Le papier de position conjointe de la Présidence autrichienne de l'Union européenne et de la présidence espagnole montre une volonté de privilégier un mécanisme de coordination politique sur un grand mécano institutionnel. Il est essentiel de conserver une relation Union ESA équilibrée qui permette à la fois de continuer à bénéficier de l'expertise de l'ESA, unique en Europe, et de renforcer le pouvoir de contrôle de l'Union qui finance les programmes et qui doit en assurer le pilotage stratégique, afin de préserver l'autonomie stratégique de l'Union et de ses États membres. La conséquence logique, c'est bien que la Commission européenne acquière un droit de regard sur les activités de l'ESA supérieur à ce qui existe aujourd'hui, mais aussi que les capacités existantes avérées ne soient pas dupliquées, nous faisant courir le risque d'altérer l'acquis des dernières décennies.
Le rôle de l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial doit donc être clairement délimité, et sa définition reposer sur le critère de complémentarité afin d'éviter les duplications bureaucratiques et fonctionnelles, notamment avec les activités de l'ESA. Si cette Agence redessinée peut se voir confier des compétences complémentaires, elle ne doit pas venir concurrencer l'ESA comme l'agence de programme. Dans un environnement mondial exigeant, sa priorité doit être de soutenir l'adoption par le marché des activités spatiales de l'Union européenne. Un travail de modernisation de l'ESA nous apparaît nécessaire, reposant sur un traitement et une gouvernance distincte et adaptée à chacune de ses missions (recherche scientifique ; systèmes satellitaires ; lanceurs), dont les logiques sont, elles-aussi, distinctes. Cela correspond à la volonté affichée de son directeur général. Cela répondra au souhait de ceux des États membres, attachés à ce que l'ESA garde entière sa capacité à mener des programmes à géométrie variable, attractifs pour ces derniers, tout en restant l'agence de mise en oeuvre des programmes spatiaux de l'Union.
Reste une grande question, celle du retour géographique. Pour nous, cette notion fait complètement sens pour l'exploration et la recherche scientifiques, projets de long terme sans pression concurrentielle, pour lesquels le fonctionnement intergouvernemental et le principe de retour géographique sont adaptés compte tenu du temps long et de l'impératif de collaboration. Elle fait sens pour les infrastructures européennes critiques non soumises à la pression concurrentielle, les systèmes Galileo et Copernicus. Elle le fait moins pour les lanceurs, dont on a vu le nouveau contexte extrêmement concurrentiel. On touche en fait là à « l'impensé » stratégique européen sur l'autonomie d'accès à l'espace.
La vision politique européenne mûrit sur la question d'un accès autonome à l'espace, comme le montrent les prises de position de la Commission européenne – dans sa stratégie et dans le programme spatial porté par le règlement sectoriel – et à l'ESA, avec la déclaration conjointe relative à l'exploitation institutionnelle d'Ariane 6 et de Vega C, dans laquelle les signataires expriment leur plein soutien à la filière européenne des lanceurs et aux lanceurs Ariane 6 et Vega C, en reconnaissant l'intérêt de fédérer la demande institutionnelle de services de lancement. Mais il s'agit toujours d'un soutien conditionné à une amélioration rapide de la compétitivité des lanceurs. Cette mention traduit la persistance, même nettement atténuée, d'une divergence de fond, entre, d'une part, un secteur spatial d'abord vu comme une simple « commodité » de marché autorisant le recours aux lanceurs non européens, et, d'autre part, un secteur spatial d'abord vu comme un instrument de souveraineté et un atout décisif pour l'Europe dans l'économie du spatial, dont le caractère stratégique requiert un soutien institutionnel marqué.
Nous sommes d'autant plus loin du point d'aboutissement nécessaire, que, à l'inverse des projets américains, chinois et russes, la vision stratégique militaire européenne n'en est qu'à ses balbutiements. Faute d'Europe de la défense et de programme commun de défense, l'Europe ne peut compter que sur le civil pour justifier son envie et son besoin d'Espace, là où les États-Unis ont une politique militaire spatiale complète. Même la dualisation du spatial aujourd'hui mise en avant par la Commission dans ses propositions réglementaires mais plus encore dans ses propositions budgétaires (avec un accès facilité au Fonds Européen de Défense) reste contestée par une partie des États membres, y compris les plus importants, qui restent attachés à l'approche traditionnelle dont nous sommes, pour notre part, convaincus du caractère désormais inapproprié. Il est donc absolument nécessaire qu'un discours politique clair soit tenu sur la vision liée à l'accès indépendant à l'espace.
La Commission européenne répond à cette question à sa manière avec ses limitations politiques et une vision très gestionnaireéconomique de l'espace, mais il incombe aux États membres de porter un projet politique d'avoir un lanceur européen. À cet égard, un discours sur l'espace du Président de la République serait certainement non seulement un marqueur fort mais un catalyseur, comme a pu l'être, pour les travailleurs détachés, son engagement personnel.
Lors de son discours prononcé à l'occasion de la réception donnée par le ministère des Armées à la veille du « 14-Juillet », le Président de la République, faisant de l'espace un enjeu de sécurité nationale, a annoncé la présentation prochaine d'une stratégie spatiale de défense, ayant vocation aussi à être déclinée, sur tous les aspects pertinents, sur le plan européen. De manière concrète et immédiate, un discours politique européen clair, cela veut aussi dire que les engagements européens, en matière de lancements institutionnels doivent être non seulement tenus mais étendus : tous les États membres doivent eux-aussi privilégier l'intérêt politique, et in fine économique, européen, et donc choisir les lanceurs européens que leurs contribuables nationaux ont financé pour leurs propres lancements institutionnels.