Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner la proposition de loi déposée par le groupe MODEM pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zones littorales et de montagne, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur.
Je suis très heureux d'intervenir devant cette commission, dont je suis membre depuis quelques semaines, pour que nous puissions débattre ensemble d'une proposition de loi qui me tient à coeur. Elle est le fruit d'une longue réflexion et d'une concertation avec les professionnels, notamment les conchyliculteurs, et les élus concernés. Comme vous le savez tous, la conchyliculture est la culture de coquillages, notamment celle des huîtres et des moules. La conchyliculture française est une vraie richesse. Premier pays ostréicole et deuxième pays conchylicole d'Europe – derrière l'Espagne –, la France produit des coquillages de grande qualité : belons, marennes, huîtres de la baie de Cancale et autres.
Au départ, ce texte a été élaboré pour répondre à une difficulté concrète liée à la transformation de bâtiments à usage conchylicole en habitations résidentielles ou en restaurants. De telles transformations provoquent un démembrement des exploitations et des réseaux locaux de production, ce qui conduit à une baisse significative du nombre d'exploitations. Citons un exemple : en vingt ans, entre 10 % et 20 % du foncier conchylicole a été perdu dans le Morbihan.
Ces transformations s'expliquent par le fait qu'il est beaucoup plus lucratif de vendre un bâtiment conchylicole à un non-professionnel qu'à un conchyliculteur. Lors de son audition, le président du comité national de la conchyliculture (CNC) nous a indiqué qu'un non-professionnel pouvait proposer un prix jusqu'à dix fois plus élevé. Je tiens donc à signaler qu'en souhaitant lutter contre les changements de destination des bâtiments conchylicoles, la profession accepte de renoncer aux bénéfices de ventes qui pourraient être plus rémunératrices, ce qui est courageux et tout à son honneur. J'ai bien sûr en tête les conditions de travail de ces professionnels, leurs rémunérations et in fine le montant de leur retraite.
Cela montre surtout combien il est urgent de trouver collectivement des solutions pour lutter contre la perte de foncier – conchylicole, mais plus généralement agricole – dans les zones où la pression est la plus forte, notamment les zones littorales et de montagne. L'agriculture est un gestionnaire efficace de l'espace ; elle contribue à contenir l'urbanisation et à préserver nos paysages. Malheureusement, le taux d'artificialisation des communes littorales est 2,6 fois plus élevé que celui observé sur le reste du territoire. De même, au cours des quarante dernières années, le taux de disparition des terres agricoles a été 2,5 fois plus élevé dans ces zones que le taux moyen métropolitain. En montagne, il existe aussi un vrai risque de recul des activités agricoles et pastorales en raison des changements de destination des chalets d'alpage et des bâtiments d'estive.
Si le constat est partagé, il est plus difficile de trouver des moyens d'action efficaces. Cette proposition de loi ne prétend d'ailleurs pas résoudre tous les problèmes. Elle vise à mieux lutter contre un phénomène précis et très bien identifié : le changement de destination des bâtiments en zones très tendues.
Avant d'évoquer en détail les dispositions de ce texte, je souhaite insister sur le fait que nous ne souhaitons pas assouplir la loi Littoral, bien au contraire : nous entendons agir contre le mitage et l'artificialisation des espaces naturels en préservant, autant que possible, l'usage agricole des bâtiments existants.
Pour ce faire, nous avons choisi de renforcement le droit de préemption des SAFER, acteurs incontournables de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Elles acquièrent des biens agricoles – terrains ou bâtiments – et les rétrocèdent aux personnes capables d'en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation c'est-à-dire, le plus souvent, à des exploitants agricoles. En 2016, les SAFER ont ainsi revendu 34 400 hectares dans le but de permettre l'installation d'agriculteurs. Certes, elles n'achètent pas tous les terrains ou bâtiments en usant de leur droit de préemption ; le plus souvent, elles les achètent par voie amiable. Néanmoins, le droit de préemption s'avère un outil indispensable pour maintenir le peu d'activités agricoles restantes dans les zones tendues, et notamment littorales.
