielle.

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