Cela étant, une réelle difficulté demeure, un vrai « trou dans la raquette », dans la mesure où les SAFER ne peuvent préempter des bâtiments qui ont eu un usage agricole que si cette activité agricole a été exercée au cours des cinq années précédant l'aliénation. Les SAFER ne peuvent donc pas préempter des bâtiments qui auraient eu un usage agricole il y a dix ans, par exemple, aux fins de les rendre à cet usage ; cette impossibilité, inscrite dans le code rural et de la pêche maritime, a été récemment confirmée par le tribunal de grande instance de Lorient. Pour éviter de voir leur bien faire l'objet d'une préemption par les SAFER, les propriétaires de bâtiments agricoles n'ont donc qu'à attendre cinq ans avant de le mettre en vente, souvent à un non-professionnel. Ce délai est trop peu dissuasif et encourage la spéculation foncière.
L'objectif de la proposition de loi est donc de s'attaquer à ce « trou dans la raquette ». La proposition de loi contient quatre articles. Je me concentrerai sur les trois premiers, sachant que l'article 4, qui visait à faciliter l'implantation d'annexes nécessaires aux activités conchylicoles, est satisfait par l'article 43 de la loi ELAN. En toute cohérence, j'ai donc déposé un amendement de suppression de cet article 4.
Les trois premiers articles ont un même objectif : permettre l'exercice du droit de préemption des SAFER sur des bâtiments qui ont perdu leur usage agricole il y a plus de cinq ans. Je tiens à préciser que si le champ de préemption des SAFER est quelque peu élargi, les autres modalités du droit de préemption restent, elles, inchangées : le droit de préemption des SAFER demeure donc fortement encadré. D'ailleurs, ce droit de préemption élargi ne sera pas systématiquement utilisé ; il reste une simple possibilité qui aura un effet dissuasif sur les deux parties : les particuliers ne seront plus tentés d'acheter un bâtiment agricole et les propriétaires ne seront plus tentés d'attendre cinq ans avant de céder leur bien dans l'espoir de le vendre plus cher à un non-professionnel.
L'article 1er est centré sur la conchyliculture : il étend le droit de préemption de SAFER aux bâtiments qui ont, par le passé, été utilisés pour des activités conchylicoles exigeant la proximité immédiate de la mer, afin de les rendre à cet usage. Il faut savoir que la conchyliculture ne peut pas se développer n'importe où en bord de mer : elle nécessite, par exemple, une certaine qualité microbiologique des zones de production. Il est donc nécessaire de conserver, autant que possible, l'activité conchylicole dans les chantiers existants.
Les articles 2 et 3 sont respectivement centrés sur les communes littorales et les communes de montagne. Ils permettent aux SAFER d'exercer leur droit de préemption pour rendre à des bâtiments un usage agricole même quand ceux-ci n'ont pas été utilisés pour une activité agricole au cours des cinq années précédant l'aliénation.
Les auditions que j'ai organisées en vue de la discussion de cette proposition de loi ont été très instructives. Vous avez été nombreux à y participer et je vous en remercie. Cela nous a permis de réfléchir collectivement aux améliorations à apporter à ce texte. Un certain nombre d'amendements identiques, déposés par différents groupes, sont d'ailleurs directement issus des discussions que nous avons eues lors de ces auditions. Nous allons les examiner dans un instant mais je souhaite insister, dès à présent, sur celui qui est le plus important à mes yeux : l'amendement consistant à encadrer ce nouveau droit de préemption des SAFER dans le temps.
En vertu de la législation actuelle, les SAFER peuvent préempter les bâtiments ayant eu, par le passé, un usage agricole. Il nous a semblé nécessaire de préciser le champ de préemption des SAFER en fixant un délai dans le temps. Les SAFER ne pourront préempter que les bâtiments qui auront été utilisés pour certaines activités agricoles au cours des vingt années précédant l'aliénation. Un tel délai permet de limiter la spéculation foncière tout en respectant le droit de chacun à la libre disposition de ses biens.
Je ne m'attarderai pas davantage sur les autres amendements déposés.
Au-delà des dispositions législatives ou réglementaires, je crois que toutes les auditions que nous avons menées ont montré la nécessité d'une plus grande coopération entre les différents opérateurs fonciers de l'espace rural et périurbain que sont les SAFER, les établissements publics fonciers et, en zone littorale, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Des actions conjointes existent déjà dans certains territoires et sont extrêmement prometteuses. Néanmoins, cette coopération pourrait être accrue, d'autant que les modalités d'intervention des différents acteurs sont complémentaires.
Comme vous l'avez indiqué, Monsieur le président, cette proposition de loi sera examinée en séance la semaine prochaine.